Titre : Un Malfoy
Pairing : Draco/Harry
Rated : M
Disclaimer : Le contexte ainsi que les personnages ne m'appartiennent pas. Seul le scénario m'est propre.
Warning : Très étonnamant, ceci est du YAOI, donc "don't like, don't read" Pour les autres, enjoy !
Dédicaces et Remerciements : A Sakisha, ma béta d'amûûûr qui a supporté mes innombrables crises de désespoir et d'auto-dévalorisation, ainsi que mes encore plus nombreuses fautes d'orthographe. A Artoung aussi, pour toutes les merveilleuses fictions qu'elle a écrites et qui m'ont donné l'envie et la persévérance d'écrire ce texte d'un bout à l'autre.
A vous deux, merci. Merci, vraiment.
Merci aussi à toutes les personnes qui auront le courage de lire mes inepties en entier.
I hope it will be as good as you expect it to be.
Un Malfoy...
« Il y a des jours comme ça où je voudrais que tout s'arrête. Qu'enfin toutes ces sensations, ces sentiments, se stoppent pour pouvoir alors réellement réfléchir. Profondément rationaliste dans l'âme, je refuse de concevoir que les « bonnes » décisions puissent se prendre autrement qu'avec une bonne dose de réflexion préalable. D'où mon problème actuel, car en moi, c'est l'Apocalypse moldu ; le voile de la réalité que je croyais connaître s'effondre, en même temps que mes conviction les plus profondes.
Je voudrais me raccrocher à des convictions, de solides ancres qui me permettraient d'arrêter d'être malmené par la tempête qui rugit en moi. Mais personne ne pourrait m'aider, et, de toute façon, quelqu'un comme moi ne demande pas d'aide. Quelqu'un comme moi n'a même jamais besoin d'aide. Quelqu'un comme moi... qui resterait seul à contempler la fin de son monde.
Car ce soir, les règles qui régissaient ma vie se brisent. Car ce soir, je me rends compte de la nécessité d'appréhender le monde autrement, si je désire me regarder dans la glace sans fuir devant ma propre image et les souvenirs qu'elle fait rejaillir. Au risque de perdre l'appui de ma famille, de mon « clan »... tous mes « semblables ». Au risque de devenir un traître à mon sang. Au risque enfin d'être rejeté de toutes parts — bien que cela semble, d'un point de vue tout à fait objectif, plutôt tenir du domaine de l'improbable... Mon influence sur mes pairs Serpentards me sauvera peut-être bien la vie, n'en déplaise à ce cher Potter.
... Saint-Potty le Balafré...
En venir à lui et à ses yeux trop verts m'amène au final à aborder une question qui, bien que marginale, arrive tout de même à point nommé pour m'embrouiller complètement les idées.
Comme si j'avais besoin qu'une autre de mes certitudes ne s'écroule...
Je n'aimais pas, je n'aime pas et je n'aimerai pas.
Jusqu'à présent, tout cela m'avait toujours semblé très clair. Très stable.
"N'aime pas, Draco. L'amour est la plus grande des faiblesses dont puisse souffrir un homme. Pire encore que la pitié et la compassion, puisqu'elle les provoque. Or un Malfoy n'a aucune faiblesse." Sans comprendre vraiment le pourquoi de cet enseignement qui semblait tant tenir à Père, j'en saisis tout du moins rapidement l'essentiel. Dès mon plus jeune age, le mot amour fut rayé de mon vocabulaire. Jusqu'à disparaître totalement de mon esprit.
Je n'aime pas. Douce évidence, qui forme aux yeux de tous l'une des bases les plus solides de mon être. Base qui aujourd'hui s'effrite de toute part. Par sa faute.
Je n'aimerai jamais. La peur m'étreint a ces mots. Peur de me poser la question, peur de ne pas trouver une réponse satisfaisante, peur d'en découvrir une autre. Incroyablement peur de la comprendre. Alors je préfère ne pas y penser, pas pour l'instant en tout cas.
Je n'arrive pas à avoir les idées claires et mon texte sans aucun sens ne parvient pas à me soulager. J'ai comme une envie de hurler, comme une envie de démesure. Pourtant un Malfoy ne perd jamais le contrôle de ses émotions, n'est-ce pas?
Frustration. La pointe de ma plume se brise sous la trop forte pression de ma main. Je la jette dans un mouvement de rage et m'empare d'une autre dans la seconde qui suit. Je tremble de colère contre moi-même et mon écriture s'en ressent. Je m'en veux. A lui aussi. A Père et Mère encore. Et à l'Autre enfin.
Sans cet Autre, rien de tout ceci ne serait arrivé.
Père ne se serait pas mis en tête que les Sang-purs fussent des êtres si supérieurs et que tous les autres ne fussent que de "misérables nuisibles qui n'ont d'autre utilité que celle de nous servir". Il n'aurait évidemment pas non plus sa Marque sur l'avant-bras. Il aurait donc pu témoigner à Mère l'affection dont elle avait besoin et ils auraient formé un couple réellement épanoui. Je suis sûr que la gentillesse naturelle de Mère aurait déteint sur Père, et qu'ils auraient accueilli ma naissance autrement qu'avec le sentiment d'avoir accompli leur devoir, pour Mère, et dans le cas de Père, la satisfaction d'avoir un héritier Malfoy - ainsi que, qui sait, un possible futur Mangemort.
J'aurais été élevé dans la tendresse et non pas à coup de Doloris. On m'aurait inculqué des valeurs telles que la confiance et l'altruisme ; et non celles de l'égoïsme et de la manipulation. Peut-être aurais-je été un enfant plus sympathique, plus ouvert d'esprit.
Et, dans ces conditions, peut-être même aurait-il pris ma main, à ce moment là.
Nous aurions pu être amis, d'une vraie amitié, du genre de celle que je partage aujourd'hui avec Blaise. Nos groupes actuels auraient pu être réunis pour n'en forme qu'un seul et, dès lors...
