Il y a une histoire que tout le monde connait en Terre du Milieu. Dans une cité appelée Lacville, un être recueilli par le Maître de la ville pouvait prédire l'avenir. Le Maître de Lacville racontait souvent comment il avait pris cette pauvre créature sous son aile. Il était question d'une bande de voleurs et d'assassins qui l'auraient retenu prisonnier pour ses pouvoirs et l'auraient maltraité pour le forcer à les aider. Le Maître disait à tout le monde qu'il s'était faufilé la nuit dans leur camp, avait libéré le Semi-Homme et l'avait ramené en sécurité à Lacville où il était devenu le Seigneur, le Maître, ayant tout pouvoir dans la ville.

Un grand nombre d'Hommes, d'Elfes et de Nains venaient des quatre coins de la Terre du Milieu et au-delà pour rencontrer le Semi-Homme et qu'il leur prédise leur avenir. Bien évidemment, il fallait payer une petite taxe au Maître de la ville pour profiter du don du petit être. Thranduil, le roi de la Forêt Noire, aurait voulu rendre visite au hobbit à chaque fois qu'il le désirait et il était de bon ton pour le Maître de rester en bons termes avec l'Elfe mais celui-çi tenait trop à ses "petits cadeaux" pour laisser Thranduil profiter des pouvoirs du Semi-Homme sans qu'il ait à payer. L'Elfe payait donc à chaque fois le prix demandé avec un rictus de dégoût à l'homme qui s'occupait du petit être.

Le Hobbit attendait, assis à une table et portait des vêtements d'un rouge sombre qui le recouvraient entièrement. En plus d'avoir des dons de voyance, le Semi-Homme était d'une beauté ravageuse et le Maître tenait à tout prix à garder le Hobbit à l'écart de tout homme susceptible de céder à la tentation. Le petit être avait beau être reconnaissant envers le Maître pour tout ce qu'il avait fait pour lui, il avait quelquefois l'impression d'être enfermé dans une cage dorée depuis qu'on l'avait emmené à Lacville, il y a de cela plus de trente ans.

Il sortit de ses pensées lorsqu'il entendit quelqu'un tocquer à la porte et dit :

-Oui ?

La porte s'ouvrit sur Alfrid avec un sourire qui écoeura le Hobbit alors qu'il sentait des frissons parcourir son dos. Le bras droit du Maître posait toujours sur lui un regard rempli de désir et de convoitise lorsqu'il annonça :

-Bilbon, le roi de la Forêt Noire est venu te voir.

-Dites au Maître que je recevrai seulement Thranduil aujourd'hui. Je ne peux pas prédire l'avenir trop de fois, j'ai mal à la tête, prévint Bilbon d'une voix lointainte tandis qu'il regardait la Montagne Solitaire qui se dressait au loin.

-Ca, ce n'est pas à toi de le décider ! répliqua sèchement Alfrid avec un sourire narquois en tournant les talons.

Thranduil se présenta, toujours aussi fier et aussi majestueux. Il marcha d'un pas léger et sourit au Semi-Homme avant de s'asseoir sur le siège réservé aux clients. Bilbon se retourna et s'inclina respectueusement pour saluer le roi Elfe.

-Thranduil, quel plaisir de vous revoir. C'est toujours un honneur de rencontrer le roi de la Forêt Noire.

-Et c'est toujours un honneur de vous rencontrer, Bilbon Sacquet, répondit gracieusement l'Elfe blond avant de lui tendre un paquet.

-Encore un autre cadeau ? Thranduil, vous savez que tous les cadeaux que vous m'offrez ne changeront rien à mes visions, rappela gentiment le Hobbit en prenant le paquet.

-Je sais mais je pensais que quelques tenues elfiques conviendraient parfaitement à un être d'une beauté telle que la vôtre, expliqua Thranduil tandis que Bilbon souriait en sentant sous ses petits doigts les étoffes riches et soyeuses.

-Elles sont magnifiques, je vous remercie. J'en porterai une lors de votre prochaine visite, promit cordialement Bilbon en posant le cadeau sur la table.

L'elfe présenta une longue et fine main manucurée à Bilbon qui la prit entre ses deux mains avant de fermer les yeux.

-Quelque chose ronge la Forêt Noire. Peu importe le nombre de fois que vous enverrez vos Elfes la détruire, elle reviendra encore et encore. Quelque chose arrive...

Bilbon rouvrit les yeux, fronça les sourcils en lâchant la main et se dirigea vers la fenêtre avant de continuer :

-Nous le pensions mort. Dans la Montagne Solitaire, quelque chose s'est réveillée dans une mer d'or.

-Smaug ? murmura le roi Elfe, incrédule. Vous êtes certain que le dragon était endormi tout ce temps. Qu'est-ce qui l'a réveillé ?

