Bonjour à ceux qui lisent encore sur ce site ! Ça fait pas mal de temps que je n'ai pas écrit, la faute aux études et au boulot, mais j'ai encore des idées et projets plein la tête. Voici une petite fiction dont le sujet me tient à cœur, j'espère que vous aimerez. Je vous conseille d'écouter les paroles de l'album The Hope Six Demolition Project de PJ Harvey, une superbe création dont je me suis inspiré, et qui colle assez bien au sujet.
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire, ça fait toujours plaisir, et ça m'incite à m'améliorer. Bonne lecture ! :)
Quinn n'avait rien à perdre. Elle le savait depuis toujours. Elle était cultivée, plutôt athlétique grâce à des années de gymnastique, et avide d'aventures. Elle avait parcouru une partie de la France et du monde, seule ou avec sa sœur, et ne désirait pas s'arrêter là.
Elle n'avait rien à perdre, parce qu'elle était libre, libre de ses choix et libérée de toute contrainte. Elle n'avait pas fondé de famille, n'avait pas même un mari ou un amant ; pas d'enfants desquels s'occuper, pas de tante ou de cousine malade sur laquelle il fallait veiller. Elle avait un foyer, une petite chambre qu'elle louait dans un immeuble depuis quelques mois, mais rien ne la retenait un tant soit peu. Elle pouvait partir quand elle le souhaitait, remplir sa valise en quinze minutes et partir pour l'autre bout du globe si l'envie la prenait, si l'opportunité se présentait à elle.
L'opportunité se présenta bien à elle, un jour d'été, mais dans des circonstances qu'elle n'aurait jamais pu imaginer.
Ce fut ce qui la poussa, ce soir du 6 juillet, à se rendre dans l'un des quartiers les plus éloignés du centre ville, dans une petite rue informe et humide qui sentait le tabac, non loin du boulevard de Ménilmontant.
L'une de ses amies lui avait donné l'adresse, en toute discrétion, un soir qu'elle voulait lui faire partager l'un de ses secrets.
« Tu vas voir, c'est un endroit très respectable » lui avait-elle dit.
Elle en doutait, en lisant le nom de la rue inscrit en minuscule dans le coin d'un mouchoir en tissu. Lorsqu'elle s'y rendit, cependant, son avis changea immédiatement.
Un bâtiment haussmannien du XVIIe arrondissement, banal, sans rien qui puisse le distinguer des autres si ce n'était la lumière filtrant difficilement au dehors à cause des épais rideaux recouvrant les fenêtres. Elle pensa qu'il était à l'abandon, ou qu'il servait de repaire à quelque trafic de substances illicites. Cependant, elle ravala sa fierté et ses a priori, et s'avança pour aller frapper à la lourde porte d'entrée.
On ne lui répondit pas de suite. Elle sentit quelqu'un s'affairer derrière les verrous, puis elle dut subir une longue attente, peut-être dix ou douze secondes, pendant qu'elle était, elle le savait, attentivement scrutée à travers le judas. Enfin, la porte s'ouvrit, et elle entra.
Elle ne savait pas trop à quoi elle s'était attendue avant de venir ici, mais certainement pas à ce genre de décoration, sobre et somptueuse à la fois, ces tentures masquant une partie des murs agrémentés de dorures. Et elle ne s'attendait pas non plus à voir à ses côtés une grande femme blonde, aux cheveux coupés courts, l'air terriblement sereine et puissante, qui la regardait d'un air patient.
« Vous avez rendez-vous ? » demanda la femme poliment, mais froidement.
Incapable d'articuler un son, embarrassée d'être même venue jusqu'ici, Quinn ne put que secouer la tête, résignée.
Cependant, son interlocutrice la surprit en lui offrant un sourire en coin complice, et lui fit signe de la suivre. Hébétée, la jeune femme la suivit jusqu'à une petite pièce simplement meublée d'un bureau et de deux chaises. Elle prit place sur l'une d'elles lorsqu'elle y fut invitée.