Vincent et Weasley auraient découvert leur passion commune pour les échecs, Théo et Granger auraient passé des heures à discuter de tel ou tel bouquin, Gregory aurait parlementé durant des soirées entières sur les Ronflax Cornus avec Lovegood, Pansy aurait commenté tous les ragots de Poudlard avec Finnigan et Blaise aurait refait le monde des milliers de fois avec Thomas. Et Potter et moi, et bien, j'imagine qu'on aurait parlé Quidditch. On se serait disputé souvent : il aurait critiqué mes cheveux et j'aurais fait de même pour les siens, tout en rajoutant une couche avec ses résultats dramatiquement bas en Potions, il ne se serait alors pas privé de répliquer en visant, cette fois-ci, mon androgénie naturelle (qui n'est bien évident qu'une autre preuve de mon élégance innée), etc... On aurait continué comme ça longtemps, se chamaillant pour un rien, sans penser un mot de nos insultes, mais poursuivant dans nos joutes verbales pour le simple plaisir de mesurer nos verves respectives.
Sans prophétie ni mort omniprésente autour de lui, il aurait été plus souriant, plus exubérant aussi. Toujours motivé à enfreindre le règlement, il aurait tenté de m'entrainer avec lui dans ses escapades nocturnes dans le château, et se serait évertué à me persuader que Rogue fût l'incarnation du diable en personne, l'Autre n'étant pas là pour remplir ce rôle. De cette façon, il aurait fait perdre mille deux cents points à sa maison et en aurait fait gagner tout autant.
J'aurais appris le courage et la tolérance à son contact, et peut-être aurais-je pu, moi aussi, lui apprendre quelque chose en retour.
Et, dans un sens, ç'aurait été bien. Ou en tout cas mieux que la réalité présente.
Car...
Car dans trois jours, trois minuscules journées, je vais bafouer pour la première fois une des règles des Malfoy. Je vais m'agenouiller devant quelqu'un. Je vais m'abaisser devant l'Autre et recevoir sa Marque comme un fermier moldu tatoue ses vaches puis les envoie à l'abattoir. Il deviendra mon Maître et je serai sa chose. Alors qu'un Malfoy ne s'agenouille devant personne. Alors qu'un Malfoy n'a pas de Maître, puisqu'il est le maître.
Il ne me reste que trois jours, donc. Moins de soixante-douze heures avant de cesser à tout jamais d'être un homme libre. Moins de soixante-douze heures pour faire un choix.
Un Malfoy ne regrette jamais ses actes. Alors pourquoi tant de rancœur? Il y a tant de choses que je voudrais pouvoir changer... Tellement d'erreurs que j'aimerais pouvoir effacer... aussi bien les miennes que celles des autres. Cependant il y a des sortes de passé que l'on ne peut modifier...
Je ne peux influer que sur mon avenir. Et mon futur se termine dans trois jours. Il se termine car, passé cette date, il ne s'agira plus de Mon avenir, mais de celui que l'Autre me dictera.
Et je ne peux pas accepter ça.
Car aujourd'hui, aussi stupide cela puisse-t-il paraitre, il y a quelqu'un que je veux protéger, plus que n'importe qui. Plus que moi-même. Avec une abnégation et une sorte de dévotion contraire à tout ce que je suis. A tout ce que j'étais.
Car maintenant je sais ce que je désire vraiment. Ce que je veux faire, où, quand et avec qui. Et puisque qu'un Malfoy obtient toujours ce qu'il désire, je vais m'appliquer à observer les règles de mes ancêtres.
Toutes leurs règles. »
–***–
"Salazar, Salazar... C'est officiel, je suis bourré."
Tu prononces ces mots au moment même où ton regard dérive sur le cadavre de la bouteille de Fire Whisky que tu viens de vider, et tu remarques qu'il serait judicieux de la faire disparaître au plus vite de ta chambre de Préfet. Tu t'apprêtes à lancer un Incendio tout ce qu'il y a de plus laconique mais un éclair de génie traverse ta conscience brumeuse, et tu te souviens que le verre brûle mal, de même que chauffer de l'alcool sur un bureau en bois n'est pas forcement une très bonne idée. Reportant tes projets de dissimulation de fraude à plus tard, tu relis paresseusement ton texte en pensant que le papier, lui, brule très bien. Surtout un torchon de cet acabit.
Ouvrant machinalement le troisième tiroir de ta commode de bois sombre, tu laisses glisser la feuille autrefois vierge au sommet d'une pile en comptant déjà quelques dizaines, en te promettant comme toujours de faire un feu de joie avec toutes ces inepties dès le lendemain. Et comme toujours tu te traites mentalement de Poufsouffle, car tu sais pertinemment que ce petit jeu dure depuis quatre ans déjà. Sans changer tes habitudes pour autant, tu refermes lentement ta boîte de Pandore personnelle et bénis une nouvelle fois Severus de t'avoir enseigné le sort faisant en sorte que toi seul puisses l'ouvrir.
Tu jettes un coup d'œil fugace à ton image reflétée par le miroir trônant fièrement à tes cotes, et pousses un soupir presque théâtrale. Tes cheveux d'ordinaire élégamment plaqués en arrière, "parfaits" à l'instar du reste de ton inestimable personne, laissent échapper quelques mèches qui retombent indécemment devant tes yeux. Ton uniforme est un peu froissé, et ta chemise négligemment sortie de ton pantalon noir. Ta démarche elle-même a perdu de sa prestance, et tu réalises avec une certaine horreur que si tu te laisses aller de la sorte, il ne sera pas longtemps avec tu te mettes à ressembler fortement à Potter.
Un nouveau long soupir t'échappes à la simple évocation du Griffondor. Tu fronces tes fins sourcils blonds et maudis une nouvelle fois le balafré de venir parasiter tes pensées même sous l'emprise de l'alcool. Ce simple fait détourne tes réflexions vers ton prochain avenir, et tu décides qu'il est temps pour toi de te payer une séance de psychanalyse avec Blaise de toute urgence. Fort de cette résolution qui te parait être la plus constructive que tu aies eu depuis un certain temps, tu quittes ta chambre sans un regard en arrière, murmurant, un petit sourire sarcastique aux lèvres :
- A nous deux, Zabini...
