Memento mori

Chapitre un:

"Quand la pluie partira il ne restera rien"

Comme toutes les histoires qui se finissent mal, celle de Drago commença par un mot glissé entre les pages de son livre de cours.

« Memento mori. »

Classique, pensa-t-il. Roulant des yeux, il chiffonna le morceau de parchemin et le laissa bien en évidence en bord de table, histoire de montrer à quiconque le lui avait envoyé qu'il s'en contrefichait. Trempant sa plume dans son encrier, il affecta de prendre des notes lorsqu'un morceau de parchemin vrilla l'air et vint se ficher en plein dans ses cheveux, déclenchant les rires des Gryffondors assis derrière lui.

« Monsieur Malefoy, un peu de décorum, » le réprimanda Madame Calas d'un air pincé.

Fraîchement arrivée de France, la jeune professeure d'étude des Moldus n'ignorait pas la façon dont sa prédécesseure était morte et le lui faisait bien sentir. D'ailleurs, personne ne l'ignorait. Entrer dans cette salle était tous les jours une véritable épreuve pour Drago, tant l'air semblait chargé d'électricité. Sa voisine, une Poufsouffle du nom de Rose Zeller lui accorda une grimace qui se voulait sympathique en l'aidant à localiser le papier perdu dans ses mèches blondes. Drago se retint de lui donner une tape sur les doigts lorsqu'elle tira malencontreusement un peu trop fort, déclenchant une réponse nerveuse. Seul Serpentard dans la salle, il se devait de compter sur sa seule alliée, même si celle-ci était une buse qui faisait le dos rond à chaque attaque.

Lorsque deux heures sonnèrent, Drago commença à ramasser ses affaires mais il s'interrompit lorsque Madame Calas l'appela à son bureau d'un air sévère. Pestant en son for intérieur, il abandonna ses effets et vint à sa rencontre.

« Oui, cher professeur ? demanda-t-il d'une voix traînante.

-Ne jouez pas à ça avec moi Malefoy, et expliquez-moi plutôt ceci, » dit-elle en lui tendant un papier.

Drago reconnut son dernier devoir, une rédaction sur la médecine moldue. En haut figurait sa note, un « D » à l'encre rouge.

« Eh bien, vous ne dites rien ?

-J'en dis qu'une telle note était prévisible. Après tout, j'ai six ans de retard à rattraper… Professeur.

-Je sais que vous n'êtes là que sur recommandation du Ministère, Monsieur Malefoy, mais ce n'est pas une raison pour bayer aux corneilles.

-'Recommandation' ? Vous voulez plutôt dire qu'on me force à être là ! J'ai dix-huit ans, professeur, et j'ai déjà réussi ma Septième année.

-Pourtant ce n'est pas ce que me montre ce devoir, dit-elle d'un air moqueur.

-Je vous répète, puisque vous ne semblez pas comprendre, que je n'ai jamais suivi de cours sur les Moldus auparavant et que si le Ministère ne me forçait pas, je ne serais pas là.

-Il suffit ! Puisque vous vous opiniâtrez à ne faire aucun effort dans mon cours, j'en parlerai à notre Directrice Madame McGonagall. »

Drago s'était attendu à presque tout, du simple retrait de points à la retenue tous les samedis, mais pas à cela. Se sentant blêmir, il bafouilla :

« Non, ne faites pas ça, s'il vous plaît. Si je quitte Poudlard…

-Eh bien, vous l'avez dit vous-même, vous n'avez aucune raison d'être là, dit-elle d'un air triomphant. À présent, sortez de cette classe. »

Le cœur battant à cent à l'heure, il se retourna pour terminer de rassembler ses affaires et se rendit compte d'une anomalie : son livre d'Histoire des Moldus n'était plus sur la table.


Comme il était sept heures et que personne n'était encore venu lui annoncer son renvoi de Poudlard, Drago s'autorisa à respirer un peu. Ne se sentant pas d'humeur à affronter les regards, il décida de sauter le dîner et se rendit directement dans la salle commune des Serpentards pour réviser l'étude des Moldus. La vérité était qu'il faisait un réel effort pour rattraper son retard dans cette matière mais que tout seul et dans une ambiance aussi malsaine, il faisait peu de progrès. Il sortit son parchemin et sa plume de son sac, puis piocha de nouveau. Son cœur rata un battement lorsqu'il se rendit compte que tous ses livres du jour étaient là à l'exception de celui dont il avait besoin.

« L'enfoiré, » siffla-t-il entre ses dents en se rappelant qu'on le lui avait dérobé cinq heures plus tôt.

