Sinfully good

Chapitre 1 : A., B. et H.

Je suis arrivée ici un matin d'octobre. Les feuilles des arbres qui garnissaient le vaste parc de l'établissement commençaient à se parer de ces couleurs chaudes qui annoncent leur fin. Mort puis chute.

J'ai immédiatement noté un blond filiforme agité. Qui n'hésitait pas à fracasser ses camarades - et ce n'était pas qu'une question de taille car cette tornade blonde n'avait que faire de l'âge ni de la stature !...

J'ai vite compris, dressant l'oreille aux babillages ambiants, qu'il s'agissait de M., nommé Mello.

Le blondin aimait se défouler. De préférence sur le crâne d'un pensionnaire passant à proximité.

Mello avait le même âge que moi : un ado qui affichait fièrement sa treizième année, saturé de révolte.

Mello me faisait penser à un fauve en cage. Toujours à tourner, oeil exercé à fouiller les rangs pour trouver la proie idéale. Et cette fois, il jeta son dévolu sur le rouquin Matt. Il s'en prit direct une en retour !... L'instant d'après, les deux étaient enchevêtrés à même le parquet, roulant dans tous les sens, sous une pluie de coups et d'injures.

Il fallut l'intervention musclée du professeur de sport pour les séparer. Mello crachait tout ce qu'il pouvait tandis que Matt le fixait, peu impressionné par le numéro du blond.

Dans cet établissement où tout était rectiligne, les éclats de Mello apportaient un peu de divertissement.

Mais il n'y avait pas que cela...

J'ai soudain entendu un murmure se lever, regards accrochés sur un couple qui avait fait son nid au pied de l'immense chêne - territoire de Mello, accessoirement.

Le blond vint d'ailleurs leur certifier de dégager la place mais le garçon, étendu contre le tronc, lui fit signe de laisser éclater sa colère plus loin.

Mello shoota rageusement dans une pomme de pin avant de s'éloigner en gromelant.

La fille, tête posée en travers des cuisses du garçon à la chevelure hirsute et sombre, posa un regard admiratif sur la marque d'autorité dont il venait de faire preuve.

Le couple semblait plus âgé que la majorité des pensionnaires - aux alentours de la majorité.

"Haaaan... A. a une chance folle !..."

"Tu parles !... B. est complètement ravagé !..."

Hmm mmm. Intéressant. Vraiment trèèèèès intéressant !...

"H. ! Tu rêves ?" tandis que je les observais depuis les vastes croisés de fenêtres.

A., je m'en rendis rapidement compte, était très populaire. Chacun de ses passages dans les couloirs de l'établissement valait son lot d'expressions béates, notamment auprès des filles. A. était le modèle.

La fille, il est vrai, était fort jolie - une véritable poupée avec ses anglaises interminables et sa frimousse à laver au savon - et possédait une classe qui dépassait de loin celle d'Ugly Betty.

Le couple qu'elle formait avec B. sortait clairement de l'ordinaire et les deux faisaient souvent le mur pour fricoter à leur aise dans la carcasse d'une veille voiture au dépôt de la casse voisine ou sous un pont sans éclairage. Bref, A. et B. formaient un couple glamour et atypique.

Le dénommé B. - j'appris plus tard qu'en réalité son pseudonyme était un double B. comme Beyond Birthday - traînait nonchalamment sa haute stature dans les couloirs, fumant un ou deux joints à l'occasion, près d'une fenêtre abritée, préférant de loin la tranquilité obscure qui régnait sous la paillasse du vaste escalier central. Il s'agissait là d'un endroit borgne que B. chérissait par-dessus tout. Autant dire que le jour où il prit l'envie à Mello de s'y aventurer et que B. s'y trouvait, tapi comme une araignée au centre de sa toile, le blond fut traîné par un pied hors du territoire, hurlant comme un cochon qu'on égorge, gesticulant dans tous les sens - ce qui ne contribuait qu'à accroître le sourire déjà éloquent de B.

Mello se retrouva alors suspendu, par une jambe, à l'un des balustres de l'escalier.

