Voilà une nouvelle chose, très courte, que j'aurais pu développer à mort, mais je n'en avais pas trop envie, pour le moment. Un POV de Roger, que j'aime bien comme personnage et dont j'avais l'idée depuis très longtemps, tellement que je ne sais plus trop comment elle est arrivée.

Enfin, tout ça fait sens, je crois.

Joyeux noël. Green'.


Le garçon n'était pas transi, il n'était pas effrayé. Ni épuisé, ni même triste. On pouvait percevoir une certaine détente, une certaine expression, sur ses traits. Une sorte de rictus mou.

Le garçon était anéanti. Pulvérisé. Atone.

Une sorte de zombie, en fait, ça aurait pu être drôle, si ça n'était pas aussi pitoyable et dégoutant. Son pantalon trop grand et déchiré aux genoux, son pull tâché dont la laine formait des peluches sans couleur avec lesquelles il jouait pour occuper ses mains sales et couvertes de brûlures. Les fils se prenant dans un de ses ongles, fendu sur toute la longueur. Aux coins de ses lèvres, des croûtes banches s'étalaient. On ne l'entendait même pas respirer.

En fait, il avait l'air d'un nouveau né.

Il sortit lentement une vieille console rafistolée de sa poche. On m' avait dit qu'il l'avait réparée lui même, avec étonnement et affairement dans la voix. Qui aurait pu croire que ce petit corps frêle eut pu produire assez d'énergie pour cela ?

Je le regardais avec l'air surement vaguement dégouté, mais tendre, que je resservais à chaque nouvel arrivant.

- Comment va t-on te nommer, jeune homme ? Tu es ici parce que tu es exceptionnel, il faut protéger ton identité dorénavant.

C'était une question de pure rhétorique. Jamais l'enfant ne faisait de proposition, bien sur. Mais il parlait et cela suffisait généralement à le baptiser.

Il semblait que personne ne lui ait jamais vraiment posé ce genre de question. Il semblait que quelque chose qui relevât de sa propre responsabilité le terrifiait tout bonnement.

- Je m'en fiche, répondit il rapidement, peu importe.

- I don't care, it doesn't matters.

Il se trompait, Mail. C'était important. Tout comme lui, le serait. Oui, le plus important de tous, sans doute. Une importance toute particulière. Toute. La problématique importance de l' humanisme niais et du Sentiment. Sans doute nous n'entendions pas la même chose, lui et moi, par « matters »; pourtant, je le repris.

- It matters, mail, it matters.

Fut tout ce que je fus capable de répondre. Ça sonnait creux, d'un air affable. En réalité, je l'avais nommé. Pauvre enfant.

Je l'avais compris sur le moment, et le répétais plus sérieusement, convaincu.

It matters.

Matters

Il releva la tête, et la pencha sur le côté, d'un air de hibou. Un air à vrai dire accentué par la paire de lunettes qui cachait le regard de l'enfant. Derrière ces lunettes aux verres orangés, le monde devait sembler plus lumineux, plus détaché, plus beau. Comme derrière l'écran de sa console.

Quelques secondes passèrent.

On ne lui avait jamais dit que son existence pouvait revêtir une quelconque importance. Une idée saugrenue.

Il poussa un ricanement bien trop âgé pour sortir de sa gorge, mais se leva lentement. Il semblait avoir compris quelque chose, lui aussi. Son rictus se tortilla. Les traits de son visage s'affaissèrent. Il me sembla que Mail Jeevas avait tout simplement oublié comment sourire.

"- J'ai tant de sens que cela ? " demanda t-il, sincèrement inquiété par cette question

Tu trouveras vite la réponse, ici, répondis je, serein.

J'avais raison, mais je ne m'étais pourtant jamais autant trompé dans le fond. Hélas, ou tant mieux.

A toi de nous le prouver.

Matters.

Matt