Ce premier chapitre est mon chapitre test, qu'on se le dise. Cette idée me trottait dans la tête depuis une éternité, et j'ai attendu le finale d'Agents of SHIELD pour pouvoir corriger mes erreurs. Cela dit, pour ceux qui ont vu Captain America: Civil War et Agents of SHIELD jusqu'à la fin (c'est à dire hier il me semble), je tiens à préciser que l'histoire se passera bien après ces deux référentiels. Pour ceux qui n'ont vu ni l'un ni l'autre, SPOILERS.
Chapitre 1
Il était presque dix heures tapantes, selon la montre de Reese Guerin. Le tarmac était presque vide, si ce n'était pour les deux Atlas Cheetah de l'armée de l'air sud-africaine, froids et laissés à l'abandon, et le jet démilitarisé de la jeune femme, chaud et prêt à partir.
Aussitôt arrivée, aussitôt partie, se dit-elle en admirant les plaines et les pics des toits de Johannesburg à quelques kilomètres de là. Elle n'avait jamais le temps de visiter les pays dans lesquels on l'envoyait, peu importe ce que croyaient les gens sur les pilotes et leur capacité à traverser le globe en toute facilité. La plupart de ses voyages finissaient en prises de vue du tarmac, et avec un peu de chance, un lever ou un coucher de soleil en prime. Elle aurait bien aimé faire un safari, voir un match de rugby ou rencontrer Mandela... Bon, pour ça il lui aurait fallu en plus un voyage dans le temps. Mais l'idée était là. Là, elle se contenterait une fois encore d'une photo et d'une bonne bouffée d'air frais, avant de repartir.
Encore fallait il pour cela que le paquet arrive.
En tant que pilote indépendante, Reese pouvait se permettre de ne pas trop s'en faire pour la cargaison qu'elle transportait, qu'elle soit matérielle ou humaine. Le plus souvent, des pièces importantes à apporter de toute urgence à l'autre bout de la planète, ou des scientifiques peu fortunés attendus à la conférence de leur vie. Des avions plus ou moins gros, selon les besoins. Ce jour-là, il s'agissait d'un jet de taille moyenne, contenant jusqu'à 20 personnes ou un container plein. Rapide et léger, voilà ce qu'était le contrat.
Il s'agissait toujours d'affaires légales, bien sûr. Elle ne souhaitait pas tremper dans les embrouilles, la tranquillité de vie et d'esprit étaient un luxe bien trop important à ses yeux. La cargaison était donc « réglo », mais pour une fois, il s'agissait d'un chargement un peu spécial.
Le copilote arriva et lui fit signe, suivi par l'équipe de militaires qu'elle était chargé d'amener de Johannesburg à Phoenix. Une dizaine de soldats, ou ce qui y ressemblait en tout cas, dont deux portant une espèce de glacière noire. Sourires aux lèvres, ambiance bon enfant, ils la saluèrent gaiement, certains avec des haussements de sourcil éloquents, des petits sifflets. Joueuse, elle applaudit et leur fit signe de monter à bord. Tous avaient l'air d'avoir été passé dans un sèche linge à pleine puissance, mais aucun ne semblait blessé. Les douze heures de vol seraient plus calmes, pensa-t-elle en grimpant dans le cockpit sous les yeux blasés de son copilote. Lui aussi avait l'air d'une loque. Elle ne compterait pas sur lui pour tenir les commandes le temps d'un petit somme, pas cette fois.
« Bonjour, Matthew Peters, je suis votre copilote aujourd'hui, dit-il d'une voix morne.
‒ Reese Guerin. Dure journée ?
‒ J'ai vu pire. »
Il lui lança un regard entendu, et elle put y lire TOP SECRET en grosses lettres rouges lumineuses. Pas de questions donc. Sans un mot de plus, elle enclencha les moteurs et quelques mètres de piste plus tard, ils étaient dans les airs.
Une fois l'avion stabilisé, elle passa en commande automatique et sortit de sous son siège un petit calepin et un crayon, et nota l'heure du décollage et l'altitude à heures fixes. Peters lui lança un œil curieux, puis sourit vaguement.
« C'est ça, l'organisation de la retraite, pour un pilote freelance ?
‒ On fait ce qu'on peut pour ne rien oublier. Les jobs au lance-pierre, c'est toute une stratégie, répondit-elle avec un hochement de tête amusé.
‒ Et ça paye bien ? Sans vouloir être indiscret...
‒ Quand son client peut se permettre les services d'un pilote et louer un avion, je ne vous cache pas que la rémunération est plutôt agréable. Vous par contre, vous n'allez pas me rapporter grand chose.
‒ Pas assez de rendement au poids ? Blagua-t-il.
‒ Les organismes civils payent mieux que les militaires, voilà tout... »
Elle s'excusa un instant pour se servir un café, puis décida que finalement, elle préférait tout aussi bien faire une sieste. Peters n'avait pas l'air de s'en faire pour ce qui était des commandes, alors elle alla se faufiler sur une couchette, dans le couloir menant au reste de l'habitacle, seule et au calme. Elle programma sa montre pour sonner une heure plus tard et ferma les yeux. Mais alors qu'elle commençait tout juste à trouver le sommeil, une violente secousse la remit sur ses pieds en moins de deux, et elle se précipita dans le cockpit. Peters était en train de se battre avec les commandes, tremblant et en sueur.
« Je suis redescendu pour voir où on en était, et d'un coup l'avion a commencé à vibrer, expliqua-t-il les dents serrées.
‒ OK, ne lâchez pas les commandes, on va essayer de remonter au plus haut possible le plus vite possible...
‒ Je vous ai appelé, vous étiez dans le coma ou quoi ?!
‒ Je ne pensais pas que vous seriez assez bête pour faire chuter un semi-supersonique à 8km d'altitude en troposphère ! Allez dire à vos hommes de s'accrocher, ça ne va pas aller mieux ! »
Elle s'assit et boucla sa ceinture, puis attrapa les leviers et entreprit d'effectuer les manœuvres pour élever l'appareil, tandis que Peters disparaissait dans l'avion, laissant la porte du cockpit ouverte. Elle entendit les autres passagers demander, plus ou moins inquiets, ce qui se passait avec l'avion.
Reese sentit ses mains moitir sur le le levier de commandes, et la sueur perler sur son visage. Le radioaltimètre indiqua dix kilomètres au dessus du sol, et elle lâcha un petit soupir : Il avait passé le pire en pénétrant dans la tropopause, mais les courants jets faisaient tanguer l'appareil.
Plusieurs cris retentirent soudain dans l'habitacle, suivis d'un crash et de hurlements affolés et douloureux. Elle sursauta.
