Disclaimer : L'histoire est fondée sur des personnages et un univers qui appartiennent au talentueux Thomas Harris. Je ne touche pas d'argent en l'écrivant et je ne possède malheureusement pour moi que le personnage du Dr Rose Sullivan.

Note : Cette série de vignettes courtes ne se rattache pas vraiment à un livre ou à un film en particulier. Elle se situe avant Dragon Rouge, donc avant le Silence des Agneaux, pendant la troisième année de réclusion d'Hannibal. Je me fonde pour la description de Lecter et de sa cellule sur le film précédemment nommé. Pour le reste, j'essaie de rester proche des livres. Je tiens aussi (même si c'est tendre le bâton) auprès de ceux qui trouveraient que je défigure le bon docteur Hannibal. Il est difficile à mettre en scène et je comprendrais que certains le trouvent OOC. Cela dit, bonne lecture à tous !

Première vignette :

Il faisait froid, c'était l'hiver. Les pluies de novembre avaient été remplacées par les neiges de décembre. En cette veille de réveillon, Rose Sullivan débutait son contrat de deux ans à l'Hôpital de médecine légale de Baltimore. "Curieux cadeau de Noël" avait-elle songé en voyant la date spécifiée sur le document. Elle avait bien entendu demandé des affectations moins sinistres, mais on lui avait assignée celle-là en arguant du fait que ses particularités la protègeraient des traumatismes qui auraient menacé ses confrères. Avec son indifférence coutumière, elle avait haussé les épaules et signé là où on lui avait dit de signer. Après tout, Wilmer n'avait pas tort. Quand on ne ressent rien, comment pourrait-on souffrir de ce qui affecte les autres ? Cependant, les dessins dans son carnet exagéraient jusqu'à la caricature l'expression stupide de l'homme.

Le Dr Chilton se trouverait lui aussi caricaturé, elle en était sûre. Si Rose avait été capable d'éprouver quelque chose à cet instant, alors qu'elle était assise en face de lui dans son bureau, cela aurait sans nul doute été du dégoût.

-Les restrictions budgétaires m'empêchent d'avoir une secrétaire à plein temps, mais on m'impose une psychiatre supplémentaire. Ne trouvez-vous pas cela étonnant, Dr Sullivan ?

Son ton méprisant n'échappa pas à Rose qui répondit d'une voix tranquille.

-On a peut-être estimé que vous aviez besoin de sang neuf. L'un de vos médecins part à la fin de l'année, je me trompe ?

Chilton à lui seul prenait déjà trois feuilles et Rose était convaincue qu'il n'avait pas conscience du petit carnet noir sur lequel elle griffonnait. Ou alors il pensait qu'elle prenait des notes. Sur quoi, là était la vrai question, mais elle n'avait pas envie de se pencher sur les bêtises qui pouvaient encombrer le cerveau du directeur. Celui-ci reprit avec autant de mépris que précédemment.

-Franchement, Docteur Sullivan, vous me semblez bien jeune pour être médecin. Surtout si l'on considère que vous dites être titulaire de deux doctorats.

-J'ai vingt-six ans, Docteur Chilton. J'ai été diplômée du secondaire à quatorze ans. Douze ans pour deux doctorats menés simultanément, cela ne me semble pas si extraordinaire. Mais si vous le souhaitez, nous pourrons comparer nos diplômes plus tard.

Il n'y avait ni méchanceté ni agacement dans sa voix. Simplement une indifférence glaçante. Le directeur reçut pourtant le dernier commentaire avec l'expression de quelqu'un que l'on vient de gifler.

-Bien, je suppose que vous souhaitez rencontrer vos nouveaux patients ?

-Oui. Et avoir leurs dossiers si vous le voulez bien.

-Evidemment. Suivez-moi, je vais vous faire visiter.

La visite en elle-même fut assez peu marquante. En y jetant un coup d'œil après coup, Rose jugea les deux dessins réalisés pendant la demi-heure qui avait été nécessaire pour parcourir les deux premiers étages absolument sans intérêt. Elle était en charge d'une quinzaine de patients, les autres étant pris en charge par le Docteur Chilton et un autre médecin somme toute assez terne que Rose rencontra entre deux portes. Avant d'arriver aux cellules du sous-sol, Chilton se tourna vers elle, le visage tordu par un rictus sinistre.

-Les patients que vous allez voir à présent ne seront pas les vôtres, mais je tiens à vous présenter le plus célèbres de nos pensionnaires. Et accessoirement, celui qui nous donne le plus de soucis.

-Vous voulez parler du Docteur Hannibal Lecter ? Pour tout dire, je n'y tiens pas particulièrement. Et on m'avait dit que je n'aurais pas à le faire. A aucun moment. De plus, je doute qu'il apprécie qu'on l'exhibe comme un monstre de foire.

Chilton ignora sa dernière remarque.

-Je comprends que vous ayez peur de Lecter, mais je tiens à ce que vous vous rencontriez. Cela l'incitera peut-être à communiquer. Voyez-vous il y a près de deux ans que je n'ai pas entendu le son de sa voix.

-Je n'ai pas peur de lui, rectifia Rose en lui emboîtant le pas.

