Une visite sur Rishi
Le chasseur stellaire argenté, un modèle Wing-137, surgit soudain dans l'atmosphère de Rishi dans un vrombissement de réacteurs. Un instant, la nature alentours se tut, inquiète de l'étrange apparition. Rishi, idyllique et verdoyante planète située à quelques parsecs de Tatooine et Géonosis, sur la Bordure Extérieure, n'avait en effet guère l'habitude de ces bruyantes intrusions. Le vaisseau se posa dans un pré, à proximité d'une rivière au murmure argentin. La verrière du cockpit s'ouvrit avec un chuintement, et deux hautes silhouettes noires en sortirent, sautèrent dans les herbes folles de la prairie. Les arrivants étaient de morphologie humaine, enveloppés dans de grandes capes sombres au capuchon rabaissé.
- R3, dit l'un d'entre eux d'une voix grave et douce, R3, garde le vaisseau, nous n'allons pas loin.
Le petit astrodroïd intégré dans l'aile gauche du Wing-137 émit un trille réjoui.
- Maître, êtes-vous sûr de votre orientation ? Tout est tellement... sauvage ! Inchangé dirait-on depuis ses temps primitifs. Est-ce vraiment par ici qu'il a trouvé refuge ?
Le ton du second étranger était beaucoup plus clair et léger que celui du premier. C'était une voix de femme.
- Oui, ma jeune Padawan, reprit son compagnon. D'après mes indications, son foyer se trouve juste de l'autre côté de cette rivière, dans ce petit bois. Allons-y ! Le sang me bout rien qu'à la pensée de le revoir !
- Et moi à celle de le connaître, Maître.
Ensemble, ils s'engagèrent dans la prairie, repoussant les longues tiges des fleurs sauvages et des herbes arborescentes. A un moment, l'un des deux s'arrêta, contemplant un insecte multicolore et brillant qui voletait mollement autour de lui.
- Allons ! appela l'autre. Ne flâne donc pas, Princesse, ou alors, au retour !
Ils reprirent leur marche, traversèrent un petit pont de pierre moussue qui enjambait la rivière. D'un pas égal, ils entrèrent dans le petit bois. Un sentier sablonneux y serpentait, éclairé par la lumière irréelle des trois petits soleils de Rishi qui filtrait à travers les branchages. Ça et là, des oiseaux gazouillaient, et le murmure de l'eau était encore audible depuis la lisière.
- C'est magnifique, ici, Maître. Tout vit dans l'harmonie de la Force, dans l'entente la plus parfaite.
- Oui, je sais. J'imagine que c'est ce qu'il a toujours apprécié, ici.
- Je crois que je vais bien m'entendre avec lui, alors.
Le chemin marqua une courbe qu'ils suivirent. Ils ralentirent soudain, charmés. Au bout du sentier se dressait un coquet pavillon de pierre blanche, pourvu d'un toit pointu, d'un balcon fleuri, et jouxté d'un petit jardin parfaitement entretenu. De la fumée s'échappait d'une cheminée en forme de corolle, et un grand cadran solaire argenté ornait le fronton de la porte.
Lorsque les étrangers encapuchonnés poussèrent le portail, un carillon retentit, et deux dantoks, une sorte d'élégants canidés noirs et élancés, aux fines cornes recourbées, sortirent des buissons en jappant férocement, la gueule ouverte sur des crocs impressionnants. Les arrivants levèrent leurs mains, paumes ouvertes, et une sorte de mur invisible se dressa entre eux et les créatures, les empêchant de se jeter à leur gorge.
- Charmant accueil ! remarqua la voix féminine.
Alors qu'elle disait ces mots, la porte du pavillon s'ouvrit, et quelqu'un cria d'un ton suave :
- Antok ! Lex ! A bas, voyons !
Docilement, les deux gardiens vinrent s'allonger aux pieds de l'homme qui venait d'apparaître sur le seuil. Il était grand, l'air fier, et une majesté indéniable émanait de lui. Un port parfait, une démarche gracieuse, des cheveux argentés élégamment coiffés, des traits puissants –pommettes hautes et fières, yeux noirs et inquisiteurs- complétaient le portrait de cet homme, qui avait été un des plus grands Maîtres Jedi de la galaxie. En effet, à sa ceinture de cuir brun pendait comme une évidence la poignée courbe d'un sabre-laser, cette arme emblématique qui représentait toute une époque.