« Peters ?! Qu'est-ce qui se passe ? Peters ?! »
Celui-ci tomba sur le chambranle de la porte, l'air terrorisé.
« Aidez-moi ! »
Elle le regarda tomber en morceaux, comme mangé par des gravats noirs et de la cendre, et poussa une exclamation lorsqu'une épaisse fumée noire pénétra dans le cockpit, bloquant sa vision et envahissant ses poumons. Paralysée, elle resserra sa prise sur le levier et toussa, et cracha aussi fort que possible, mais la fumée semblait avoir une volonté propre, celle de se glisser dans ses narines et sa bouche, et de se frayer un chemin jusqu'à ses organes. Elle cligna des yeux, et l'air était juste assez clair pour qu'elle voit son corps se transformer, comme Peters, en un gros bloc de granite noir.
« Non ! N... Oh m...Dieu... »
Elle n'eut le temps de rien dire d'autre quand la terrible fumée eut finit de la couvrir. Elle entendit, faiblement, les alarmes hurlantes dans l'avion tandis que l'avion piquait, puis plus rien.
« C'est pas très fun de tourner en rond, n'est-ce-pas ? »
Daisy Johnson eut droit à un regard vide et un haussement de sourcil, avant que son interlocuteur ne se remette à frapper dans le punching ball d'un seul poing. Après plusieurs semaines de semi-silence, elle en avait l'habitude. Elle était l'une des rares personnes qui essayaient de communiquer avec le nouvel hôte de la base « Playground » du S.H.I.E.L.D., mais la plupart du temps, ils se cantonnaient aux civilités d'usage. Il n'était pas bavard. Cela dit, personne ne pouvait le lui reprocher, étant donné qu'il était plutôt un « prisonnier en liberté » qu'un vrai agent.
Mais pour quelqu'un qui avait assassiné des dizaines de personnes au cours des dernières décennies, James Buchanan « Bucky » Barnes ne s'en sortait pas trop mal ici.
« Je ne suis pas vraiment le genre à rester sans rien faire, répondit-il finalement en attrapant le sac de sable pour l'arrêter de balancer.
‒ Quoi, vous avez déjà fait le tour de tout ce que Fitz vous a filé à regarder ? Votre culture ne sera vraiment acceptable que lorsque vous aurez fini les dix saisons de Friends, vous le savez ? »
Elle blaguait. Bien sûr qu'elle blaguait. Elle et quelques autres agents étaient suffisamment détendus autour de lui pour se permettre de le considérer comme un être humain normal.
Peut-être parce qu'ils savaient qu'eux avaient le pouvoir de le mettre hors d'état de nuire, si le besoin s'en faisait sentir.
« Je n'ai jamais été très cinéma. Tu veux peut-être que je te laisse la place ?
‒ Non, non euh, je suis juste passée pour vous dire que... Enfin, vous êtes attendu là-haut.
‒ C'est aujourd'hui ?
‒ Je pense, oui. Mais je suis sûre que ça va bien se passer ! On a tous exprimé notre avis sur votre venue et les dernières semaines, et honnêtement, je ne pense pas que quiconque soit en désaccord avec votre présence ici, alors...
‒ Fitz sursaute. À chaque fois que je le croise.
‒ Fitz est...Fitz. »
Bucky fit un sourire maigre et débanda sa main, hochant la tête.
« Merci de me prévenir.
‒ Pas de quoi. »
Il prit une douche rapide, enfila T-Shirt noir sur pantalon noir, attacha ses cheveux en catogan et fit son possible pour rester calme et inexpressif en allant vers le bureau du directeur pour recevoir sa sentence.
Cela faisait presque trois mois qu'il se trouvait réfugié dans le Playground, à l'écart du monde et des détracteurs et des chasseurs de tête. À la demande des Avengers ‒ et plus particulièrement Steve Rogers ‒ , il avait été placé sous la surveillance à couvert de Phil Coulson et de ses équipes d'agents, et il n'avait absolument rien fait depuis. Bien sûr, il ne s'attendait et ne voulait pas non plus faire partie de l'équipe de super-héros de son vieil ami, car trop de rancoeurs planaient encore et, il fallait l'avouer, le monde n'était pas prêt à lui pardonner tous ses péchés. Ce n'était pas non plus le cachot, mais il avait espéré pouvoir être utile rapidement. Au lieu de ça, seules les séances d'entraînement en solo et les heures de réhabilitation psychologiques remplissaient son planning journalier. Aujourd'hui était quitte ou double : Il pourrait reprendre du service comme être enfermé dans une cellule.
Il toqua à la porte du bureau du directeur, et au lieu du typique « entrez » de Phil Coulson, la porte s'ouvrit, révélant l'agent May. Elle le regarda de haut en bas et lui fit un signe de tête pour qu'il entre. Il leva les yeux vers le mur du fond sur lequel était affichée, en deux mètres sur trois, le visage de Captain America. Pas Steve, son ami, celui qui soupirait lorsqu'il lui tendait la boîte à thé, trop haute pour lui à l'époque, celui qui lui donnait des coups de poing dans l'épaule pour le faire taire sur la « poupée qu'il avait fait danser la veille ». Son ami Steve était enterré très loin sous les couches de responsabilité et de devoir du héros et leader des Avengers. Il se permit tout de même un demi-sourire et un « Salut, Buck », puis reprit son masque de fermeté. Le directeur Coulson, lui, était plus détendu malgré sa raideur habituelle le concernant. Il se plaça en face du directeur, les mains nouées dans son dos, les pieds légèrement écartés dans une position millimétrée et militarisée.
« Sergent Barnes, j'espère que vous avez passé une bonne matinée.
‒ Jusque là, Monsieur. » Tout dépendra de ce qui va suivre, bonhomme, s'empêcha-t-il d'ajouter.
‒ Le capitaine Rogers et moi avons longtemps discuté sur votre réhabilitation, et bien qu'en désaccord sur beaucoup de points... » Il leva les yeux vers l'écran dans le dos de Barnes et dans ses yeux flottait une petite lueur amusée, « ...Nous en sommes arrivés à la conclusion que vous garder au sein du S.H.I.E.L.D était dans votre meilleur intérêt. Bien évidemment, cela dépend également de vous, et je comprendrais vos réticences quant à notre organisation, vu votre passé. Sachez aussi que vous êtes, à compté de ce moment, un agent en bonne et due forme, voué à effectuer diverses missions au sein de nos équipes. Je ne vous garantis pas les plus délicates, mais vous n'aurez plus à réduire à néant notre effectif de sacs de sable. La question est de savoir si vous voulez de ce travail, et si vous vous sentez suffisamment investi. »
Agent. Missions. Investi. Cela sonnait bien mieux que tout ce qu'il avait imaginé devoir subir à cause de ses dernières décennies de tueries et de tromperies.
