Auteur: BIGGAROW
Beta: Amaterasu Chi
Les personnages de cette fiction appartiennent à Masashi Kishimoto :: Gloria To The Master !
\ Inspiré par Bram Stocker - Dracula /
Dæmonic
JOURNAL DE NARUTO UZUMAKI
le 3 mai. Étrange nuit que celle-ci. Voilà des semaines que je suis victime d'insomnies. Au réveil, j'ai le cœur lourd et la bile aux lèvres; des images furtives de mes rêves apparaissent, mais repartent avant que je n'en comprenne le sens. Mais cette nuit fut, sans doute, la pire de toutes - bien que mon repos fut lourd et qu'au réveil, pour une fois, je fus heureux de constater que j'avais mon quota de sommeil. Je ne pense pas être atteint d'un quelconque virus ou d'une maladie inconnue : mon mal ne semble venir de nulle part. Peut-être est-il bien plus mental que physique ?
Quoi qu'il en soit, je me sens enfin le courage de coucher sur papier tous mes ressentiments: peut-être trouverais-je la solution à mes soucis en relisant ces lignes si mon mal perdure ?
Hier au soir, donc, j'ai dîné tôt en compagnie de mon fidèle ami, Kiba; c'était un rendez-vous depuis longtemps fixé et je ne pouvais me contraindre à l'annuler. Tout du long, il s'enquit de ma santé en me rappelant constamment les cernes noirs qui arpentaient mes joues ainsi que la pâleur inhabituelle de ma peau. Je m'efforçais de repousser son inquiétude, parvenant même à le faire rire comme à mon habitude - tâche pourtant difficile dans mon état. La soirée s'éternisait, je n'arrivais guère à trouver d'intérêt aux paroles que nous échangions ni même à la nourriture que j'avalais; tout me paraissait superflu. Je ne sais si ce fut la voix grave et berçante de mon ami ou la pâle lueur de la Lune éclairant le sofa d'une douce lumière confortable, ou, simplement, l'heure tardive couplée à mon étanche fatigue, mais je me retrouvais à somnoler sous le regard surpris de mon invité et de mes domestiques. Sans que l'on me bousculât, je sursautai soudain, m'éveillant aussi vite que je m'étais endormi. Je m'épanchai dans des excuses interminables, définitivement gêné. Mais Kiba se leva soudain et posa sa main sur mon visage; la chaleur de sa paume inonda mon front et je sentis un feu prendre peu à peu possession de mes joues. Il retira sa main, ignorant mon trouble, et plongea son regard dans le mien. Il me sonda pour essayer de trouver l'origine de mon souci, mais ne décela rien; il soupira et déclara:
- Naruto. N'essaye pas de me cacher quoi que ce soit: je suis ton meilleur ami et si quelque chose ne va pas, je finirais par le découvrir.
- De simples troubles du sommeil, lui expliquai-je, cela fait quelques jours que je dors assez mal. L'approche de la Pleine Lune, qui sait !
Kiba sourit de cette théorie ab absurdo, conscient que je n'étais pas homme à être touché par ces croyances de bonnes femmes pour expliquer des phénomènes inhabituels. Il reprit néanmoins son sérieux et enferma mes mains dans les siennes.
- Ce n'est pas amusant, l'ami. De telles insomnies peuvent avoir de graves répercussions si l'on ne s'en préoccupe pas. Fais donc plus attention à toi !
- Je tâcherai de m'en souvenir, Kiba.
Je me levai à mon tour et alors que les plis de mon pantalon se défroissaient, quelque chose s'échappa de ma poche et tomba lourdement sur le sol. Mon ami se pencha et ramassa l'étrange objet.
- Qu'est-ce que c'est ? Une pierre ?
D'une forme ovoïde presque parfaite, une pierre noire et lisse était posée dans sa paume; elle était à quelques endroits nervurés de fines veines blanches, parfois rouge-vermeille selon la direction de la lumière.
- Oui. C'est de l'onyx: une pierre de protection qui fortifie le corps.
- Je pensais que tu ne croyais pas aux billevesées des diseuses de bonne aventure... Dit-il en me tendant la pierre.
- Je ne l'ai pas acheté pour ces balivernes. J'ai seulement été envoûté par son charme et sa joliesse.
- C'est juste un caillou.
- Et bien, nous ne voyons pas la même chose, voilà tout.