–***–
Tu ouvres difficilement les yeux quand deux rayons solaires insolents viennent agresser tes paupières closes. Réalisant qu'il doit être bien tard pour qu'une telle lumière te parvienne, tu cherches à tâtons ta baguette, tout en pestant contre la monumentale gueule de bois qui te vrille le cerveau. Tu la trouves enfin et jettes un faible Tempus qui t'indique froidement que tu as raté tes deux heures de cours de Métamorphose du jeudi matin, et qu'il te reste moins de vingt minutes pour courir jusqu'en Potions. Grognant des jurons inintelligibles, tu avales une dose de potion salvatrice, te débarrassant bien vite de ton mal de tête envahissant. Tu te coiffes et t'habilles rapidement, et remercies tous les dieux d'avoir pourvu les Malfoy d'une classe à toute épreuve. En effet, malgré ton immense fatigue mentale et physique, ta nuit de débauche alcoolisée et de discussions plus ou moins joyeuses, ton manque de sommeil grandissant et ta mémorable gueule de bois, tu ressembles toujours à quelque chose et, ça, c'est appréciable.
Tout en sortant prestement de ta chambre, tu te demandes vaguement quelle a été la conclusion de ta si charmante entrevue de la veille. Et, fait pas si étonnant au vu de ton état, tu découvres que tu n'en a absolument aucune idée. Il te semble malgré tout que tu aies pris une décision assez importante durant cette fameuse soirée, alors tu tentes de te concentrer un minimum sur la question ; réglant ton cerveau sur pilote automatique tandis que tu te diriges vers ta prochaine salle de classe. Fouillant parmi tes souvenirs brumeux, tu parviens tout de même à rappeler à ton souvenir quelques bribes de conversation. Celle-ci aurait donc concerné, dans le désordre : ton Père, Dumbledore, l'Autre, l'Ordre du Phénix, la Marque des ténèbres, les Mangemorts en général, les possibilités des deux camps, ton parrain, tes amis et enfin Potter. Et si tu comprends assez bien le rapport entre ces éléments et ta situation actuelle, tu ne saisis pas vraiment ce que le Balafré venait faire là.
Soudain l'épisode du torchon que tu avais gribouillé la veille alors que tu étais sous l'emprise de l'alcool te revient en mémoire, et, avec une certaine stupeur, tu comprends. Tu ne peux, par ailleurs, t'empêcher de grimacer à ce souvenir. Alors ça y est, tu as finalement réussi à mettre un nom sur l'étrange sentiment qui te prend chaque fois que tu croises ce putain de Survivant. Ton froncement de sourcils s'accentue quand tu réalises que ce connard arrive à te faire chier même une fois que tu aies arrêté de le haïr.
Oui, il avait réussi à déclencher quelque chose d'encore pire...
Tu ne t'attardes pas trop sur le sujet, et cette simple constatation te fait sourire. Tu n'es pas plus ébranlé que cela par l'aberration qu'est le fait d'être tombé amoureux d'Harry Potter... Et pour cause, cela, par rapport au choix si important que tu vas bientôt être amené à accomplir, n'a finalement que peu importance.
Tu reprends rapidement ton masque d'indifférence lorsque tu t'aperçois être arrivé dans les environs directs de ta destination : l'antre de Severus Rogue, la Salle de Potions. Tu aperçois Blaise et Théo qui s'y trouvent déjà, et tu les rejoins tranquillement sans un regard pour les autres élèves qui s'écartent sur ton chemin en murmurant. Agacé par leurs chuchotements incessants, tu leur jettes un regard méprisant qui fait taire dans la seconde le fond sonore qui régnait dans le sombre couloir du sous-sol. Théo applaudit alors théâtralement et se dirige vers toi en mimant une révérence maladroite :
- Monseigneur Malfoy, Prince incontesté et incontestable des Serpentards, que nous vaut donc l'honneur que vous daignez illuminer de votre apparition radieuse nos modestes leçons quotidiennes ?
- Il faut croire que la fée de la bonté, cette garce, est venue roder autour de mon lit cette nuit pour que me vienne à l'esprit l'idée, ô combien saugrenue, de faire grâce de ma présence à des mécréants tels que vous.
- Et moi je crois plutôt que c'est parce qu'elle n'a pas pu obtenir ce qu'elle voulait de toi que ladite fée t'a maudit de la sorte.
- Quand je disais que les femmes ne m'intéressaient pas pour de bonnes raisons...
Éclatant de rire, ton ami se retourne alors vers Blaise, mais sa plaisanterie meurt dans sa gorge à la vue de la mine sombre de ce dernier. Le jeune homme t'observe en effet avec insistance, te fixant de son regard indéfinissable. Un regard que tu ne reconnais que trop bien. Un regard qui dit : "Draco, te tiendras-tu à ta décision ?"
Seul problème, tu n'as aucune idée de ladite décision.
Encore que... il ne t'est pas vraiment difficile de deviner, en remontant le fil de tes bribes de souvenirs, et spécialement en rajoutant le Potty dans l'équation, que tu n'as finalement pas dû choisir le camp de ton cher paternel. Mais même une fois cela mis au clair, reste encore une inconnue dérangeante : te battras-tu, tel un des nombreux pions du vieux fou, ou fuiras-tu, loin des combats et du sang, armoiries indissociables de la guerre à venir ?
C'est là toute la question, et c'est bien sa réponse qui te fait peur, faisant remonter dans ton œsophage une bile acide-amère t'irritant la gorge.
Car l'esquisse de réponse que tu aperçois dans les yeux de ton meilleur ami te laisse présager du pire.
Un Malfoy ne revient pas sur ses décisions, quelques soient les circonstances, car un Malfoy a toujours raison. Le doute s'insinue pourtant en toi : tu n'aurais tout de même pas pris le parti du Bien, hein ? Une sorte de panique te saisit à cette idée, et tu ressens le besoin impérieux de connaître la vérité. Sans préambule, tu attrapes Blaise par la manche de sa robe et le tires vers un coin tranquille, sourd aux exclamations indignées des élèves que tu pousses sans douceur sur ton chemin. L'autre te suit sans broncher, ayant parfaitement remarqué la tension subite qui s'est emparée de toi.