"Ni de personne, d'ailleurs, pensa-t-elle, et surtout pas de toi. Affirme ton petit pouvoir à mes dépends autant que tu le voudras, cela ne m'atteint pas. Tout ce que j'espère, c'est que tu ne m'empêchera pas de faire mon travail."

Chilton parut sceptique, mais lui exposa les consignes de sécurité d'un ton égal.

-Ne touchez pas la vitre, n'approchez pas la vitre. Ne lui faites rien passer, ni crayon, si stylo. Il a ses propres feutres. Aucun document pourvu d'agrafes ou de trombones. N'acceptez rien de ce qu'il pourrait vous faire passer.

-Très bien, Docteur Chilton. Mais vous pouvez être tranquille, vous savez. Je n'ai absolument pas l'intention de lui rendre des visites régulières.

-Espérons-le pour vous.

Ils passèrent sans rien dire dans l'espèce d'antichambre qui isolait les prisonniers du reste du monde encore plus efficacement que leurs cellules sans fenêtres. Rose salua d'un signe de tête un grand infirmer noir qui lui dédia un sourire qu'on pouvait sans doute qualifier de rassurant, si l'on était sensible à ce genre de chose. Rose reconnaissait mieux les sentiments négatifs. Elle resta soigneusement derrière Chilton tandis qu'ils suivaient le couloir longeant les cellules, jusqu'à la dernière qui ne comportait pas de barreaux, mais une sorte de grande vitre, vraisemblablement en plexiglas, percée de trou en haut et en bas. Sur le côté de la vitre, un passe-plat servait à faire passer des documents d'un côté ou de l'autre. Debout au milieu de la cellule, le psychiatre Hannibal Lecter.

Dans la mesure de ses faibles capacités émotionnelles, Rose fut frappée de voir à quel point il paraissait anodin. Mince, de taille moyenne, les cheveux plaqués en arrière et une expression de curiosité polie sur le visage, Lecter semblait bien loin du monstre que les journaux et ses confrères avaient décrit. Chilton se racla la gorge.

-Hannibal, je vous présente le Docteur Rose Sullivan qui est là pour remplacer le Docteur Wallace. Docteur Sullivan, voici le Docteur Hannibal Lecter.

-Enchantée, Dr Lecter.

Ce genre de formule sonnait faux dans sa bouche. Aujourd'hui plus que jamais. Cependant, Lecter ne parut pas en tenir compte et lui adressa un signe de tête courtois.

-Moi de même, Docteur Sullivan." Il mettait une connotation ironique dans sa façon de dire docteur. "Je crois avoir commenté l'un de vos articles dans l'un ou l'autre des journaux médicaux que je reçois. C'était il y a un mois ou deux, il me semble."

-En effet, Docteur. Vous vous êtes d'ailleurs montré particulièrement critique.

Aucune altération n'était audible dans sa voix. Aucune émotion n'effleurait son visage impassible. Elle ne ressentait rien. Le regard de Lecter se posa sur ses mains et il eut l'air intrigué. Rose baissa également les yeux juste à temps pour voir sa main terminer un dessin. Le carnet neuf qu'elle avait pris le matin même était à moitié rempli. Elle n'avait même pas eu conscience du fait qu'elle dessinait. Avec lenteur, elle referma le carnet noir et rangea le stylo dans la poche de sa veste de tailleur. Ce fut le moment que choisit Chilton pour se manifester.

-Je suppose que vous ne verrez pas d'inconvénient à ce que je termine d'expliquer le fonctionnement de l'hôpital au Docteur Sullivan dans mon bureau, Hannibal.

-J'aimerais beaucoup voir vos dessins, Rose, déclara Lecter sans même regarder le directeur.

-Peut-être un jour, répliqua Rose. Au revoir, Docteur Lecter.

-Au revoir… Docteur Sullivan.

Rose inclina légèrement la tête et se hâta de rejoindre Chilton qui ne l'avait pas attendue et se trouvait déjà à mi-chemin de l'escalier.

-Vous lui avez plu, je crois, lança-t-il d'un ton irrité. Il refuse de me parler depuis plus de deux ans.

-Pour ce que j'en ai vu, il est courtois et sensible à la courtoisie. Peut-être avez-vous agi d'une manière qu'il juge discourtoise. Comme par exemple lorsque vous le montrez au personnel fraîchement arrivé comme s'il s'agissait d'un animal de cirque ou que vous partez sans lui dire au revoir.

Il lui jeta un regard furieux auquel elle renvoya une œillade indifférente. Il détourna les yeux, la discussion était close.

Durant le reste de la journée, Rose ne pensa plus à sa rencontre avec Lecter. Elle n'avait jamais eu l'intention de le rencontrer et elle ne comptait pas retourner lui parler. Ce ne fut que le soir, lorsqu'elle regarda les dessins qu'elle avait fait de lui qu'elle revint sur sa décision. Parce que pour la première fois de sa vie, ses dessins reflétaient une émotion extrêmement forte. Et ça, c'était vraiment très bizarre.

Pour toutes vos réactions, encouragements, critiques (constructives), vous savez ce que vous avez à faire. Le petit bouton bleu vous tend les bras…