Je ne saurai dire pourquoi, j'étais assez vexé de son mépris devant une beauté si rare. Simple certes, mais ensorcelante. Je lui décochai cette dernière remarque non sans contrariété. Mon animosité le surprit, j'espérai qu'il la mit sur le compte de la fatigue. Heureusement, je le vis se radoucir et sourire joyeusement.
- Si tu le dis, l'ami. En tout cas, s'il possède un quelconque pouvoir, ton caillou, je souhaite de tout cœur qu'il te remette d'aplomb !
Je levai les yeux au ciel alors qu'il me tapait amicalement l'épaule. Nous échangeâmes quelques mots encore puis il me salua et me conseilla tout de même de rendre visite à un médecin. Son attention me toucha et je lui promis de faire le nécessaire pour aller mieux.
Mon ami enfin parti, une grande lassitude s'empara de moi. Et même si j'appréhendais de me retrouver dans les bras de Morphée, je n'aspirais pourtant qu'à une chose: le sommeil. Une force, bien plus importante que la tension de ma fatigue, semblait m'attirer, m'hypnotiser, me forçant à me glisser dans les draps au plus vite. Alors seulement, je me rendis compte que j'étais à présent dans ma chambre, le torse nu, la pierre noire étroitement serrée dans ma main. Elle dégageait une telle chaleur ! Comme si elle répondait à l'étreinte de ma poigne. Je ne me souvenais guère comment j'étais parvenu jusqu'ici et me promis de mentionner cet étrange trou noir dans mon journal quotidien. Je n'avais, pour l'heure, pas la force d'écrire quoi que ce soit et je suis bien heureux de me souvenir d'autant de détails – j'espère néanmoins ne rien omettre d'important. Je me couchai sans prendre la peine d'enfiler mes habits de nuit. Je rabattis mes bras sur ma poitrine, ma main enserrant toujours la pierre tout contre mon cœur. Ce fut la première fois que je dormis avec; mais ce soir-là, je l'avoue, je n'avais pas non plus le courage de m'en défaire. Sa chaleur me procurait un étrange réconfort et je me pris à espérer qu'elle me protégerait des mauvais rêves et esprits.
Billevesées, j'en conçois. Et pourtant, mon cœur s'apaisa de tout souci, adoptant un rythme lent, flegmatique. Mais fort et lourd. Je me laissai bercer par son timbre grave et l'écho de ses battements se ressentit jusque dans mes doigts, ma paume et ce qu'elle protégeait. Je finis par m'endormir et je ne me réveillai pas jusqu'il y a quelques minutes seulement.
Plus curieux encore, je me souviens parfaitement des songes qui ont peuplé ma nuit, contrairement aux précédents. Il me semble, en tout cas. Si ces images qui me reviennent sont obscurément étranges, elles n'en sont pas moins claires dans mon esprit. Pourtant, je ne sais comment réagir: je n'ai jamais encore rêvé de telles choses, de sorte que j'hésite à en parler. Mais que dis-je encore ! Ce ne sont là que des songes, les chimères de mon esprit éprouvé par des nuits d'insomnie. Il n'y a bien sûr aucun présage néfaste à en tirer...
J'ai beau l'écrire, mon cœur n'en est pas plus tranquille. Voilà que je m'égare encore: peut-être me suffira-t-il de le conter pour me convaincre de son absurdité. Voici de quoi il est question :
Mon rêve s'ouvrait sur une brume blanche épaisse. Elle se dissipait peu à peu, dévoilant un cimetière anglais ordinaire sous une pleine lune chatoyante. Je ne sais guère si j'étais réellement là, mais je ne pouvais voir mon corps. Je ne connaissais guère cet endroit et je ne voyais aucun indice qui puisse m'indiquer où je me trouvais - une preuve que j'inventais tout cela, non ? - Cependant, je me déplaçais entre les tombes comme si je savais où aller. Tout me paraissait étrangement réel: je ne pensais pas qu'un rêve puisse être aussi détaillé ni même qu'on puisse en avoir conscience. Il me semblait aussi sentir la brise nocturne sur ma peau et l'entendre souffler à mes oreilles - vraiment, mon imagination m'impressionne.