« Buck, tu te sens capable de replonger là dedans ? On ne te forcera à rien, mon vieux. »
La voix du capitaine avait repris quelque chose de Steve, et il s'attendait presque à se retourner pour découvrir le petit homme pâle aux yeux incendiaires qui lui venait souvent en rêves, la nuit. Il se tourna légèrement, les mains dans le dos, et il laissa le jeune homme fougueux des années quarante faire surface dans un sourire.
« L'engagement, c'est tout ce que je connais, Steve. Alors ça m'a l'air d'être une bonne affaire.
‒ Dans ce cas, ne tardons pas à conclure ça, reprit Coulson en posant sur la table un portefeuille en cuir noir et une pile de feuilles sous un stylo.
‒ Tu fais le bon choix, Bucky. Tu peux faire confiance à Coulson, je lui confierai ma vie.
‒ Pas d'arme de poing ? Remarqua Barnes en rangeant le portefeuille du badge dans sa poche.
‒ Je pense que vous aurez assez de cette arme-là, répondit le directeur avec espièglerie en pointant le bras de métal du doigt. Je m'y connais. »
Il signa, non sans jeter un œil à la main gauche de l'homme, qu'il savait bionique. Le recouvrement épidermique était un travail de Maestro, et il savait que l'équipe tech était en train de créer un prototype pour son propre arme, mais il ne savait pas encore s'il en voudrait ou pas. Il tendit le contrat à Coulson, qui lui serra la main.
« Bienvenue dans nos rangs, Agent Barnes.
‒ Merci, Monsieur. »
Ils allaient se tourner vers Rogers, lorsque Daisy ouvrit la porte à la volée.
« Monsieur, on a un problème ! »
Coulson et Rogers échangèrent un regard entendu, puis l'écran devint noir, sans un signe pour Barnes. À la place, une carte du monde et les coordonnées d'un objet volant « S.P.O.084 » s'animèrent, pour s'arrêter au milieu de l'atlantique.
« On a perdu la liaison avec l'équipe de Peters, le signal de détresse a été envoyé même pas trente secondes plus tôt, expliqua rapidement Daisy, en pianotant les doigts de sa main gauche sur la tablette dans ses mains. Voila tout ce qu'on a récupéré de la caméra embarquée dans les lunettes de Peters. »
L'image saccadée et sursautant d'une épaisse fumée noire réduisant une dizaine de soldats en cendres dans l'habitacle d'un avion joua devant eux, puis du flou, et soudain de la lumière, une femme aux commandes qui regarde l'objectif, l'air horrifiée, et dans le brouhaha des cris de douleur, un « Aidez-moi » terrifié. Puis, la fumée noire et les hurlements de la même femme avant le néant. Trente secondes de chaos et de douleur.
« Et merde ! Cracha Coulson entre ses dents serrées.
‒ Les coordonnées GPS sont formelles, mais c'était il y a déjà plus d'une heure, et le temps d'y aller, on n'y sera pas avant au moins six heures, expliqua Daisy.
‒ Prenez un Quinjet et une équipe de secours, je fais mon possible pour dépêcher un escadron de recherche adapté à la catastrophe. Il faut qu'on écarte les autorités qui viendront se présenter. Barnes. »
Il décolla les yeux de l'écran et croisa le regard avec son directeur.
« Préparez-vous. Votre première mission de sauvetage se passera avec Daisy. Décollage dans quinze minutes.
‒ Oui, monsieur, firent les deux nommés en cœur, avant de sortir et de courir vers le hangar.
‒ Qu'est ce que c'était que cette fumée ? Demanda Barnes sans s'essouffler.
‒ C'est ce qui se passe lorsqu'on brise un cristal terrigène Kree, normalement ils sont fait pour transformer les inhumains mais... Sur ceux qui n'ont pas le gène Kree...
‒ Je vois. Kree, hein ? Alien ? Comme toi et Yoyo ?
‒ C'est à peu près ça. »
Elle se posa aux commandes et entra les coordonnées d'arriver, tandis que lui enfilait une veste que lui tendit un réserviste, et qu'un autre rangeait nourriture et produits de premier secours dans les compartiments du Quinjet.
« L'équipe de Peters était censée récupérer une caisse qu'on avait réussi à localiser à Johannesburg, continua-t-elle. Ils avaient fait le plus dur, ils ont repris la caisse à un vendeur sans grande violence, pourtant.
‒ Qu'est ce qui aurait causé ça ? Une mutinerie ? Ou un problème technique ?
‒ C'était pas un de nos avions, alors je n'ai aucun moyen de savoir si l'engin avait un souci ou non, mais crois-moi, on n'avait que des bons gars dans cette équipe. Des agents bien plus expérimentés que toi et moi... Enfin, que moi. »
Elle s'efforçait visiblement de ne pas le froisser, sans savoir que rien de ce qu'elle aurait pu dire ne l'aurait blessé. Un homme qui se mettait à terre tout seul ne craignait pas les coups extérieurs. Les réservistes lancèrent un « go ! » et sortirent, et Daisy verrouilla immédiatement la trappe et le cockpit, puis enclencha les gaz.
« Alors la mission c'est quoi, récupérer les cristaux si on le peut ?
‒ Ha, et comment, en plongeant dans l'océan pour récupérer la boite au fond ? »
Barnes la regarda avec des yeux inexpressifs et elle perdit pied un instant.
« Tu veux dire que... Tu pourrais... Tu envisageais vraiment de ? Non, non ! Une équipe de recherche va s'occuper de ça avec des machines et des mini sous-marins et des trucs à la Titanic, enfin c'est comme ça que je me le suis toujours imaginé... Tu comptais vraiment plonger et récupérer ça sous l'eau ?
‒ Pas de cristaux, et visiblement les corps vont être difficiles à récupérer, alors notre mission c'est quoi ? Coupa-t-il, ignorant délibérément son air ahuri.
‒ En théorie, il n'y a pas de survivants, mais si par hasard il y en avait ne serait-ce qu'un... »
Elle le regarda avec éloquence et il comprit. Ils étaient à la recherche d'un possible élu. D'une chance sur un million que dans cet avion se soit trouvé, ignorant et désemparé, un inhumain dormant.
Du bleu. Du bleu à perte de vue, du bleu et le silence, et l'odeur de sel et le feu du soleil.
