La ~Correspondance~ fleurie
Le fier Chevalier des poissons attends son heure, assis sur les ruines d'un ancien temple, sur une colonne abattue, mais encore blanche de pureté. Tel le lys. Tel...Agasha.
Ce jour est bien différent du jour où il l'a rencontré. C'était un jour de pluie. Mais aujourd'hui, c'était ensoleillé. C'était ironique.
La pluie lui manquait...déjà.
Il tombait des cordes lorsqu'il la vit courir vers lui. Elle se protégeait le visage d'une main, et tentait de tenir un ensemble de bouquet destiné à la déesse Athéna dans l'autre. Un bouquet raffiné qui se dégradait face à la lourdeur des gouttes et au climat chargé d'humidité. Tout autour, les montagnes disparaissaient derrière un mince brouillard et le froid glaçait jusqu'aux os. Les ruines des temples lui servait de point de repère.
-Oh non... L'entendit-il murmurer avec déception. Ces fleurs auront perdus leur pétales avant que je n'arrive jusqu'au grand Pope.
Cette fille était trempée, tomberait sûrement malade et elle s'inquiétait davantage du bien-être de ses fleurs que du sien. Il ne put s'empêcher d'être touché, sans oublier qu'elle remplissait son devoir, même par ce temps. Elle était si petite et fragile, avec ses cheveux châtains noués en une queue haute et ses grands yeux verdoyants.
La jeune fille sentit plus qu'elle ne vit un drap se hisser sur elle, couvrant toute la longueur de son corps. Elle s'arrêta et tenta de comprendre ce qu'il venait de se passer. Visiblement, elle avait été si préoccupée par sa course qu'elle n'avait même pas remarqué le Chevalier d'Or, pourtant facilement reconnaissable à cause de son armure et de sa brillance, même par temps de pluie.
Elle releva le voile qui couvrait son visage et l'observa. Mais quand elle leva les yeux, il s'était déjà éloigné dans l'autre direction et lui tournait le dos. Ses cheveux semblaient magnifiques, même à cette distance, mouillés.
-Euh... (Que dire en ces circonstances ? Vite !) Merci beaucoup.
Il se retourna à peine. Mais il s'était arrêté.
-Euh ! Lança-t-elle, à défaut de trouver quelque chose, n'importe quoi pour le retenir.
Elle s'apprêtait à le rejoindre lorsqu'il coupa net son élan.
-Ne t'approche pas de moi, dit-il autoritairement.
Elle s'arrêta à un demi-mètre de lui. Elle put alors avoir un aperçu de son profil. Et il était la plus belle chose qu'elle ait jamais vu. Elle resta plantée là, la main désespérément tendue dans sa direction. Mais il semblait si proche et si loin à la fois. Comme si elle n'atteindrait jamais son esprit, pas plus que son corps. Il semblait détaché du monde.
Et il reprit sa marche. Elle resta un instant là, figée. Comme si le monde s'était arrêté, elle avait arrêté de respirer aussi. Son image restait imprimée sur sa rétine. Et c'était comme si elle ne pourrait plus jamais l'enlever de ses pensées.
Puis une tristesse, un chagrin incroyable lui broya la poitrine lorsqu'elle réalisa son rejet. Il fut pour elle d'une violence inouïe. Elle voulait juste le remercier. Mais voilà qu'il lui avait volé son coeur...Ne se rendait-il pas compte du mal qu'il lui faisait, juste en s'éloignant d'elle ?
Elle regarda avec inquiétude le ciel teinté de rouge...teinté du poison du Chevalier Albafica. Albafica, qui mettait sa vie en jeu. Elle le cœur serré, et la gorge noué. Elle tentait de toutes ses forces de retenir ses larmes, tout en serrant contre sa poitrine la rose qu'il lui avait offerte, avant de partir au combat.
-Je voulais seulement le remercier, se plaint-elle à son père. Sa réaction était vraiment méchante.
Elle exagérait, bien sûr. Mais comment pouvait-elle le prendre autrement ? Elle avait le cœur brisé. Il semblait de glace.