Pendant un long moment, la vieille femme n'articula pas un mot. Elle non plus, d'ailleurs ; elle ne s'en sentit pas la force. Elle fut jaugée, jugée de haut en bas, sans qu'elle puisse rien faire pour empêcher cela.
Finalement, elle articula : « Je n'aurais pas pensé qu'une fille comme toi voudrait faire ce métier. »
Quinn fronça les sourcils, s'éclaircit timidement la voix. « Je vous demande pardon ? » Le tutoiement l'avait dérangée, mais le contenu de ses paroles encore plus. Elle n'était pas sûre d'avoir bien compris.
L'autre femme la fixa sans ciller de ses yeux métalliques. « Tu es venue ici pour une raison, n'est-ce pas ?
— En effet, acquiesça la plus jeune. Une amie m'a... recommandé cet endroit.
— Je m'en doute, comme la plupart des filles qui bossent ici. »
Quelque chose dans son regard changea à cet instant. La propriétaire des lieux se renfonça dans son siège en cuir, sans cesser d'observer Quinn.
« Pourquoi es-tu venue ici ? » demanda-t-elle subitement.
Quinn sentit l'air se bloquer dans sa gorge. Que devait-elle répondre à cela ? Devait-elle annoncer à cette inconnue que Santana, son amie de toujours, lui avait conseillé de se rendre à cette adresse si elle ressentait jamais le besoin (ou l'envie) de céder à ses pulsions ? Peut-être. Cette femme devait en avoir l'habitude, après tout, si elle gérait cet endroit. Cependant, la jeune blonde ne se sentit pas la force de l'avouer à voix haute. Santana avait deviné sans même qu'elle lui en parle, et même entre elles, cela restait tabou. Personne d'autre ne savait. Personne ne devait savoir.
Elle se trouva sans voix devant cette femme qui avait peut-être trois fois son âge, et son silence fut plus révélateur que tout ce qu'elle aurait pu dire en cet instant.
« Pour... voir une fille, » finit-elle par articuler.
« Une fille, » répéta la vieille femme. « Une fille en particulier ? »
Quinn secoua la tête. L'autre sembla réfléchir un instant, sans cesser de la regarder intensément, sans émettre un son. Elle était impressionnante, faite pour faire ce métier, songea Quinn ; elle ne se laissait pas submerger par ses émotions et protégeait ses filles à tout prix. Elle ressentit tout à coup une once de respect pour elle, pour sa profession, bien que les temps actuels freinaient la fréquentation de sa boutique. Surtout maintenant qu'une nouvelle clientèle était arrivée.
La grande femme se leva soudainement, et fit signe à la jeune blonde de la suivre. « J'ai la personne qu'il te faut. C'est ta première fois, n'est-ce pas ? » lui demanda-t-elle d'un ton léger. Elle n'eut pas le temps de penser à répondre que déjà la plus grande enchaîna : « Je veux dire, première fois ici, mais aussi toute première fois. Je peux le voir à ta façon d'être. Tu verras, Nina sera parfaite pour toi. »
Quinn sentit ses joues s'enflammer. Elle y était enfin ; tout ce dont elle avait si vaguement parlé avec Santana allait devenir réel, tangible, dans une poignée de minutes. Elle demanda le prix qu'elle allait devoir payer, et en découvrant la somme — assez modique, s'étonna-t-elle — qu'elle allait devoir débourser sur-le-champ, la jeune blonde eut presque honte de son acte.
Elle n'allait avoir recours à ce moyen qu'une seule fois, et cela la remplissait d'embarras.
La gérante la mena ensuite à travers deux pièces, au bout desquelles se trouva un escalier en bois massif qu'elles empruntèrent sans un mot. Puis, après être passées devant un nombre incalculable de portes fermées, elles s'arrêtèrent. La vieille femme demanda à Quinn d'attendre un instant, et elle entra seule dans une pièce d'où elle ressortit après une minute ou deux.
« Tu peux entrer. »
Quinn s'exécuta.
La pièce était assez petite, dans un style semblable à celui qu'elle avait aperçu dans le reste de l'immeuble. Les murs en lambris étaient partiellement masqués par des tentures, tableaux et autres bibelots. Un lit trônait au centre de la pièce, contre le mur le plus éloigné, recouvert de draps bordeaux et crème. La seule fenêtre de la chambre était masquée, comme toutes les autres qu'elle avait vues jusqu'à présent, par de lourds rideaux.