Reese n'osait plus ouvrir les yeux. La première fois qu'elle l'avait fait, elle était sous l'eau, le corps piégé dans un cocon de granite noir, et elle voyait l'épave de son avion couler et les corps se dissoudre au milieu des remous. Elle s'était battue avec elle-même pour sortir de sa camisole rocheuse, et quand finalement tout ce qui en resta fut un buste et une jambe, elle entreprit de nager vers le monde sec, avant que ses poumons n'explosent. Elle n'avait pas vu la fin de son périple, sombrant à nouveau dans les ténèbres avant la bouffée d'air salvatrice. Se croyant finie, se croyant perdue.
La deuxième fois, elle ouvrit les yeux et à la seconde même où le soleil lui fit face, elle inspira et toute l'eau qui avait trouvé logis dans ses poumons décida de se faire la malle. Elle roula sur le côté et vomit, le nez encombré, la panique de ne pas pouvoir reprendre son souffle la prenant par le cœur. Elle tâtonna du dur sous elle, oeilla le morceau d'épave sur lequel elle avait atterri, mais ses yeux devaient la tromper, car tout ce qu'elle voyait était de l'eau, et de l'eau, et de l'eau. Et le soleil qui réagissait avec le sel pour créer un masque de feu sur son visage, et du sang dans la bouche, et oh Seigneur oh pourquoi, pourquoi avait-elle si mal au bras ?
La troisième fois qu'elle se résigna à voir, elle fut aveuglée par la lumière et le remous des vagues lui donna envie de vomir. Il paraissait que c'était pire de voir le remous que de le sentir, quand on avait le mal de mer. Elle savait que pour elle, en tout cas, c'était véridique. Elle n'osait plus bouger et l'eau était froide, ses vêtements collés à son corps et son dos trempé, baignant dans la mer, et elle sentait qu'elle avait perdu une chaussure. L'autre était imbibée d'eau et elle aurait aimé avoir la force de l'ôter. J'aurais ptet' dû acheter des Geox, se dit-elle. La chaussure qui respire ! Et qui ne laisse pas entrer l'eau ! J'aurais eu un pied au sec. Elle s'imagina son autre chaussure, au fond de l'océan, habitée désormais par une famille de Bernard-l'hermite.
Elle s'imagina des requins. Elle s'imagina Martin Brody sur son radeau de fortune, la regarder se faire déchiqueter par un grand blanc en lui intimant qu'il lui aurait fallu un plus gros bateau. Elle pensa à Peters et son visage ravagé par la fumée, et se demanda pourquoi elle avait survécu. Et à quoi ça servait, vu là où j'en suis, ajouta-t-elle tout haut. Ptet' que mourir dans le crash aurait été une meilleure fin. J'aurais jamais imaginé finir bouffée par un requin. Enfin, j'aurais jamais imaginé que ça pouvait arriver un jour. Ou alors séchée comme une tranche de bacon vieille de trois jours sur un bout de rafiot. Au moins les mouches viendraient pas me bouffer, mais les poiscailles...
Tout cela bien sûr elle pensa l'avoir dit tout haut et aussi clairement qu'un présentateur radio, mais ils n'étaient en réalité que des petits sons sans consonnes, car ses lèvres étaient trop sèches et douloureuses pour les bouger correctement. Bouger les yeux aussi était douloureux, alors elle les ferma pour la quatrième fois et se dit qu'elle ne les ouvrirait plus. Il n'y avait plus rien à voir. Cela ne l'empêcha pas de pleurer, en pensant à ses parents, à ses proches et à toutes ces villes qu'elle s'était dit qu'elle visiterait finalement. Elle aurait voulu piquer une crise comme une gamine de quatre ans dans une allée de jouets au supermarché, mais elle n'avait pas la force de faire de grands gestes, et elle préférait mourir sur sa planche de pacotille. Elle avait suffisamment de force pour hurler, cela dit, et elle hurla, les lèvres à peine ouvertes, et frappa du poing sur son ventre, sa cuisse, sur son radeau. Et quand elle n'eut finalement plus la force de hurler non plus, elle resta immobile en attendant que la mort la prenne.
Elle y était presque, elle le sentait, mais quelque chose l'empêchait de partir en paix. Le soleil avait décidé de la rôtir avant le grand final, et la chaleur était aussi forte qu'un sèche cheveux en pleine figure.
Le soleil faisait le même bruit qu'un sèche cheveux dans la figure.
Alors, brisant ses promesses de mort aveugle et paisible, elle ouvrit les yeux pour la quatrième fois et observa avec une curiosité passive le gigantesque homme de métal qui tombait du ciel.
« On arrive sur position, Barnes ! J'amorce la descente... »
James Barnes reboucha la bouteille d'eau dans sa main et la reposa dans le bac à ses pieds, puis alla se rasseoir à la place du copilote, scannant l'immense marée de bleu sous le jet. Cela faisait bientôt sept heures qu'ils étaient partis, et le soleil se coucherait dans deux heures. Ce qui signifiait qu'ils n'avaient pas bien longtemps pour trouver quoi que ce soit.
« Les données géographiques sont précises ? Demanda-t-il en observant l'eau.
‒ à un kilomètre près, et on arrive tout juste sur zone, mais la mer est calme alors l'avion ne devrait pas avoir dérivé trop loin...
‒ On ne trouvera pas l'avion, il est déjà englouti. Il faut qu'on trouve un remous, une tâche dans tout ce bleu...
‒ Comme ça ? Coupa-t-elle en pointant du doigt un petit point noir.
‒ Exactement. »
Ils volèrent jusque là, et aussi distincte qu'une punaise sur un mur blanc, le pilote de la vidéo était là, flottante sur l'eau avec un bras sur le ventre et les jambes écartées, le visage en sang et une chaussure en moins.
« Barnes, stationnez l'avion, je desc... Hé ! »
Daisy n'eut pas le temps de se lever de son siège, que Bucky avait déjà déroulé la corde noire de la bobine au plafond de l'appareil, et actionné l'ouverture de la trappe à ses pieds. Il passa sa main humaine et son pied dans deux triangles soudés au treuil.
« Stabilise l'avion et quand je l'ai, remonte-nous !
‒ Vous êtes resté inoccupé bien trop longtemps ! Blagua-t-elle en enclenchant la stabilisation.
‒ Tu n'as pas idée. » Il appuya sur le dérouleur et se laissa tomber par la trappe, descendant rapidement à l'aide de la bobine.