Alors que les salles de classes se vidaient - les cours étaient assurés de façon ludique et non-conventionnelle - les élèves se déversaient par petits groupes de quatre ou cinq, je fus la première à grimper à l'étage et à tomber sur A. et B., étroitement enlacés, savourant un baiser qui n'avait décidément rien de sage. B. semblait plus lancé sur le sujet que A. qui se retrouva gênée par mon regard.

"Laisse tomber... elle y pige rien, toute manière." avança B., revenant à l'outrage du délice, captant à la fois l'attention et la langue de A.

Je demeurais figée, incapable de jeter mon regard ailleurs que sur eux, sur leurs corps entremêlés, sur la tignasse hirsute de B., sur ce qu'il parvenait aisément à obtenir de A., sur ces bruits à peine couverts que produisaient leurs bouches, langues affairées... et j'en passe des meilleures !... Ou des pires.

B. fut contraint de cesser lorsqu'un groupe d'élèves me rejoignit. Derechef, il attrapa A. par la main, lui intimant de poursuivre ailleurs - dans la chambre de A. en l'occurrence, foutant la compagne de chambre de A. dehors pour s'y enfermer et, j'imagine, terminer ce qu'ils venaient de commencer.

"Laisse tomber... elle y pige rien, toute manière." Cette affirmation - totalement fausse, au demeurant - s'était plue à me poursuivre !... Et je l'avais mauvaise après ce métèque dérangé qui avait décrété cela avec un tel aplomb saupoudré de ce qu'il fallait de mépris !...

Je ne savais pas de quoi il en retournait, hein ? J'en savais suffisamment !... alors oui, certes, je n'avais pas expérimenté - et le seul qui me plaisait, dans le secteur, préfèrait chercher querelle que flirter - mais j'étais capable de faire aussi bien que A., voire mieux !... Tu m'entends, espèce de demeuré ?!

De retour dans ma chambre, lors de l'extinction des feux, je fixais le plafond, dans la pénombre, prêtant une oreille attentive à la respiration de ma voisine de lit, attendant qu'elle s'endorme pour glisser la main jusqu'à mon sexe et caresser là, mordant mon autre main pour couvrir les sons coupables que la manoeuvre faisait monter en moi.

Je ne voyais que B. par flashes imprimés sur ma rétine !...

Et la main continuait, toujours plus vive.

Je n'eus pas même besoin de me caresser à même le sexe tant il m'avait mise dans un état d'excitation élevé !...

L'orgasme m'emporta, secouant mon corps dans ce lit, étouffant les sons qu'il venait de faire monter sans même être présent physiquement.

La guerre était déclarée !...

"Hope ! Viens vite !... L. est avec nous dans la salle de gym !..."

L. ?...

Tout le groupe était massé devant un écran à côté duquel se tenait un homme étrange dont on ne distinguait pas le visage tant son col était remonté et son chapeau vissé sur les yeux.

Tout le monde ici semblait connaître L. hormi les nouveaux.

Mello était dans son coin, semblant écouter d'une oreille distraite tout en dégustant une tablette de chocolat pur lait.

Je cherchais du regard A. et B. mais ces derniers brillaient évidemment par leur absence !...

"Suzanne ? Qui est L. ?" demandais-je à ma voisine de chambre.

"L. est notre modèle à tous. C'est pour lui ressembler et lui succéder un jour que nous sommes ici. Roger ne t'a pas expliqué ?"

"Vaguement."

"Ah, tu le verras pour les fêtes ! Il vient toujours ici, les bras chargés de cadeaux !..."

J'attendais les fêtes. Oh que oui, je les attendais !... Je voulais voir ce L. !... C'était devenu le boostant de la fin d'année.

Il est arrivé, tard dans la soirée, emmitouflé dans un large manteau, visage à moitié camouflé par une écharpe - L. était visiblement très sensible au froid - accompagné de son majordome.

Je fixais L., sa façon très étrange de s'installer sur la chaise, adoptant une position foetale, sa manière de se saisir des couverts et autres objets du quotidien, façon pince, au bout du pouce et de l'index - comme si ce dont il se saisissait était brûlant !...