Je continuais mon périple entre tombes et mausolées: il ne me semblait pas qu'il puisse exister une atmosphère plus inquiétante et morbide que celle-ci. Soudain, le vent sembla s'arrêter; mais je me rendis bientôt compte que c'était moi qui avais cessé d'avancer. Immobile au côté d'un grand saule dont les tristes branches semblaient m'effleurer, je ne sais pourquoi, mon attention était tournée vers une tombe des plus rudimentaires. Ce fut la première fois que je vis une tombe aussi désolante. Il s'agissait d'une simple dalle de pierre et en son centre, se dressait une croix austère en fer forgé. Il n'y avait là ni nom, ni date, ni fleur. Juste un mort oublié de tous. Même les mousses et les lichens dédaignaient sa tombe.
Soudain, la pierre se craquela. Aucune force ne l'avait pourtant atteinte, elle semblait s'ouvrir de l'intérieur comme un œuf. Après quelques secondes de silence, la roche se fendit une nouvelle fois, plus fortement encore. Puis elle sembla exploser enfin, projetant des éclats saillants tout autour. Mon réflexe aurait été de me reculer, mais mon corps - si j'en avais un - ne réagit guère, attendant la suite des événements. Et c'est avec horreur que j'y assistais. Une main sortit d'entre les débris; et quelle main ! De longs doigts squelettiques, une chaire grise en lambeau. Si elle semblait fragile, elle dégagea néanmoins les décombres avec grande force. Puis, poussant sur le sol, elle extirpa un bras et une épaule, probablement décharnés eux aussi, mais les vestiges de vêtements cachaient leur dégradation. Une fois de plus, si le contrôle de mon corps m'avait été confié, j'aurais décampé sur le champ. Mais il n'en était rien et je restai, forcé de regarder ce spectacle macabre. Bientôt, un deuxième bras apparu, puis une tête - heureusement encapuchonnée - et enfin le cadavre se leva définitivement. Un grincement atroce retentit lorsqu'il se redressa et je remerciai... quiconque voulait entendre ma gratitude que le mort porta une cape - quoique bien endommagée par le temps - pour cacher sa chair décrépie.
Un long moment, la silhouette resta debout sur sa tombe détruite, la tête levée vers la Lune. Elle resta si longtemps immobile qu'elle me parut une simple statue. Mais alors que je l'observais, je remarquai qu'elle faisait de même; je ne l'avais pourtant pas vu bouger. La lune éclairait désormais une partie de son visage: on distinguait sans mal la chair grise déchiquetée, dévorée par les mites et les vers, des fentes retroussées qui naguère devait être son nez et enfin - horrible constatation - sa bouche dépourvue de lèvres découvrait des dents pointues d'un blanc pur. Je ne pouvais voir ses yeux; mais je les devinais dans les sombres orbites: ils semblaient comme des gouffres, des puits sans fond d'où brillait une lueur pourpre inquiétante.
Puis, aussi étonnement qu'il était sorti de sa tombe, il disparut. Et l'instant d'après, il se tenait à mes côtés. Tellement près que je sentis son souffle putride sur ma peau - il me le semble, en tout cas. Il découvrit un peu plus sa mâchoire, me menaçant de ses crocs acérés. Avec horreur, je le vis plonger dans mon cou, je crus même sentir ses dents s'enfoncer dans ma chair puis je m'éveillai. En sueur, le cœur palpitant, une douleur lancinante dans la nuque, mais bel et bien dans mon lit.
Par réflexe, je portai la main à mon cou. Je ne sentis aucune blessure sous mes doigts et la précédente douleur avait désormais totalement disparue. Je constatai que les doigts de mon autre main étaient douloureusement crispés, enserrant toujours la pierre noire. Je me levai alors et me précipitai à mon bureau pour écrire ces quelques lignes.
Je suis épuisé désormais. D'avoir eu à revivre cette terrifiante nuit.
EXTRAIT DE LA SOUTHMINSTER GAZETTE, 4 mai
Le mystère de BELLWOOD
Étranges événements dans le petit village de Bellwood. Ce 3 mai, le gardien du cimetière effectuant son habituel tour de garde aux environs de minuit, fit une découverte des plus macabre: une des tombes du cimetière était sauvagement saccagée. La dalle avait été totalement brisée et la croix divine qui la scellait, tordue violemment.
Fait tout aussi troublant: le mausolée, légèrement en retrait du cimetière, ne portait aucune inscription; le gardien nous a affirmé que personne ne venait jamais se recueillir sur cette tombe.
On estime qu'il s'agirait de l'œuvre d'un vandale essuyant un canular de mauvais goût...etc.
