J'avais une certaine frustration à tuer ! J'espère que cette histoire vous plaira ;)
Le docteur Julia Ogden était une femme déterminée. Elle était parfaitement consciente de l'importance de sa décision. Elle ne pouvait plus faire machine arrière. Trop de femmes comptaient sur elle désormais. Pourtant, les doutes l'assaillaient encore. Etait-elle la femme idéale pour ce rôle, pour être leur porte parole à toutes ?
Julia soupira devant son miroir. Elle était prête déjà depuis un bout de temps mais elle ne pouvait se résoudre à partir. Elle aurait tellement voulu avoir quelqu'un à ses côtés pour l'épauler et pour la rassurer. Quelqu'un qui n'aurait pas eu peur de lui dire qu'elle prenait la bonne décision. Pour la première fois de sa vie Julia se sentit très seule. Jusqu'à présent, Julia avait été satisfaite de sa vie. Elle était psychiatre et ce travail lui apportait beaucoup de satisfaction. Chaque soir en rentrant chez elle, Julia souriait intérieurement en pensant à toutes les personnes qu'elle avait pu aider. Certains cas étaient plus difficiles que d'autres mais c'est ce qui faisait tout l'intérêt de ce métier. Julia ne reculait jamais devant un obstacle. Et pourtant, Dieu sait combien d'obstacles elle avait rencontré dans sa vie.
Julia se regarda une dernière fois dans le miroir pour se donner du courage puis ajusta une mèche qui s'était échappée de son chignon. Son reflet lui renvoya l'image d'une femme fatiguée. Elle était épuisée d'affronter toutes ces épreuves toute seule. Certes, elle s'était toujours félicitée de ne devoir sa réussite qu'à elle même mais aujourd'hui elle ressentait un manque. Julia avait de grands projets pour le futur mais elle rêvait aussi de choses simples. Elle s'imaginait déjà pouvoir partager ses projets, ses doutes avec un homme qui la soutiendrait, qui l'aimerait sans essayer de la changer.
Julia secoua la tête de gauche à droite, une grimace sur ses lèvres.
« Ma pauvre tu te fais des illusions si tu crois qu'un homme serait prêt à accepter tout cela sans broncher »
Julia soupira longuement une énième fois en repensant à ses amies qui avaient eu de sérieux problèmes avec leurs époux à cause de leur engagement. Certaines avaient été battues, d'autres avaient reçu l'ordre de ne plus revenir aux réunions. Finalement, Julia pensa qu'il en valait mieux ainsi. Au moins, elle n'avait personne pour lui dire quoi faire. Elle prenait ses décisions seule et elle en assumait la complète responsabilité.
Julia jeta un coup d'oeil au réveil qui se trouvait sur sa table de chevet. Il ne lui restait plus que vingt minutes pour se rendre à son rendez vous. Elle inspira un grand coup et se prépara mentalement pour ce qui allait être l'évènement le plus important de sa vie.
Julia arriva pile à l'heure à l'endroit indiqué. Les réunions se faisaient désormais dans un lieu différent en raison des derniers évènements. Plusieurs maris avaient fait suivre leur femme et les avaient obligé à rentrer immédiatement avec eux. Les réunions étaient donc devenues secrètes. Julia entra dans la pièce et fut prise au dépourvue lorsqu'elle vit que seulement deux personnes étaient présentes. Margaret Haile et Abigail Stanford étaient assises autour d'une table, une tasse de thé à la main.
-Julia, entrez ! nous vous attendions
Margaret vit Julia regarder autour d'elle
-Elles ne sont pas venues. Je crois que vous en avez deviné la raison
Julia hocha la tête doucement.
La voix d'Abigail sortit Julia de sa torpeur.
-Peut être serait il plus sage de tout arrêter. Beaucoup ont souffert à cause de nos actions.
-Non !
Surprises, les deux femmes se tournèrent vers Julia qui n'avait pas encore bougé depuis qu'elle était entrée dans la pièce.
-On ne peut pas abandonner maintenant. Des femmes souffrent en ce moment et vous trouvez cela juste ? Pourquoi les femmes doivent elles toujours être considérées comme des éternelles inférieures ? Je ne peux pas rester là sans me battre et vous ?
Un long silence régna dans la pièce pendant quelques secondes.
-Elle a raison Abigail. Ces femmes comptent sur nous
Abigail sourit doucement avant de regarder Julia.
-Maintenant je sais que nous avons pris la bonne décision lorsque nous avons décidé de faire de vous notre porte parole. Vous avez une force de caractère Julia. Je sais que le mouvement des suffragettes est entre de bonnes mains.
Julia lui rendit son sourire et prit place autour de la table.
-Quelle est la prochaine étape ?
Margaret posa un dossier sur la table.