Il avait les yeux braqués sur elle et se demanda si elle était morte, ce jusqu'à ce qu'elle entrouvre finalement les yeux, un air fatigué mais aussi exaspérée sur le visage. Il connaissait cet air-là. C'était le même que celui qu'il se lançait dans le reflet de la vitre de sa chambre cryogénique, à chaque réveil. T'es encore en vie, toi ? Tu pourrais pas juste caner, et on en parle plus ? Puis elle sembla retrouver une étincelle de conscience et finalement un peu d'espoir, et lorsqu'il arriva sur elle, bras métallique tendu, elle poussa une exclamation derrière des dents fermées et, comme si le sol sous elle s'était effondré, elle s'enfonça dans l'eau d'un coup. Bucky poussa un juron, et les pieds en avant, il lâcha la corde et plongea lui aussi pour pouvoir la récupérer. Son oreillette grésilla au contact de l'eau, il la retira d'un geste, puis attrapa la jeune femme par le thorax pour la remonter. Ils percèrent la surface et il attrapa le treuil à la volée, trouva le triangle avec son pied, et à l'aide de son bras bionique, il plaqua la jeune femme contre lui pour remonter, malgré les gémissements qu'elle arrivait à pousser. Tu es blessée, j'ai compris, mais là on n'a pas le choix, pensa-t-il en pénétrant de nouveau dans le Quinjet. La trappe sous lui se ferma et il posa enfin pied par terre, et aussitôt amena la rescapée sur le lit de fortune qu'on réservait aux blessés. Daisy le poussa gentiment hors de son chemin et se connecta immédiatement à l'équipe médicale au sol pour effectuer les manœuvres de premier secours. Prétextant la pudeur, il la laissa couper les vêtements mouillées de la jeune femme et alla s'asseoir dans le siège du pilote, désactivant la stabilisation pour rentrer à la base. Elle entendait sa partenaire du jour essayer de rassurer la rescapée, tandis que l'agent Simmons lui ordonnait de « palper les membres pour tout signe de gonflement ». Au bout d'une demie-heure, elle revint s'asseoir à côté de lui et soupira.
« Elle est en vie. Elle est en vie et à part un bras cassé et une déshydratation extrême, j'imagine qu'elle va bien. »
Bucky comprit très clairement le sous-entendu et hocha la tête.
« Elle est inhumaine ?
‒ Elle est inhumaine. »
Reese se réveilla au son fracassant d'une porte qui claque, et sursauta. Ses yeux embrumés discernèrent une seule porte dans la pièce dans laquelle elle se trouvait, et ce n'était qu'une vitre coulissante. Elle avait sans doute simplement rêvé.
Le bip monotone du cardiogramme indiquait qu'elle était en vie, et cela malgré tout ce qu'elle avait imaginé la dernière fois qu'elle s'était réveillée. À présent, elle était au sec, et la lumière était tamisée, et sa peau n'était pas un masque salé et irritant. Elle n'avait plus mal au bras, mais à vrai dire elle n'avait plus mal nulle part, plus aucune sensation. Jetant un regard à son bras, elle s'entendit lâcher un petit ricanement devant la perfusion de fentanyl et laissa retomber sa tête sur l'oreiller. Elle n'avait absolument aucune idée d'où elle était et comment elle avait atterri là, mais la drogue faisait suffisamment effet pour qu'elle s'en foute complètement.
Mais elle avait soif, cela dit. Depuis combien de temps n'avait-elle pas bu ? Combien de temps avait-elle passé seule au milieu de l'Atlantique ? Et puis dans ce lit d'hôpital ? Il y avait trop longtemps qu'elle n'avait pas bu. Il devait bien y avoir de l'eau quelque part, se dit-elle en relevant la tête et elle passa en revue la pièce. Et en effet, il y en avait, là sur la tablette, à peine plus loin qu'une longueur de bras, un verre qui l'attendait à moitié plein. Elle n'avait plus qu'à l'attraper. Avec précaution, elle glissa tout à gauche du lit et pria pour ne pas basculer, puis tendit le bras pour attraper le verre. Il lui aurait fallu un deuxième avant-bras. Elle n'avait jamais remarqué que ses bras étaient aussi courts.
« Allez... De l'eau, allez ! » s'énerva-t-elle dents serrées, les doigts tellement tendus qu'elle risquait la crampe. Et juste au moment où elle allait abandonner, la plus étrange des choses se produisit.
Comme un chien ayant vu le postier arriver par la fenêtre, le liquide dans le verre se mouva sur le bord et commença à grimper pour glisser jusqu'à l'extérieur, telle une boule de gelée. Reese sentit sa respiration se couper d'étonnement, et, la main toujours tendue, elle regarda se dérouler la petite chose jusqu'à ce que l'eau effleure la phalange de son majeur. Le contact la sortit de sa transe et elle sursauta, et l'eau tomba à terre en une flaque tout à fait régulière. Elle leva la tête et regarda alentours, s'attendant à voir quelqu'un la pointer du doigt en riant, à côté d'un cameraman et d'un présentateur de gag show gominé. Mais non, il n'y avait personne dans la chambre ou derrière la porte vitrée et l'eau du verre avait bel et bien coulé toute seule. Elle reporta son attention sur la flaque et son reflet dans celle-ci. Cela dit, j'ai toujours soif, se dit-elle.
À peine eut-elle pensé ces mots que la flaque se mouva à nouveau, cette fois-ci décollant du sol en un stalagmite, puis elle roula dans les airs en une boule, jusque devant les yeux de la jeune femme.
« Ce n'est pas...Normal. » constata-t-elle lentement, la voix enrouée. Et à chaque mot, la surface de la boule vibra, comme si le signal verbal la parcourait en ondes. Elle se mit à jeter des « ah » et de « oh » pour évaluer le phénomène, puis une image lui revint en mémoire : La mer, bleue à perte de vue, et elle, flottant au dessus, sur un panneau qu'elle pensait ne pas arriver à voir sous elle. Mais peut-être qu'elle ne l'avait pas vu parce qu'il n'y avait rien à voir. Peut-être avait-elle flotter sur la surface comme sa voix flottait sur la boule d'eau, induisant de petites vaguelettes. Peut-être même fallait-il qu'elle se rende à l'évidence que...
« C'est moi qui fait ça. »
L'eau vibra comme pour acquiescer, et un léger « paf » la fit se tourner vers la porte. Une autre masse d'eau s'était écrasée contre la vitre et glissait à présent dans l'interstice pour se faufiler dans la chambre. Reese sortit de son lit, ôta avec précaution l'intraveineuse de son avant-bras, mais laissa la sonde cardiaque sur son doigt de la main droite et marcha lentement vers le centre de la pièce où l'eau venait la rejoindre, comme un chien bien élevé. Elle s'accroupit, ressentant une douleur infime dans le ventre ‒ merci Fentanyl ‒ et avança la main gauche pour caresser la boule d'eau, qui s'était accouplée à celle qui venait du verre. Elle tendit la main, paume vers le haut, et la boule y reposa, vibrante entre ses doigts. Elle lâcha un petit rire, et des papillons secouèrent ses tripes. Drogues douces, que ferais-je sans vous ? Se demanda-t-elle en remuant la main autour du globe, s'attendant à ce qu'il tombe au lieu de flotter comme il le faisait. Elle se releva en tenant l'eau en lévitation dans sa main, et l'admira quelques minutes, jusqu'à ce qu'elle sente une petit goutte s'écraser sur son front et rouler sur son nez. Elle l'essuya lentement et leva la tête pour voir d'où venait la fuite, et l'air se bloqua dans sa trachée.
