Miles aimait courir. Il avait toujours aimé courir. Il aimait courir seul. Il aimait courir en groupe. Il aimait courir avec Nathan. C'était amusant de courir avec Nathan. Il était rapide, mais ça n'avait jamais découragé Miles. Un jour, il le rattraperait, et il le dépasserait.

Et puis un jour, Nathan était parti.

Ça n'avait pourtant pas inquiété Miles. Il en fallait plus pour le décourager. Après tout, l'absence de Nathan n'était que temporaire. Il reviendrait, Miles en était certain. En vérité, le départ de Nathan ne l'avait pas étonné. L'adolescent aux cheveux bleu avait toujours eu la main sur le cœur. Qu'il soit parti donner un coup de main au club de foot qui manquait cruellement de joueurs, c'était totalement naturel pour lui et ça n'avait rien de surprenant pour tous ceux qui connaissaient un tant soit peu Nathan. Miles s'était même moqué de lui, gentiment bien sûr, en disant que sa générosité le perdrait un jour.

Alors, pendant l'absence de Nathan, Miles s'était entraîné dur, sans relâche, dans l'espoir d'enfin parvenir à vaincre Nathan lorsqu'il reviendrait.

Cependant, il s'était trompé. Sur toute la ligne.

Nathan n'était jamais revenu.

Et celui qui s'était retrouvé perdu à cause de l'excès de générosité de Nathan, c'était lui, Miles Ryan.

Mais il ne s'est jamais plaint. Ni à Nathan, ni à ses amis, ni à ses camarades d'athlétisme. Il avait gardé toute sa peine pour lui, et s'était contenté de continuer à sourire.

Seul son lit connaissait son chagrin, sa tristesse, et le goût de ses larmes.

Parce que c'était plus simple de faire semblant.

Prétendre que tout allait bien, alors même qu'il avait l'impression de chuter éternellement dans le vide, sans jamais obtenir le droit de toucher terre. Pourquoi lui refusait-on ce droit ? S'écraser, même de façon lamentable, sonnait comme une douce délivrance à ses oreilles. Mieux valait ça que de continuer à faire semblant d'être heureux quand tout allait au plus mal.

Driing Driing.

Miles leva sa tête de l'oreille où elle était logée. Qui pouvait venir le réveiller maintenant ? Quelle heure était-il d'ailleurs ? 9h ? 10h ? C'était rare qu'il dorme autant la nuit du vendredi au samedi. Enfin, qu'il dorme tout court serait un terme plus juste.

Même s'il avait essayé de garder un rythme de sommeil assez stable et important durant la semaine, il se relâchait immédiatement à partir du vendredi.

La nuit du vendredi à samedi et celle de samedi à dimanche étaient généralement synonymes de nuits blanches. Il ne pouvait s'empêcher de ressasser ses mauvais souvenirs durant ces nuits, et quand il parlait de mauvais souvenirs, il voulait dire Nathan. Le départ de Nathan, plus précisément. Mais pas seulement. Chaque souvenir lié d'une quelconque façon à Nathan lui faisait l'effet d'une multitude de petits couteaux qu'on lui plantait dans le dos.

Oh, et pour ne pas arranger les choses, il y avait ces jours. Fort heureusement, ils n'arrivaient pas souvent, bien qu'ils étaient encore trop nombreux au goût du blond.

Ces jours où Nathan revenait. Pas seulement où il décidait de faire une petite visite de courtoisie à Inazuma. Non, ces jours où on lui accordait quelques jours de repos, des journées entièrement libres.

Des journées qu'il venait systématiquement passer chez son cher ami Milly. Et malheureusement, Miles acceptait toujours. Parce qu'il n'était pas assez fort et qu'il ne possédait pas suffisamment de volonté pour refuser cette faveur à Nathan.

Et puis, au fond, bien enfouie au fond du blond, ça lui plaisait bien que Nathan vienne chez lui. Parce qu'entre tous ses amis du club de foot et son ancien partenaire d'athlétisme, c'était sur ce dernier choix qu'il s'arrêtait, ce bon vieux Milly.

Même si ça faisait mal de le revoir. Ça faisait mal de l'entendre parler aussi bien de ses amis du club de foot. Ça faisait mal de constater qu'il n'avait toujours pas l'intention de revenir au club d'athlétisme.

Driing Driing.

Encore. Chassant ses éternelles pensées négatives (pour le moment), l'androgyne marmonna quelques mots inintelligibles avant de finalement se lever de son lit si confortable pour rejoindre la porte d'entrée, toujours dans son fidèle pyjama arborant fièrement Daffy Duck.

