On n'a jamais assez de projets sur le feu ! Voici une fiction en trois partie pour laquelle je me suis un peu emballée (il s'agissait normalement d'un OS, ahem...). Dans un registre un peu plus "léger" que Le Dernier des Holmes, j'espère réussir à vous divertir un peu !
Bonne lecture !
"Un jour, nous serons tous autour d'un corps et Sherlock sera celui qui l'a mis là."
L'air était chargé d'une tension à couper au couteau. Sherlock aurait volontiers pris ses jambes à son cou si deux mains ne l'avaient pas maintenu contre un mur, les pieds à dix centimètres du sol.
Au bout de ces bras tendus, Lestrade fulminait. Furieux, il répétait inlassablement les mêmes phrases :
- Tu n'as pas tout gâché, hein ? Pas encore une fois. Pas de cette manière là… Tu ne l'as pas fait, n'est-ce pas ?
La poigne s'affirma de plus en plus sur le col de la chemise de Sherlock, l'étranglant lentement mais sûrement. Le détective cessa de se débattre, en vain, pour réagir oralement :
- Laisse-moi t'expliquer-
Lestrade ne l'entendit pas de cette oreille. Il le fixait de ses yeux noirs, soufflant comme un bœuf prêt à charger. Conscient que mentir ne lui serait d'aucune utilité, Sherlock prit son courage à deux mains.
Greg répéta sa question pour la deuxième fois de la journée :
- As-tu à voir, oui ou non, avec ce meurtre ?
Désolé, Sherlock acquiesça lentement.
- Oui.
Un mois plus tôt…
- John m'a tout raconté.
- C'est-à-dire ?
Lestrade s'appuya contre le dossier de sa chaise et enfouit ses mains dans la poche de son sweat-shirt, cette vieille loque rose qui avait dû être rouge dans une autre vie. Face à lui, Sherlock dégustait son thé en petites gorgées péniblement longues. A peine était-il de retour que le détective lui tapait déjà sur les nerfs.
- Tout. Ton burn-out, la démission que tu as remises il y a déjà deux ans et ta promesse de ne plus jamais remettre les pieds à Scotland Yard.
Sherlock ménagea une pause dans son récit. Il en profita pour étudier le visage de son interlocuteur et reprit ensuite de plus belle.
- Burn-out, c'est tout ce que tu as trouvé de mieux pour ne pas utiliser le mot « dépression » ?
Lestrade se mordit l'intérieur des joues pour contenir sa rage.
- Tu as de la chance que je sois quelqu'un de bien éduqué. Si ce n'était pas le cas, j'aurais volontiers coincé ta tête dans le lave-vaisselle avant de fermer, ouvrir et refermer la porte jusqu'à ce que mort s'en suive.
- Mourir ? Déjà essayé. Ce n'est pas mon fort.
En dépit des récents évènements, Sherlock faisait toujours preuve de la même insolence insupportable. Cette dernière plaisanterie morbide laissa Lestrade de marbre.
Sa tasse vide, Sherlock enchaîna ses idées à une vitesse supérieure. Greg souffla de soulagement : ce casse-pied finirait peut-être enfin par quitter l'appartement avant que la nuit ne tombe sur la ville.
- Tu n'es pas responsable de ce qu'il m'est arrivé. Le scandale, l'arrestation… la chute. Tu ne pouvais pas faire autrement. Et, après tout, je suis là.
- Si tu le dis. Où tu veux en venir ?
- Mon décès est en grande partie responsable de ta démission, non ?
Lestrade éclata de rire. Il brossa d'une main ses cheveux poivre et sel, récupérant d'une blague qui échappait visiblement à l'intelligence du détective. Sherlock le considérait avec inquiétude, craignant que la démence ne s'ajoute au diagnostic.
- Tout n'est pas de ta faute, Mr Nombril-du-monde. J'ai mes propres problèmes et le grand Sherlock Holmes n'a rien à voir avec les quatre-vingt-dix-neuf pourcents d'entre eux. Etonnant, hein ?
Vexé, Sherlock reporta son attention sur la télévision. L'émission, dégoulinante de couleurs criardes, détaillait les aventures abrutissantes d'une éponge et d'une étoile de mer. Les bruitages grossiers ne gênaient visiblement pas les trois enfants qui la regardaient, vautrés dans le sofa.
Lestrade jeta lui aussi un clin d'œil furtif en direction de l'attroupement. Il reprit ensuite sa conversation avec Sherlock sur un ton plus apaisé.
- Tu as l'air de savoir beaucoup de chose mais eux… Tu n'en savais rien, je me trompe ?
