Verity sentait la grimace sur ses lèvres, et impossible de la faire décamper. Juste à côté d'elle, Cul de Poule – on n'avait pas idée d'être aussi rébarbatif, c'était le Botox qui lui avait coincé l'expression sur la figure ou quoi ? – la lorgnait de travers.

« Mademoiselle Willis » finit par lâcher Cul de Poule, « tâchez de vous tenir un peu mieux. »

La jeune femme sentit des tiraillements au coin de sa bouche, une invitation à accentuer sa grimace. Elle serra les dents, inutile de se coller à dos quelqu'un qui s'empresserait d'aller se plaindre à la direction, et putain, c'était exactement pour ça qu'elle n'arrivait jamais à conserver un job, elle faisait toujours chier les gens…

Sauf qu'ici, faire chier les gens n'équivaudrait pas juste à se faire virer sans fiche de paie. Alors tiens-toi à carreau, ma grande.

« Ça me met mal à l'aise, cette histoire » lâcha-t-elle.

Cul de Poule haussa les épaules.

« Vous vous y ferez » déclara-t-il platement en s'arrêtant devant une porte peinte en bleu marine. « C'est ici, entrez, et suivez les instructions du technicien à la lettre. »

Verity poussa la porte.

C'était curieux, on s'imaginait toujours les installations scientifiques foutument high-tech. Enfin, elle se les imaginait comme ça, avec plein de fils, des groupes électrogènes, des surfaces en aluminium… Au lieu de quoi, des écrans d'ordinateur et un genre de fauteuil de dentiste.

Le type en veste denim sur un T-shirt Looney Tunes déjà présent, penché sur un des écrans, ne releva même pas la tête. Bâtard.

« Mettez-vous dans un coin » lança-t-il presque distraitement, « votre réactif est en chemin, si vous pouviez éviter de vous fourrer dans mes pattes en attendant… »

Plus ça allait, plus Verity détestait ce boulot. Pourquoi elle faisait ça, au juste ? Le fric. Pense au fric, gourdasse !

« Alors, vous venez d'où ? » interrogea le technicien.

« De la rue » lâcha la jeune femme.

« Classe. C'est la première fois qu'on vous assigne une poupée, hein ? »

« Je croyais qu'on disait réactif » pointa Verity, s'attirant un haussement d'épaules.

« C'est le terme officiel, oui. Mais je dis poupée. Après tout, une poupée, c'est quelque chose qui attend de recevoir une personnalité, non ? »

Elle ne put retenir un frisson.

« On se croirait dans un cauchemar haute technologie » marmonna-t-elle.

Le type rigola.

« Ça fait un peu cet effet, oui, mais ça passera. Ah, si je ne m'abuse… »

La porte se rouvrit et une femme blonde entra, suivie par…

Verity sentit son cœur s'arrêter.

Luke ?!

Non, pas Luke. Mais si Luke avait eu un frère perdu de vue à la naissance, ce type aurait pu tenir le rôle sans aucun problème. Il avait les cheveux noirs, la taille de grande perche, les yeux verts… C'était l'expression qui ne collait pas. Vacante. Absente.

Personne à la maison.

« Et bien voilà » fit la blonde, « nous y sommes. C'est vous, la nouvelle protectrice d'Opale ? »

« Heum, oui » bafouilla Verity en s'arrachant à la contemplation du grand brun.

La blonde sourit et tapota le bras de l'autre.

« Va t'asseoir, Opale, c'est l'heure de ton traitement. »

« J'apprécie mes traitements » fit le brun d'une voix monocorde avant de se diriger vers le fauteuil de dentiste.

« Bonne chance » lança la blonde avant de repartir en fermant la porte derrière elle.

« Je dois m'inquiéter ? » voulut savoir Verity.

« Non, non » assura le technicien en lui fourrant un bout de papier dans les mains. « Tenez, votre script. Lisez bien ce qu'il y a d'écrit. Juste une seconde. »

La poupée était à présent installé dans le fauteuil, totalement détendu alors que l'engin basculait en position assise. Le technicien tapotait sur un clavier.

« Voi-là… »

Verity sursauta en voyant le brun convulser brièvement.

« Qu'est-ce qui se passe ?! »

« Ça ne dure qu'un instant ! Et de toute façon, il oublie tout » affirma précipitamment le type. « Maintenant, prenez-lui la main. »

« Quoi ? »

« Prenez-lui la main. Ou touchez-lui l'épaule, ça l'aidera à se lier à vous, à vous faire confiance. Et regardez-le dans les yeux, si vous pouvez. Allez ! »

Avec l'impression tenace d'être passablement ridicule, la jeune femme s'avança et saisit la main de la poupée – ses doigts étaient glacés. Et il avait des yeux… Dans la lueur de la machine, ils étaient devenus bleus.

Et ils étaient fixés sur elle. Vides et pourtant d'une intensité perturbante, comme seul peut l'être le regard d'un mannequin.

Elle avala sa salive et loucha sur son texte.

« Tout ira bien » déclama-t-elle avec autant de conviction que si elle essayait de se faire passer pour un éléphant rose.

« Maintenant que vous êtes là » murmura la poupée.

Est-ce que les doigts froids venaient de se resserrer ? Est-ce qu'il y avait eu une pointe d'émotion sous le ton monocorde ?

Il ressemble à Luke…

La réplique suivante eut du mal à franchir les lèvres de Verity.

« Vous me faites confiance ? »

« A la vie à la mort » répondit le réactif – Opale, et cette fois, il y avait bien présence d'une certitude totale dans sa voix.

Bon Dieu, il y croit. Il y a deux minutes, il ne savait même pas à quoi je ressemblais et maintenant, il croit que je suis sa meilleure amie.

« Et c'est fini » déclara le technicien. « Vous êtes sa protectrice, il est votre réactif – prenez bien soin de lui. »

« J'ai signé pour ça » grinça la jeune femme tandis que la chaise pivotait de nouveau en position assise.

« Je me suis endormi ? » interrogea la poupée, regardant dans la direction du technicien qui lui adressa un sourire bienveillant.

« Rien qu'un moment. »

« Je peux y aller ? » voulut savoir le réactif.

« Si tu veux. »

Opale tourna lentement la tête vers Verity.

« Je voudrais aller à la piscine » dit-il.

Il la regardait comme si aller à la piscine nécessitait qu'elle lui donne la permission. Et il n'avait pas lâché sa main.

Elle s'obligea à sourire.

« Tu veux que je t'accompagne ? »

Il lui adressa un sourire radieux de gamin de huit ans alors qu'elle l'aidait à se lever et lui faisait quitter le labo.