-Il nous faut préparer votre future campagne politique Julia. Maintenant que nous savons que rien ne vous empêche de vous présenter légalement comme candidate, nous devons réfléchir à la manière dont nous voulons diffuser nos idées.
Margaret fit une pause et leva son regard vers Julia
-J'espère que vous savez dans quoi vous vous engagez Julia. Beaucoup d'hommes vont essayer de vous barrer la route. Votre carrière pourrait se trouver compromise à cause de votre engagement. Je comprendrai si vous préfèreriez renoncer maintenant.
Julia joua avec ses doigts nerveusement. Il est vrai qu'elle avait songé à abandonner. Tout reposait sur ses épaules et Julia n'était pas convaincue qu'elle avait la force nécessaire pour affronter ce combat.
-Dans tous les cas, sachez que nous serons là à vos côtés et que vous ne serez pas seule. N'est ce pas Margaret ?
La jeune femme hocha la tête en signe d'approbation
-Absolument
Julia se servit une tasse de thé et la leva en l'air
-Au mouvement des suffragettes ! J'espère que nous serons dignes de celles qui ont combattu avant nous.
Les trois femmes trinquèrent un sourire aux lèvres.
-Je pense que nous devons retourner dans la rue.
Julia avait parlé avec une pointe de détermination dans la voix.
-Julia ! Vous n'y pensez pas ? Dois je vous rappeler comment s'est terminée notre dernière manifestation ?
Abigail renchérit
-Nous ne sommes plus que trois Julia. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire encore arrêter.
-C'est justement parce que nous ne sommes plus que trois que nous devons montrer que nous sommes toujours là. Nous devons retourner au Parlement et les forcer à nous écouter. Comment croyez vous qu'Emily Stowe ait obtenue la première université de médecine pour femmes au Canada ? Elle a fait campagne jour après jour, semaine après semaine sans jamais se décourager. Nous devons suivre son exemple.
-Encore une fois Julia, vous êtes la voix de la raison. Je suis certaine que Margaret trouvera les arguments pour nous défendre devant la cour
Les trois femmes échangèrent un sourire. Puis Julia ajouta
-Je propose de manifester demain. Le maire de Toronto doit faire un discours demain à 14h. Beaucoup de monde sera présent.
Après avoir conclu de la démarche à suivre, les trois femmes préparèrent leur intervention de demain non sans une certaine appréhension.
A quatorze heures pile, Oliver Aiken Howland, commença son discours. Le maire de Toronto était loin de s'imaginer de la suite des évènements. Julia, Margaret et Abigail attendaient fébrilement le moment pour intervenir. Leurs pancartes étaient soigneusement cachées derrière les arbres attendant le bon moment pour être brandies en l'air. Julia regardait avec attention les agents de police qui assuraient la sécurité du maire. Elle savait parfaitement qu'elles allaient être arrêtées par ces mêmes agents pour avoir manifesté en public. Et pourtant elle ne ressentait aucune peur. Elle croyait en ce qu'elle faisait même si elle devait pour cela retourner derrière les barreaux. Son regard s'arrêta sur un homme aux cheveux et au regard sombres. Il ne portait pas l'uniforme d'un agent de police mais il était en train de discuter avec l'un d'entre eux. Elle le regarda un peu plus en détail. Elle devait avouer qu'elle le trouvait bel homme. Elle contempla son visage parfaitement dessiné pour arriver jusqu'à ses lèvres charnues. Julia ne comprenait pas sa réaction et allait détourner le regard quand il tourna les yeux vers elle. Leurs regards se rencontrèrent quelques instants avant que Margaret ne lui prenne le bras pour lui signaler que le moment était arrivé.
Julia inspira profondément pour se donner du courage. Elle prit sa pancarte dans les mains et vint se positionner là où le maire se tenait quelques secondes plus tôt. Margaret et Abigail étaient à ses côtés et Julia entama son discours. Bientôt, des sifflements se firent entendre et Julia dut hausser la voix pour se faire entendre. Elle évita de justesse une peau de banane qu'on venait de lui lancer et continua son discours avec plus de force qu'avant. Comme elle l'avait prédit, les agents de police commencèrent à avancer vers elles et Julia se prépara intérieurement à être, une fois encore, arrêtée.
Un agent l'a pris par le bras sans la malmener pour la diriger vers la calèche qui appartenait au poste numéro 4 d'après ce qui était écrit dessus.
Julia allait monter dans la calèche quand l'homme qui l'avait intriguée apparut devant elle. Il la regarda longuement, attardant son regard sur ses yeux et ses lèvres, puis il se racla la gorge.
-Je suis l'inspecteur William Murdoch Madame et je vais vous demander de nous suivre au poste de police numéro 4.
Julia acquiesça simplement, incapable de dire quoi que ce soit.