Elle entendit la porte se fermer derrière elle et la clé tourner dans la serrure. Pourtant, elle ne se sentit pas acculée, comme elle l'avait initialement présagé.
Une femme occupait un siège près du buffet. Elle sourit en apercevant Quinn, comme pour accueillir une vieille amie. Elle était brune, petite, avec un air de malice dans le regard, scrutant Quinn de haut en bas comme l'avait fait l'autre femme un peu plus tôt — mais plus explicitement.
« Bonsoir, ma belle. Je m'appelle Nina. »
Quinn sut instantanément que ce n'était pas son vrai nom, mais cela lui importa peu sur le moment. Elle n'aurait pu lui répondre de suite, de toute façon, tétanisée qu'elle était de voir pour la première fois une fille de bordel.
Elle finit par lui dire son prénom. La dénommée Nina sourit plus encore, dévoilant ses dents d'une blancheur étonnante.
« Sue m'a dit que c'est ta première fois. Est-ce que tu te sens mal à l'aise ? Veux-tu que je te serve un verre ?
— Non, merci, répondit Quinn fébrilement, ça va aller.
— Chérie, pour le prix que tu as payé, tu as au moins le droit de boire. »
La petite brune se leva, alla chercher deux verres à pied et une bouteille de vin rouge dans une armoire, la déboucha et remplit les deux récipients. Elle apporta le verre à Quinn, le lui glissant dans la main, caressant ses doigts par la même occasion. La blonde rougit sans pouvoir s'en empêcher, sans même savoir pourquoi.
« À la tienne. »
Elles burent en silence, se jaugeant du regard, cherchant à briser la mince barrière qui les séparait encore de l'irrémédiable, du point de non-retour.
Quinn observa ce petit bout de femme à qui elle allait offrir sa virginité. Sa légère robe — probablement pas de la soie, en cette période — ne cachait rien de ses bras et tombait à mi-cuisse, dévoilant son porte-jarretelles noir contrastant avec sa peau ambrée. Elle portait des bas presque transparents, ne laissant que peu de place à l'imagination. Quinn rougit, regarda ses pieds, essayant mentalement de savoir si sa tenue était propice à ce genre d'endroit — elle ne portait qu'une longue robe d'été sous son manteau couleur kaki, et n'avait même pas mis de bas. Elle n'en possédait plus depuis des années.
La jeune blonde s'éclaircit la voix, tenta d'entamer une discussion, à la fois pour se donner le courage de poursuivre sur un terrain plus dangereux et pour meubler le silence qui l'étouffait peu à peu.
« Ça fait longtemps que tu... que vous faites ce métier ? »
Nina la regarda d'un air amusé, un sourire narquois au coin des lèvres. « Est-ce que ça t'intéresse vraiment ?
— Pas vraiment, avoua Quinn en secouant la tête.
— Alors n'en parlons plus. Et tutoie-moi, je t'en prie, je suis plus jeune que toi. »
Encore une fois, Quinn sentit le rouge lui monter aux joues. Elle se demanda brièvement si elle avait choisi cette profession de son plein gré, depuis combien de temps elle se livrait à ces tribulations — puis, une seconde après que ces réflexions l'aient traversée, elle réalisa qu'elle n'était pas venue ici pour se poser ce genre de questions.
Elle posa son verre à moitié vide sur la petite table, bientôt imitée par la jeune femme, et s'approcha nerveusement d'elle.
La blonde voulut se débarrasser de son manteau, et vit ses doigts trembler en tentant de défaire les boutons. Nina vint à sa rescousse, retira habilement le vêtement avant de le déposer sur le dossier d'une chaise, puis se tourna vers Quinn sans cesser de sourire, et fit glisser sa main contre son bras pâle.
« Tu n'as pas peur ? » demanda la petite brune.
Elle secoua la tête, bien que la chair de poule apparue sur ses bras démontrait le contraire.