Vous croisez en route le trio infernal, et tu peux sentir le groupe se tendre à ton approche, Potter en particulier. Tu ne leur accordes cependant pas un regard et, une fois de plus, tu peux sentir l'étonnement presque palpable du brun, qui s'est stoppé au milieu du couloir et te fixe avec stupeur jusqu'à ce que tu aies quitté son champ de vision. Quant à toi, tu ne peux que comprendre sa surprise ; il faut dire que, durant les derniers mois, vos affrontements avaient eu tendance à se faire de plus en plus violents, vos insultes de plus en plus blessantes. Comme si vous étiez constamment chargés d'un trop plein, dont seuls ces accès de haine et le défoulement qu'elles apportaient pouvaient vous débarrasser. Et plus l'influence de l'Autre et l'imminence de la guerre s'étaient faites grandes, plus ce besoin s'était fait sentir. Jusqu'à ces derniers jours, où vous ne preniez même plus la peine de vous injurier : un seul regard de travers, un unique sourire moqueur, et les coups partaient.
Comment, dans ces conditions, en étais-tu arrivé à ressentir de tels sentiments ? Tu ne saurais te l'expliquer toi-même : cela te semble aussi bien complètement irrationnel qu'indubitablement effrayant. Mais peut-être qu'en y réfléchissant bien...
Oui, peut-être cela avait-il commencé cette lourde soirée d'été, à quelques jours de la fin de votre cinquième année. Tu t'offrais le luxe d'une petite ballade nocturne à travers le parc environnant, appréciant la faible brise qui venait de temps en temps rafraichir ton corps engourdi par la chaleur humide de la journée, rendant à peine supportable l'enfermement à l'intérieur du bâtiment, et ce même au sous-sol. Bien évidemment tu n'avais aucun droit, selon toute théorie, de te trouver là, déambulant sans vergogne non loin de la cabane d'Hagrid, ta cravate défaite et ta chemise légèrement ouverte pour laisser passer un maximum d'air possible tout en restant dans les limites de la décence, mais qu'importe.
Tu finissais justement ton petit tour, et profitais d'une dernière minute de fraîcheur avant de retourner dans tes dortoirs. Tu te trouvais adossé au fameux obélisque en amont de la chaumière du demi-géant, à l'endroit même où deux ans auparavant la Sang-de-Bourbe - comme tu l'appelais alors - t'avait remis les idées en place à l'aide de sa main droite.
Tu grimaças une furtive seconde à ce souvenir, pas franchement fier de ta performance d'alors. Non pas que tu regrettasses tes paroles, loin s'en fallait ; tu jugeais simplement qu'il y aurait eu des insultes plus blessantes encore, et bien plus dignes de ton niveau, qui t'auraient évité cette fâcheuse incartade.
Tu n'eus cependant pas le temps de poursuivre plus loin ta réflexion : non loin en contrebas la porte de la hutte au toit de chaume s'était ouverte, laissant filtrer dans la nuit un rayon de lumière vive qui attira mécaniquement ton attention. Le battant se referma sans qu'aucune silhouette visible n'ait quitté la demeure, et il ne t'en fallut pas plus pour deviner l'identité du visiteur du garde-chasse.
Tu t'étais promptement dissimulé dans l'ombre de la colonne de roche sombre, et y avais attendu avec une soudaine impatience l'approche du fraudeur. Ses pas avaient bientôt résonné à tes oreilles et tu n'avais pu empêcher un sourire moqueur de venir étirer tes lèvres : se croyant seul, l'autre ne faisait aucun effort pour se montrer discret. Les bruits s'étaient faits de plus en plus proches, mais tu ne bougeas pas d'un pouce avant qu'ils ne te dépassent. Estimant que le Gryffondor devait à présent se trouver à portée de voix, tu lâchas d'un ton calme et quelque peu railleur :
- Bonsoir, Potter.
Les frottements de chaussures contre le sol s'arrêtèrent net et ton sourire s'accentua. Un temps passa, dans le silence.
- Tu pourrais être poli et me répondre, je vais finir par me vexer. Et puis, tu sais, tu peux aussi enlever ta cape et me regarder quand je te parle.
- Tu ne finiras donc jamais de me faire chier, Malfoy.
Un froissement et deux yeux verts exaspérés qui vinrent appuyer ses dires. Il s'agissait par ailleurs plus d'une constatation que d'un réel reproche, et tu acquiesças presque involontairement.
- Tout juste, Potty. T'emmerder est une de mes raisons de vivre, il y a peu de chance pour que je m'en passe un jour...
A peine prononçais-tu ces mots que tu les regrettais déjà. Qu'elles soient vraies ou fausses, ce n'était pas des choses que l'on disait à un rival, à un ennemi. Encore moins quand le on en question les pensait mots pour mots. Potter dut aussi comprendre le double sens de ta phrase, et tu le vis ouvrir de grands yeux surpris avant de reprendre un air douloureusement sérieux, tel empli d'une déchirante mélancolie.
Il laissa flotter un court instant, comme désorienté, puis se décida finalement à répondre :
- Une raison de vivre, hein ? C'est plutôt rassurant, et assez paradoxal aussi. Car, à ce que je sache, tu es bien la seule personne que je connaisse pour laquelle je ne suis pas une raison de mourir...
Le sens des sonorités que tu percevais te sauta brusquement à la face, et ce fut ton tour d'écarquiller les yeux. Ton cerveau travaillait à cent à l'heure et tentait vainement de comprendre tous les tenants et aboutissants de la remarque. Tu parvins à un semblant de conclusion et, comme en réaction, une inquiétude sourde fit trembler tes mains ; tu te surpris à détailler l'expression de ton vis-à-vis. Une fébrilité inattendue s'empara de toi tandis que tu semblais redécouvrir le Gryffondor. Comment avais-tu pu passer outre ses yeux rougis mais secs – comme s'il s'était retenu de pleurer – ainsi que les cernes violacées les soulignant ? Comment avais-tu pu perdre de vue ainsi ton rival, jusqu'à ne plus le reconnaître ?
Car l'être qui te faisait face n'était pas Potter. Potter, plus que l'individu en lui-même, c'était l'icône ; la personnification de l'insouciance, du dévouement, de toutes ces valeurs que l'on t'avait appris à exécrer. De plus, Potter, c'était le Survivant : par définition l'ennemi de ton père, et donc le tien. Enfin, Potter, c'était le Gryffondor ; tout comme tu étais le Serpentard.