Malgré ces bizarretés, L. avait de la présence, un charisme indéniable dans son côté "freak".

Ce qui frappait était son air de ressemblance avec notre animal de foire, j'ai nommé B.

Leur coupe de cheveux était assez similaire, de même que leur allure - bien que B. paraissait, sous ses sweats sombres, plus charpenté que L.

L. demeurait résolument voûté tandis que B. se tenait droit, la plupart du temps.

D'ailleurs, en parlant de B., ce dernier demeurait à distance raisonnable de L., toujours flanqué de A. C'est L. qui vint les trouver pour leur adresser quelques mots.

B. ne le regardait pas dans les yeux, préférant se gratter la tête ou la jambe, comme si L. était transparent.

N'importe qui pouvait déduire que les relations n'étaient pas au beau fixe entre L. et B.

Lorsque L. tourna les talons, B. vint embrasser A. avec rage, la faisant rire très fort, gênée par l'attitude outrancière et imprévisible de son boyfriend.

Je secouais la tête. Non, décidément, ces deux-là ne me revenaient pas !... Par contre, L...

L. appelait à la douceur et à l'apaisement. L. était diamétralement l'opposé de B.

Christmas Eve. L. s'installa au piano et laissa ses mains fines - presques décharnées, aux phalanges extrêmement visibles - caresser les touches, dans des mélodies douces comme Auld Lang Syne.

B. et A. avaient profité de l'absence des pensionnaires pour s'aventurer dans certaines chambres et se livrer à leur jeu préféré consistant à se débaucher - une idée de B., évidemment !... Certains lits avaient été retrouvés défaits et les effets jetés au sol. Je fulminais de rage !... L. s'était contenté de hausser les épaules, préférant diriger son attention sur le magnifique cake qui venait de prendre place sur la table.

"Il me fait chier, à passer à travers les mailles des filets, celui-là !..." disais-je à Mello, à propose de B..

Ce dernier me fixa. "Il est foutrement doué pour ça, ouais."

"Pourquoi ?"

"J'ai pas le droit de te le dire mais... fais ton enquête et tu verras bien." avec un air de défi.

"Oh, très marrant, Mello !... Bon, qu'est-ce que t'as reçu ?"

Il ouvrit la main pour dévoiler le trésor qu'elle renfermait. "Un harmonica. J'en rêve depuis si longtemps !..."

"Elle nous fixe, B."

"Tu t'en fous." mordillant son cou avec appétit.

"Arrête !... Elle nous regarde, je te dis !..." le repoussant mollement.

"Tu commences à me saouler, A. Sérieux. Merde, qu'est-ce qu'on en a à foutre, de cette gamine ?!" me désignant sans même me regarder, abandonnant momentanément sa séance de câlins.

Il arrivait que les élèves les âgés dispensent des cours. Et aujourd'hui, l'arithmétique modulaire nous est présenté par B. qui se doit de corriger nos exercices. Ce dernier se tient avachi, cuisse sur le bord du bureau.

"H." m'indiquant le tableau blanc sans ciller, d'un mouvement de menton. "Laisse ton cahier ici."

Je le fixe, me déplaçant en ligne droite comme le ferait le meilleur des félins.

Clairement, il cherche à m'humilier. Attends un peu, mon coco !...

Je dépose le cahier, ayant mémorisé tous les exercices pour les restituer à l'identique.

"Il y a une erreur dans ta série de L de Dirichlet(1). Reprends."

Je le fixe. Là, tout de suite, j'aurai envie de le bousculer !... Qu'il tombe du bureau et qu'il se fracasse le crâne !...

"Il n'y a aucune erreur." rétorquais-je.

"Faut-il que je me lève pour te la démontrer ? Reprends."

Je fulmine. Du calme. Reprends le calcul, allez. Voilààà... et... merde !...

Je baisse la tête.

Il affiche un sourire en coin, sans me regarder. "Tu devrais toujours prendre en compte l'avis de tes aînés, H. Termine et va t'asseoir."