-Un roi qui vient récupérer son royaume, répondit Bilbon à Thranduil qui avait écarquillé les yeux.

-Bilbon, dites-moi à quoi ressemble ce roi. Est-ce un Homme, un Elfe ou un Nain ? demanda-t-il.

-C'est... un nain. Il a connu des jours sombres et la rage gronde en lui mais il n'est pas seul. Il fait route avec d'autres Nains et un Magicien gris. Si ils atteignent la Montagne alors Smaug se réveillera, termina Bilbon, pris de vertiges, qui posa une main sur son front et l'autre sur le rebord de la fenêtre.

-Bilbon ?

-Je... je ne vois rien de plus.

-Est-ce que ce Nain se nomme Thorin ? interrogea l'Elfe en se rapprochant du Hobbit.

-Je... je ne sais pas mais il y a deux membres de la même lignée avec lui.

Après le départ de Thranduil, le Maître de Lacville pénétra dans sa chambre en compagnie d'Alfrid avec un plateau de nourriture et dit d'une voix qui se voulait affectueuse :

-Mon Minusculo, Alfrid m'a dit que tu ne voulais pas utiliser ton don pour les autres. Est-ce vrai ?

-Non, je lui ai dit que j'avais mal à la tête, corrigea Bilbon en jetant un regard noir à ce vil serpent qui posait encore sur lui un regard lubrique. Je vois sans arrêt l'image du feu et de la mort et j'entends les cris et les pleurs. Je suis incapable d'avoir des visions dans cet état, j'ai déjà eu beaucoup de mal à lire l'avenir de Thranduil.

-Bilbon, mon petit Bilbon, tes petits caprices commencent à m'agacer, prévint le Maître en relevant le menton du hobbit d'une main sale aux doigts griffus.

-Mais...

-Mais rien ! coupa sévèrement le Maitre. N'ai-je pas été bon avec toi au cours de ces trente dernières années ? Maintenant mange, tu verras que tu te sentiras beaucoup mieux après. Le prochain client viendra avec mon petit cadeau dans une demi-heure.

Sans laisser le temps à Bilbon de répondre quoi que ce soit, il quitta la pièce. Alfrid n'avait pas bougé et avait un sourire narquois, les yeux remplis de désir. Bilbon se détourna et dit d'une voix froide :

-Sortez de ma chambre.

L'homme, au contraire, se rapprocha en se léchant les lèvres pour se tenir à quelques centimètres du hobbit avant de susurrer avec malice :

-Je connais ton secret.

Bilbon sentit tout son corps se raidir à cette annonce et jeta un regard incrédule à Alfrid qui continua avec un ton suffisant en chassant une poussière sur son épaule d'un geste nonchalant :

-Eh oui, le Maître m'a tout dit. Il a pensé qu'il valait mieux que je sois au courant de ton petit secret pour que je sois conscient des risques que tu encourais et que je sois plus à même de te tenir éloigné des... prétendants indésirables. Après tout, quelle honte ce serait si quelqu'un... disons un homme qui n'accepte pas qu'on lui dise non pénétre dans la maison au beau milieu de la nuit, trouve la clé de cette chambre et se faufile à l'intérieur. Tu sais ce qui se passerait alors, n'est-ce pas ?

Il attrapa un grain de raisin posé sur le plateau et le goba avant de tourner les talons pour quitter la chambre mais Bilbon le retint :

-Vous voulez que je vous dise quelque chose Alfrid ? J'ai vu le feu dans votre avenir. Personne ne viendra vous sauver quand le feu sera sur nous.

L'homme avait écarquillé les yeux en entendant cette sombre prédiction mais s'en alla sans oublier de verrouiller la porte derrière lui.

Bilbon regardait par la fenêtre la Montagne Solitaire qui se dressait fièrement au loin et ferma les yeux, épuisé de voir les flammes danser devant lui, les gens hurler de terreur. Peu à peu, ces visions et ces sons s'effacèrent pour faire place à l'image de deux silhouettes allongées sur un banc en train de faire l'amour, leurs corps plaqués l'un contre l'autre, leurs lèvres gonflées s'embrassant avec ardeur et passion, leurs mains procurant de douces et sensuelles caresses. Bilbon reconnut son visage et ses boucles dorées sur la silhouette allongée contre le banc, surplombé manifestement par un nain. Il ne voyait que sa longue crinière noire, ses muscles larges et saillants avant de découvrir finalement son visage. Bilbon en eut le souffle coupé : c'était celui du nain qu'il avait vu lorsqu'il avait lu la main de Thranduil. Il rouvrit les yeux, le coeur battant à tout rompre. Ce Nain, c'était ce Nain qui allait le revendiquer, lui prendre son innocence et lui faire perdre son don.

-Thorin.