Autant qu'il était Potter, autant que tu étais Malfoy.
Alors, si cet humain, devant toi, n'était pas, tout du moins à tes yeux, le Balafré tant honni, qui était-il ?
Tu secoua la tête, désemparé. Qui était-il ?
C'était Lui. C'était un jeune homme épuisé, meurtri, brisé. A qui on avait ôté la possibilité de vivre presque depuis la naissance, l'obligeant à survivre. Et qui en avait perdu la force.
D'où l'éclat de détermination farouche qui avait déserté ses pupilles. D'où le manque de combativité à ton égard. D'où la faible, si faible, lueur d'espoir ; presque mort-née.
Et, alors que les orbes d'émeraude ternie te fixaient, la main de cet inconnu se tendit désespérément hors de l'eau dans laquelle il se noyait. Comme un ultime appel à l'aide avant de sombrer ; comme si tu étais la dernière personne à qui il pouvait l'adresser. La dernière, mais peut-être la plus mieux placée. Et cette lueur qui refusait de s'éteindre. Que tu refusais de voir s'éteindre.
Un sursaut de l'univers. Une aberration devenue réalité.
Tes mains se posèrent doucement sur ses joues.
Tu ne trouvais aucune logique à ton comportement. Qu'importe : la lueur brillait encore. Plus fort.
Tu défiais tout ce que tu n'avais jamais appris, pensé. Qu'importe : il ne s'agissait déjà plus de toi.
C'était l'histoire d'un petit garçon qui avait peur du noir.
Et tu savais mieux que personne qu'aucun soleil, qu'aucun brasier ne viendrait remplacer cette lueur qui éclairait ton monde, si celle-ci devait par malheur en arriver à s'éteindre.
Deux bras s'enroulèrent craintivement au tour de ta taille. Vos souffles se mélangeaient ; tu penchas lentement la tête vers lui.
Ce n'était plus Potter et Malfoy.
Ce n'était même plus Harry et Draco, désignations trop évocatrices encore.
Trop inappropriées.
C'était Lui et Toi.
C'était l'histoire d'une flamme et de celui qu'elle réchauffait.
Vos lèvres entrouvertes se frôlèrent ; il ne cilla pas : tu ne quittas pas la lueur du regard. Rien d'autre ne comptait.
Nouveau bref contact. Un vif tressaillement le prit ; un violent frisson te parcourut des pieds jusqu'à la racine des cheveux. Vous les ignorâtes avec superbe : ni toi ni lui ne rompîtes votre intense échange visuel.
Une larme naquit au coin d'un océan vert brillant. Comme si des digues trop longtemps fermées menaçaient de céder à tout moment sous l'afflux d'émotions.
Tu apposas ta bouche sur la sienne. Douce caresse. Courte aussi, puisque bien vite tu t'éloignais, observant avec anxiété le visage de cet étranger si bien connu.
Les paupières à demi closes, les pommettes rougies, il tendit le cou vers toi et vous appréciâtes un second baiser.
Ses mains s'accrochèrent à ta chemise avec la force d'un naufragé. Ton torse pressé contre le sien, tu glissas un bras dans son dos – comme pour le retenir de s'écrouler – ton autre main emmêlant tes longs doigts fins dans sa chevelure sauvage.
La danse se fit plus longue et langoureuse que la précédente. Plus passionnée aussi.
Tu y mis pourtant fin, le cœur battant mais la raison claire. Une seconde perle d'eau salée dévalant la courbe pure du profil du jeune homme entre tes bras confirma tes doutes.
Déchiré, tu lui refusas l'accès à tes lèvres lorsqu'il vint quémander un autre ballet. Devant son incompréhension, tu abandonnas ses cheveux pour venir placer ta main sur sa nuque. Tu l'obligeas d'une pression à nicher sa tête dans le creux de ton épaule et lui murmuras avec une tendresse que tu ne te connaissais pas :
- Ne fais pas ça, ou tu ne parviendras plus à te regarder dans la glace demain. ...pire, tu ne te sentiras même pas soulagé.
Un tremblement le secoua, et ses mains s'agrippèrent encore plus à toi, comme pour te retenir de partir. Tu continuas, imperturbable :
- Pleure, et je te retiendrai. Tu ne tomberas pas, je te le promets. Alors pleure. Ta rage, ta colère, ta tristesse... ta solitude. Je resterai là jusqu'à que tu aies fini. Épanche ta peine... Pleure, crie, hurle tout ce que tu veux. Je ne te laisserai pas, je ne te jugerai pas. ...et demain, promis, j'aurai tout oublié.
Tes mots atteignirent leur cible et tu sentis un liquide froid imbiber au goutte à goutte ton col de coton ; tu n'y prêtas aucune attention.
Désireux de trouver une meilleure position pour passer la nuit – puisque c'était ce qui allait sans doute arriver – tu t'étais dirigé à reculons jusqu'à la colonne où tu t'étais appuyé précédemment, entraînant le brun avec toi. Vous vous étiez ensuite assis à son pied : toi adossé à la pierre, l'entourant de tes bras alors qu'il était assis entre tes jambes, son épaule contre ton buste et son visage toujours enfoui dans ton cou.
Tu fis enfin flotter la cape d'invisibilité jusqu'à toi, et t'en étais servi pour vous recouvrir tous les deux, créant ainsi un cocon de chaleur dans lequel vous passâtes la nuit entière.
Ce ne fut qu'en apercevant les premiers signes annonçant le lever du jour que vous vous décidâtes à regagner vos dortoirs respectifs, où vous tombâtes endormis dès les premières clartés de l'aube.
–***–
Ce fut ta première rencontre avec Lui. Cet être si spécial, si attirant et effrayant à la fois, fragile tel le cristal tout en gardant la force pure du diamant. Un paradoxe vivant auquel tu n'avais jamais pu mettre de nom. Du moins jusqu'à présent.
Tu l'avais recroisé à de nombreuses occasions durant l'année suivante, et chaque fois le même scénario s'était répété. Tu l'avais trouvé, au gré de tes pérégrinations nocturnes, tremblant de froid ou secoué par des pleurs, épuisé par le poids pesant sur ses épaules, la folie et la mort lui prenant les siens, la peine et la peur de ce monde en déroute qui avait tout misé sur lui.