Je termine, sans erreur, puis regagne ma place, m'arrêtant devant lui pour... reprendre... la vache... cette cuisse qu'un pan de soleil souligne à merveille... ce putain de corps aussi grand que souple... cette foutue tignasse en broussaille. Il me fixe, enfin, devinant sans mal mon trouble tandis que je déglutis discrètement.

"Tu me feras dix séries supplémentaires pour demain. Ca t'apprendra à éviter la moindre forme d'étourderie. A ta place, H." me tendant le cahier.

Je m'installe aux côtés de Mello.

"Comme il t'a mouchée !..." moqueur.

"Ta gueule, Mello."

Je pestais à chaque série, griffonnant sur un bloc annexe pour faire passer ma rage.

J'étais la seule encore debout - il était près de deux heures du matin.

Je pensais que la sanction seule aurait suffi à le contenter... c'était sans compter la double peine qui m'attendait !...

Il apparut, embaumant la fraise à plein nez, langue faisant disparaître toute trace du délit, posant nonchalamment l'épaule contre l'ébrasement de la porte, sourire soulignant son appétit sadique.

"Tu bosses tard." sur un ton l'exemptant de toute responsabilité.

Je lui balance un regard noir qui, loin de le désarmer, attise son envie de me mettre plus bas que terre.

Il franchit le seuil et s'installe, d'une cuisse, sur le bord de la table, regard parcourant la série que je viens de terminer.

Fouillant dans ma trousse, il en tire un stylo rouge. "L'étourderie te perdra, Girl." retirant le capuchon pour entourer de plusieurs cercles le nombre de la série déficiente.

"Mon nom est Hope."

Il me fouille du regard, arborant un sourire carnassier. "Girl."

Ce sera lui qui aura le dernier mot.

"Recommence cette série, Girl. Et applique toi."

Je soupire. En sus, il compte demeurer là, histoire de rajouter en pression.

Je pose bruyamment mon stylo. "Tu prends ton pied là, hein, B. ? Dis-le que tu jouis littéralement de la situation."

"Tu te flattes, Girl." croisant les bras, me toisant avec un mépris dégoulinant.

Okay. C'est une guerre de pouvoir qui se joue là et je me lève pour plus d'aplomb. Il m'a déjà pourri la nuit, autant lui faire comprendre que ce petit jeu s'arrête là.

Je me plante devant lui - vache, même à moitié assis sur ce bureau, il fait presque ma taille !...

"T'en as pas assez de A. ? Faut aussi que tu me pourrisses la vie ?"

"Premièrement, Girl, rien ne t'autorise à évoquer A. Deuxièmement..." laissant son regard vairon me parcourir à son aise. "... ouais, j'ai bien envie de te pourrir jusqu'à te faire entrer dans un trou. Je veux que tu rampes, Girl. Je veux te faire disparaître."

Ah ! Il était temps que tu affiches tes ambitions, B. !...

"Si je ne représentais pas un danger, tu ne t'en prendrais pas ainsi à moi. Et j'ai même une petite idée de tes motivations, B."

Je pousse la provocation jusqu'à avancer la main avec la ferme intention de poser ma paume sur son entrejambe. Il bloque net le geste, se relevant pour me jauger. "Ah ah ah ! Ca, c'est réservé à A., Girl." avant de se pencher sur mon oreille. "C'est pas pour les gamines qui dorment encore avec leur peluche."

Il a l'art de me foutre dans des états !... L'enfoiré !...

"T'en as pas marre de te casser les dents sur ce connard ? Franchement, Hope, j'sais pas c'que tu cherches." a lâché le blond Mello avant de se rendre au pied de son arbre préféré pour se griller une clope subtilisée au rouquin Matt.

A. riait, posant les mains sur les épaules de B. qui se tenait devant le miroir. "Vache, c'est fou, on croirait L. !..." s'extasiait-elle.

B. était appliqué lorsqu'il s'agissait de se grimer en L. Car oui, les deux garçons partageaient des traits en commun !... Et lorsque B. jouait le rôle de L., il le jouait à fond, sans négliger aucun détail. Il modifiait même sa voix, qu'il avait de base plus grave que L., pour coller au personnage, imitant à merveille le ton monocorde de L. Voûté, adoptant les mêmes postures que L., la ressemblance n'en était que plus frappante !...