JOURNAL DE NARUTO UZUMAKI
Le 4 mai, 14h00. Quel funeste hasard est-ce là ? Est-ce réellement possible, une telle chose ? Je n'aime pas – n'y crois – les stupidités du surnaturel qui se révèlent bien trop souvent des canulars désobligeants. Mais dans ce fait, est-ce vraiment irrationnel de rêver d'un événement qui est seulement en train de se dérouler – je le suppose puisque cela c'est passé. Je n'arrive pourtant que difficilement à y croire; et je n'y croirais sûrement pas encore si les faits n'étaient pas marqués noir sur blanc dans le journal. Et pas qu'un seul ! L'acte a été édité dans plusieurs quotidiens: il prend une place plus ou moins importante selon la revue, mais j'ai réussi – car il fallait absolument que je vérifie – à me procurer un de ces articles avec une photo du cimetière vandalisé.
Et quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant le vieux saule au côté duquel je me tenais la veille au soir ! Et la dalle qui avait explosé sous mes yeux était bel et bien là. Dois-je comprendre que le cadavre qui en sortit était réel lui aussi ? Et si c'était le cas – je n'arrive pas à croire que je l'ai dit ! - si c'était effectivement le cas, est-il bien sûr de laisser un macchabée se promener dans les rues du village ? Je me sens vraiment ridicule et probablement le serais-je encore plus si je vais voir la police ! Sûrement me prendrait-on pour un fou et me jetterait dans l'asile le plus proche. Même moi, j'hésite à m'y rendre de mon propre chef...
Plus j'écris, plus je m'embrouille, et plus je me rends compte de l'incohérence de mes pensées. J'ai besoin de me changer les idées, définitivement.
Je souhaite pouvoir rouvrir ce journal sur un autre sujet.
RAPPORT DE L'AGENT ROCK LEE
le 6 mai. Triste vision que celle-ci. Une étrange épidémie - ? - semble se propager le long des routes, touchant des animaux de petits et de gros calibres.
Étant donné les événements de Bellwood, j'ai été appelé en renfort pour surveiller le bourg. Rien d'anormal ne s'est produit depuis l'incident du cimetière; cependant, alors que j'effectuais ma ronde, je remarquais bon nombre de cadavres de rats dans les rues de la ville. J'ai, bien entendu, fait appel à un professionnel en songeant à une invasion de ces nuisibles. Je n'eus guère le temps de le croiser cependant: je devais déjà repartir.
Une voiture vint me chercher. Et, sur le chemin, j'entendis le chauffeur s'exclamer: je trouvais alors une carcasse de sanglier. Du moins, une moitié - éparpillée sur la chaussée - et je découvris l'autre non loin. Cependant, la chair y avait disparu et les os étaient comme rongés. Spectacle bien dur à avaler si proche du repas du midi...
J'imagine que d'autres animaux ont subi le même sort que ces pauvres êtres: si une bête sauvage - bien plus probable qu'une épidémie - traîne dans les parages, je dois absolument en référer au général Maito.
JOURNAL DE NARUTO UZUMAKI
le 9 mai. Au final, je suis encore là. Ce n'est pas de gaieté de cœur, mais ces derniers événements me poussent à y revenir. Il n'est pas impossible - étant donné les circonstances actuelles - qu'il m'arrive quelques aventures. Et si je venais à disparaître, je souhaite que ce journal puisse aller aux mains de mes amis pour qu'ils sachent ce qu'il m'est arrivé - en priant pour qu'ils ne croient pas que j'eusse seulement perdu la raison.
Le début de la semaine ne fut guère mouvementé: j'essayais, par tous les moyens à ma disposition, de me sortir de la tête ce maudit rêve, c'est pourquoi j'évitais mon journal pendant quelques jours - et les journaux quels qu'ils soient d'ailleurs. Ce fut l'occasion de rendre visite à ma délicieuse cousine, Sakura. Toujours aussi charmante et polie; mais elle fut aussi attristée, voire contrariée, de mon état de grande fatigue. Elle m'ordonna même de prendre un de ces remèdes personnels - plantes et autres substances exécrables: or, on ne peut guère refuser un ordre de Sakura, surtout lorsque ses yeux et ses joues flamboient dangereusement. Elle reçut la visite de sa chère amie, Ino. Je me trouvai donc entre ces charmantes demoiselles à causer météo, voisinage, actualités et autre badinage bien spécifique à la gent féminine. Nous déviâmes un instant sur le mystère de Bellwood - qui apparemment passionnait les jeunes filles - et je me sentis nauséeux. Sakura le remarqua - peut-être s'imagina-t-elle que j'avais peur des histoires de fantômes... j'espère ne pas avoir trop baissé dans son estime - et elle changea de sujet. Je dînai avec elles puis m'éclipsai tard dans la nuit. Je ne rentrai pas pour autant: je passai la nuit dehors même si le sommeil me guettait.
