Quand je la vis dans ce groupe de touristes qu'Heidi nous avait rapporté pour qu'on puisse se nourrir, je sentis mon cœur glacé battre une nouvelle fois. Je me surpris à respirer bruyamment. Mon frère, Aro, me jeta un coup d'œil, à moitié curieux de mon comportement. Il regarda le groupe qui commençait à s'impatienter. Ils trouvaient que le lieu était inapproprié pour faire une visite. D'ailleurs, il n'y avait rien à voir.
Mais cette humaine, de taille moyenne, était magnifique à mes yeux. Elle devait avoir vingt ans. Elle avait de longs cheveux bruns bouclés. Deux tresses moyennes encerclaient son crâne comme si elle portait une couronne. Ses traits étaient fins. Et son visage avait des airs d'enfant sage. Ses yeux étaient sublimes. Vert émeraude. Je me mis à contempler son buste. Son cou était long comme ces personnes ayant une ascendance noble. Je pouvais percevoir son odeur. Elle sentait l'océan et les pins. Mais je remarquais que quelque chose n'allait pas. Cette jeune femme ne semblait pas s'inquiéter par ce qui l'entourait. Par ce qui aller se passer. Elle était là sans vraiment être présente. Je m'avançais vers elle. Nos regards se croisèrent mais c'était comme si elle ne me voyait pas. Ses yeux étaient morts. Comme si elle ne voulait plus vivre.
Je sifflais. Elle ne devait pas mourir ici. De la sorte. Elle ne le méritait pas. A ce moment-là, je sentis les doigts de mon frère effleurée le dos de ma main. Il me fit signe d'emmener la jeune femme dans une autre salle avant que le festin ne commence. Je lui proposais mon bras mais elle resta immobile. Ses yeux étaient rivés sur quelque chose d'invisible… Elle était vraiment étrange. Aro n'attendit pas plus longtemps et donna l'ordre pour notre repas. Il savait que je serais capable de la défendre si un membre du clan osait l'attaquer. Les cris s'élevèrent mais cela ne sembla pas gênée l'humaine. Elle était complétement enfermée dans une bulle. Je la pris par la main et la fis asseoir sur mon siège.
Je devais me nourrir mais je ne voulais pas lui prendre son sang. Je ne voulais pas la tuer. Et pourtant, ma gorge me brûlait. Comme si j'avais avalé des morceaux de verre et qui lacéraient l'intérieur de mon œsophage.
C'est à ce moment-là qu'elle me vit réellement. Elle me fixait avec une extrême intensité. Elle ne me dévisageait pas. Elle me contemplait longuement tout simplement. Je ne voulais pas l'interrompre dans son étude. Elle n'avait pas l'air d'avoir peur de moi. De ce que j'étais réellement. Quelque part, cela m'apaisait. Cependant, je savais que si je la vampirisais et qu'elle intégrait notre garde alors qu'elle n'avait aucun don, Aro serait dans l'obligation de la tuer.
Néanmoins, j'étais loin d'être aveugle pour ne pas voir ce lien qui nous unissait. J'effleurais une de ses mains. Elle la retira rapidement mais les battements de son cœur montraient qu'elle était toujours aussi calme. Aussi sereine. Soudain, elle passa ses cheveux sur un côté et m'invita à boire son sang. Même en faisant ce geste, son cœur ne s'emballait pas de peur. Pas comme les proies que j'avais l'habitude de prendre.
Non…
Elle était si différente. Il est vrai que son sang m'attirait. M'envoutait. Mais en aucun cas, je voulais lui faire de mal. Je ne voulais pas l'abîmer. Je ne voulais pas perdre cette odeur. Cette magnifique odeur qui me faisait vivre une seconde fois. L'humaine se rapprocha de moi, lentement. Prévenante. Tendant son élégant cou vers mes lèvres.
La soif me dévorait peu à peu… Je devais l'observer avec une telle… Envie de goûter à son sang. Que cela se voyait sur mon visage. Moi qui suis d'habitude si… Mélancolique et inexpressif depuis la mort de Didyme. Je jetais un coup d'œil par-dessus mon épaule. Pratiquement tous les humains avaient été tués. Trois étaient encore en vie. Ces trois personnes allaient bientôt mourir de ma main. Leurs sangs apaisants ma soif infinie pour quelques jours.
Et puis, j'entendis le rire cristallin de mon frère. Et quelques secondes après, ses doigts guidèrent le visage de l'humaine pour que leurs regards se rencontrent. Je grognais, inconsciemment. Je n'aimais pas qu'il la touche. D'un geste brusque, j'éloignais la main d'Aro de la peau de la mortelle. Personne n'a le droit de la toucher sans ma permission. Sans ma permission ? Les yeux émeraude de la jeune femme se tournèrent vers moi. Continuant inlassablement sa contemplation. Elle pencha sa tête vers la droite. Sa jugulaire en vue. Je me pinçais les lèvres. Si je la tuais parce que j'avais soif alors… Qu'il y avait ce lien... Non. Je ne ferais rien.
« _ Quel est ton nom, mon enfant ? Demanda Aro, avec une immense curiosité. »
Le silence était sa réponse. Aro l'étudiait du regard. Il semblait perplexe mais je voyais son envie de connaître toute l'existence de cette jeune mortelle. Ne l'avait-il pas vu ? Ses souvenirs ? Ses pensées ? Je compris, rien que dans son regard, qu'il n'avait rien retiré comme informations. Cela voudrait dire qu'elle avait une sorte de don comme Bella Swan ? Si c'était le cas, Aro allait bientôt la vampiriser. Et cette humaine allait pouvoir vivre auprès de moi… A moins que cela ne soit pas ça… Cette femme n'était pas normale. Certes. Mais il y avait autre chose. Comme si elle avait oublié qui elle était. D'où elle venait. Et peut-être même comment parler… Je lui tendis ma main. Elle la détailla des yeux puis avec hésitation, elle la prit. Je frissonnais à ce contact. Elle tressaillit aussi. Comme électrocutée par cette douce caresse. Sa peau était douce comme une plume d'oiseau. Je me demandais alors quel était le goût de ses lèvres. Je secouais négativement de la tête. A quoi étais-je en train de penser ? Cette femme devait être… Mon repas. Mais ce n'était plus le cas. Que dois-je faire ? Que devais-je faire ? Savait-elle parler ? Ou du moins communiquer grâce au langage des signes ?
« _ Aro t'a posé une question, humaine, fit Caïus, de mauvaise humeur. Tu dois lui répondre. Immédiatement.»
Les yeux de la jeune femme se tournèrent vers mon autre frère mais ne s'y attardent guère longtemps. Elle reprit son observation. Imperturbable. Comme si j'étais son univers. Cela me flattait. Je l'attirais vers moi pour qu'elle se mette debout. Elle s'exécutait. Je tenais sa main dans la mienne. Et je décidais de l'entrainer dans mes appartements. Je percevais qu'Aro me suivait. L'humaine l'intriguait. Et moi aussi… Mais pas pour son pouvoir. Si elle en avait un… J'ouvris la porte et lâcha sa main. Elle resta sur le seuil. Elle attendait. Je posais ma main contre son dos et la poussa à pénétrer dans mon antre. Mais dès que notre contact se rompit, elle ne bougeait plus. Comment avait-elle réussi à suivre le groupe sans avoir un guide ?