- Amis du jour, bonjour, déclara le Comte Dooku en inclinant la tête en signe de bienvenue. Mais avant tout, pourrais-je savoir à qui j'ai l'honneur ?
Le plus grand des deux étrangers rejeta son capuchon en arrière. C'était un homme aux traits nobles mais déjà accusés, aux vifs yeux bleus. Ses longs cheveux, coiffés en catogan, étaient d'un châtain sombre, comme sa barbe et sa moustache bien taillées. Un grand sourire illuminait son visage bon et serein.
- Eh bien, Comte ? Vous ne reconnaissez plus votre propre élève ?
- Qui-Gon ! Par exemple ! s'exclama Dooku qui sourit à son tour.
Les deux hommes s'étreignirent brièvement, à grand renfort de claques dans le dos. Une joie sincère se lisait sur leurs traits, dans leurs rires complices.
- Qui-Gon Jinn ! Si je m'attendais... Mais voyons, tu m'as amené un invité ?
Qui-Gon Jinn se retourna vers le second étranger qui attendait à l'écart.
- Une invitée ! Comte, je vous présente ma talentueuse Padawan, Edriel Menel-Randir.
Tandis qu'il parlait, sa compagne avait à son tour repoussé sa capuche. Les soleils brillèrent soudain sur une cascade de cheveux blonds, éclairant le visage fin et décidé d'une jeune fille aux yeux noirs et perçants. Deux oreilles pointues émergeaient entre les tresses et les perles de sa coiffure, une pierre translucide brillait au bout d'une chaîne, sur sa tunique d'un noir de jais. Certes, elle était différente. Différente de tout ce que Dooku avait vu jusque là. La jeune fille sourit brièvement, et s'inclina de la même façon en salut officiel. Puis elle tendit la main en disant :
- Charmée, Comte. On m'a tellement parlé de vous...
L'intéressé rendit un sourire rayonnant, prit doucement la paume aux longs ongles nacrés qu'on lui tendait. En un geste gracieux, il courba sa fière tête dans un baisemain plein de distinction.
- Edriel... salua-t-il de sa voix racée.
La jeune fille rougit imperceptiblement et retira sa main. Qui-Gon l'observait d'un regard pétillant ; elle lui jeta un coup d'œil agacé.
- Rentrez, mes amis, rentrez ! s'écria Dooku avec chaleur.
Ils suivirent l'ancien Jedi à l'intérieur de l'élégant pavillon. La maison de pierre dégageait une agréable fraîcheur ; un grand couloir décoré avec goût la traversait, donnait accès à quelques pièces aux portes fermées. Dooku alla au bout du corridor, où un escalier de bois montait en colimaçon autour d'un pilier de marbre sculpté représentant un tronc d'arbre. Les Jedi l'escaladèrent à la suite de leur hôte. Ils s'arrêtèrent en haut des marches.
- Charmant, Comte, souffla Qui-Gon Jinn.
Le premier étage était une seule et très grande pièce aménagée en salle de séjour. Au centre, une grande banquette verte aux coussins moelleux entourait une grande table basse et vernie où était posé un livre ouvert. Derrière le canapé, une autre table, sans doute pour les repas, avec posé en son centre un vase de cristal contenant un bouquet de fleurs des champs. La table voisinait avec quatre chaises simples et rustiques, tandis qu'à l'autre bout de la pièce se dressait un bureau encombré de feuillets écrits à la main, un fauteuil confortable et une grande bibliothèque. Tout était rangé en une harmonie parfaite qui révélait la culture et le goût du Comte Dooku aussi sûrement que sa mise irréprochable. Mais ce qui captiva les deux Jedi, ce fut l'énorme baie vitrée qui occupait tout un pan de mur. Elle donnait sur le balcon fleuri qu'ils avaient aperçu à l'entrée, et d'où l'on pouvait voir le feuillage des arbres et les oiseaux qui y nichaient.
- Vous devez certes avoir de solides appuis pour vous offrir aussi splendide maison, Comte, déclara Edriel d'une voix où perçait malgré elle une admiration évidente.
- Cela n'est pas négligeable, en effet, sourit-il avec un haussement d'épaules. Il est vrai que cela change des appartements du Temple, qui sont, je dois à la vérité de dire, assez austères...
- Quoi qu'il en soit, coupa Qui-Gon, s'empressant de changer de conversation, vous devez vous plaire ici, et j'en suis heureux pour vous.
- Oui ; mais je vous en prie, asseyez-vous, mes amis ! dit Dooku en désignant la banquette verte et en débarrassant les Jedi de leurs manteaux. Vous boirez bien quelque chose, j'espère ?