Il regarda autour de lui, mais la salle commune était quasiment vide à l'heure du repas. Fut en temps où c'était moi qui menais tout le monde à la baguette, pensa-t-il. Auparavant, le coupable aurait été retrouvé dans l'heure suivant le vol. Il regarda autour de lui, dépité, et une voix lui murmura in peto : « Auparavant, c'est surtout toi qui aurais le crime. Et tu as fait bien pire, n'est-ce pas ? »

Drago se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux en se rappelant la fois où il avait suspendu Colin Crivey la tête en bas et que le sortilège avait pris une bonne demi-heure avant une s'estomper, juste assez pour que McGonagall retrouve l'enfant apeuré, dont l'appareil photo avait été cassé par la chute. Mais moi ce n'est pas pareil, se rassura-t-il. Moi ce n'est pas la même chose parce que je n'ai personne.

Sortant de la salle commune, il erra dans les couloirs du château à la recherche d'un indice. Il reconnut une fille de sa classe, une Gryffondor tranquille qui lui rappelait un peu Granger, dont il n'avait jamais su le nom.

« Hey, Gran- je veux dire, toi, là, » l'interpella-t-il maladroitement.

La jeune fille s'arrêta, le toisa de toute sa hauteur et haussa les sourcils d'un air interrogatif.

« Excuse-moi, saurais-tu qui a pris mon livre d'Histoire des Moldus ? »

La jeune fille mâchonna sa joue, paraissant peser le pour et le contre avant d'arriver à une conclusion :

« Peut-être bien que je sais. Mais si je te dis ce que je sais, est-ce que tu me diras quelque chose en retour ?

-Ce que tu veux, affirma-t-il, tout en sachant que cela faisait des mois qu'il n'était plus au courant des ragots, hormis ceux étaient à son sujet (les deux tiers).

-C'est Lawrence Jones de Serdaigle qui l'a. Il est en ce moment même avec Terry McAllister de Gryffondor dans la tour d'astronomie, mais ce n'est pas moi qui te l'ai dit.

-Merci. Que veux-tu savoir ? »

La jeune fille parut gênée.

« Tout le monde se demande ce que tu fais encore à Poudlard. Tu es le seul à refaire ta Septième année mais ce n'est pas comme si tu en avais besoin, tu es le meilleur dans quasiment toutes les matières. Et sans vouloir te vexer, ce n'est pas comme si tu étais très populaire. Alors qu'est-ce qui te retient ?

-C'est une longue histoire, répondit-il sèchement. Maintenant si tu veux bien m'excuser, j'ai un putain de livre à récupérer. »

La jeune fille n'osa pas protester lorsqu'il tourna les talons, direction l'aile Ouest. Les couloirs étant déserts, il mit moins de quinze minutes à traverser le château dans la longueur. Arrivé à destination, il prit son temps pour gravir les degrés. Arrivé au sommet, fatigué et énervé, il envoya la stratégie au diable et déboula dans la salle, lançant deux Expelliarmus vers les silhouettes penchées sur son livre.

« Alors comme ça on griffonne dans mon livre hein ? cracha-t-il vers les deux gamins surpris. Vous êtes pathétiques. »

C'est à cet instant qu'il entendit un froissement de robe derrière lui. Une troisième personne, dissimulée par la pénombre, était dans la tour. Il n'eut pas le temps de se préparer qu'un Expelliarmus le priva de sa baguette.

« Alors on fait moins le malin, Malefoy, ricana une voix qu'il ne reconnut pas. Tu veux ton livre ? Eh bien le voilà ! »

Joignant le geste à la parole, l'élève lui balança le livre à la figure et un coin lui écorcha la lèvre inférieure. Drago jura entre ses dents et tenta de localiser sa baguette dans la pénombre. Sentant ton intention, Terry MacAllister bondit des ténèbres et piétina cette dernière, qui se brisa en deux en non sans avoir craché quelques étincelles bleutées.

« C'est ici que ça se termine, salopard, siffla l'inconnu.

-Mais enfin, qui es-tu à la fin ? craqua Drago. Qu'est-ce que tu me veux ?

-Burbage. Timothy Burbage. Mais cela n'a plus d'importance à présent. Serpensortia ! »

Paniqué, Drago recula et se sentit tomber dans les escaliers.

Lorsqu'il se réveilla, il était à l'infirmerie.


« Professeur ? Madame Pomfresh m'a dit que vous vouliez me voir.

-Eh bien Monsieur Malefoy, vous voilà dans un sale état, » le salua McGonagall lorsqu'il pénétra dans l'ancien bureau de Dumbledore le lendemain.