Trois mêmes paires d'yeux bruns, le même nez rond. Nul besoin d'être un généticien pour identifier le père de ces gamins dont Sherlock ignorait encore l'existence ce matin.
John, au détour de ses explications, avait brièvement abordé le sujet. Sherlock lui avait alors avoué sa complète ignorance. Depuis, le détective se promettait de ne jamais oublier l'expression atterrée de John lorsqu'il avait compris qu'il venait d'apprendre la nouvelle à Sherlock. A étiqueter dans le dictionnaire en vis-à-vis de « stupéfaction ».
- Je me souviens vaguement d'un fils… Il est né en 2000, non ?
- Raté. L'aînée est née en 2001.
Il y avait bien un garçon dans l'histoire, vérifia Sherlock en louchant en direction du salon. Et aussi deux filles, habillées pareillement : une grande et une plus petite.
Acerbe, Lestrade lui offrit quelques explications supplémentaires.
- Des familles monoparentales où le père s'est barré, j'en connais un paquet. Mais parfois … Ce sont les mamans qui s'en vont...
Il prit ensuite une voix plus basse, facilement couverte par le générique assourdissant du dessin-animé braillé par un infâme pirate :
- … avec un enfoiré. En laissant trois enfants et sans donner de nouvelles.
Sherlock aurait juré avoir vu la cadette se retourner en leur direction. La conversation des deux adultes de la pièce l'empêchait visiblement de savourer pleinement un spot publicitaire. Quinze secondes de marketing efficace : il avait repéré la même marque de céréales au-dessus du frigidaire.
- Ta euh… Disparation, ce n'est pas que je m'en fichais, Sherlock. Mais quand, en plus, j'ai commencé à devoir jongler entre le boulot, l'école, les repas et les devoirs, les cours de piscine de l'une et les entraînements de football des deux autres… J'ai tenu un an et demi, puis j'ai dit stop.
Lestrade, homme au foyer. A cette idée, Sherlock se sentait pris d'un sentiment confus qui oscillait entre l'apitoiement et la révolte.
- Alors je ne chasse peut-être plus les criminels dans les rues de Londres-
Lestrade haussa les épaules, profitant de son sens exceptionnel de la dérision pour se sauver la face :
- Je ne protège plus la veuve et l'orphelin… Mais je fais une super lasagne maison et je ne rate aucune réunion parents-professeurs.
L'ancien inspecteur ne pouvait se satisfaire de cette vie, Sherlock le savait. La résignation avait laissée la place à la colère. Avec un petit effort, il pouvait l'amener à remettre le pied à l'étrier.
Il le fallait : Lestrade ne lui était d'aucune utilité, bloqué dans sa buanderie ou sa cuisine. S'il retournait à son ancien poste, Sherlock gagnerait une précieuse récompense : l'assurance de recommencer ses activités d'autrefois, de reprendre sa vie d'antan.
- Ne me dis pas que ça ne te manque pas.
- Un peu. Mais je te dis surtout que je n'ai pas le choix.
Sherlock souffla d'agacement.
- Laisse-moi t'aider.
Leur resservant chacun une tasse, Lestrade ne daigna pas lever les yeux.
- Le problème, c'est que tu ne me connais pas, Sherlock.
Cette accusation sembla atteindre le détective. Celui-ci avait froncé les sourcils, assénant brièvement à son interlocuteur un regard peiné et contrarié. De quel droit Greg mettait-il soudainement autant de distance entre eux ?
- Tu as appris mon prénom six ans après notre rencontre. Tu sais que j'ai trois gamins depuis… quoi, une ou deux heures ? Si tu me connaissais vraiment, tu saurais que ce n'est pas mon genre de demander de l'aide ni d'accepter qu'on vienne mettre le nez dans ma vie. Mes affaires, ce sont mes affaires.
Sherlock ne l'entendait visiblement pas de cette oreille.
- Laisse-moi une chance. J'ai un plan.
Un œil sur l'horloge informa Greg que seize heures était passée depuis longtemps. Il lui restait une montagne de cahiers à recouvrir et un souper à préparer. Fatigué, Lestrade ne se sentit pas le courage d'en découdre avec lui.
- Si tu veux. Ceci dit, si je peux me permettre… Tu serais sûrement la dernière personne à laquelle je penserais si j'avais besoin d'une babysitter.
L'apparence du 221B était similaire à celles des grandes nuits d'enquête d'autrefois. John avait accepté de le rejoindre, troquant une soirée plateau télé avec Mary pour ce fastidieux travail.
Depuis trois heures, le PC portable surchauffait au-dessus d'une montagne de paperasse, John galérait, fidèle au poste, et Sherlock se montrait digne d'un moteur de recherche.