- Avec plaisir, Comte.
- Excusez-moi un instant, fit ce dernier en s'emparant du livre posé sur la table. Je m'en vais ranger cet ouvrage –fort édifiant, d'ailleurs.
- Que lisez-vous, Comte ? interrogea Edriel avec curiosité.
- Oh, « L'Ombre de la Galaxie » : c'est un livre très intéressant, qui traite des Sith, ce sombre culte de jadis. Permettez ! Je vais le replacer.
- Faites, Comte !
Il se dirigea vers la bibliothèque tandis qu'Edriel fronçait un fin sourcil et lançait à son maître un regard interrogateur. Qui-Gon eut un petit geste évasif, et un sourire signifiant clairement qu'il n'y avait pas là matière à s'inquiéter. Une des nombreuses lubies du Comte... Celui-ci revenait en tenant trois verres à pied et une bouteille contenant une liqueur ambrée.
- J'espère que vous aimez ? C'est de l'ardees.
- Oui, nous avons eu l'occasion d'en goûter, au cours d'une de nos missions sur... Mince, où était-ce, déjà, Edriel ?
- Sur Dantooine, Maître.
- C'est cela, la mémoire me fuit ! Qu'importe, j'avais trouvé cette boisson délicieuse : versez, Comte, versez !
- Et toi, jeune Edriel ? Un verre ?
- Je vous en prie.
Dooku se servit à son tour et éleva sa coupe :
- A vous et vos missions, Chevaliers Jedi ! dit-il de sa voix douce.
Les trois convives trinquèrent et burent.
- Puisque nous y sommes, parlez-moi un peu de vous, reprit le Comte avec un intérêt non dissimulé. De vos missions, justement, les dernières en date, qui ont du être couronnées de succès. Qui-Gon, je garde de toi le souvenir du meilleur élève que j'aie formé, et je sens la Force puissante en ta jeune Padawan.
Edriel se colora sous le compliment. Venant de l'ancien Maître, c'était presque un éloge. Qui-Gon lui lança un regard appréciateur, puis répondit :
- C'est vrai que, sans elle, je me demande comment auraient tournés certains de mes voyages...
- Ne l'écoutez pas, Comte ! coupa vivement la jeune fille. Mon Maître est un des plus formidables Chevaliers que j'ai jamais rencontré, et je pèse mes mots.
- En effet, et je suis content de te l'entendre reconnaître, jeune Padawan. Ton mentor est un homme de valeur...
- Voulez-vous arrêter de chanter mes louanges, tous les deux ! Et la fois où je me suis bêtement fait surprendre par ces bandits, sur Malastaré, comment crois-tu que j'aurais fini, si tu n'avais pas été là, Edriel?
La jeune fille fit mine de réfléchir, rejeta une mèche de cheveux dorée derrière son oreille effilée.
- Eh bien, je suppose... Dans le ventre de cette horrible créature des marécages qu'ils appelaient, je crois, Goula, et qui demandait en offrande les prisonniers de la bande...
- Certes ! s'exclama Dooku en riant. Je vois le tableau ! Mais, dis-moi, Qui-Gon, comment, grand Dieu, as-tu réussi à te faire surprendre par de simples bandits ?
- C'est que, Comte, ce n'étaient pas de simples bandits...
Alors Qui-Gon se lança dans le récit de leurs précédentes péripéties. Edriel l'écoutait en silence, tripotant un bijou argenté qu'elle portait au cou, ponctuant les paroles de son Maître de petites exclamations et d'anecdotes auxquels Dooku prenait le plus grand intérêt. Il posait de nombreuses questions, s'informait de détails, s'émerveillait de ce qui le méritait. Aux alentours du déjeuner, ils y étaient encore, et l'hôte des Jedi les pria de rester. L'invitation était si courtoisement formulée, et la journée si belle, que ces deux derniers ne purent refuser.
Après un plantureux repas, les trois convives allèrent se reposer sur un banc du jardin, accueillis par les jappements enthousiastes des deux dantoks. Fascinée par les créatures, Edriel s'approcha d'elles et tendit prudemment la main pour caresser Lex. Celui-ci arrêta aussitôt ses démonstrations pour gémir d'aise sous la caresse de la jeune fille, en remuant paresseusement sa longue queue fourchue. Dooku, qui l'observait de loin, fronça un sourcil interrogateur :
- Dis-moi, Qui-Gon... Sa main... Que lui est-il arrivé ?