Seul un oeil exercé était capable de différencier le véritable L. de son sosie. Car il y avait des différences : les cheveux de L. étaient beaucoup moins souples que ceux de B. Ce dernier possédait également un corps bien plus charpenté que celui de L. J'ignorais si L. était capable de se redresser car il circulait constamment dos voûté alors que B. savait se tenir dos droit.

Il ne s'agissait pas, pour B., d'imiter L. sans pouvoir l'usurper. Et c'était là un privilège dont B. comptait largement profiter.

Ce fut également à cette période que ses anciens démons refirent surface. Et le premier à en faire les frais a été Arthur, le lapin, mascotte de l'établissement.

J'ai de suite senti un échange de regards entre le directeur, M. Roger et son assistante, Mme Ranger.

"Il a récidivé..."

"Cela ne fait aucun doute."

"Il" ?... mais qui pouvait être ce "il" qui agissait de manière aussi psychotique et sanglante ?

"L. est là ! L. EST LA !"

Depuis qu'il avait pris la tête d'interpole, L. ne communiquait plus avec nous que par écrans interposés. Et voilà que l'enfant prodige de la Wammy's était de retour ?...

Je reconnus immédiatement son allure particulière : fin comme un haricot, flottant dans ce sweat blanc, haut du corps voûté en avant, cernes marquées sous les yeux, suçotant l'ongle de son pouce.

Les pensionnaires s'agitaient autour de lui, lui posant mille questions.

Au réfectoire, il choisit de s'installer à notre table, me faisant face, délaissant la tablée des adultes. Installé sur la chaise, jambes ramenées contre lui en position foetale, pieds nus, il nous détaillait tour à tour, s'arrêtant sur moi. "Tiens, bonjour Hope."

"Bonjour, L."

"Tes progrès ont chuté quelques temps, ce qui est regrettable. L'environnement ne devrait pas influer sur tes résultats, Hope." sévère.

Je le regardais, bouche bée.

"J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? Appuyé sur un point sensible ?"

Je refusais d'aller plus avant dans l'échange.

"Nous aurons l'occasion d'en reparler plus tard." dit-il, entamant son repas.

Je n'ai aucune envie d'en parler !... Quelle indélicatesse !... Oui, enfin, j'ai toujours entendu dire que L. était un peu à l'ouest question relations humaines... mais là, ça dépassait tout !

"Hope, peut-on se voir quelques minutes ?" m'interpela la voix monocorde de L.

Je soupirais, traînant des pieds jusqu'à lui.

Il posa une main sur mon épaule tandis qu'il me conduisait à l'écart, précisément dans une salle de classe déserte. Là, il s'installa dans sa position foetale habituelle, me fixant de ses pupilles sombres.

"Tu devrais cesser de fréquenter Mello. Ce garçon te tire vers le bas, Hope."

Je serrai la mâchoire. "Sauf ton respect, L., je ne pense pas que tu puisses te permettre un tel jugement."

"Je pense simplement à ton avenir ici."

"C'est... plus compliqué que ça." résolue de lui tenir tête.

"Ce n'est qu'une question de logique." raffermissant sa poigne sur mon épaule jusqu'à m'en faire grimacer.

"Tu... me fais mal."

"I'm a top. An aggressive one… I have never once been submissive."

Je déglutissais. La voix, d'ordinaire douce et suave de L., venait de se changer en un feulement rauque. Mes yeux s'aggrandirent de surprise, son coupé dans ma gorge.

"... B..."

"Tu es rudement perspicace, petite Girl." amena l'usurpateur avec délectation. "Dis-moi, jusqu'où aurais-je pu te mener en tant que L. ?"

De sa poigne toujours aussi solide sur mon épaule, il rapprocha mon oreille de sa bouche. "Ne t'inquiètes pas. Je vais m'occuper de ton cas. T'as vraiment de la chance d'être tombée sur moi."

Je m'installais dans le canapé baroque tandis que certains pensionnaires observaient les premiers flocons tomber, depuis la fenêtre. La neige était tardive cette année.