Il ouvrit la porte, après avoir longuement cherché la clé pour l'ouvrir, au moment même où le visiteur s'apprêtait à appuyer sur la sonnette une fois de plus.

Et si Miles s'était attendu à tout ; des extraterrestres, la fille du premier ministre japonais, des gens venant du futur, des manchots..., il n'était définitivement pas prêt pour ça.

« N-Nathan ? »

Une visite surprise de Nathan. Qui affichait un grand sourire.

« J'ai essayé de t'appeler mais tu répondais pas sur ton portable. »

Ah. Son portable. Son fameux portable. Celui qu'il avait massacré hier soir en le jetant violemment contre le mur après avoir assisté au match de foot opposant Raymon à une autre équipe dont il avait oublié le nom. Bien sûr, Raymon avait gagné, 3-2 si ses souvenirs étaient exacts, et c'était Nathan qui avait inscrit le but final de la victoire. Miles avait secrètement espéré que Raymon perdrait et qu'ainsi, Nathan réalisé enfin que le foot n'était définitivement pas fait pour lui, et ainsi qu'il réintègre l'équipe d'athlétisme. Ce qui avait malheureusement loupé.

« Ah, je l'ai cassé hier en rentrant, je courais pour m'entraîner et il est tombé. »

Comment un mensonge qui sonnait aussi horriblement faux à ses propres oreilles pouvait tromper Nathan ? Comment pouvait-il se laisser avoir ? N'était-il pas assez intelligent pour comprendre qu'il mentait ? Pourquoi a-t-il fallu qu'il soit aussi bon menteur et comédien ? Et pourquoi personne n'arrivait à voir au travers de ses mensonges ? Était-ce trop demandé ? Il ne voulait pas raconter ses problèmes, mais personne n'était donc capable de les deviner ?

En plus, il ne courait plus pour s'entraîner en rentrant le soir depuis un bon moment ! Assister et participer aux entraînements de l'équipe, voilà où s'arrêtait désormais son entraînement ! Sa motivation pour battre Nathan ? Quelle motivation ? Il l'avait perdu depuis longtemps !

Cependant...

Miles se força à afficher son grand sourire forcé.

« Et pourquoi est-ce que tu viens me voir aussi tôt dans la matinée ? »

Nathan le fixa quelques secondes avant d'éclater de rire.

Bien, de toute évidence, Miles n'avait pas saisi la blague. Et il n'avait pas envie de comprendre.

De quel droit cet idiot riait alors que lui avait envie de s'effondrer au sol et de pleurer jusqu'à ce que son corps soit vidé de la moindre goutte d'eau ?

« Milly, il est plus d'une heure de l'après-midi. »

Donc il s'était totalement planté dans ses prévisions.

Minute. On était samedi. Il avait dit une heure de l'après-midi ?

Zut. Mince. Oups. Merde.

L'entraînement du club d'athlétisme commençait à une heure.

Il était mal.

« Il est quelle heure exactement ? »

Allez, avec un peu de chance, en s'habillant vite et en courant encore plus vite, il serait peut-être juste un peu en reta-

« Trente-six. »

Il était fichu. Il allait devoir s'excuser lundi. Bon, d'une certaine façon, ça aurait pu être pire. Il aurait pu ne pas se réveiller la semaine prochaine et donc louper le bus pour la compétition d'athlétisme entre tous les lycées du secteur qui se préparait depuis plus d'un mois déjà. Là, il lui aurait fallu plus que de simples excuses pour s'en sortir. Il avait de la chance dans son malheur.

« J'en connais un qui vient de louper l'entraînement d'athlétisme. »

Et Miles en connaissait un autre qui avait déserté le club d'athlétisme, alors sur le coup il se serait bien passé du moindre commentaire.

« Moque-toi, espèce de sadique. Mais c'est pas toi qui va devoir supporter Mach quand il me hurlera dessus.

- Ah, parce que Mach te fait peur maintenant ? »

Nathan sourit, Miles lui tira la langue.

« Tu entres ou je te claque la porte au nez ?

- J'entre, j'entre. »

Miles se décala pour laisser entrer Nathan, puis les deux androgynes allèrent dans la chambre de Miles, seule pièce de la maison où on pouvait trouver une console.

« Très mignon ton pyjama, au fait.

- Très mignonne ta queue de cheval. Tu assume enfin que t'es une fille en vérité ?

- Tu peux parler avec tes longs cheveux blonds.

- Ils sont moins longs que les tiens.

-... Cette discussion ne mène nulle part. »

Miles lui lança une manette, que Nathan rattrapa aisément.

« Alors tais-toi et joue. Mario Kart ? »

Nathan allait ouvrir la bouche pour proposer un autre jeu, mais Miles le devança.