- Tu en as déjà lu combien ?
- Soixante-deux.
John écarquilla les yeux. Londres comptait plus de babysitteurs qu'il ne l'imaginait. Les adolescentes de tous les horizons y trouvaient visiblement un moyen facile pour se constituer un peu d'argent de poche. Résultat, si l'essentiel des petites annonces étaient sérieuses et valables, certaines se révélaient carrément flippantes.
Intrigué, John pointa du doigt deux feuilles arrachées et isolées sur la table.
- C'est quoi, ça ?
- Celles que j'ai retenues.
Profitant de cette minuscule pause, le médecin lui laissa la commande de l'ordinateur et commenta les quelques onglets ouverts dans le navigateur. Toutes étaient dotées de portrait des candidates.
- Il y en a quatre qui ont l'air sympa. J'aime bien celle-ci.
- Trop rousse, rétorqua immédiatement Sherlock. Comme son ex-femme.
Le médecin examina les deux photographies de la jeune fille avec un air perplexe.
- C'est une babysitter que tu lui cherches ou une petite amie ?
Sherlock haussa les épaules. Dans son esprit, la dernière chose dont Lestrade avait besoin en ce moment, c'était d'une compagne. Une telle arrivée compliquerait un peu plus la mission dans laquelle il s'était lancé corps et âme.
Consciencieux, John jeta un coup d'œil aux deux candidatures retenues par son colocataire. La première était correcte, traditionnelle et presque ennuyeuse. La deuxième était plus atypique.
- Tu as vraiment retenu celle-ci ?
- Oui. Elle sort d'une bonne école.
- Je ne suis pas certain que Lestrade te laisserait mettre ses enfants entre les mains de… D'elle.
John insista en lui plaçant la photographie sous le nez. Percée aux deux narines et à la lèvre, la jeune fille présentait en plus une coloration expérimentale à base de mèches bleues et vertes.
- Je me suis dit que les enfants la trouveraient drôles.
- Ah, les gamins peut-être ! Mais certainement pas Greg.
Sherlock se renfrogna immédiatement, déçu de voir chacune de ses tentatives contrariées. De prime abord, l'idée d'une babysitter lui avait semblée lumineuse. Il avait progressivement changé d'avis au fil des heures, des petites annonces et des sites spécialisés.
Son attention fut finalement attirée par une annonce perdue entre des dizaines d'autres, globalement identiques. Requérant l'avis de son colocataire, il lui glissa la page sous le nez.
- Et elle ? Elle a trois frères et sœurs, elle joue de la guitare, fait de la peinture… Et elle promet d'être patiente et vigilante.
- Comme la moitié des autres filles, commenta John, incapable de percevoir ce qui rendait cette adolescente digne d'intérêt. Elle a quoi ? Dix-neuf ans ?
- Oui, dix-neuf. Elle n'a pas l'air fantastique, mais il n'y a pas non plus de raisons de ne pas lui faire confiance. Elle travaille pour payer ses études d'infirmerie. J'ai un bon feeling, trancha Sherlock en composant le numéro renseigné sur le papier.
- Depuis quand tu fonctionnes « au feeling » ?
L'homme qui était revenu un matin de février était en tout point identique à celui qu'il avait connu des années plus tôt. Et pourtant, à certaines occasions, John le trouvait étrangement différent. John, curieusement, commençait à affectionner tout particulièrement ces nouvelles bizarreries.
- On ne peut pas toujours se fier à la logique, non ?
- Ben tiens, c'est nouveau…
Les trop rares soirs où il se passait de la compagnie de Mary, John filait invariablement au 221B. Ces visites lui donnaient toujours le sentiment réconfortant de retrouver un vieil ami et, depuis peu, l'excitante sensation de faire connaissance avec les nouvelles facettes de celui-ci.
Sherlock s'apprêtait à presser la touche « appel » quand John l'en dissuada, une main posée en travers de son Blackberry :
- Réveiller ta Mary Poppins à vingt-trois heures n'est certainement pas la meilleure manière de nouer le contact…
- Mary qui ?
Epuisé, John laissa lourdement retomber sa tête sur la table. Certaines choses ne changeraient définitivement jamais.
Depuis leur départ de l'appartement, Lestrade prenait visiblement sur lui pour ne pas manifester trop d'inquiétude. Même s'il ne s'était pas montré hostile à l'égard d'Emily, la jeune babysitter, l'idée de confier sa progéniture à autrui le laissait anxieux.
