Le Miroir 1
Il ferma la porte rapidement mais en essayant de ne pas faire de bruit et s'appuya sur elle, comme pour empêcher quiconque de l'ouvrir. Le cœur battant, le souffle rauque, il compta les secondes : un, deux, trois, quatre…
- Il est passé par là, ma tourterelle ! allons, Mrs Norris, ne le laissons pas s'échapper !
Le sifflement furieux et enroué de M. Rusard raidit l'enfant contre son rempart de bois. S'il allait entrer… si le chat-démon sentait sa trace… si…
Les pas et le souffle bruyant s'éloignèrent. En quelques secondes le silence retomba et il fut de nouveau seul, dans une salle inconnue au cœur d'un Poudlard déserté.
Il attendit quelques minutes, autant pour être sûr que ses poursuivants l'avaient abandonné que pour laisser à son cœur le temps de se calmer et de cesser de battre la chamade. Quand enfin l'adrénaline le quitta, il s'affaissa contre la porte, tremblant de la peur subite qu'il avait connue.
Ridicule, se dit-il, ce n'est que Rusard ! Qu'est-ce que je risque ? Une retenue ?
Mais tout était allé très vite et il n'avait pas eu le temps de raisonner au travers de sa peur, sans même compter la culpabilité de porter un manteau d'invisibilité sans raison valable. Si on l'accusait d'avoir des desseins malicieux, qu'est-ce qu'il pourrait dire ? « On vient de m'offrir ce manteau et je l'essaie ? » Vraiment convaincant.
La seule idée lui fit émettre un grognement qui résonna dans la salle, le figeant de nouveau. Regardant à droite et à gauche, il réalisa qu'il ne savait pas où il était et qu'il n'y voyait rien. Il avait couru au hasard dans les couloirs et s'était engouffré dans la première pièce ouverte. Il ne put pas s'empêcher de penser que c'était dans les mêmes circonstance qu'ils avaient découvert Touffu, le gigantesque chien à trois têtes d'Hagrid : en fuyant Rusard lancé sur leurs traces par Draco Malfoy sous le prétexte d'un duel de minuit. Quoiqu'Hagrid affirme que Touffu était très gentil et que Harry sache maintenant comment le calmer – il pourrait toujours chanter ou siffler si c'était nécessaire – il n'était pas vraiment à l'aise à l'idée de faire à nouveau une rencontre de ce type. Heureusement, il avait appris quelques petites choses utiles entre-temps.
- Lumos, souffla-t-il en élevant sa baguette.
Sous la lumière douce qu'il venait de créer, il découvrit, à son grand soulagement, que la pièce était vide et qu'aucune des créatures crées par son imagination trop fertile ne l'attendait en émettant des bruits affamés. C'était une pièce vide, au sol recouvert d'une épaisse couche de poussière, dont le seul relief était un objet d'une certaine hauteur recouvert d'une toile, placé en son centre exact. Curieux, le garçon s'avança et découvrit que la poussière était absente autour de l'objet. Hésitant, il avança la main vers la toile protectrice. Ce n'était pas une bonne idée. Il avait eu assez d'aventures pour cette nuit. Ça ne le regardait pas, ce qu'il y avait sous cette bâche. Mais alors même que les pensées défilaient dans son esprit, sa main tirait déjà sur le tissu, le faisant glisser de son support et découvrant un immense miroir en pied, le dépassant d'au moins un mètre.
- Zut, soupira-t-il. Il ne servait à rien de le nier : il était aussi curieux qu'une fouine, et détestait les secrets, sans doute parce que les Dursley refusaient de répondre aux questions. Il ne parlerait certainement pas de sa découverte à ses amis : « Oh oui ! j'ai découvert un miroir ! ». Si excitant.
- Laisse tomber, Potter, marmonna-t-il en commençant à se pencher pour rattraper la toile.
Il se figea soudain. Le miroir, qu'il n'avait pas bien regardé, n'avait jusque-là affiché qu'une image banale : celle d'un petit garçon trop curieux et debout après le couvre-feu. Mais au moment où il s'était penché… il se redressa lentement, les yeux rivés sur la surface réfléchissante. Oui, là… il lui avait bien semblé voir…
Il se figea devant l'objet, la main crispée sans s'en apercevoir sur la toile qu'il n'avait pas lâchée. Son reflet avait disparu. Le mercure du miroir avait commencé à tourbillonner et l'avait entrainé, le décomposant en petits éclats de couleurs sur la glace comme une mosaïque sur un fond argenté. Le tourbillon continuait de plus belle, dispersant et réarrangeant les éclats de couleurs comme un puzzle, jusqu'à ce qu'une nouvelle image apparaisse en face de lui. Il ne put retenir une exhalaison brutale.