Drago s'était vu dans un miroir après sa chute et savait qu'elle disait vrai. Madame Pomfresh avait qualifié de miracle le fait qu'il ne se soit rien cassé, mais l'accident ne l'avait pas laissé indemne. Non seulement était-il couvert de bleus sous sa robe, mais la derrière marche de l'escalier lui avait ouvert la tête. Les élèves de Sinistra l'avaient, paraît-il, retrouvé gisant dans une mare de son propre sang. Grâce aux soins de l'infirmière il ne lui restait plus qu'une cicatrice rouge, mais n'empêche qu'il avait l'air d'avoir participé à un pugilat.

« Je peux tout expliquer, je vous le jure, » se hâta-t-il avant qu'elle ne puisse poursuivre.

Il lui raconta tout, absolument tout, et termina par : « Et en plus je n'ai même pas pu récupérer mon livre.

-Sans doute voulez-vous parler de ceci ? » dit-elle en plaçant un gros volume ouvert sur la table.

Les pages étaient entièrement recouvertes de divers graffitis, si bien qu'il ne restait quasiment plus de blanc. L'ensemble donnait le vertige. En louchant un peu, Drago put distinguer 'Mort aux Moldus'.

« Ce n'est pas moi qui ai écrit cela, professeur. Ils l'ont fait pour m'accuser.

-Je vous crois, Monsieur Malefoy. Mais il n'empêche que dans ces conditions, vous ne pouvez pas retourner en cours.

-Mais puisque je vous dis que ce n'est pas moi !

-Ce sont les ordres du Ministère, Monsieur Malefoy. Ce n'est d'ailleurs pas le seul incident à déplorer. Pas plus tard que hier le Professeur Calas nous rapportait que vos notes étaient en chute libre et que vous exprimiez le désir de partir.

-Professeur, je vous en prie. Vous savez que si je quitte Poudlard le Ministère me coupe entièrement les vivres. C'était l'accord. En-dehors de Poudlard, je n'ai plus rien. Le Manoir est sous observation, les comptes de Gringotts sont gelés jusqu'à la fin de l'inspection, mes parents…

-Je suis navrée, Monsieur Malefoy. Si les choses étaient en mon pouvoir, sachez bien qu'il en serait autrement. »

McGonagall pinça les lèvres et Drago vit dans son regard qu'elle ne mentait pas. Il ferma les yeux et pensa à sa mère. Sentant les larmes lui monter aux yeux, il les rouvrit immédiatement.

« Et maintenant, que me reste-t-il à faire ? demanda-t-il d'une voix blanche.

-Vos effets ont déjà été préparés. Ils vous attendent à la gare, à bord du Poudlard Express qui vous conduira à Londres. »

Sans dire un mot, Drago se retourna vers la porte. Les nerfs anesthésiés, des points blancs dansant devant ses yeux, il entendit vaguement McGonagall murmurer quelque chose derrière lui :

« Il n'appartient qu'à vous de tout reconstruire, Drago. »

« Memento mori, » s'entendit-il acquiescer en son for intérieur.


Seul à bord du Poudlard Express, sa grande valise à ses pieds, Drago se surprit à penser à Rose Zeller.

Je n'ai même pas eu le temps de lui dire au revoir, se dit-il.

Se rendrait-elle compte de son absence ? Sans doute serait-elle soulagée. Il repensa aux couloirs de Poudlard, aux questions sans réponses qu'il laisserait dans son sillage.

Et maintenant, quoi ?

Il sortit une plume et un parchemin de sa sacoche, les posa sur la tablette devant lui.

« Cher Père, » griffonna-t-il.

Les lettres étaient-elles admises à Azkaban ? Je n'ai jamais écrit à quelqu'un d'Azkaban, pensa Drago. Depuis que papa y est, je ne lui ai jamais écrit donc je ne sais pas. Abandonnant sa missive à peine commencée, il s'assoupit.

Lorsque le train s'arrêta à King's Cross, Drago descendit sur le quai et passa du côté moldu. Se rendant compte que ses habits de sorcier attiraient les regards, il se rendit aux toilettes pour passer une tenue moins voyante. Il retira sa robe de sorcier ainsi que sa cravate aux couleurs de Serpentard, le laissant en chemise, gilet et pantalon. Puis il se munit d'un plan pour décider de son itinéraire. Avec exactement vingt livres en poche, changés par les soins de McGonagall, ses perspectives étaient plutôt limitées. Il caressa du doigt la station de Surrey. Il ne savait pas pourquoi, mais cette destination lui semblait familière. Peut-être un des amis de son père habitait-il dans cette région. Sans plus tarder, il acheta un billet et grimpa dans le train partant dans cette direction.