-Ne dis pas ça, voyons... Répondit son père qui tissait des fleurs avec elle, devant leur maison. Ce n'est pas par plaisir qu'il tient les gens à l'écart.
Parce qu'il tenait tous les gens à l'écart ? Sa tristesse n'en était pas moins apaisée.
-Il pense que le contact de son corps pourrait être dangereux pour les autres, poursuivit-il.
Elle interrogea son père du regard.
-Pourquoi ?
Il lui sourit, attendrit. Elle avait de grands yeux étonnés face à cette révélation.
-Il a subi de nombreuses années d'entraînement afin de de pouvoir résister au poison, et il semblerait qu'à cause de cela, même son sang soit contaminé.
Comment est-ce possible ?
-C'est sûrement par peur d'être un danger pour les autres qu'il se tient à l'écart d'eux.
Quelle tristesse...
-C'est donc ça...
Elle ne put s'empêcher de rougir en repensant à sa rencontre avec le beau chevalier. Je commence à comprendre sa réaction de l'autre fois...Maintenant qu'elle y pensait, lorsqu'il lui avait tourné le dos, un grand vide semblait le suivre comme son ombre. C'était le dos de la solitude
-Papa, je vais aller au sanctuaire lui ramener son manteau, dit-elle face à son père qui s'occupait toujours des fleurs, dans la rue, devant leur maison.
Après mûre réflexion, sa joie lui était revenue à la simple idée de le revoir pour lui rendre l'objet qu'elle tenait chaleureusement entre ses mains.
-Il est fort probable que tu ne puisses pas le remettre toi-même, prévint son père.
-Ce n'est pas grave.
Une brise souleva le parfum de rose que contenait le manteau, même après un lavage. C'est quelqu'un de gentil et fort.
-J'aimerais pouvoir le remercier de vive voix, même si je ne peux lui dire que quelques mots.
Ce qui se passa ensuite, seuls eux le savaient.
-Eloigne-toi ! S'exclamèrent les gardes. Si tu dis que ce manteau appartient réellement au Chevalier des Poissons, tu ne devrais pas le tenir avec autant de frivolité. Il est sûrement empoisonné.
-Mais puisque je vous dis qu'il faut le lui rendre. Et vous voyez bien qu'il n'est pas empoisonné, puisque j'arrive à le tenir.
-Le Chevalier Albafica arrive.
-Albafica ? Murmurèrent les gardes entre eux.
-Albafica arrive.
-Enfin il était temps ! Lança le chef en cherchant une silhouette du regard.
Son cœur battait la chamade à la simple idée d'entendre ses bruits de pas.
Ce n'est que quelques minutes plus tard, au pied des marches, qu'elle put enfin l'admirer dans toute sa splendeur. Son armure, resplendissante au soleil, comme si elle représentait tout ce qu'il était : beau, fier et glorieux. Lorsqu'il l'aperçut, il interrogea les gardes du regard. Mais en voyant le manteau, il comprit rapidement la situation.
-Vous pouvez disposez, déclara-t-il lorsqu'il fut arrivé à leur hauteur.
Une forte odeur de rose emplit l'atmosphère.
Bien qu'il devint difficile pour elle de respirer normalement, elle tenta du humer son parfum le plus possible en inspirant à grandes goulées, et en espérant se calmer au passage. Les gardes se retirèrent, heureux de ne pas s'attarder en présence du Chevalier le plus toxique du Zodiaque.
-B-bonjour, bégaya-t-elle lorsqu'il eut reporté son attention sur elle.
Il était si grand. Il la surplombait de toute sa hauteur, telle une ombre inquiétante.
-Merci de me l'avoir rapporté. Mais ce n'était pas nécessaire, tu pouvais le garder. J'en ai plein d'autres, expliqua-t-il.
Face à son silence et ses grands yeux ouverts, fixés sur son visage, il se demanda si en vérité elle n'avait pas eu peur de le garder. Elle rougissait grandement.