L'inconfort de Sherlock, lui, provenait davantage de l'endroit et de la nature de leur activité. Un pub, un match de foot et une bande de gars alcoolisés devant l'écran géant. Il se répétait inlassablement la même litanie pour annihiler son envie de fuir : Lestrade l'a choisi, fais ça pour lui.
Un soda à la main, Sherlock tétait distraitement sa paille – obtenue après moult négociations auprès de la barmaid – et méditait dans son coin, à l'abri des quelques Citizens survoltés et de leurs opposants Londoniens.
Secrètement, il se réjouissait d'avoir mené à bien cette première étape du plan. Lestrade, une fois l'angoisse dissipée, s'était pris au jeu en enchaînant quelques bières et quelques pronostics douteux. L'homme était visiblement dans son élément.
Au bout d'une heure de jeu, Greg s'était finalement retourné sur lui, déposant sa bouteille sur le tonneau qui leur servait de table. Il avait ensuite pris un air grave pour s'adresser à lui.
- Je descends aux toilettes. Evite de faire un truc stupide pendant mon absence.
- Un truc stupide, moi ?
Cette boutade résonna en écho dans la tête de Lestrade lorsqu'il revint de l'étage inférieur. Personne à la table, personne au bar. Il n'avait pas non plus croisé le détective aux toilettes. Quelque chose clochait.
Planté exactement au milieu de la salle, là où se rejoignait les masses bleues foncées et bleues ciel, Sherlock agitait les mains en l'air. Sans prendre le temps d'élaborer un plan, Lestrade se rua au sein de la foule pour en extirper le détective.
Contre toute attente, Sherlock s'était retourné, surpris de la démarche de son acolyte. L'un des gars en vareuse rayée s'interposa immédiatement entre eux. L'air menaçant, il s'adressa à Greg :
- Un problème ? Tu cherches quoi ? La bagarre ?
- C'est un ami. Vous pouvez le laisser.
L'intervention de Sherlock avait au moins eu le mérite de calmer les esprits. Confus, Lestrade bredouilla quelques excuses à l'adresse du gars. Il se retourna ensuite vers son comparse :
- Tu foutais quoi, là ? Je pensais que tu allais te faire cogner-
- Non, non. J'ai lâché tout haut que ce type en jaune-
- Hart, le gardien de but.
- Voilà. J'ai déduit qu'il allait arrêter le penalty tiré par l'autre joueur en bleu puis qu'un autre simulait une blessure. Du coup, je me suis retrouvé mêlé à leur conversation.
Lestrade éclata de rire, appliquant la bouteille de bière encore froide sur son front surchauffé. Il s'attendait à beaucoup de surprises en emmenant Sherlock dans un pub, un soir de match de Premier League. Il avait imaginé plusieurs hypothèses, la plupart sanglantes, mais il n'aurait jamais pensé assister à un quelconque moment de camaraderie entre Sherlock et ces hooligans avinés.
L'agitation avait presque immédiatement disparu à l'issue du match. Ce moment de flottement ne fit aucun bien à l'ancien inspecteur, subitement plus taiseux.
- Sherlock ? On y va ?
- Tu veux déjà-
Sherlock n'acheva pas sa phrase. Lestrade était de toute façon déjà dehors.
En catimini, Sherlock avait gracieusement remercié la babysitter, lui tendant dans un geste discret quelques billets roulés sur eux-mêmes. La surprise n'avait pas été du goût de Lestrade, froissé que Sherlock se soit senti obliger de régler sa dette.
- Tu trouveras un moyen de remercier.
Heureusement, Greg avait fini par digérer ce cadeau malvenu. La porte toujours entrouverte, Sherlock attendait, incertain, de prendre congé. Espérait-il des remerciements, un dernier mot sur cette soirée ? Impossible à savoir. Il continuait de geler sur le perron, les bras couverts de chair de poule.
Lestrade commençait visiblement aussi à souffrir des effets du froid. Il renifla bruyamment avant d'intervenir pour leur bien :
- T'as pas faim ?
- Je m'apprêtais à y aller.
- Tu pensais vraiment que j'allais te laisser repartir à cette heure en chemise ? Tu veux attraper la crève ou j'ai loupé un truc ?
Sherlock se laissa entraîner jusqu'à la cuisine, épluchant un à un les éléments qu'il découvrait dans cette pièce inédite. Lestrade n'était pas un fin cordon bleu : il se concentrait davantage sur des plats rapides et efficaces. L'un des placards débordaient de nouilles instantanées et de pots de sauces préparées. L'idéal pour une flemme d'un soir de semaine, sûrement.
- Un croque-monsieur, ça t'irait ?
Dissipé, Sherlock acquiesça tardivement. Lestrade lui tourna le dos le temps de préparer les sandwichs. Il les glissa finalement dans un toaster avant de venir s'asseoir sur l'un des tabourets.