C'était lui. Ou plutôt, un lui. Un lui différent. Un Harry Potter qu'il n'avait jamais vu, jamais imaginé. Il dévisagea l'image, cherchant les différences et fasciné. Un peu plus vieux, peut-être ? Un peu plus grand, certainement, même si pas de manière évidente. Pas de lunettes ! Il retint un soupir, un peu envieux de ce Harry qui s'était débarrassé des reliques que lui-même portait sur le nez. L'autre portait comme lui la robe noire de Poudlard, celle d'un élève de l'institution où il était inscrit, la différence étant la tombée impeccable de la robe, sans un pli ou une miette en trop. Harry sourit un peu à l'idée d'un alter-ego bien tenu. Etait-ce là leur différence principale ? Y avait-il un univers où Harry Potter se préoccupait de sa toilette ? Un rire déplacé lui chatouilla la gorge en pensant à la différence que cela aurait pu provoquer dans ses aventures. « Oh non, je ne peux pas courir, je vais froisser ma robe ! » « Je ne peux pas briser le couvre-feu, Ron, si je ne dors pas mes huit heures j'ai des poches horribles sous les yeux. » « Si ce chien me bave dessus… »
Essayant d'étouffer son rire, il reporta son attention sur son reflet, notant au passage qu'il s'était habitué à la magie plus vite qu'il l'aurait cru : il était rentré en septembre, on n'était qu'en décembre et les miroirs magiques le faisaient déjà ricaner. De quoi serait-il capable en fin d'année ? De duels magiques contre des revenants ?
- Reprends-toi, Potter, marmonna-t-il encore une fois. Un peu de sérieux serait de mise dans la situation.
Mais rien d'extraordinaire ne se passait dans le miroir, en fait : on aurait dit que son alter ego, très concentré, faisait ses devoirs. La plume courait sur le parchemin avec une alacrité que Harry ne maitrisait certainement pas, et la rapidité avec laquelle l'autre parcourait les livres étalés sur la table autour de lui et relevait les références l'époustouflait un peu.
J'espère que c'est une version future de moi, pensa-t-il. Ça ne me ferait pas de mal de pouvoir faire mes devoirs avec facilité. Encore que les cheveux longs, je sais pas…
L'autre semblait porter ses cheveux extrêmement longs, comme en témoignait la tresse épaisse posée sur son épaule. C'était certainement plus rangé que sa propre touffe désordonnée mais s'il avait le choix, il aurait plutôt opté pour une coupe courte… Il grimaça en pensant qu'il n'avait peut-être pas le choix. Peut-être que rien ne pouvait calmer son système pileux déchainé et que le laisser pousser était la seule solution. Les coupes de tante Pétunia n'avaient certainement pas aidé.
Au moins ça lui allait bien ça lui donnait un petit air sérieux qu'il ne détestait pas. Il espérait juste qu'il existait des sorts spécifiquement pour prendre soin des cheveux, sinon il allait passer des heures le peigne à la main. Peut-être que leurs univers n'étaient pas si différents, après tout : lui aussi devrait bientôt refuser les aventures : « Désolé Ron, je dois me donner cent coups de brosse avant d'aller me coucher, sinon je frise. » Une excuse valable si pas vraiment glorieuse.
L'ennui le gagna bientôt. Il était vraiment blasé. Un miroir offrant une vision du futur – ou d'un autre univers, difficile à dire – ça ne se rencontrait pas tous les jours ! Sauf à Poudlard où chiens à trois têtes, fantômes et trolls abondaient, ainsi d'ailleurs que miroirs qui commentaient votre toilette et l'état de vos robes Tous. Les. Fichus. Matins. Quelquefois un peu de silence serait bienvenu, et il avait plus d'une raison de ne pas s'attarder dans la salle de bains plus que nécessaire. Tout ça pour dire que si la vision d'un futur mieux coiffé et plus diligent ne le dérangeait pas, il ne se sentait pas vraiment tenu de rester à contempler sa propre face jusqu'à la fin des temps, il ne s'aimait pas à ce point-là. Se rapprochant lentement du meuble avec un sourire – sa soirée se terminait sur une note plus sympathique qu'il ne l'aurait cru – il haussa un peu la toile qu'il avait gardée dans les mains pour l'en recouvrir. A la dernière seconde, sur un coup de tête, il laissa retomber le voile et libérant une main, il frappa au miroir comme on cogne à une porte. Pourquoi pas ?
Dans le futur, il raconterait cet incident à une personne et exactement une, en chuchotant et un verre à la main, et quand cette personne lui demanderait son train de pensée à ce moment-là, il jurerait que tout ce qui avait traversé sa tête avant son geste incongru avait été quelque chose comme : « ça serait chouette s'il pouvait me donner des informations sur le futur. » Aucune révélation, suspense ou conviction n'accompagnait cette pensée, c'était comme de toucher l'écran de télé en lui disant « ce serait chouette de ta part de me donner les numéros du loto » avant de l'éteindre et de passer à autre chose ! Mais la télévision, surtout la télévision des Dursley ne répondait pas aux prières, et il aurait dû mieux savoir que de risquer une pensée pareille dans un lieu comme Poudlard où tout pouvait arriver.
Son double releva la tête et fixa directement son regard sur lui, l'air choqué.
Harry s'étrangla et lâcha prise sur la bâche qui glissa au sol où elle git oubliée. Prisonnier du regard de son reflet, il retint son souffle jusqu'à ce que le manque d'air l'oblige à le relâcher.
- Qu'est-ce que… ! s'exclama-t-il, sincèrement choqué.
L'autre posa sa plume d'un geste décisif, et notre Harry remarqua qu'il n'avait pas du tout peur, ou du moins que cela ne se voyait pas.
- C'est la première fois que je suis contacté par une version de moi-même, dit l'autre d'un ton amusé. Je sais qu'on finit par tout voir dans le monde magique mais je dois avouer que je ne m'y attendais pas du tout.
A Suivre.