L. s'installa au piano, comme à son habitude.

Des rires se firent entendre, provenant de l'immense hall.

Les pensionnaires se retournèrent avant de reporter leur attention sur la valse lente des flocons.

Et ils firent leur entrée !...

Le couple terrible de la Wammy's.

J'eus, en les voyant tous deux, une révélation.

Le regard vairon de B., l'un bleuté et l'autre d'un rouge carmin qui vrillait jusqu'à l'âme, parcourut la pièce entière. J'ignorais encore pourquoi à l'époque mais il semblait que B. fixait toujours le sommet du crâne de ses interlocuteurs au lieu de privilégier le contact visuel.

A. portait une chemise écossaise aux tons chauds, jupe en jeans stone, manteau clair.

B. avait revêtu un sweat sombre, frappé de ses initiales au dos, porté sur un jeans ample, troué au-dessus du genou droit, écharpe rouge, rangers ouvertes.

Ils venaient tous deux de l'extérieur, visiblement.

B. prit place dans le fauteuil, face à L., l'observant avec intérêt.

A. vint affubler B. d'un bonnet de père Noël, riant aux éclats.

B. la fixa un instant, lui rendant son sourire, de manière fugace, sans se départir du bonnet.

Le regard de B. glissa alors sur moi, s'y arrêtant.

Un simple regard... un simple regard venait d'emballer mon palpitant comme jamais !...

Un coup de chaud me montait au corps.

Nos regards, harponnés, ne se lâchaient plus, malgré l'agitation flagrante de A. pour rompre le contact.

Tout comme L. dont il savait imiter la moindre manie, B. porta l'ongle de son pouce à la bouche, suçotant.

L. avait repris la mélodie.

Et A. s'agitait. En vain. Le contact était établi. Et du haut de mes quatorze ans, cette année là, je venais d'éclipser la plus belle fille de l'établissement !...

Evidemment la scène n'avait guère échappé à L. et lorsque sa voix tonna pour reprendre B., ce dernier lui fourra en bouche une cuillèrée de dessert, l'observant, tête penchée, avec un amusement certain, avant de revenir à moi.

A. venait de quitter la piste, s'installant dans un fauteuil à l'écart, ne pouvant que nous regarder, impuissante.

B. venait de m'éblouir, m'offrant ce sauvage débridé dont L. était proprement incapable. Oui, je fantasmais sur L. - toutes les filles ici n'en avaient que pour L. - mais B. était parvenu à m'en mettre plein la vue sans le moindre effort !...

J'avais un tel élan au corps que j'aurai été capable de me donner à lui ici et maintenant. Et il le savait, il en avait parfaite conscience, ce salaud !...

Il croisa les jambes, coude posé sur l'accoudoir du fauteuil, m'observant à loisir, laissant courir sur moi un regard aussi chaud qu'assuré.

Alors que je me mettais au lit, faisant une toilette rapide, il s'invita dans ma chambre, posant son épaule contre l'ébrasement de la porte coulissante de la salle d'eau atenante à chaque chambre.

"Je me suis laissé dire que ta voisine de chambre était absente."

Je me retournais, brosse à dent en bouche, le fixant. Quel spectacle affligeant étais-je en train de lui offrir ?... Avec ma chemise de nuit rose aux motifs enfantins ?... Avec cette brosse coincée dans la bouche ?...

Il en sourit, débusquant mes pensées, puis s'approcha, récupérant le gobelet d'eau, retirant lentement la brosse de ma bouche avant de me faire prendre une gorgée, me faisant basculer, main ouverte sur l'arrière de ma tête pour me faire pencher sur le lavabo afin d'y rincer ma bouche. Puis il attrapa la serviette pour gommer les traces de mousse qui maculaient mes lèvres.

"Là."

Une odeur prononcée de fraise vint me chatouiller les narines. Il venait à l'évidence d'engloutir tout le contenu d'un pot de confiture !... Comme L., il était drogué au sucre. Mais B. était plutôt du genre monomaniaque !... De la fraise. De la fraise. Uniquement de la fraise. La fraise était sa lubie absolue. Il était capable de tuer pour de la fraise !...

