C'est dur. Très dur les lendemains de cuite.
Surtout quand la nuit est agitée. Enfin, pas dans le bon sens du terme.
Si encore je m'étais couché avec Lui, tout aurait pu être parfait. Mais ça n'est absolument pas le cas.
Ce matin, je me suis réveillé en nage. C'était atroce. Tout comme la nuit que je viens de passer. A tourner. Retourner.
Et surtout, à rêver. A rêver de Lui.
C'était complètement étrange. Je me retrouvais spectateur d'une scène de ma vie que j'avais vécu. Il y a longtemps. Une dizaine d'années.
On était tous les deux aux abords des Arènes, attendant chacun notre Maître. Et Il était là. Beau. Fier. Ses longs cheveux ruisselant sur ses épaules, cascadant dans son dos. Et ce regard qu'il m'a alors lancé. Je m'en souviendrai toujours. Il était plein de douceur et de joie. Les mots qu'il m'a adressés me font encore frissonner.
- Tu dois être Shura ! Mon Maître m'a parlé de toi.
J'en frémis encore. Je revois son sourire, ses cheveux qui volent doucement autour de lui, emportés par le vent. Et cette façon qu'il avait, et a toujours, de replacer ses mèches.
- Mon Maître connaît beaucoup Alejandro, ton maître. Il dit qu'il est gentil. Comme toi.
Déjà à cette époque-là, je restais bête face à lui. Muet comme une carpe. Sous le choc. Et ça dure encore aujourd'hui. Je crois que c'est ce jour-là que je suis tombé amoureux de lui. Il était la plus belle personne que j'ai jamais rencontrée dans ma chienne de vie.
- Andreas arrive, je te laisse. A bientôt j'espère.
Il me fit un léger signe de la main et disparut en courrant vers son Maître. C'est à ce moment qu'Alejandro est arrivé et a posé sa main sur mon épaule.
- Pourquoi tu n'as rien dit, Shura ? Tu sais, il ne mord pas.
- Je… Je ne savais pas quoi dire Maître…
- Il faudra bien briser la glace pourtant. Tu vas être amené à faire de grandes choses avec lui… Crois-moi…
- Vous… Vous êtes sûr ? Des choses grandes comment ? Comme ça ?
Et bêtement, je me suis mis à écarté les bras le plus possible, tentant de créer une échelle de grandeur. Il se mit à rire et posa sa main sur ma tête, m'ébouriffant les cheveux.
- Encore plus grande…
Et c'est là que je me suis réveillé pour la première fois de la nuit. J'avais ce sourire niais au coin des lèvres. Cette petite boule d'émotions dans le ventre. C'était agréable. Déesse oui, c'était vraiment agréable…
En me forçant un peu, j'ai réussi à me rendormir. Et à continuer de rêver de Lui.
- Mais qu'est-ce que tu fais ? Tu vas te battre oui ou non Shura ?
- Euh… Oui. Oui je vais me battre !
La belle affaire. On devait avoir à peine quatorze ans à ce moment-là. On s'entraînait souvent ensemble. C'était bien. On était que tous les deux. Juste Lui et moi. Perdus au milieu de nul part.
Une pluie de coups s'abattue alors sur moi sans que je ne vois rien venir. J'étais subjugué. Perdu dans son regard. Je n'ai su parer aucune de ses attaques, pourtant plus que prévisible. Quand j'y repense maintenant, je me dis que je suis vraiment un idiot. Il a souvent gagné contre moi, pour ne pas dire tout le temps. Bien évidemment, pour me défendre, je lui disais que je faisais exprès, ça passait mieux.
- J'ai encore gagné !
- Ouais. Mais c'est parce que je t'ai laissé faire !
- Arrête de mentir !
- Même pas vrai !
Et il se mit à bouder comme un gamin. Je crois que c'est ce jour-là que je me suis décidé. J'ai pris mon courage à deux mains et je suis allé vers lui, pour le prendre dans mes bras. Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Sans doute pour le réconforter. Pour qu'il arrête de bouder. Je ne voulais pas le voir bouder à cause de moi. Je l'aimais trop.
Sursaut. Souffle coupé. Je crispe mes doigts sur les draps et me retient fort pour ne pas crier. Je ne sais pas pourquoi. Mais je me suis retenu. Pour qui j'allais passer si je faisais ça ?
Je reprends le court de ma nuit. Il est définitivement trop tôt. C'est indécent.
Et Il est toujours là. On a désormais dix-sept ans. Il est toujours aussi beau. Et il est avec moi. Nous sommes à Athènes. Il est tard, nous sommes dans un bar, et nous sommes quasiment seuls. Il y a à boire, et sa voix.
- Tu sais Shura, je n'oublierai jamais tout ce que tu as fait pour moi depuis qu'on se connaît…
- Comment ça « tout ce que j'ai fait pour toi » ?
- Tu sais bien… Quand on était plus petits. Depuis notre rencontre. Quand les autres se moquaient de moi, tu étais toujours là pour me défendre. Je me souviens encore de la tête de DeathMask quand tu lui avais mis ton poing dans la figure. Il était sur le cul ! Et ce cocard qu'il s'est tapé pendant deux semaines ! Fabuleux… Et je ne te parle pas du reste…
- Ne me remercie pas pour ça… Je n'ai jamais supporté qu'on se moque de toi… Je… Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que je te connais, j'ai toujours voulu te protéger des autres…
- Mais pourquoi ? Tu n'étais pas obligé tu sais…
- Je sais… Je sais… Mais Alejandro m'a toujours dit de veiller sur toi… Il m'a fait jurer de te protéger quoi qu'il m'en coûte… Alors, je le fais…
- Je suis assez grand pour me protéger tout seul !
- Je ne dis pas le contraire. Mais… Mais…
- Mais quoi, Shura ?
- Mais tu comptes tellement pour moi…
- Toi aussi tu comptes pour moi… Toi aussi… Et je serai toujours avec toi…
Et c'est là que je me suis réveillé en sursaut. Une boule dans le ventre. Réveil difficile. Je me suis réveillé au moment où il a posé sa main sur la mienne. Difficile.
Il faut que je me ressaisisse. Un coup d'œil à gauche, le soleil est encore loin de se lever. Poisse… Un coup d'œil à droite…
En fait, je vous ai menti. Je n'ai pas passé la nuit seul. Il est là. Avec moi… A moins que… A moins que ce n'est encore mon imagination qui me joue des tours…