« Tant mieux. »
Nina commença à se déshabiller, lentement, ôtant d'abord sa fine robe et restant immobile un instant, offrant son bustier noir au regard timide et envoûté de Quinn. Elle rit un peu en voyant ses joues empourprées et retira le reste de ses vêtements, sans cesser de la fixer.
La blonde essaya vainement de voir autre chose que ses seins, petits et ronds, que sa peau tannée, immaculée, la longueur de ses jambes qui semblait n'en plus finir, et l'endroit où ses cuisses se rejoignaient.
Pendant un instant, aucune des deux femmes ne parla, l'une se demandant que faire, l'autre attendant un geste de sa part.
« Est-ce que ça te gêne ?
— Quoi donc ?
— Moi, nue devant toi. »
Elle déglutit, imperceptiblement pour quiconque n'avait pas des mois d'expérience dans ce métier.
« Non. »
La brune s'avança alors, ôta les mèches de cheveux barrant le visage de Quinn. « Je peux te déshabiller ? »
Jamais telle question ne lui avait parue si innocente. La plus grande sentit son cœur se serrer, et hocha doucement la tête.
Sa voix se bloqua dans sa gorge quand elle sentit des lèvres froides frôler sa trachée.
« Je peux... je peux connaître ton nom ? »
Quinn sentit la jeune fille sourire contre sa peau. « Ne te l'ai-je pas déjà dit ? » répliqua-t-elle avant de déposer un baiser près de sa clavicule.
« Ton vrai nom, je veux dire, se corrigea la blonde. Si ce n'est pas trop indiscret. »
Un long moment ponctua ses mots. Nina continua de parsemer sa peau de légers baisers, depuis son cou jusqu'à la naissance de ses seins, puis finit par répondre : « Ce n'est pas indiscret. Je m'appelle Rachel. »
Quinn retint un gémissement lorsqu'elle sentit des dents mordiller son épaule, et le bout d'une langue caresser la marque éphémère sur sa peau d'albâtre. Rachel. Ce nom sonnait mieux que Nina, plus doux, plus réel.
Rachel.
Elle ne se rendit compte qu'elle avait prononcé ce prénom seulement lorsque la petite brune lui rendit la pareille, murmurant le sien au creux de son oreille, et l'attirant lentement mais sûrement vers le lit.
Elle fut renversée sur des draps en coton qui portait une légère odeur fleurie, proche de celle de la violette. Quinn n'eut le temps d'inspirer qu'une seule bouffée de ce parfum avant qu'il soit remplacé par celui de Rachel, plus enivrant, lorsque celle-ci se coucha presque contre elle, appuyant ses mains de part et d'autre de son visage. La petite brune continua son exploration de sa peau avec ses lèvres et sa langue, suçotant, léchant chaque parcelle à sa portée, la faisant gémir (presque honteusement) de plaisir.
À cet instant, elle se rendit compte qu'elle ne l'avait même pas embrassée. Devait-elle le faire ? Était-ce, au contraire, une pratique taboue dans ce genre d'établissement ?
Mais Quinn n'eut plus à réfléchir à ce dilemme plus longtemps ; pas quand Rachel se mit à embrasser sa poitrine que les battements erratiques de son cœur faisaient palpiter sous sa bouche.
« Ça arrive souvent, que des femmes viennent dans ce genre d'endroit ?
— Tu veux dire dans un bordel ? Pas tellement, répondit la plus petite. Encore moins en ces temps-ci. Tout le monde a peur de sortir et de se retrouver dans une maison close bourrée d'officiers allemands.
— Et... tout le monde accepte de le faire avec des femmes ?
— Bien sûr que non, fit-elle en gloussant un peu. Pas même la moitié. Moi, je préfère les femmes, alors Sue me les envoie directement, en général. Disons que ça évite les malentendus. »
Quinn acquiesça. Elle arrivait à peine à comprendre l'état d'esprit des maisons closes, et pourtant, elle le respectait. Après tout, elle avait de l'argent de côté, et aucun besoin de recourir à de telles pratiques pour éviter la famine. Peut-être aurait-elle fait comme Rachel si jamais elle n'était pas née dans une famille aussi aisée que la sienne.