Le matin, je repassai chez moi pour me débarbouiller, puis j'allai flâner chez mon ami Kiba. Comme je m'y attendais, cela tourna en bien plus qu'une simple visite amicale: je restai chez lui pendant deux jours - je fus, bien sûr, forcé de dormir, mais ces nuits furent étrangement calmes. Il me demanda des nouvelles de la jolie Ino ainsi que de l'avancement de ma relation avec Sakura, je rougis fortement à son allusion. Cela faisait bien longtemps que nous traînions notre béguin même si avec les années, il faiblissait pour n'être plus qu'une grande tendresse. Le matin du 8, je levai enfin les voiles en remerciant mon ami de son accueil chaleureux. Il m'assura que c'était toujours un plaisir de m'avoir à ses côtés et me proposa de repasser quand je le voulais.
En rentrant, je passai devant une joaillerie et j'y rentrai sur un coup de tête; je demandai à l'orfèvre de me confectionner un collier avec ma pierre d'onyx. Lorsque je la lui confiai pour qu'il l'examine, je sentis un grand vide en moi: j'eus mal comme si l'on m'ôtait un bien cher à mon cœur. Je n'eus qu'une envie: arracher mon précieux de ses mains grossières, le tenir contre mon cœur, le rassurer que je ne l'avais pas abandonné. Heureusement, il me le rendit avant que je ne le lui reprenne de force puis m'invita à choisir une chaîne pour le porter. Il m'en proposa en or, mais je les dédaignai; il me fallait une chaîne simple en argent: sa sobriété ferait ressortir au mieux la beauté de ma pierre. Après m'être arrêté sur un des liens, je lui confiais qu'il me la fallait au plus vite – car je ne souhaitais pas me séparer d'elle trop longtemps – et il me proposa de réaliser le bijou dans l'instant. J'acceptai et lui laissai une nouvelle fois la pierre non sans un pincement au cœur.
L'opération dura une petite demi-heure où je crus mourir. Le vide que j'avais ressenti plus tôt se muant en une panique atroce: j'étais comme tiraillé de l'intérieur. Je ne comprenais pas vraiment cet attachement que j'accordais à la pierre, mais je fus grandement soulagé lorsqu'elle me revint. Elle était désormais montée sur une base en argent, pendant avec grâce à la chaînette argentée. Je la passai autour de mon cou sous le regard surpris du joaillier – il est vrai que le bijou conviendrait bien mieux à une gorge féminine – et je le payai, le rouge aux joues.
Je me sentais désormais réconforté en sentant la pierre rouler sur ma peau à chacun de mes pas. C'est le cœur léger que je revins au logis.
Le crépuscule commençait à poindre: l'obscurité tomba comme une épaisse tenture lorsque j'arrivai chez moi. Le silence m'accueillit alors; il était rare de voir les domestiques si tôt couchés. Je traversai la maison, montant en hâte les escaliers; je n'aimais décidément pas cette atmosphère d'inquiétante tranquillité dans un endroit si vivant à l'accoutumée. On aurait dit le calme avant la tempête; et malheureusement, mon instinct ne me trompa guère.
Lorsque j'entrai dans la chambre, je sus que quelque chose n'allait pas. La fenêtre était grande ouverte, les rideaux volants au vent. Jamais encore la femme de chambre n'avait oublié de fermer la fenêtre. Et, à peine eus-je fini de clore la porte, qu'une force incroyable me projeta à travers la pièce; le mur stoppa mon vol et je m'étalai au sol, sonné. Si je n'avais pas eu l'oreille collée au plancher, peut-être n'aurais-je pas entendu le son de ces pas feutrés s'approcher de moi. Mais le temps que je reprenne mes esprits, un poids s'abattit sur moi, me bloquant tout mouvement. Je commençais à me débattre puis, sans trop savoir comment, je réussis à me retourner, faisant face à l'individu qui m'écrasait. Je remercie mon père de ne pas m'avoir légué ses problèmes cardiaques; mais même sans, il me sembla que mon cœur voulu s'échapper de ma poitrine par ma bouche. Je reconnus sans mal la silhouette qui s'était tenue, quelques nuits plus tôt, sur les gravats de sa tombe. Sa longue cape et les ténèbres de la pièce cachaient sa peau flétrie; je perçus tout de même deux points rouges briller la où devait être ses yeux. Je ne sais combien de temps je restai pétrifié; sûrement assez longtemps pour que le macchabée prenne ses aises sur moi: ses genoux se resserrèrent fortement sur mes côtes, bloquant un de mes bras qui avait échoué sous mes fesses dans ma contorsion, et il ramena son train sur mon bassin. Je m'apprêtais à le repousser de ma main restante – non sans répugnance à l'idée de toucher un cadavre –, mais il fut plus rapide que moi: il se saisit de mon poignet et le tint au-dessus de ma tête. Se faisant, il se pencha un peu plus vers moi et malgré l'obscurité, je pus découvrir son visage.