« Au cas où il y ait des protestations, ma porte est toujours grande ouverte pour t'inviter à partir. Des questions ? »

L'adolescent aux cheveux bleu leva la main et n'attendit pas que Miles lui accorder la parole pour s'exprimer.

« Il est passé où le Milly gentil et mignon que je connais ? »

Miles lui jeta un oreiller à la figure et lui tourna le dos, geste qui n'avait rien à voir avec la rougeur naissante sur ses joues qu'il désirait cacher.

« Je suis pas mignon !

- Si.

- Non !

- Si.

- Non !

- Tu es le garçon le plus mignon que je connais.

- T'es gay ?

- Ouais. »

L'art de casser l'ambiance à grand coup de marteau. Miles avait dit ça pour plaisanter, mais la réponse de Nathan ne pouvait difficilement pas être plus sérieuse. Vu comme c'était parti, la partie de Mario Kart semblait compromise. Ce qui n'était pas forcément une mauvaise chose puisque Miles se serait probablement fait exploser par Nathan. Il posa tout de même sa manette à regret.

« Ah. D'accord. Reçu cinq sur cinq. Félicitation.

- Pour quoi ?

- Bah je suppose que tu-

- Non.

- Ah. »

Comment pouvait-il comprendre ce qu'il disait alors même qu'il n'avait pas fini sa phrase ? Nathan serait-il devin ? Cette conversation n'avait aucun sens !

« Donc, tu es célibataire.

- Oui. »

Ce n'était pas une question.

« Je peux essayer de deviner ? »

Espèce de masochiste.

« Enfin, est-ce que je le connais au moins ? »

Espèce de double masochiste. Est-ce que c'était possible d'être un double masochiste déjà ? Miles se poserait la question plus tard.

Après quelques secondes d'hésitation, Nathan finit par hocher la tête, l'air de dire "fais comme tu veux".

« Est-ce que c'est Mark ?

- Certainement pas.

- Shawn ?

- Pourquoi ce serait lui ?

- Donc c'est lui ?

- Non.

- Jordan ?

- D'où te viens une imagination pareille ?

- Tu pouvais juste dire non... »

Miles proposa une dizaine d'autres prénoms, tous refusés les uns après les autres par Nathan.

Et Miles finit par capituler et décida d'abandonner. C'était plus simple et ça ferait probablement moins mal. Jouer à Mario Kart, c'était plus facile.

Évidemment, Miles perdit, et Nathan gagna. C'était comme ça. Ça avait toujours été comme ça. Nathan gagnait, Miles perdait. Nathan était heureux, Miles était au bord du gouffre. Nathan était devant, Miles ne pouvait contempler que son dos.

Et comme pour confirmer cette règle, Nathan gagna tous les autres jeux également. Wii Sports, Pokémon, Mario Party, et même Just Dance (d'ailleurs, comment ce jeu était-il arrivé ici ? Miles ne se souvenait pas l'avoir acheté).

« Ah, j'allais oublier ! Tu veux quoi pour ton anniv ?

- Que tu perde.

- C'est pas dans mes capacités. »

Bah voyons. Perdre lui demandait tellement d'effort ? C'était si difficile de lui rendre cette faveur ? Que les rôles soient inversés pour une fois ? Que Nathan perde et que Miles gagne ?

« En tout cas, il te reste un mois, t'as le temps d'y réfléchir, non ? Puis je préfère que ça soit une surprise. »

Par exemple, si la surprise consistait à ce que Nathan abandonne le club de foot pour revenir à celui d'athlétisme, ce serait une chouette surprise.

« C'est l'heure du goûter. Tu viens ? Ma mère a préparé un gâteau au chocolat.

- ... T'es pire que Jordan. »

Miles resserra son emprise sur la manette. Bien, il adorait être comparé aux petits camarades de foot de Nathan. Vraiment. Quel bonheur.

« Si t'en veux pas, dis-le. Ça en fera plus pour moi.

- Ta mère serait triste d'apprendre que tu n'as laissé aucune part de son gâteau à ton meilleur ami. »

Meilleur ami. Meilleur ami. Meilleur ami. Il arrivait encore à se considérer comme tel après tout ça ?

« Primo, elle ne sait pas que tu es là. Deuxio, elle ne le saura jamais.

- En fait, elle le sait déjà. »

Bon. Monsieur se permettait de prévenir la famille entière quand il débarquait chez lui.

« Et il se pourrait qu'elle m'ait invité à dormir aussi. »

Est-ce que c'était une blague ? Parce que si ce n'en était pas une, Miles allait très bientôt faire un infarctus.

« Bon, d'accord, je t'autorise à manger ce gâteau. »