Apple pie Life
Si le premier passant venu avait pu lire dans les pensées de Mary Campbell, il aurait aussitôt déclaré que ses rêves étaient les plus stéréotypés qu'on puisse imaginer.
Quel genre de fille rêvait encore de devenir une bonne petite épouse et mère de famille avant toute chose ?
Le genre qui avait été élevé en sachant que oui, le croque-mitaine existait et ne se faisait guère prier pour dévorer de pauvres gosses qui n'avaient rien demandé.
Mary détestait être une chasseuse.
Elle n'avait pas reçu de poupées à Noël, mais des couteaux de jet et des pistolets. Et elle était obligée de s'entraîner avec. Sa mère ne lui faisait pas réciter ses tables de multiplication ou les fables de La Fontaine, mais des exorcismes en latin et la liste de points faibles d'au moins une douzaine de monstres différents.
Le soir, elle pouvait rester debout jusqu'à minuit, mais il fallait que ce soit pour déterrer et brûler un cadavre ou pour débusquer une saloperie nocturne. Pas pour aller au cinéma ou boire un verre avec un quelconque garçon.
Lorsqu'elle avait douze ans, Mary avait participé à sa première chasse avec l'une de ses cousines. C'était supposé être un bête poltergeist.
Mary avait survécu. Pas sa cousine. Annabelle n'avait eu que treize ans, bon Dieu.
Elle sortirait de cette vie. Elle s'en foutait de se faire renier par la famille, elle se foutait de ce que dirait son père qui ne manquerait pas d'être furieux. Elle ne voulait pas devenir une chasseuse.
Elle voulait avoir un mari qui ne risquerait pas sa vie en chassant le loup-garou ou le djinn, qui n'affronterait rien de plus dangereux que son patron de mauvaise humeur quand il arriverait en retard au boulot. Elle voulait une maison dont les murs n'étaient pas recouverts de pièges à démon et dont les rebords de fenêtres ne seraient pas couverts de sel.
Elle voulait des enfants qui croiraient que le monstre dans le placard pouvait être chassé par la lumière d'une lampe de chevet. Elle voulait des bébés qui ne grandiraient pas en apprenant à manier le fusil et en assimilant les différences entre un polymorphe et un porteur de peau.
Elle voulait que ses enfants – deux filles, ce serait parfait, à la rigueur un garçon et une fille, mais deux garçons, jamais – pensent qu'il n'y avait pas de raison d'avoir peur du noir. Dont le pire cauchemar serait uniquement d'avoir une mauvaise note en physique-chimie ou de faire tapisserie au bal de promo.
Elle voulait une vie normale.
Elle ne reculerait devant rien pour l'obtenir.