Dans ces moments-là, tu le prenais dans tes bras, sans qu'aucun mot superflu ne soit échangé, et tu le berçais des heures, lui transmettant le temps d'une nuit la force qui lui manquait pour continuer à avancer. Parfois, lorsque la douleur s'était faite trop forte, les cadavres jonchant le sol trop nombreux, il venait capturer tes lèvres, comme dans le but de boire à la source cet espoir, cette envie de vivre lui faisant tant défaut. Tu ne lui refusais pas ces baisers et y répondais à ta façon, sans brusquerie ni passion, juste avec tendresse et réconfort. Il n'était pas question de désir, mais de douceur.
Tu savais pourtant qui il était. Tu savais que, dès les premières lueurs de l'aube, vous redeviendriez deux ennemis. Les jets acides d'insultes reprendraient, de même que les coups remplissant la gorge du goût métallique de l'hémoglobine écarlate. Tu le détesterais avec ferveur et il te rendrait la pareille avec autant de hargne. Cela était resté un accord tacite entre vous : vous n'en parliez jamais tout en en étant parfaitement conscients.
Cependant, sous la lumière blafarde de la lune, tu ne le voyais que comme « lui », une personne que tu n'avais cessé de dissocier totalement de Potter. Ce dualisme était apparût dès la fameuse entrevue, et n'avait fait que se renforcer depuis. Et aujourd'hui, si tu étais tombé sous le charme de cet innommé tout en en haïssant l'image première, c'était grâce, ou à cause, de cette étrange dichotomie.
Toujours était-il qu'aucun de vous n'aviez jamais cherché à stopper ces instants ambigües. Tu parcourais toujours le château tes nuits d'insomnies, lesquelles s'étaient faites de plus en plus fréquentes au fil du temps, et tu le trouvais parfois sur ton chemin. Jamais il ne te repoussa. Jamais il ne fit mine de te fuir.
Un soir tu l'avais découvert au détour d'un couloir, tranquillement installé sur le rebords d'une fenêtre, les pieds du côté intérieur des vitres ouvertes. Il ne semblait pas plus soucieux ou triste que cela, et tu en avais été tout d'abords déconcerté ; tu ne savais absolument pas comment réagir dans ces conditions. Il t'avais simplement souri et avait tapoté le bord à ses côtés, te faisant signe de t'y assoir. Tu le connaissais avec son désespoir ; tu découvris son sourire.
Vous parlâtes beaucoup dans l'obscurité, bien que jamais vos noms ni vos amis ne fussent cités. De même pour vos projets d'avenir ; peut-être étiez vous déjà trop conscients de n'en avoir aucun, ni dans ton cas, ni dans le sien. Quand bien même, vous trouvâtes mille et un sujets de discussion, du plus commun au plus sérieux, et jamais vous ne fûtes plus sincères que cette nuit-là. Vous ressortîtes de vos débats apaisés, regrettant presque que le soleil se lève et vous interrompe.
Ce ne fut que bien plus tard que tu compris qu'il avait s'agit là d'un autre genre de remède à l'angoisse que ceux que vous aviez expérimentés jusqu'alors, et non d'une tentative sincère de rapprochement amical. Et, sans savoir réellement pourquoi, cette constatation te fit mal.
Tu secoues la tête en chassant avec énervement ces pensées parasites. Car si maintenant tu comprends le pourquoi de cette rancœur subite, ce n'est pour l'instant pas du tout le centre de ton attention. Tu arrives enfin dans un couloir désert et attires Blaise dans une alcôve propice à la discrétion. Celui-ci, devinant à peu près le motif de cette escapade impromptue, croise les bras sur son torse et se laisse aller contre le mur de pierres rugueuses, dans une invitation silencieuse à prendre la parole. Ne sachant pas vraiment par où commencer, tu hésites un moment avant de finalement lancer :
- Dis-moi, mon p'tit Blaise, je suis bien venu te rendre visite hier soir, non ?
- Exact. Et, si tu me passes l'expression, tu étais bieeen rond !
Tu grimaces à cette idée, la peur de ce que tu aies pu faire dans cet état faisant trembler tes mains plus que de raison. Tu éludes, pressé d'en finir :
- Je sais, je sais. Mais là n'est pas là question. La seule chose importante, c'est...
- ... la fameuse décision que tu as prise en ma compagnie.
- ... juste.
- Et, si tu viens m'en parler maintenant, j'imagine que c'est pour une bonne raison.
- Viens en au fait, tu veux.
- Tu as donc bien oublié.
- ...être saoul n'apporte malheureusement pas que des avantages.
- A mon humble avis, ça n'en apporte même pas du tout. Enfin... j'imagine que tu t'en rendras compte par toi-même d'ici peu.
Une bile amère te remonte en bouche. Il faut que tu saches.
- Blaise...
- Sérieux, je ne crois pas que tu vas apprécier. Car Un Malfoy ne revient jamais sur sa décision, hein ?
- Blaise !
- Euh... tu es sûr ?
- ...
- Bon... avant tout, promets-moi de ne pas m'étrangler, je t'assure que je n'invente rien. Et n'oublie pas que je suis ton ami, surtout !
- Mon meilleur ami, Blaise. Maintenant accouche.
- Tu as décidé de devenir Mangemort en tant qu'espion au service de Dumbledore.
–***–
- Monsieur Malfoy, Monsieur Zabini, pouvez-vous me donner une raison valable à votre retard ?
La voix presque trop calme pour être sincère du professeur Rogue s'élève dans le silence pesant du cours de Potions. Tous les regards des élèves sont braqués sur vous, oscillant entre la curiosité et la stupéfaction : cela doit bien être la première fois en sept ans que tu arrives en retard à une des leçons de ton parrain. Tu ne te justifies pourtant pas, laissant à Blaise le soin de trouver une excuse plus ou moins crédible ; l'impartialité de Severus n'ayant jamais été une de ses plus grandes qualités, surtout te concernant. Tu ne peux néanmoins t'empêcher de fusiller le jeune homme du regard lorsque celui-ci répond par une semi-vérité :
- Et bien... c'est-à-dire que Draco vient de recevoir une mauvaise nouvelle ce matin, et il lui a fallut un peu de temps pour s'en remettre, alors...