L'index manquait à la main gauche d'Edriel, coupé en dessous de la première phalange.
- Elle l'a perdu lors de la Bataille de Malastaré, vous savez, lorsque la Guilde des Pirates s'est soulevée.
- En effet, c'était pendant les Guerres de l'Hyperespace. Comment est-ce arrivé ?
- Son sabre-laser a disjoncté lorsqu'elle a voulu court-circuiter un générateur d'énergie. Les gardes de la machine s'en sont mêlés, et un tir qu'elle n'a pu arrêter...
- Je vois. Elle s'en est tirée seule ?
- Elle aurait pu. Elle est puissante, Comte, elle a des pouvoirs que j'ai parfois moi-même, son mentor, du mal à mesurer. Elle aurait pu comme beaucoup d'autres fois s'en sortir sans aide, mais j'étais là. Elle... Elle était à terre, désarmée, exténuée de souffrance et de fatigue. Je n'ai pas voulu prendre de risques. Il...
- Tu fais trop de sentiments, mon ancien Padawan ! répliqua le Comte en durcissant sa voix douce. Les risques font partie de la formation d'un Jedi, et si elle est si puissante que tu le dis, pourquoi la choyer comme tu le fais ?
Qui-Gon attendit un instant avant de répondre. Son beau regard bleu ciel se fit lointain, un peu nostalgique.
- Comte, vous savez que j'ai déjà perdu deux apprentis. L'un est mort, l'autre a trahi. Edriel est venue après eux. Au début, je ne voulais pas d'elle. Je suis entré en conflit avec le Conseil qui voulait à toute force me l'imposer. Et j'ai fini par m'incliner. Maître Yoda m'a convaincu je ne sais comment, et maintenant je lui en suis infiniment reconnaissant. Edriel n'a pas son pareil dans la galaxie entière, Comte, il faut me croire. Peut-être parce qu'elle n'est pas vraiment humaine...
- Ah, non ?
- Non. Avez-vous remarqué ses oreilles pointues, et la façon étrange dont elle s'habille ? C'est une Elfe, une race rare très proche de nous mais pourtant différente par certains aspects, essentiellement la sensibilité. Elle ressent les choses, les mystères de la Force, comme le plus fin des Maîtres, elle est belle comme les amours, elle n'a pas d'âge... Si jeune, et pourtant si mature dans ses jugements et ses actes ! Elle a su consoler mon cœur asséché par les échecs et la solitude, elle a été là pour moi comme personne, simplement... Simplement parce que je suis son Maître, qu'elle m'admire, et que je l'adule. Elle est comme ma fille, Comte, celle que je n'aurais jamais, celle qui m'est refusée par la chasteté de l'Ordre.
Ce fut au tour de Dooku de rester un moment silencieux. Qui-Gon se tut, connaissant trop bien son ancien mentor pour savoir qu'il ne l'écoutait plus. Le Comte, les yeux plissés, observait la blonde apprentie, silhouette sombre au milieu des sombres pelages des dantoks. La jeune fille et les créatures étaient pour l'instant engagés dans une partie enragée de saute-mouton. Edriel riait, d'un rire perlé, et Lex et Antok glapissaient de joie.
- La Force coule à flots en elle, déclara simplement Dooku.
- C'est vrai. Elle a des pouvoirs étonnants.
- Je n'en doute pas.
Les vifs yeux bleus de Qui-Gon Jinn étincelèrent de plaisir. Il esquissa un large sourire, qui se crispa lorsqu'il vit le Comte faire un négligent signe de main.
Une grosse bûche s'envola d'un tas de bois disposé au fond du jardin, et fendit les airs en direction d'Edriel, qui, le dos tourné, s'amusait plus que jamais avec les dantoks. Qui-Gon fit un geste pour se précipiter, mais Dooku l'arrêta d'un mouvement autoritaire. Tout se passa en un éclair : sabre-laser soudain activé, la jeune fille se retourna d'un bond gracieux, et dans un geste témoin d'un parfait équilibre, trancha net la bûche dont les deux morceaux retombèrent sur l'herbe. Elle n'eut pas le temps de se ressaisir. Une autre bûche arrivait, suivie d'une deuxième, et d'autres encore. Bondissant et fendant l'air de sa lame d'énergie dorée, la Padawan s'employa alors à stopper les projectiles ou les détourner, sous peine de se voir assommer sans merci. Elle était prise dans un véritable tourbillon d'énergie, et trébucha à plusieurs reprises, submergée. Qui-Gon était livide :
- Vous allez la tuer, Comte !