Lorsqu'il arriva à la station de Surrey Quays, il était déjà quatre heures de l'après-midi et le temps était résolument gris. Lorsqu'il s'aperçut qu'il ne reconnaissait rien, son cœur fit un bon magistral dans sa cage thoracique et il en ressentit les secousses jusque dans ses lèvres endommagées. Désorienté, apeuré, il tira sa valise et quitta la gare. Il marcha pendant ce qui lui sembla être des heures, répétant la même litanie dans sa tête :

« Si je marche, je finirai forcément par rencontrer un sorcier qui m'aidera. Cette station me parle, c'est forcément parce qu'ici il y a quelqu'un qui m'attend. »

À bout de force, des kilomètres derrière lui, il s'assit dans un parc. Il s'étonna de ne trouver personne, puis se rendit compte de son erreur lorsque la première goutte de pluie tomba sur sa nuque, suivie d'un million d'autres. Résigné, harassé, il s'offrit en offrande à la pluie, la laissa mouiller sa chevelure et percer ses vêtements. Il ferma les yeux et s'imagina être fait de papier, fondre comme des fibres de bois dans l'eau salvatrice.

« Si seulement je pouvais disparaître là, tout de suite. Quand la pluie partira il ne restera rien de Drago Malefoy et alors le soleil se remettra à briller. »

Il avait atteint les limites de sa conscience lorsque la pluie cessa soudain de s'abattre sur lui. Étonné de n'être plus offert en pâture aux éléments, il ouvrit les yeux et se rendit compte qu'Harry Potter se tenait juste en face de lui, l'abritant sous son parapluie beaucoup trop grand.

« Drago Malefoy, » dit simplement ce dernier, d'une voix neutre qu'il ne connaissait que trop bien.

L'ex Serpentard se sentit mourir trois fois puis réalisa qu'il était encore assis, ce qui sans doute indiquait que son cœur battait encore. L'estomac en miettes, il leva les yeux et rencontra une paire d'yeux verts qui l'observait derrière des lunettes rondes. Humilié et transi, il ne prononça pas un mot.

« Viens, » lui intima Potter avec un mouvement de tête.

Son extase passée et ne pouvant plus sentir que le froid lui ronger les os, Drago lui emboîta le pas et traîna sa valise derrière lui dans la boue. Ils s'abritèrent à un arrêt de bus. Croyant la conversation terminée, Drago voulut s'asseoir mais Potter l'en empêcha en l'attaquant verbalement :

« Malefoy ! Qu'est-ce que tu fiches là ? Je te croyais à Poudlard.

-J'y-j'y étais mais j'ai été ren-renvoyé, expliqua-t-il tant bien que mal avec sa phrase minée par les claquements de dents.

-Mais pourquoi n'es-tu pas retourné chez toi ?

-Ma-manoir sssaisi. P-plus d'argent. Rien. »

Potter le fixa pendant de nombreuses secondes, la tête tournée vers lui mais semblait-il sans vraiment le voir.

« Alors c'est vrai, hein, conclut Potter.

-Qu-qu'es-ce qui est v-vrai ?

-Rien, rien, je parlais pour moi. »

À cet instant Potter sembla remarquer son piteux état pour la première fois et fronça les sourcils.

« Tu vas venir te sécher chez moi et on parle ensuite. Ce n'est pas très loin d'ici, à peine dix minutes de marche, » dit-il d'un ton péremptoire sans même jeter un coup d'œil à Drago.

Ce dernier acquiesça dans le vide, trop frigorifié pour discuter.

Quand je serai sec je m'autoriserai à me taper la tête contre les murs et à m'ouvrir les veines. Pas maintenant, se dit-il.

Pour la deuxième fois, il emboîta le pas à Potter et se battit avec sa valise pour rester sous son parapluie, le sorcier aux cheveux noirs ne présentant pas le moindre signe de ralentissement. Ils arrivèrent à la limite du quartier résidentiel, dans un immeuble où se logeaient manifestement des gens appartenant à la haute classe moyenne. Jouant avec ses clefs, Potter ouvrit la porte d'un appartement du deuxième étage. Il laissa Drago déposer sa valise et sa sacoche à l'entrée puis le toisa de haut en bas, se disant sans doute qu'un détour par la salle de bains s'imposait bel et bien, même si l'envie de parler lui brûlait.

« Au bout du couloir à droite, » lui indiqua-t-il, l'air résigné.

Une fois enfermé à double tour, Drago se déshabilla et se jeta plus qu'il n'entra sous l'eau chaude de la douche. Il regarda la boue couler dans la bouche d'évacuation et la buée se former sur les parois de plastique.

« Non, geint-il. Non, non, non. »