C'était tout, tout sauf ce à quoi je m'attendais. Mais, j'en suis sûr, mes yeux ne m'avaient pas plus trompé cette nuit-là qu'ils ne me trompaient maintenant. Sa peau, je l'avais vue grise, déchirée et pourrie; désormais, elle était blanche et lisse, semblable à de l'ivoire. Des lèvres apparaissaient, roses et charnues, dessinant une bouche aussi mutine que menaçante, surtout lorsqu'elles se retroussaient, dévoilant des gencives rouges et des dents plus pointues que la normale. Son nez aussi était visible: fin et légèrement aquilin, séparant des pommettes hautes - presque féminines. Et ses yeux ! Aussi sombres que l'obscurité qui nous entourait. Sans iris ni pupilles démarqués. Noir comme les Ténèbres. Ou rouge comme les Feus de l'Enfer. Je ne sais; les deux, il me semble. Et la main qui me retenait n'était ni squelettique, ni fragile: ses longs doigts fins emprisonnaient mon poignet dans un étau puissant. De son être dégageait une aura de force et d'assurance; et sa terrible beauté, sans égal, me glaçait le sang et faisait battre mon cœur à un rythme inquiétant. Ensorcelant. Hypnotisant. Il n'y avait pas que mon sang qui gelait; mon corps entier était rigide, pétrifié, et ma gorge tellement nouée que j'avais mal quand je respirais. Il se pencha sur moi et son haleine me donna un haut de cœur. Il feula comme pour se moquer et plongea définitivement dans mon cou. Ses dents déchirèrent ma chemise, découvrant la pierre à ses yeux. Je le sentis plus que je ne le vis se reculer; il l'effleura – je crus entendre un soupir – puis il feula de nouveau, plus fort, de colère cette fois. Il se jeta sur ma gorge alors, me perçant la peau avec ses crocs. Je voulus crier ma douleur, mais avant qu'un son ne s'échappe, il saisit ma mâchoire et la pressa. Il aurait pu la briser s'il avait voulu, mais je sentais la tension d'un désir sadique: j'avais le choix entre contrôler mes cris ou me faire broyer la mâchoire en mille morceaux. Je sentais avec horreur mon sang – pas si glacé que ça – couler le long de ma gorge puis sur mon torse. Il colla ensuite ses lèvres à la blessure et suça le fluide qui en découlait. Les bruits de succion couplés à mes gémissements résonnaient atrocement dans la pièce. Bientôt, il avala mes dernières forces - les dernières gouttes de mon sang, il me sembla - et je perdis connaissance.
Je m'éveillais en sursaut, sur le qui-vive; j'eus pourtant du mal à sortir définitivement de ma torpeur. Les événements de la veille me revinrent comme on se rappelle un mauvais rêve: ma poitrine sanguinolente témoigna pourtant en leur faveur. Je me levai d'un bond mais fus pris de violents vertiges: j'étais tellement faible que je ne pouvais supporter le poids de mon propre corps. Je m'effondrai et une fois encore, sur le parquet, je reconnus le son de ses pas agiles. J'essayai de me redresser mais ne parvenais qu'à ramper sur le sol. Je le sentis rire - car son rire était semblable au sifflement du vent dans les branchages d'un arbre; on ne peut que sentir une telle chose - et, pour la première fois, j'entendis le son de sa voix.
- Où crois-tu aller ?
Son timbre était grave, mais perçant; il résonnait jusqu'au fond de mes entrailles, me faisant trembler. Je perçus sa main sur mon dos, remonter le long de ma colonne, dans ma nuque puis glisser dans mes cheveux: il les tira avec force, me relevant le visage. Il se moqua de nouveau: sûrement pouvait-il lire la terreur sur ma face. Il colla sa bouche à mon oreille, sa voix siffla, aussi terrible que sensuelle:
- Remonte sur le lit. Je ne voudrais pas que tu te fasses mal.