Le plafond était recouvert d'eau, de l'eau dont elle ignorait la provenance, de l'eau qui stagnait en une couche épaisse, et descendait le long des murs, et commençait à se tisser comme une toile d'araignée dans les coins. Ça, elle ne pensait pas que ça venait d'elle, et pourtant, elle ne savait pas encore à quel point ses capacités allaient la terrifier. Elle entendit le cardiogramme s'énerver et vit littéralement son cœur paniquer sur les trémolos à l'écran, et la sphère d'eau qui volait tout à l'heure devant elle comme un animal de compagnie explosa soudain, lui tirant un cri et un geste de recul. Elle s'entendit appeler à l'aide, mais sa vision de l'extérieur de la porte était floutée par la quantité d'eau qui s'étirait sur la vitre. Elle entendit le crac du verre et puis, enfin, trois silhouettes apparurent et la porte brisa en morceaux, et l'eau s'enfuit en un feu d'artifice dans la chambre, tournoyant.
« Aidez-moi ! » cria-t-elle tandis que l'eau fouettait ses jambes, tapait contre les murs et les vitres et rebondissait partout dans un brouhaha chaotique. Elle discerna une jeune femme, qui tentait de lui crier quoi faire, mais elle n'entendait rien à part le splash de l'eau et les bips intempestifs du cardiogramme. Elle vit un éclair et un petit homme pointa les appareils à un homme plus grand, qui hocha la tête. Celui ci n'hésita pas une seconde et courut dans la chambre en direction des appareils. Reese n'eut pas le temps de voir ce qu'il faisait, car d'un coup, son corps ne répondit plus et ses jambes se dérobèrent sous elle. C'est un cauchemar, pensa-t-elle alors qu'elle heurta le sol violemment, l'arrière de son crâne rebondissant sur le béton. Les yeux grands ouverts, elle sentit tout son corps se contracter, et fut prise de violentes secousses, tous ses muscles voulant se réveiller et s'agiter, y compris sa langue, et ses jambes, et même son bras endolori. Elle se sentit glisser hors de son contrôle, et toute l'eau du plafond et des murs tomba d'un seul mouvement sur le sol avec fracas. Un corps était apparu dans la fraction de seconde qu'il fallut à l'eau pour atteindre le sol, et elle revit le même éclat brillant de métal que celui de l'hélicoptère. Ses yeux roulèrent dans leurs orbites et elle sentit l'eau s'agiter autour d'elle, et n'entendit plus rien à part le bruit des gouttes et quelques mots près de son oreille.
« ….Rin si...lmez pas...devoir...ommer...entendez? »
Son dos arqua et elle s'entendit émettre un bruit digne du Grudge, puis elle vit une main. Et le noir.
« Aaah l'eau, l'eau va, il faut débrancher les appareils, elle va s'électrocuter ! »
Léo Fitz pointa du doigt le cardiogramme affolé et les étincelles qui sortaient déjà des prises derrière le lit, et Bucky hocha la tête et courut aussitôt pour aller les débrancher. Il tira sur les câbles, arrachant la prise du mur, et se tourna au son d'un corps heurtant le sol pour voir la jeune femme convulser sur le sol mouillé. Elle s'arrêta un instant et ses yeux s'écarquillèrent, et il vit l'eau se décoller du plafond comme des ballons de fête sans filet. Il glissa sur le sol et la couvrit de son corps, bras de métal en l'air, et il la vit rouler des yeux et convulser de nouveau. Il risqua un œil vers Fitz et Simmons, qui n'osaient pas le rejoindre à cause des projectiles aqueux dans la pièce, et se tourna vers la rescapée pour lui parler.
« Madame Guerin, si vous ne vous calmez pas, je vais devoir vous assommer ! Vous m'entendez ? »
Elle s'éleva soudain du sol et un son guttural sortit de sa gorge, alors il prit sa décision. Il lui donna un coup sur le côté du crâne, du plat de la main, et elle tomba inerte, tout comme l'eau qui tournoyait dans la pièce. Il resta quelques secondes la main en l'air, puis tourna la tête vers les deux scientifiques tétanisés.
« Dites-moi que c'était une bonne idée.
‒ C'était...
‒ Ben...
‒ ...Pas une si mauvaise idée, je crois. Simmons ?
‒ On va la remettre sur pied en un rien de temps ! »
Bucky soupira et les aida à remettre la jeune femme sur le lit, puis ils la déplacèrent dans l'une des unité de confinement à disposition, sous le contrôle de deux autres agents. Ils eurent à peine le temps de se sécher et de signaler l'incident, et l'agent Melinda May se présenta à eux dans les dix minutes pour un débriefing. Enfin, un genre de débriefing.
« Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'elle transforme sa chambre en aquarium ?! Demanda-t-elle d'un ton sévère.
‒ Eh bien, il semblerait qu'elle ait, comme tous les inhumains jusqu'à maintenant, découvert ses pouvoirs immédiatement à son réveil, commença Simmons.
‒ Oui, continua Fitz, on a récupéré les images de la caméra de sécurité pour voir ce qui s'est passé, et...
‒ Elle a paniqué, finit Bucky. Elle ne s'est même pas rendue compte de ce qu'elle faisait. »
Derrière eux sur l'écran de l'ordinateur, Les images montraient et remontraient Reese Guerin, debout dans la salle de réveil, appelant à l'aide les mains sur les oreilles, visiblement terrorisée. May hocha la tête, la mâchoire serrée.
« Barnes, pourquoi étiez-vous là ? Demanda-t-elle soudain et Bucky fut momentanément à court de mots.
‒ C'est ma première mission de sauvetage depuis... 1944, au moins. Je n'avais rien d'autre de prévu, alors je me suis dit que j'irai la voir.
‒ Et on a discuté dans le labo, jusqu'à ce qu'on entende du bruit, intervint Fitz, les bras croisés sur son torse.