Elle se retourna sur le dos et soupira doucement, tirant un peu plus le drap près de son menton. Elle venait de coucher avec une prostituée — une femme — pour la première fois, et elle ne savait pas trop ce qu'elle ressentait en cet instant.
Rachel l'avait fait gémir sous ses doigts, sous ses mains, sous ses lèvres, plus d'une fois dans cette même nuit, et elle lui avait fébrilement, maladroitement rendu la pareille, si elle se fiait aux bruits que la brune avait produits, tout près de son oreille, quand elle était couchée sous son corps.
Elle ne savait pas si elle goûterait encore à un sentiment aussi exquis que celui qui l'avait habitée en ces instants ; c'est pourquoi elle fit glisser sa main sur l'épaule de Rachel, allongée à ses côtés, jusqu'à atteindre ses côtes, son nombril, la fine toison délimitant l'accès à l'endroit le plus intime de son corps. Rachel la regarda étrangement, puis sourit d'un air narquois.
Quinn n'avait aucune idée de l'heure qu'il était quand elle se rhabilla enfin. Tard, peut-être trois ou quatre heures du matin, car le ciel était encore sombre. L'agitation n'avait pas encore gagné les rues de Paris.
Assise en tailleur sur le lit, les jambes emmêlées dans les draps, Rachel fumait une cigarette tout en observant la jeune blonde. Elle la fixait déjà depuis deux bonnes minutes, la faisant rougir d'embarras et peut-être d'autre chose, quand Quinn s'autorisa à lui demander pourquoi elle la regardait avec tant d'insistance. Elle venait juste de reboutonner sa robe.
« Je me demandais, commença-t-elle en recrachant une bouffée de fumée, la raison qui t'a amenée à me donner ta virginité. À la perdre dans un endroit comme celui-là. »
La blonde haussa les épaules et s'assit pour remettre ses chaussures.
« Je ne sais pas, finit-elle par répondre. J'étais surtout curieuse, je crois. Intriguée. Et puis...
— Quoi ? »
Quinn inspira profondément, sentant l'odeur âcre du tabac se mêler à l'air dans ses poumons. « Et puis je vais bientôt partir. J'avais envie de savoir comment c'était, ce que ça faisait, avant de m'en aller.
— Je ne comprends pas, avoua Rachel en s'appuyant sur un coude. Il y aurait sûrement eu d'autres occasions.
— Peut-être pas. »
Elle n'alla pas au bout de sa pensée, et Rachel ne la poussa pas. Elle se contenta de finir sa cigarette, de venir écraser le mégot dans le cendrier sur la table de chevet, puis elle commença elle aussi à se revêtir, appréciant le silence s'installant dans la pièce. Aucune des deux femmes ne prononça un mot pendant de longues minutes, dans la semi-obscurité brisée par la flamme d'une lampe à gaz.
Une fois habillées — Rachel aussi légèrement qu'au début de leur entrevue — elles se jaugèrent un instant du regard, longtemps. La jeune prostituée finit par dire, avec un mince sourire au bord des lèvres : « Tu sais, en entrant ici, tout le monde joue un rôle. Les filles se comportent comme si les hommes étaient désirables et intéressants, et les hommes tentent de se convaincre qu'ils le sont réellement. Ce n'est pas plus différent d'un cabaret ou d'un théâtre, si l'on y réfléchit bien. Mais toi... je n'arrive pas à identifier le rôle que tu as tenu. »
Quinn fit la moue. Elle ne pouvait comprendre pourquoi tant de gens adoptaient ce comportement, mais qu'importait. Elle y avait cédé, elle aussi.
Elle avait une raison, bien entendu ; une réponse à la question de Rachel. Elle aurait très bien pu la lui donner, mais elle n'en fit rien. Au lieu de cela, elle sortit de son porte-monnaie quelques francs qu'elle déposa sur la table, puis glissa un « au revoir » à peine audible avant de refermer la porte de la chambre sur elle.
Dans deux jours, elle partirait pour le front, en Sicile.