- Ne l'avez-vous pas déjà fait, le mal ?
Ma voix était cassée, faible. Et il ricana. Il me souleva comme si je ne pesais rien et me posa sur le lit. Alors je le vis enfin, tête nue. Sa beauté ne perdait rien de sa magnificence à la lumière du jour, bien au contraire: elle en était accrue, à mon avis. Et sans sa toge, je découvris de longs cheveux noirs de jais encadrant son fin visage. Toutefois, ses yeux n'étaient plus semblables à la veille: l'iris était bien marqué désormais - même si la pupille restait invisible -, lui conférant une apparence bien plus humaine. Il arborait une moue mi-boudeuse, mi-sarcastique: expressions auxquelles je ne m'attendais guère, je l'avoue.
- Si j'avais tenu à te faire du mal, à l'heure qu'il est, tu ne serais plus de ce monde...
Il est vrai qu'il aurait pu me sucer tout le sang s'il l'avait voulu. Cependant, j'étais encore là et cela signifiait que l'être en face de moi ne me voulait aucun mal - enfin, excepter boire mon sang. Je sentais une nouvelle force s'emparer de moi, le courage revenant peu à peu.
- Alors que me voulez vous ?
Il me darda, presque contrarié que je reprenne contenance si vite. Puis il bougea si rapidement que je ne pus le voir, il passa derrière moi et sa main enserra ma gorge, ses longs ongles s'enfonçant dans ma peau.
- Tu as quelque chose à moi...
Je déglutis contre sa paume, puis sa main descendit, à la recherche de mon pendentif. Il me le brandit sous les yeux: ses doigts pâles semblaient être taillés pour tenir ma pierre. Il la touchait; pourtant je ne ressentais pas cette jalousie, cette colère que j'avais eu à l'égard du bijoutier. Bien au contraire, mon cœur s'emballait, se serait à mesure qu'il la faisait tournoyer entre ses doigts.
- Ceci...
- ... Est à moi... - Murmure possessif qui l'amusa beaucoup.
- Oui, mais c'est aussi mon cœur.
Je fis volte-face; avais-je bien entendu ? Mon regard dut en dire long sur toute la stupeur que je ressentais car il me rit au nez. Il lâcha néanmoins la pierre que je vins serrer à mon tour. Plus il parlait, plus j'avais la nette impression de me trouver en présence d'un fou furieux. Un rire nerveux m'échappa et je vis ses yeux luire dangereusement. À nouveau, il se saisit de ma gorge – plus sauvagement cependant – et me plaqua sous lui. Son nez touchait le mien, son haleine fétide caressait mes lèvres, et ses yeux, entièrement noirs. Inhumain.
- Fais bien attention, humain: je ne t'ai pas épargné par bonté...
Ses doigts longèrent ma poitrine et vinrent s'immobiliser à la place de mon cœur.
- Mais par nécessité. La fatalité a fait que mon cœur s'unisse au tien, liant ainsi nos existences jusqu'à ta prochaine mort. Sache que j'aurais mille fois préféré m'attacher à un chien ou bien à un rat, quand bien même ma vie aurait été plus courte, plutôt que de me lier à un humain. Veule, ignare, puant: la fange de cette terre...
Sa haine et son dégoût croissaient à mesure qu'il persiflait sur mon espèce; de même que ses doigts se contractaient convulsivement, me griffant au sang la poitrine comme s'il cherchait à m'arracher le cœur. Et le spectacle de ses canines s'allongeant, perçant presque ses lèvres, finit de me cloîtrer dans une terreur sans nom. J'avais - pendant quelques secondes - eu l'espoir que cet être ne fût qu'un homme ordinaire - quoique gravement dérangé - mais je ne pouvais plus me fourvoyer désormais. Bien que possédant l'apparence d'un homme, il n'avait rien d'humain.
La tension de sa colère devenait sûrement trop dure à gérer – ainsi que l'envie de m'égorger sûrement -, il s'écarta de moi et se dirigea vers la fenêtre. Un soupir de soulagement m'échappa alors qu'il allait sauter.
- Au fait, dit-il en se retournant – et je ravalais mon soupir, n'essaye pas de t'en débarrasser, mon cœur, je veux dire. Car je te l'assure: le laps de temps pour qu'il redevienne inerte est assez long pour que je le retrouve et que je te le fasse avaler de force. Est-ce bien clair ?