‒ Très bien. Je vais en informer Coulson, en attendant, surveillez-la et dès qu'elle se réveille, appelez Daisy. »
Ils hochèrent tous la tête. En vérité, Bucky était venu voir la jeune femme, mais il était resté avec Fitz pour discuter d'une possible amélioration de sa prothèse de métal. Ça, l'agent May n'avait pas besoin de le savoir, car elle pourrait en tirer de mauvaises conclusions. Tout le monde avait la sale habitude de tirer des conclusions hâtives à son propos, et demander un recouvrement effet seconde-peau sur son bras pourrait le mener tout droit chez le psy de la base pour « haine de soi ».
Il n'était pas non plus bien dans sa peau, certes, mais le prendre avec des pincettes à tout bout de champ n'était pas ce qui allait l'aider.
« Je vais montrer ça à Daisy pendant que les tests sont en cours, annonça Simmons avant de partir elle aussi.
‒ Je devrais aller surveiller la euh...
‒ Laisse, coupa Bucky, je vais y aller. J'ai rien d'autre à faire de toute façon. »
Sans attendre de réponse, il se dirigea vers les salles de confinement. Un ingénieur fit un faux mouvement, et son calepin vint heurter son bras gauche. Le « clang » du métal retentit dans le couloir et l'ingénieur s'immobilisa, les yeux fixés sur le visage de Bucky. Visiblement terrorisé. Celui-ci baissa les yeux, se racla la gorge, et continua son chemin, les dents serrées.
Il y avait des réputations dont on se passerait bien.
« Peters... »
Bucky leva les yeux vers Reese et la vit ouvrir les yeux. Ses bras tressautèrent contre les liens qui la tenaient attachée au lit. Il alla à côté de la porte et appuya sur le bouton d'appel, puis se rapprocha du lit.
« L'eau... »
Elle ouvrit les yeux et ses pupilles cherchèrent de droite à gauche, et le cardiogramme s'affola.
« Madame Guerin, vous êtes saine et sauve, mais il faut que vous vous calmiez, maintenant, dit-il d'une voix qu'il aurait voulu douce, mais qui claqua comme un fouet. Il avait besoin de plus d'entraînement.
‒ Peters est mort ? L'équipe... Ils sont morts ?
‒ Votre avion s'est crashé dans l'océan, on vous a récupéré. Il n'y avait plus que vous. »
Le bip du cardiogramme était toujours bruyant, mais la lumière était faible et à part la douleur dans son bras et derrière la tête, elle n'avait aucune raison d'être inquiète. Elle était saine et sauve.
Sauf qu'elle se rappela de la petite sphère d'eau flottant dans les airs.
« Je ne voulais pas... Tout à l'heure, l'eau... Qu'est ce qui s'est passé ?
‒ Je ne suis pas le mieux placé pour vous expliquer ça, mais quelqu'un arrive.
‒ Vous êtes vachement rassurant, dis donc. »
Il était peut-être trop tôt pour les missions de sauvetage, finalement, se dit-il. Il était bien trop radical de passer de tueur de sang froid à sauveteur volontaire. Il n'avait pas l'empathie, ni le ton, ni le savoir faire pour ce genre de petites discussions. Bien sûr que non, il n'était pas rassurant, parce qu'il n'était pas rassuré non plus.
« C'est vous, l'éclat brillant. »
Il reporta son attention sur elle et vit qu'elle avait les yeux fixés sur sa main gauche, la seule partie de sa prothèse visible sous le shirt à manches longues qu'il portait.
« Pardon ? Fit-il tout de même, ne sachant comment répondre.
‒ Vous êtes celui qui m'a récupérée. Vous étiez dans l'hélicoptère et dans la chambre, n'est-ce-pas ?
‒ ...Je euh... Oui.
‒ Vous êtes super loquace. »
Il ne savait pas s'il devait le prendre mal ou pas, mais elle n'avait pas l'air hostile ou même méchante. Elle avait juste l'air de vouloir se rassurer. D'après ses propres expériences, être attaché à un lit avec des aiguilles dans le corps était loin, très loin d'un week-end idéal.
« Quelqu'un va arriver.
‒ Vous l'avez déjà dit, dit-elle les yeux fixés au plafond, plus pour lui faire remarquer que pour le taquiner.
‒ Le docteur Simmons est très douée...
‒ Je fais voler de l'eau. Par la pensée. C'est bien ce que c'est, je... Je contrôle l'eau. Par la pensée. »
Bucky ne répondit rien, les mains derrière le dos, le regard fixé sur le pied du lit d'appoint.
« Enfin, contrôler est un bien grand mot, hein ? Parce que refaire la scène de la salle de bain du Cercle 2, c'était... C'était pas du contrôle. »
Elle émit un rire nerveux et se mordit la lèvre pour s'empêcher de parler ou de pleurer. La porte s'ouvrit à cet instant et Bucky relâcha la respiration qu'il avait bloqué depuis trente secondes. Il alla se placer au fond de la salle de confinement et laissa la place au bord du lit à Simmons et Daisy. Le directeur Coulson entra également. Toute une délégation pour une survivante qui n'était pas membre du SHIELD.
« Mademoiselle Guerin, je suis Phil Coulson, directeur du SHIELD, et voici l'agent Daisy Johnson et le docteur Simmons. Vous avez déjà rencontré l'agent Barnes. »
Elle jeta un œil à Bucky et il réalisa qu'il ne s'était pas présenté. Mauvaise habitude. Il devrait apprendre à réutiliser son nom.
« Brièvement oui. Après tout, il m'a juste sauvé la vie, répondit-elle avec un léger trémolo dans la voix. Pourquoi est-ce que j'ai atterri au SHIELD ? Et puis, ça existe encore, ça ?
‒ Oui, ça existe, assura Coulson avec un demi sourire. Nous vous avons récupéré car l'équipe que vous aviez à bord de votre semi-supersonique était des nôtres. Nous étions votre employeur pour cette mission. Nous estimons vous devoir des réponses, et nous sommes ici pour vous les fournir.
‒ C'était quoi ? Je veux dire, l'avion a eu des turbulences, et j'étais en voie de le redresser, mais ensuite il y a eu cette fumée... On aurait dit qu'elle... Que ça les a mangé. »
Elle vit le visage de Peters partir en lambeaux noirs et cligna des yeux pour chasser ces images. Coulson lança un regard à l'agent Johnson, qui se racla la gorge.
« C'est ce qu'on appelle des cristaux terrigènes. Ils ont été conçus pour amorcer la transformation de toutes les personnes porteuses de gène Kree pour leur donner des capacités inhumaines. Sur un individu non porteur du gène, par contre...