- C'est très clair, Monsieur Zabini. N'étalons cependant pas la vie privée de Monsieur Malfoy au grand public et rejoignez vos binômes respectifs. Vous êtes avec Monsieur Londubat, tandis que Monsieur Malfoy va retrouver Monsieur Potter.
Tu te contentes de hocher vaguement la tête et vas installer tes affaires dans un état second. « Un peu de temps pour s'en remettre » a dit Blaise... Comme si quinze minuscules minutes auraient suffit à te faire accepter une énormité pareille !
De tous les choix possibles, il avait fallu que tu te tournes vers le plus dangereux, le moins profitable ; le pire, en somme. Tu ignores avec superbe le regard étonné de ton coéquipier forcé, où perce étrangement un éclat inquiet.
« Manquerait plus que je me mette à pleurer sur son épaule pour que le tableau soit complet ! » penses-tu avec mépris.
Chassant cette idée parasite de ton esprit, tu tentes de te concentrer sur le cours et jettes un regard à la potion que vous devez réaliser. Tu examines ensuite la préparation de Potter et étouffes de justesse un juron peu glorieux. Ce mec ne saura définitivement jamais suivre des instructions correctement... Tu lui prends les ingrédients des mains et grognes un « Laisse-moi faire » ne tolérant aucune protestation. Il te cède immédiatement sa place sans chercher à retenir un audible soupir de soulagement.
L'heure se poursuit de la sorte et la mixture a pris l'aspect idéal lorsque Rogue passe dans les rangs. Sans surprise tu, enfin vous, obtenez la note maximale alors que Blaise et Londubat reçoivent un effroyable T. Tu peux d'ailleurs sentir à distance ton ami construire de multiples projets de vengeance que tu devines sans peine machiavéliques. S'il n'était pas ce qu'il était, c'est-à-dire un stupide Gryffondor peureux, tu plaindrais presque ce pauvre Neville.
Le professeur vous donne alors congé et tu ne peux faire trois pas hors de la salle sans que Pansy ne vienne s'accrocher à ton bras en te suppliant de lui expliquer le pourquoi de ton retard.
- Blaise a dit vrai, Pans'. J'ai bien reçu une mauvaise nouvelle et je n'ai PAS envie d'en parler. Clair ?
Tu as expressément élevé la voix et le regard entendu que te rendent tes pairs te rassure : le message est bien passé, personne ne fera allusion aux évènements de la matinée. Qu'il est bon d'être le Prince des Serpentards...
–***–
La journée s'est déroulée de la même manière et aucune rumeur n'a été lancée au sujet de la fameuse nouvelle. Même tes amis ne l'ont pas mentionnée, se contentant du badinage habituel, et tu leur en étais reconnaissant. Tu ne parvenais toi-même à intégrer ta décision que bien difficilement, alors de là à subir en plus les commentaires de tierces personnes... c'était hors de question.
Vous êtes à présent réunis dans le dortoir des Serpentards de septième année, et là encore personne ne te pose la moindre question. Tu vas bientôt devoir effectuer ta ronde de nuit... et tu as le furieux pressentiment que tu risques bien de le croiser sur ton chemin. Tu ne sais si tu dois t'en réjouir ou, au contraire, le fuir pour la première fois, mais une petite voix souffle à ton oreille qu'il est peut-être la personne de ton entourage la mieux placée pour t'indiquer quoi faire.
Tu trouves ça délirant, mais cela ne t'empêche cependant pas de partir à sa recherche dans les minutes qui suivent, adressant un salut affable à tes camarades.
Tu le trouves moins d'un quart d'heure plus tard, installé près d'une des fenêtres d'une des nombreuses salles vides du château. Dehors, les premiers flocons de neige annoncent l'arrivée de l'hiver en Écosse.
Il se retourne au son de tes pas et tu fermes distraitement la porte de la classe derrière toi. La seule lumière de la pièce est le faible Lumos qui brille au bout de ta baguette, et celui-ci ne te permet pas encore de détailler son visage. Tu te rapproches de la silhouette masculine et ne te sens rassuré que quand son regard vert forêt croise le tien. Tu prends alors place à ses côtés et attends qu'il te pose la question qui lui brûle les lèvres. Il semble hésiter un instant, ne sachant quelle attitude adopter, avant de se résoudre à aller droit au but, avec la délicatesse propre à sa maison.
- Que se passe-t-il ?
Un petit sourire fleurit sur tes lèvres ; « délicatesse » est vraiment un euphémisme.
- Bonsoir. Je vais bien, merci. Et toi ?
- Te fous pas de moi et réponds, tu veux. Quant à te sentir bien, mon cul ! Tu m'as ignoré toute la journée, même en Potion ! Pas une insulte, pas une moquerie... pas même un regard méprisant, rien ! C'était presque vexant, tu sais.
- Qui te dit que ce n'était pas un effet d'une soudaine crise de maturité ?
- Moi. Et arrête l'humour, ça ne fait rire personne. Maintenant, dis-moi : qu'est-ce qui se passe ?
Tu soupires, légèrement agacé. Ce mec est d'un têtu ! Tu fais taire dans la seconde la petite voix qui te dit que c'est une des raisons de ton amour pour lui et tente de biaiser :
- Je suis convoqué au manoir dans deux jours.
- Oh.
- Tu comprends ce que ça veux dire, n'est-ce pas ?
- Oui... Et qu'as-tu décidé ? Tu vas y aller ?
- Je n'ai pas le choix, tu le sais aussi bien que moi.
- Non ! Tu pourrais demander à Dumbledore de te protéger, il ferait en sorte qu'ils ne puissent pas te faire de mal, il...
- Stop. Tu sais très bien que c'est faux. Malgré tous ses pouvoirs, le vieux fou n'a pas le droit d'empêcher mes parents de me voir... et donc de me faire passer la cérémonie.
- Donc... tu vas avoir la Marque, c'est ça ?
- Oui.
- Et tu vas devenir mon ennemi.