Il consulta sa montre de poignet, m'invitant à rejoindre le lit, me bordant.

Mes mains s'accrochèrent à son sweat, dans un appel muet de gamine.

Son index courut sur mes lèvres comme s'il y étalait une mixture imaginaire.

Je voulais qu'il reste !... Et il est même allé au-delà de mes espérances !...

Il quitta d'abord sa montre qu'il posa à côté du sujet qui trônait sur ma table de chevet, à proximité du réveil digital. Puis il quitta son sweat en le faisant passer par-dessus la tête, offrant à ma vue un torse remarquablement charpenté. Contrairement à L., B. savait se tenir droit.

Je montais la couette jusque sous mon nez, incapable de détourner le regard de ce qu'il offrait !...

Le sweat regagnit le lit opposé. Puis il se leva, quittant jeans et boxer sombre à la fois, donnant sur des fesses magnifiques !... Avant de poser son jeans sur le lit d'en face, il fouilla dans sa poche, y tirant quelques préservatifs.

Le chaud me montait au corps, ventre en pagaille.

Le ton était donné.

"Tu me fais une place ?..." retourné vers moi, sans pudeur, tandis que je fixais la toison sombre qui courait au-dessus de la base de son sexe d'hommr.

Je me glissais jusqu'au mur et il ouvrit le lit, s'y invitant avec un soupir de contentement.

J'étais incapable de détourner le regard de ce profil parfait, de ces cheveux sauvages qui auréolaient l'oreiller que nous partagions.

Les mots se bousculaient dans ma tête, sans que je sois capable de les formuler.

Sa main vint remonter le long de ma cuisse, tandis qu'il fixait toujours le plafond.

"Si A..."

"Shhh ! N'évoque jamais A., tu m'entends, Girl ?" froncé, se retournant d'un seul mouvement de corps. Des lèvres gercées à la fraise vinrent clore les miennes d'une rude façon, langue s'invitant dans ma cavité pour faire danser la mienne, suçotant, aspirant avant de se retirer, observant l'effet dans mes yeux troubles.

Je vins instinctivement l'enlacer et il ne me repoussa pas, m'enserrant avec force, pressant son corps nu contre le tissu de ma chemise de nuit enfantine. Il ne tarda pas à se dresser, enfilant la protection avant de se faire coulisser contre mon sexe. La moiteur le surprit un moment mais il finit par en sourire, carnassier, s'amusant à faire glisser sa jolie prune éclose contre mon sexe ouvert, se tenant par la base.

J'en gémissais, ne reconnaissant plus les sons qui me quittaient tant j'étais vive. Vive pour lui.

Je n'avais vu que lui durant la soirée et maintenant je ne sentais plus que lui, son goût sucré à la fraise, cette présence mâle et brute.

Il bascula sur moi, s'invitant de quelques centimètres - pas plus - courbé, lové sur mon corps chétif.

J'étais si prête que la douleur passait totalement en arrière plan.

De son côté, mon étroitesse inviolée le rendait fou !... Il en divaguait, lâchant des soupirs lourds qui répondaient à l'indécence des miens.

Il glissa ses paumes sous mes fesses, me soulevant le bas du corps pour contrôler les mouvements, ne me pénétrant que sur la longueur efficace du gland.

Ma tête dodelinait sur l'oreiller. Les sons devenaient de plus en plus lourds, rapprochés.

Mes tempes battaient comme jamais.

Ouvrant les yeux par intermittence, je le voyais donner de légers coups de hanches visant à ne pas s'inviter plus loin que ce qu'il avait établi dès le départ.

L'effet du gland sensible, coulissant dans l'étroite allée, ne manqua guère son effet. Il jouit vivement, grand corps secoué par des spasmes imprévisibles, voix feulant de plaisir.

Je n'étais pas loin non plus et il me donna tout.

Puis cela arriva. On retrouva A. pendue à une poutre de la charpente d'une des deux tours de la bâtisse.

Je ne pense pas que B. l'ait vu venir.