‒ Le cristal se transforme en fumée, pour créer un cocon autour du détenteur du gène, mais sur tout autre personne, la fumée agit comme un parasite et désintègre les tissus, expliqua Simmons de sa petite voix fluette.
‒ Vous avez déjà entendu parler des inhumains, n'est-ce-pas ? Demanda Coulson, et Reese hocha la tête.
‒ C'est comme ça qu'ils viennent à renaître. Notre équipe avait récupéré une caisse à un marchand d'armes à Johannesburg et devait la ramener ici, mais malheureusement il nous a été impossible de leur déléguer un moyen de transport. Nous avons été obligé de démarcher un pilote civil et privé pour les rapatrier...
‒ Moi, coupa Reese qui avait récupéré une certaine énergie. Attendez, vous êtes en train de me dire que vous m'avez impliqué dans une mission à risque, sans me parler de ce que contenait cette boite ?
‒ A posteriori, je regrette profondément de ne pas vous avoir informé plus tôt, mais ces cristaux étaient trop importants, et trop convoités. Vous aurez risqué une attaque, expliqua Coulson.
‒ Attendez, la fumée, elle m'a... J'étais en contact avec avant le crash, alors... Ne me dites pas que... »
Les regards qu'ils lui lancèrent anéantirent le moindre petit espoir d'avoir mal compris ce que tout cela induisait. Elle revit la fumée entrer en elle, et puis l'enveloppe rocheuse sous l'eau, dont elle dut se défaire pour ne pas couler. Un cocon. Détenteur du gène.
Inhumain.
« J-... Je ne... Je ne suis pas un alien ! Je suis née à Seattle, mes parents sont normaux, ma sœur est normale, je... Je ne suis pas... ! »
Le bip jusqu'alors régulier du cardiogramme s'affola, et tous sauf Bucky se lancèrent des regards tendus. Il n'y avait pas d'eau dans la chambre, mais il y en avait partout autre part.
« Ce n'est pas aussi simple, l'insertion du gène dans votre lignée peut remonter à des siècles, rassura Daisy, ça ne fait pas de vous quelqu'un de mauvais.
‒ Vous savez d'où ça vient et comment ça marche, vous pouvez inverser le truc, n'est-ce-pas ? »
Reese chercha du réconfort dans tout le comité d'accueil, mais visiblement personne n'était là pour trouver une solution à son problème. Pire, personne n'avait l'air de penser que c'était un problème.
« Je fais exploser de l'eau par la pensée ! S'écria-t-elle, mais personne ne cilla.
‒ Vous pouvez le contrôler, ce n'est que le début, dit le docteur Simmons.
‒ Et vous ne serez pas seule pour le faire, nous sommes toute une équipe pour vous aider... », ajouta Coulson sans pouvoir finir. Il vit le regard de la jeune femme dans le lit d'appoint se poser sur lui et redouta les mots qui allaient inexorablement sortir de sa bouche.
« Je veux rentrer chez moi. J'en veux pas, de vos capacités, de vos gènes mutants, de votre foutue organisation, je veux ma maison, et mon avion, et ma vie ! »
Elle avait crié les derniers mots qui firent écho dans la petite pièce blanche, et les sangles sur les bords du lit claquèrent avec le mouvement violent qu'elle avait fait avec ses bras.
« Il faut que vous compreniez que tant que vous ne contrôlerez pas vos capacités, vous représenterez un danger en dehors de notre base. En dehors même des murs de cette salle...
‒ Et il faut que vous compreniez que je n'en ai absolument rien à foutre ! S'écria-t-elle. Vous m'avez fait ça, bon Dieu de merde, vous avez fait de moi un monstre ! »
Les lèvres de Coulson se réduisirent à deux fines lignes serrées, Daisy soupira, l'air exaspérée, et les autres baissèrent le regard, car visiblement son avis n'était pas isolé. Seul Bucky continua de l'observer, incapable de détourner le regard mais également d'intervenir sans se ridiculiser. Il était les muscles, et ça lui allait très bien. Cela dit, cela ne l'empêchait pas de se rendre compte qu'il avait sous le yeux le pire scénario imaginable pour l'équipe.
« C'est vrai, consentit Coulson. C'est ma faute. J'ai pris la décision de vous engager et j'ai mis votre vie en péril. Je vous ai placé au contact de ce qui a fait de vous ce que vous ne vouliez pas être. Je vais devoir vivre avec une mauvaise décision de plus et je peux vous assurer que la liste est longue, mais vous, est-ce que vous pourriez ? Parce que si l'on vous laisse partir dès cet instant, sachez que vous aurez plus sur la conscience qu'un simple dégât des eaux à la fin de la semaine. »
Le silence plana dans la pièce, et Fitz croisa le regard de Bucky, rongeant le bout de son index, avec un air signifiant « Voilà pourquoi il est le Directeur ».
« Vous croyez que je vais tourner au vinaigre et décimer une ville, c'est ça ? Demanda Reese.
‒ Je crois que vous ne voulez faire de mal à personne, mais que vous avez entre les mains quelque chose qui vous échappe, et qu'on peut vous aider à le contrôler. Libre à vous de l'utiliser ou non lorsque vous l'aurez maîtrisé. »
La jeune femme continuait de fixer le Directeur, et après quelques secondes, Bucky la vit cligner plusieurs fois des yeux et se racler la gorge. May fit signe à tout le monde de sortir, et il comprit que toute la situation avait finalement frappé la nouvelle inhumaine comme un coup de marteau sur la tête. Il sortit en dernier, sans bruit, la laissant avec Coulson. Un dernier regard vers elle lui indiqua qu'elle avait finalement ouvert les vannes, les mains jointes sur son ventre, les yeux fixés au plafond. Il se demanda un instant s'il aurait pleuré lui aussi, si l'on lui avait annoncé qu'il deviendrait un meurtrier et un monstre. Il l'avait certainement fait lorsque tout lui était revenu en mémoire, caché dans un appartement miteux à Bucharest, recroquevillé sur son matelas. Pleurer d'avoir commis tant d'atrocités était normal, se dit-il. Pleurer de savoir qu'on a le pouvoir de le faire l'était moins.
Coulson sortit finalement, fit signe à May de le suivre, puis se tourna vers lui avec un petit sourire.
« Daisy m'a fait un débriefing. Très bon boulot pour une première, Agent Barnes. »
Il hocha la tête une fois, mais lui n'était pas persuadé que le sauvetage ait réussi.
Mes références aux Dents de la Mer et à Geox ne sont pas du placement de produit parce que Qui porte des Geox ?
Je suis positivement incapable de vous dire quand une update se profilera, aussi je vous recommande vivement de "follow" pour recevoir votre petite notification le moment venu.