-Pose-le par terre. Je vais le reprendre. Tu n'as rien à craindre.
-N-non, je tiens à vous le donner en main propre, dit-elle, nerveuse comme jamais.
Le son de cœur tambourinant dans sa poitrine balayait tout le reste. Sa beauté était telle, qu'elle aurait donné tout ce qu'elle avait pour pouvoir en garder une image durable, comme une esquisse ou un tableau. Elle avait la gorge sèche.
-Tu es courageuse. Mais ça ira, dépose-le, demanda-t-il plus aimablement.
-Je...J'insiste, répondit-elle, la voix tremblante.
Il ignorait que c'était l'émotion, et non la peur.
Elle tendit l'objet à bout de bras, pour l'amener à elle. Il hésita longuement puis s'approcha lentement et s'arrangea pour prendre le manteau sans la toucher, ce qui fut aisé vue la longueur de la cape.
Il n'eut même pas l'occasion de la remercier car l'instant d'après, elle s'éloignait déjà en courant en direction de son village. Lorsqu'il voulut enfiler son manteau, sans plus s'attarder sur cette histoire, un bouquet s'en échappa et tomba au sol.
Il se baissa pour le ramasser, intrigué, et analysa sa composition. Quelle ne fut pas sa stupéfaction : des violettes, un bleuet, un coucou, une fougère et une fuchsia, qui signifiait respectivement l'amour secret, la timidité, le retard, la confiance ou la sincérité dans les sentiments et la passion. Sûrement connaissait-elle le langage des fleurs. Il ne pouvait en être autrement, en temps que fleuriste. Ces fleurs lui étaient-elles vraiment destinées ?
Avait-elle vraiment voulu lui dire : « Pardon pour le retard. Quelqu'un vous aime, mais c'est un secret. Mon amour reste silence, car ma timidité m'empêche de le dévoiler. À votre vue, mon cœur bat la chamade. Ayez confiance en mes sentiments. »
Le bouquet était essentiellement composé de violettes. Peu de gens savent qu'offrir des violettes était la première étape pour déclarer son amour à quelqu'un par le langage des fleurs.
Que faire ?
Quelques jours après, la livraison du bouquet de fleurs le plus beau et le plus délicat destiné à la Déesse était arrivé. Sans que personne ne le sache, Albafica a toujours été chargé de vérifier ces bouquets, afin de vérifier qu'elles n'étaient pas empoisonnées. Quel ne fut pas son étonnement en découvrant qu'une livraison lui était destiné, de la même provenance.
Outre le bouquet royal, une gardénia, signifiant la sincérité, était enlacé d'un ruban qui tenait un carte où était son nom d'une écriture simple et maladroite. « Mes sentiments sont sincères. » Il soupira. Une décision s'imposait.
La semaine d'après, à la nouvelle livraison, Agasha découvrit que le Chevalier des Poissons lui avait répondu, puisque quand elle vint au pied des marches livrer le bouquet de fleurs, le domestique chargé de l'amener au Palais lui donna une fleur. Son cœur explosa de joie à sa vue, puis se serra : un liseron. « Laissez-moi tranquille... ».
Elle avait longuement réfléchit, mais décida tout de même d'adresser une fleur à sa livraison de la semaine d'après. Et cette fois, elle espérait une réponse plus clémente. Elle était prête à tout pour montrer sa persévérance, avec cette fois-ci un géranium, qui témoignerait assez bien de ses sentiments contrariés. « Vous avez tort de ne pas croire en mes sentiments. »
Attendre une semaine pour avoir une réponse était une torture, mais n'en avoir aucune était enrageant. Sans plus attendre, elle donna la fleur qu'elle avait prévue en cas de réponse négative : le houx. « Rien ne peut-il vous toucher ? »
Oh, joie. Une réponse, et pas des moindres ! Un dahlia, en signe de reconnaissance. « Merci pour cet amour... ». Il était plus humain qu'elle ne le pensait. Il n'était donc pas si froid qu'elle ne se l'était imaginé.