- Bien sûr que non, mon ami, répondit calmement Dooku en retenant le Jedi à bras-le-corps. Je veux juste la pousser dans ses derniers retranchements, et lui faire révéler sa véritable puissance. Sera-t-elle offensive ou défensive ?
De fait, la jeune fille semblait à présent complètement débordée par la situation ; son sabre-laser ne cessait de décimer les bûches, mais il en arrivait encore et toujours, inlassablement. Soudain, elle sembla céder. Son regard noir devint fixe, et elle leva la main gauche, paume grande ouverte. Un éclair de lumière doré en jaillit et l'environna, aveuglant les deux hommes. Quand ils purent à nouveau rouvrir les yeux, Edriel avait désactivé son sabre-laser ; elle se tenait toujours droite et immobile, dans la même position. Mais maintenant, un champ d'énergie protecteur l'entourait, et les bûches y rebondissaient comme des balles avant de retomber à terre, inutiles. Dooku, ses yeux perçants étrangement dilatés, stoppa d'un geste les projectiles.
- Défensive... murmura-t-il comme un regret.
Qui-Gon, de son côté, ne semblait pas étonné, mais plutôt soulagé. Au milieu du jardin, sa jeune Padawan jetait un regard circulaire autour d'elle, méfiante. Puis elle abaissa sa main, faisant du même coup disparaître la lumière dorée qui irradiait la clairière. De son pas léger, elle s'avança vers les deux hommes, le visage serein mais les yeux encore flamboyants d'ardeur. Les deux dantoks, qui s'étaient aplatis sur le sol à l'arrivée des bûches volantes, se relevèrent et lui emboîtèrent le pas. Lorsque Edriel arriva à leur hauteur, Qui-Gon lui posa une main chaleureuse sur le bras :
- C'était très bien, Princesse, déclara-t-il en souriant.
Edriel lui rendit un sourire un peu froid.
- Tes pouvoirs sont peu ordinaires, jeune Padawan ! félicita Dooku d'une voix grave.
- Qu'est-ce qui vous a pris ? répliqua vivement la jeune fille, foudroyant le Comte de ses yeux de jais. Car c'était vous, n'est-ce pas ?
- Qui-Gon me faisait éloge de talents qui, disait-il, n'appartiennent qu'à toi. J'ai simplement voulu vérifier ses dires... Et je constate qu'il était modeste en te disant douée. Cette manifestation de la Force est unique.
- Peut-être. Mais je n'aime pas être surprise. Cela me met hors de moi. La prochaine fois, énoncez clairement vos intentions, et vous aurez la même démonstration !
- C'est là que tu trompes, jeune apprentie, reprit Dooku. C'est seulement dans les cas extrêmes que l'on découvre ses véritables pouvoirs, et aussi ses faiblesses. La Force est puissante, en nous, Edriel, car les Jedi sont des êtres de lumière, et la Force aime la lumière. Ou les Ténèbres.
Une ombre passa sur le visage serein de Qui-Gon Jinn. Oui, cela il l'avait appris à ses dépens.
- La Force nous habite, continua Dooku. Mais elle est endormie. Il faut savoir la réveiller, et après pouvoir faire de toutes les situations des cas extrêmes, car alors c'est là que l'on est le plus puissant. Il faut que la passion, l'ardeur embrase notre cœur à tout moment, en toutes circonstances, pour chaque but que nous nous donnons d'atteindre. Un servant de la Force doit être habité par cette flamme qui est celle des héros. C'est elle qui anime la Force en nous, qui en fait notre alliée. Si tu as compris cela, alors, lorsque tu lui feras appel, elle t'aidera toujours, fut-ce de la manière la plus improbable qui soit. Et permets-moi un dernier conseil...
Les yeux perçants du Comte se mirent à briller étrangement, ce qui n'échappa pas à Edriel :
- Lorsque tu seras au sommet de ta puissance, car, je n'en doute pas, tu iras loin... Laisse-toi guider, non par les autres, mais par tes sentiments. Ne te trahis pas toi-même, comme trop l'ont fait en servant des causes qui n'étaient pas les leurs, et qu'eux-mêmes n'approuvaient pas...
La jeune fille tressaillit, et presque aussitôt, Qui-Gon s'avança, agacé semblait-il :
- Non, Comte ! Pas de ça, encore !
- Qui-Gon, je ne peux croire que toi aussi, tu te sois laissé prendre...