- Je suis désolé d'être parti précipitamment.
Les explications n'étaient visiblement pas en libre-service chez l'ex-inspecteur. Renonçant à gratter sous les airs songeurs de son interlocuteur, Sherlock engloutit son encas en moins de cinq minutes.
- La plus âgée a douze ans. Mais les autres ?
Ce brusque intérêt étonna Lestrade. Patient et habitué aux manies du jeune homme, il lui fit une description succincte.
- Lucy en aura treize fin novembre. Jack a neuf ans, et Grace six ans et demi.
Les sourcils froncés, le détective imprimait les informations dans un coin de sa mémoire. Il n'avait cependant aucune idée pour rebondir sur ce sujet ou un autre. Tant pis. Greg lui semblait de toute façon abattu et exténué par cette virée nocturne.
- Vu ton gabarit, je ne suis pas sûr qu'une nuit dans le sofa deux places soit un bon plan. On peut échanger. Tu prends mon lit, je prends le salon.
- Tu fais exactement la même taille que moi.
Un tic nerveux déforma la joue mal rasée du propriétaire des lieux. Sherlock identifia la raison de cette gêne soudaine : des sous-entendus égarés ici et là.
- Je ne sais pas ce que tu étais en train de t'imaginer-
- Je n'imaginais rien du tout ! C'est juste- Les gamins vont quand même se poser des questions...
Sherlock leva les yeux au ciel. Piètre tentative de dissimuler ce qui le dérangeait vraiment dans cette histoire. Renonçant à négocier, il disparut dans le couloir sans demander la moindre permission.
- La chambre, c'est sur la gauche ou la droite ?
Lestrade lui répondit en maugréant. Ces méthodes cavalières ne lui plaisaient aucunement. C'était une réalité admise depuis longtemps : la politesse et les bonnes manières échappaient régulièrement à son comparse. Le summum du sans-gêne avait sûrement été atteint ce soir.
Les restes de son hernie discale ne lui auraient jamais pardonnés une nuit entière dans le sofa, il s'en doutait. L'idée de partager l'ancien lit conjugal avec – un ami ?, ex-collègue illégal ?- Sherlock le rebutait légèrement mais certainement pas au prix d'un torticolis ou d'un lombago.
Assis sur un coin du lit, des questions lui brûlaient les lèvres. La demi-douzaine de bières aidant, Lestrade entreprit d'obtenir les réponses.
- John et toi, vous n'étiez… Pas à deux ? Jamais ?
Sherlock s'écroula sur le lit, les bras en croix. Perplexe, il secoua la tête.
- Contrairement à ce que le reste du monde pense, non, il n'y avait aucun sentiment amoureux.
Le dos tourné, Lestrade en profita pour se débarrasser de son polo. Brièvement, Sherlock cru apercevoir une cicatrice irrégulière, entre les fossettes du bas du dos. Il se retint de le questionner sur l'origine de cette blessure particulièrement vilaine.
Lestrade, lui, n'abandonnait pas son interrogatoire :
- Vous n'avez pas- Même pas une fois ?
Sherlock commençait à ressentir un léger agacement.
- Si, à cinq ou six reprises.
Les bras encore bloqués par le vieux T-Shirt qu'il cherchait à enfiler, Lestrade s'était retourné à la vitesse d'une balle. Visiblement choqué, il fixait froidement Sherlock.
- Sarcasme !, répliqua sèchement Sherlock. C'est quelque chose qui ne m'intéresse pas du tout. Peu importe la personne, d'ailleurs.
- Je ne sais pas quelle réponse me perturbe le plus…
Consultant son invité d'un bref regard, Lestrade éteignit la lumière. Allongé aussi loin qu'il le pouvait l'un de l'autre, plongé dans l'obscurité, les mots semblaient venir plus facilement.
- Si je me suis senti si mal à l'aise au pub, c'est- Je sortais souvent quand je bossais. Je me dis souvent que si je m'étais comporté autrement, on n'aurait jamais signé de papiers de divorce.
- Tu ne le sauras jamais.
Recroquevillé sur sa moitié de matelas, Greg souffla. Cette réponse n'était pas particulièrement réconfortante ou encourageante, elle était Sherlockienne : à la fois maladroite et sûrement pleine de bonne volonté.
Son soulagement provenait principalement d'un autre aspect de cette soirée : celui d'avoir eu à ses côtés, quelqu'un avec qui discuter, sortir et même râler. Une sensation oubliée depuis longtemps.
- Bonne nuit, Sherlock.
- Oui, bonne nuit.