Cela sonne comme une fatalité dans la bouche du Survivant, et tu te surprends à y trouver une note vibrante de désespoir. Tout comme tu constates avec une sorte d'effarement inaudible que le fait d'associer consciemment Potter à Lui ne te dérange plus tellement. Celui-ci ne dure qu'une brève seconde et tu reprends vivement contenance. Tout du moins, tu essais. Le silence devient pesant ; tu peux deviner dans la pénombre ses épaules basses, l'éclat triste teinté de déception de son regard, ses mains crispées en poings dont les ongles courts se plantent rageusement dans les paumes.
Ton cœur se serre à cette vision. Tu lui as fait mal et tu t'en veux atrocement pour ça. Te savoir responsable de sa souffrance te déchire ; tu tends une main un peu trop hésitante vers lui, écartes une mèche de son front. Tu redessines les contours de son visage, effleures sa joue, glisses le long de sa mâchoire. Ses yeux papillonnent quelque peu ; bientôt se ferment. Tu sais ce qu'il attend, mais tu as quant à toi d'autres projets en tête. Tu t'avances comme au ralentit, et déjà tes lèvres se posent sur sa célèbre cicatrice. C'est chaste, tendre, plus intime encore que les nombreux baisers que vous avez échangés.
Il a considérablement rougis et te fixe intensément, cherchant à percer le secret de tes pensées. L'éclat de tristesse, bien que voilé, n'a cependant pas disparu. Tu saisis doucement sa main et le sens tressaillir à ton contact, comme se réveillant en sursaut d'un rêve capiteux. Avec patience, douceur, tu délies ses doigts et les entremêles aux tiens. Ton pouce caresse sa peau hâlée ; tu l'apaises. Murmures :
- Moi, je ne veux pas être ton ennemi, Harry. Non pas que nos bagarres intempestives ne soient pas agréables, loin de là. Elles sont – je te l'accorde – purement jouissives. Mais je ne veux pas me battre contre toi. Pas comme ça.
- Je...
Une étrange sensation te submerge. Te te sens fébrile mais fort, déterminé et cependant hésitant. Tes idées autrefois confuses sont à présent claires ; ton indécision s'est envolée et tu trembles un peu plus. Tu sais ce que tu veux, tu sais ce que tu ressens, tu sais quoi dire, pourquoi tu le dis, à qui le dire. Peut-être est-ce l'importance de ces choix qui te trouble autant. Sûrement.
Tu apposes avec un sourire que tu veux rassurant ton index libre sur ses lèvres entrouvertes ; ce moment a de bonnes chances d'être le plus déterminant de ta courte existence : il doit savoir.
- Sache que je ne te déteste pas. Si, le jour, je t'insultes, si je te blesse, c'est que je sais que tu me rendras la pareille, que nous en avons besoin. Nous nous frappons parfois, mais aucun de nos coups ne nous font de mal. Au contraire, ils nous soulagent. Ils nous prouvent encore et encore que, malgré le sentiment de vide omniprésent, nous sommes bel et bien vivants.
- Mais je sais tout ça ! Crois-tu que, si je t'attends des heures entières en pleine nuit, ce n'est que pour mieux t'utiliser ?
- Non ! Bien sûr que non. Tout comme je ne pense plus un mot de ce que je te dis en public.
- Alors pourquoi ! Pourquoi acceptes-tu de te rendre là-bas ? Pourquoi acceptes-tu de devenir son jouet, comme tous les autres ?
Tu ne réponds pas tout de suite, laissant filer un temps que tu veux apaisant. Lui te crucifie du regard, ses doigts broyant les tiens dans leur étreinte, dans une provocation informulée colorée de rage suffocante. Il est là, désemparé et haineux devant ta trahison, te défiant de persister dans ta fuite, et tu te maudis de le trouver beau. Beau de cette magnificence sauvage dont il n'a aucune conscience, mais qui pourtant l'entoure tel un halo, obligeant ceux qui l'entourent à s'incliner devant sa volonté, à le suivre partout où il va, à accourir à la moindre de ses demandes.
Tu souris mentalement à cette idée car, si tu ne t'étais pas plus ou moins consciemment voilé la face durant tout ce temps, tu aurais sûrement agis de même. Comme quoi ces années de haines, qu'elles soient factices ou non, auront malgré tout servi à quelque chose : elles t'auront empêché de rejoindre la masse de ceux qui rampent aux pieds de l'Élu. Ce qui aurait été très mal vu, du simple fait qu'un Malfoy ne rampe devant personne.
Tu reviens au présent et notes que l'élu en question s'est légèrement clamé, transformant sa fureur en mépris blessé durant ton silence. Tu le tires un peu plus vers toi et décides de lui faire part de ta résolution :
- Parce que, justement, je ne serai pas sa marionnette. Un Malfoy n'a pas de maître, et je veux être le seul initiateur de ma vie, de mes choix. Si je dois prêter allégeance à quelqu'un, je veux avoir décidé de cette personne moi-même.
- Et tu as choisis Voldemort ?
Ton rythme cardiaque est anormalement élevé et tu ressers la pression de tes doigts sur ceux de ton vis-à-vis. Le point de non-retour est en passe d'être franchi, une certaine appréhension te saisit à l'idée des conséquences prochaines de ton geste. Une seconde, tes paupières se ferment : tu demandes pardon à ta mère, dis adieu à ton père. Ce sont tes parents : ils ne sont pas parfaits, ils ne sont même pas recommandables, mais tu leur dois la vie, alors il y a comme une pointe de douleur qui perce un instant ta poitrine. Tu viens d'accepter le fait que tu vas très bientôt les renier, et au fond de toi tu sais qu'il n'y aura aucun pardon possible.
Puis la souffrance s'en va et il ne reste que la sensation de ces doigts mêlés aux tiens, de ce souffle caressant ta peau, de cet amour insensé et sans limites que tu portes à l'être qui te fait face. Tes cils se relèvent, tu plonges tes pupilles dans les siennes. Inspires. Tu ne regrettes rien. Expires.
- Non, je t'ai choisi toi, Harry.
Nous voilà donc à la fin de la première partie. La seconde et dernière sera plus longue et se passera quelques mois plus tard.
Note : Ceci est ma toute première fanfiction. Cela ne change, certes, pas grand chose mais explique peut-être mon manque de maîtrise des personnages. Qu'en avez-vous pensé ?