- Vous savez quelle est ma position à l'égard de ce sujet. Ne retournez pas le couteau dans la plaie, Comte. Je vous aime et vous respecte pour quelqu'un de tolérant envers ceux que vous aimez.
Il y eut un silence pendant lequel les deux hommes se jaugèrent réciproquement, s'affrontant du regard. Edriel, gênée, baissa les yeux. Heureusement, rien dans la galaxie, et surtout pas une simple divergence d'opinions ne pouvait détruire cet amour filial qui unissait le maître et l'apprenti, cette amitié de quarante ans intacte depuis toujours. Leurs expressions farouches finirent par s'adoucir, le feu de leurs regards s'éteignit.
- Nous nous égarons, je crois, dit lentement Dooku.
- Je le crois aussi, répondit Qui-Gon avec un sourire contrit. Pardonnez-moi, Comte.
- Tu n'es pas seul coupable...
Et tout à coup, d'un même élan, les deux hommes s'étreignirent. Leurs deux silhouettes se détachaient sur le clair sous-bois illuminé des dernières lueurs d'un jour déclinant. Edriel, émue, décida de toujours garder cette touchante image en mémoire, celle de deux amis que rien ne pouvait séparer, excepté, peut-être... Essayant de chasser l'idée néfaste, elle leva les yeux au ciel, remarqua le crépuscule en train de s'installer.
- Dites, Comte, les nuits tombent vite sur Rishi ! Nous venons de manger il y a à peine quelques heures !
Amusés, les deux hommes se tournèrent vers elle.
- C'est que vous êtes venus à la mauvaise saison, répondit Dooku. Pendant la seconde période de l'année, le jour dure presque trois fois plus longtemps que la nuit !
- Quoi qu'il en soit, déclara Qui-Gon en consultant une sorte de cadran circulaire fixé à son poignet, il va nous falloir vous quitter, Comte, bien que le cœur me saigne rien qu'à cette pensée. Nous sommes attendus au Temple dans quinze jours, et les routes de l'hyperespace sont encombrées, en ce moment, à cause de la grève des convoyeurs...
- Je comprends. Rishi de plus n'est pas tout à fait au plus près de Coruscant ! Eh bien, Chevaliers Jedi, je vous fais mes adieux ! Cette journée fut trop courte à passer en votre compagnie.
- Quant à moi, notre rencontre m'aura enrichie de précieux enseignements, intervint Edriel. Je vous remercie, Comte, de l'honneur que vous m'avez fait en me les prodiguant. Je suis fière de vous connaître.
- C'est exagérer, jeune Edriel : n'oubliez pas que je suis un proscrit, pour avoir rejeté les règles de la République ! Bref, je te dis au revoir, mon cher Qui-Gon. Nous ne nous reverrons pas de sitôt, je le crains.
- Adieu, Comte.
Les mains des deux hommes volèrent les unes vers les autres. Les yeux brillants, c'est simplement ainsi qu'ils se séparèrent. Le Comte Dooku se retourna vers Edriel avec cette singulière expression d'intérêt qu'elle avait déjà remarqué.
- A toi, je ne te dis pas adieu, Edriel Menel-Randir. Au revoir, seulement, jeune Padawan. Tu deviendras une grande Jedi, et alors...
Dooku laissa sa phrase en suspens. Edriel lui dédia un de ses rares véritables sourires et répondit :
- Au revoir, donc, Comte. Nous serions donc destinés à nous rencontrer à nouveau dans la vaste galaxie ? En tous cas, je le crois aussi.
- Moi, j'en suis sûr.
Par ces paroles, l'ancien Maître et la jeune apprentie scellèrent définitivement entre eux un accord mystérieux, mais ils ne savaient pas encore comment celui-ci tournerait.
Edriel, après une poignée de main, revint se ranger dans l'ombre protectrice de son mentor, qui attendait près du portail.
- Allons-y, Maître, décida-t-elle pour son Maître qui n'arrivait pas à détacher son regard du petit pavillon de pierre blanche.
Ensemble, Qui-Gon Jinn et Edriel franchirent le portillon, que la jeune fille referma prestement au museau des deux dantoks qui les suivaient en jappant. Les deux Jedi se recouvrirent la tête de leurs amples capuchons, et s'en furent sur le chemin moussu. Le Comte Dooku, debout sur le perron, les regardait partir, en hochant la tête. Il se demandait si les deux Chevaliers mesuraient leur puissance dans la Force, et le rôle imparti par le destin aux êtres de leur trempe...
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