La semaine suivante, elle lui envoya un bouquet des plus belles roses blanches qu'elle avait pu avoir, malgré la saison. C'était la deuxième étape de sa déclaration, censé lui signifier son admiration et son respect pour le jeune homme.
Il n'était pas dupe. Il avait répondu à ses fleurs par un langage similaire. Elle savait qu'à présent, s'il n'avait pas compris la présence des violettes la dernière fois, il devait à présent être certains de ses intentions. Ce qui expliquait sûrement sa réponse : une églantine, signifiant le bonheur passager. « Notre amour ne durera pas et les jours heureux seront de courte durée. »
À la simple idée qu'il lui réponde, il lui semblait voir se pousser des ailes dans son dos et sur son cœur. Il n'était pas question d'abandonner. Là était le moment de prouver sa détermination. Elle lui renvoya la semaine d'après par une anémone : « Je suis confiante en mes sentiments. »
Aucune réponse du beau Chevalier. Elle lui expédia en vitesse tout un bouquet de renoncules plein de reproches : « Mon amour pourtant sincère ne trouve pas grâce à vos yeux ... »
Il s'excusa à l'aide d'un bouquet d'azalée tout aussi garni : « Heureux de me savoir aimé... ». Elle renouvela son ardeur avec une lavande : « Mon amour est fort et saura vous respecter. »
Il répondit par une pivoine, représentant sa confusion. Était-ce de la timidité ? Était-il enfin touché par ses déclarations, peu convenables de la part d'une fille ? Sachant que c'était à l'homme de faire sa déclaration normalement.
Elle lui renouvela son ardeur et sa persévérance avec un aster et une capucine : « L'amour que je ressens est plus important que celui que vous vous portez. Mon cœur se consume pour vous... ».
Lorsqu'il vit l'aster, il eut un sourire amer. Comment pouvait-il s'aimer, alors qu'il n'était qu'un danger pour les autres ? Mais la capucine provoqua chez lui une réaction plutôt vive. « Mon cœur se consume pour vous... ». Sa poitrine fut tout à coup envahie d'une chaleur incroyable, mais aussi d'une tristesse qui lui tordait les entrailles.
Une jeune fille l'aimait, là, dehors. De tout son cœur. Une fille si fragile...Et dieu sait que peu étaient les chevaliers qui parvenait à concrétiser une romance en dehors du Sanctuaire, même après plusieurs siècles. Le bouquet lui échappa des mains, molles et tremblantes...
Tout ça n'était qu'une illusion. Même en mettant de côté le fait qu'il était empoisonné, et qu'ils puissent par enchantement survivre à un amour platonique, il ferait toujours passer son devoir de Chevalier avant tout le reste. Et comme ils étaient en guerre, l'heure viendra forcément pour lui de se battre...et sûrement mourir.
Sûrement était-il douloureux pour elle de le courtiser, sans savoir s'il y avait un espoir pour elle ou non. Sans parler de ses sentiments à lui, qui étaient plus qu'incertains...Qu'était-ce l'amour, si ce n'est celui qu'il portait pour sa Déesse ? Ou était-ce différent ? Il ne savait plus très bien, mais quoiqu'il en soit, il devait mettre un terme à cette idylle qui n'avait aucune chance de voir le jour, de toute manière...
Des trèfles ? Comment avait-il réussi à s'en procurer, elle l'ignorait, mais son message portait à confusion... « J'hésite encore... ». Elle décida de repasser à la charge avec la troisième étape de sa déclaration : un bouquet de glaïeuls, censé lui demander un rendez-vous. Elle choisit la couleur blanche, afin de le rassurer sur le fait que ce rendez-vous serait totalement anodin et platonique.
Encore des trèfles. Elle répondit par une solitaire et mélancolique pervenche, ainsi qu'une orchidée. « Mes pensées ne sont peuplées que par votre image. Vous me paraissez merveilleux et hors d'atteinte. »
Merveilleux et hors d'atteinte...Pourquoi hésitait-il tant à mettre à terme à tout ça ?