Le plus étrange est que B. n'a absolument rien laisser paraître. Il fut même le grand absent des funérailles.

B. ne m'a jamais confié à quel point il avait été proche de A. Jamais ! Mais son attitude se durcit dès ce moment.

En journée, B. jouait avec brio le rôle de L. - bien que certaines de ses réflexions trahissaient sa démence. La nuit, il venait me rejoindre, m'initiant à des jeux de plus en plus illicites et pervers.

Il avait fini par me rendre accroc, le salaud !... Accroc à lui, accroc à nos jeux, accroc à ses morsures - ses morsures ! J'en étais couverte !... Mais il prenait soin de les exercer uniquement sur des parties de corps que je pouvais couvrir - accroc à ses propos vulgaires. J'étais comme une droguée. Je devenais folle lorsqu'il ne venait pas me rejoindre pour m'offrir ma part - fait qui arrivait rarement, il fallait le reconnaître ! B.B. était d'une régularité exemplaire !...

Il était parvenu à poser définitivement et irrémédiablement sa patte sur moi.

J'étais devenue, je cite, "sa poupée de chair", soumise à sa volonté, à ses caprices. C'est lui qui me coiffait, qui choisissait mes vêtements, me soumettant à tous ses caprices. Il ne m'appelait jamais H. ou Hope - hormis lorsqu'il jouait le rôle de L.

Lorsqu'il s'adressait à moi, B. m'appelait "Girl." Sans doute un moyen efficace visant à réduire à néant mon identité déjà mise à mal par la rigueur et l'anonymat subis en intégrant la Wammy's.

"Dis moi, Hope... tu penses à L. quand je te saute ?..." récupérant ma main pour joindre ses doigts aux miens.

Je me pinçais la lèvre. "Non."

Un silence.

"Je pense à... toi."

Il bascule sur un coude, doigts parcourant mes formes, s'amusant de m'éveiller avec si peu d'effleurements.

"Tu le baiserais de quelle manière ?" se penchant pour malmener la pointe d'un sein.

Je me cambre. "Je..." sifflant entre mes dents. "... serais au-dessus..."

"Je ne lui imagine pas d'autre position, en effet." revenant pour tourner sa langue autour de la pointe saillante.

"He's submissive, uh ?..."

"Totally."

Pourtant je pense que L. a du sang. Du sang pour mener ses enquêtes, aller sur le terrain, manier les arts martiaux et avoir recours à des usages plutôt discutables et durs vis-à-vis des criminels.

La langue de B. remonte de mes seins jusqu'au cou, mordillant la clavicule saillante au passage. Il pouvait véritablement mordre jusqu'au sang !

Je glisse une main dans les cheveux hirsutes, m'attachant aux racines du poing.

"B. Encore. Encore..." suppliante.

"Regarde toi. Tu quémandes." amusé. "J'ai vraiment habilement manoeuvré : tu en redemandes toujours. Ca a été moins compliqué que prévu. Tu es... une belle petite saloperie. Vraiment, je le pense, Girl." souriant, regard vairon brillant de perversité. "Tu es... véritablement une de mes plus belles réussites." venant me dominer, jetant les bases d'une nouvelle joute.

Je ne me faisais plus aucune illusion sur ce qui allait suivre : B. allait à nouveau se protéger et me pénétrer uniquement du gland. Jamais il ne m'honorait d'une pénétration complète ; sans doute s'agissait-il là d'une manoeuvre supplémentaire pour me faire sentir qui était le dominant et qui était la dominée !...

La relation a duré de longs, longs mois. Puis un jour, L. a pris B. à part, s'enfermant avec lui dans un bureau. Et le règne de B. prit fin subitement. Il n'était pas prêt à affronter L. Pas encore.

Dès lors, L. me prit sous sa protection. Il était diamétralement l'opposé de B. Il était une de ces douceurs sucrées qu'il consommait sans modération.

Je n'entendis plus parler de B pendant un moment. Au moins cinq ans voire davantage. Jusqu'à ce voyage aux U-S.

(1) En mathématiques, une série L de Dirichlet est une série du plan complexe utilisée en théorie analytique des nombres.