- Et si je le cachais ? Osais-je demander.
- Mon ami... Comment crois-tu que je t'ai retrouvé ?
Sur ce, il se jeta dans le vide et disparut dans la brume matinale. Je mis un certain temps à reprendre tous mes esprits; après cela, je me jetai sur ma plume. Et comme à chaque fois depuis ces derniers jours, alors que je me penche sur mon journal pour écrire mes péripéties, je me demande si je ne suis pas en train de la perdre, ma raison.
Le 10 mai, 1h50 du matin. Étrange nuit que voilà ! - j'ais décidément l'impression de toujours commencer mes récits ainsi: pourquoi est-ce toujours la nuit, moi qui manque terriblement de sommeil, que surviennent des événements particuliers ? Si d'événement l'on peut qualifier cette intrusion nocturne qui, franchement, m'irrite plus qu'autre chose.
Mon invité - non désiré - a refait surface cette nuit même. Sa colère semblait être passée puisqu'il me réveilla délicatement. Je sentis d'abord une douce caresse sur ma joue; si légère et agréable que je cru une illusion du à mes songes. Mais le contact devenait insistant et finit de me tirer de mon sommeil. Il se pencha sur moi et je sursautai en l'apercevant - et surtout en comprenant l'origine de la caresse alors que ses doigts flânaient encore sur ma joue.
- J'ai un service à te demander, dit-il d'une voix bien trop douce pour être sincère.
- Au beau milieu de la nuit ?
Il se leva sans me prêter attention et attendit que je fasse de même. Je pris, pour me venger, tout le temps qu'il me plut pour sortir du lit, allant même jusqu'à tirer les draps, histoire de le faire patienter un peu plus. Je me retournai pour lui faire face et constatai avec déception qu'il n'était en rien énervé. Dommage. Il me tendit alors une paire de ciseaux que je regardai avec suspicion.
- Oui. Et ?
- Mes cheveux. Je veux que tu les coupes, ordonna t-il.
Et voilà pourquoi moi, je suis contrarié ! Non, mais qui peut croire cela ? Cet homme - que dis-je ? - ce démon fait irruption dans ma vie – et chaque nuit depuis lors – pour me tourmenter, me blesser, me sucer le sang. Et voilà qu'il me demande de lui couper les cheveux ? Comme une mère couperait les cheveux de sa fille ? Je ne puis exprimer tout ce que je ressens dans l'instant. Par contre ce que je pense oui: ce gars-là vient de faire une chute libre sur mon échelle de dangerosité !
- Est-ce une farce ? demandai-je, au hasard.
- Pas du tout. Pourquoi cela ?
- Parce que... On n'a pas idée de quémander pareille chose à une heure si tardive ?!
- Je n'ai pas besoin de dormir: l'heure ne me dérange en rien.
- Vous, peut-être ! Mais moi ?
- Moi ! Moi ! Les humains sont si égoïstes !
Il me flanqua les ciseaux dans les mains et s'en alla allumer une chandelle.
- Aah ?!
- Pourquoi tant d'inepties ? Coupe-les-moi et n'en parlons plus !
Je fulminais – intérieurement, je hurlais même – et cela l'amusait beaucoup. Peut-être crut-il que je ne vis pas son rictus victorieux sur sa face espiègle ! Et bien, il n'allait pas être déçu du voyage. Lorsqu'il revint et s'installa devant moi, je lui saisis une épaisse poignée de cheveux que je coupai à à peine quelques centimètres du crâne. Voilà qui lui ferait les pieds ! Je jetai les lames sur le bureau, les cheveux par terre et lui criais un triomphant ''Voilà !'' avant de retourner entre les draps. J'entendis son rire mesquin; il murmura des remerciements – dénués de gratitude – me faisant me sentir encore plus ridicule. Puis la fenêtre claqua et je me retrouvai seul dans la chambre.
Conclusion: je n'ai guère pu réussir à fermer l'œil du reste de la nuit. J'écris donc pour calmer mes nerfs mais ne parviens qu'à les irriter davantage !
Est-ce là le début d'une fâcheuse histoire de rivalité ?
La suite est déjà écrite, mais j'attends vos réactions ;)
Remerciements :
à Zoalteck sans qui cette fiction ne serait jamais réapparue !
à LadySade et à Amaterasu Chi pour la relecture !
