Reina regarda le ciel. C'était l'une des rares choses que son monde avait en commun avec Eldarya. Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas Eldarya, c'est juste que ce n'était pas chez elle. Ce n'était pas son monde. Elle n'y avait pas sa famille, ni ses amies. Elle n'avait pas d'endroit où rentrer le soir où elle se sentirait chez elle. Pas d'endroit à appeler sa « maison ». Cela faisait plusieurs mois depuis son arrivée et la joie de la découverte s'estompait. Ses proches lui manquaient.
Reina avait beau avoir toujours rêvé de pouvoir faire de la magie, de quitter son monde pour vivre de folles aventures comme dans les livres de fantasy, elle comprenait maintenant la solitude que cela impliquait.
Elle traversa le parc en traînant des pieds, elle n'avait pas envie de rentrer dans sa chambre, mais elle n'avait pas d'autre endroit où aller. Ces derniers temps elle supportait de moins en moins la présence des autres personnes, en particulier celles des capitaines des gardes.
Sans y faire attention, elle se fit bousculer par Ezarel qui portait une pile de livres.
- Tu ne peux pas regarder où tu vas ? S'agaça-t-il en ramassant ceux qui étaient tombés. Tu n'es pas encore devenue immatérielle malgré ton teint blafard et ta présence inexistante. Termina-t-il avec un sourire moqueur.
Si d'ordinaire, ses plaisanteries la faisaient sourire, ces derniers temps elle les trouvaient fades.
- Peut-être que ce serait ça la solution, finalement… Au moins si j'étais un fantôme on me laisserait errer en paix. J'y penserais, Ezarel, j'y penserais. Marmonna-t-elle à voix basse en reprenant son chemin.
Elle rentra dans sa chambre et se laissa tomber sur son lit. Elle s'enroula dans la couverture et s'y blottit, en souhaitant que le temps passe. Peut-être que s'il s'écoulait plus vite, ses parents ne lui manquerait plus autant?
Il lui semblait que cela ne faisait que quelques minutes qu'elle venait de s'emmitoufler lorsqu'elle entendit quelqu'un frapper à sa porte. Reina décida de faire comme si elle n'avait rien entendu et repris le cours de ses songes. Malheureusement pour elle, l'inopportun était insistant. De mauvaise grâce, elle sortit de son lit et ouvrit sa porte. Elle se sentit observée avec attention lorsqu'elle croisa le regard de Valkyon.
- Mery a de nouveau perdu son familier, je vais le chercher dans la forêt.
- Ah.
- Tu viens avec moi, on sera plus efficace à deux.
Reina acquiesça et le suivit. Il lui sembla qu'il allait moins vite que d'habitude mais elle accéléra l'allure tout de même pour être à sa hauteur. Le trajet se fit dans le silence. Son regard se perdait dans la végétation autour d'elle et dans le ciel. Mery était un idiot. Qu'avait-il bien pu donner à son familier cette fois pour qu'il s'enfuie ? Reina n'avait pas envie de devoir en capturer un à nouveau. Elle chercha avec plus ou moins de bonne volonté. Mery était chez lui, il avait sa mère. Alors qu'elle… Elle se morigéna intérieurement. Elle ne pouvait pas se comparer à un gamin qui avait perdu son père et dont la mère était gravement blessée. Elle avait vingt ans, et sa famille allait bien, il y avait juste un monde qui les séparait. Juste un monde.
La pluie commença à tomber, et Reina arrêta ses recherches pour apprécier cette sensation fraîche sur son visage. Elle avait envie de pleurer. A défaut de pouvoir le faire, le ciel le faisait pour elle.
Elle sentit la main de Valkyon sur son épaule avant de le voir, il désigna d'un mouvement de tête, un arbre qui pourrait les abriter le temps que l'averse s'arrête. Ils s'y réfugièrent, Reina s'asseya en s'adossant contre le tronc de l'arbre, Valkyon en fit de même.
- Pourquoi est-ce que tu pleures ? L'interrogea-t-il en continuant de la regarder de manière imperturbable.
- Les filles humaines pleurent tout le temps, pour tout et n'importe quoi. Lui rétorqua Reina en fixant son regard loin des yeux dorés dont l'intensité commençait à la rendre mal à l'aise.
Il resta silencieux quelques secondes comme pour lui laisser le temps de se livrer d'elle-même.
- Tu n'es pas obligée de tout garder pour toi. Si tu as besoin de parler, je t'écouterai.
- Merci.
Valkyon acquiesça en fronçant les sourcils. Il savait que Reina ne dirait rien, ne lui aurait rien dit. Pourtant il aurait aimé qu'elle le fasse, cela lui aurait permis d'effacer ce goût amer d'inutilité qui le hante depuis plusieurs jours déjà. Ils rentrèrent au quartier général rapidement lors d'une accalmie de l'averse.
- N'oublie pas de te sécher. Lui lança-t-il au moment de rejoindre sa propre chambre.
- Je sais, je sais, maman, lui répondis Reina agacée mais sa voix trembla sur le dernier mot.
Elle ne lui laissa pas le temps de la rattraper, déjà elle avait disparu au bout du couloir pour rejoindre sa chambre. Elle avait un peu trop bien assimilée la technique de fuite de la garde de l'Ombre. Il entra dans sa chambre et se sécha rapidement. Il comprenait à présent son attitude maussade et il doutait de ne pouvoir faire quelque chose pour elle. Il ne pouvait pas ramener sa famille, il ne pouvait pas la renvoyer dans son monde. Si au moins elle avait acceptée sa présence, il l'aurait écouté et essayer de la réconforter. Mais elle préférait se cacher pour pleurer.
Il décida de descendre aux cuisines, avec toutes les larmes qu'elle allait laisser couler, elle aurait besoin de boire et de manger un peu. Il piqua aussi un peu de miel d'Ezarel et remonta vers la chambre de Reina. Il s'adossa contre le mur, ses sanglots lui parvenaient malgré la porte et la couverture dans laquelle il était sûr qu'elle s'était entourée. Cela lui fit un pincement au cœur. Il lui semblait qu'elle pleurait depuis des heures quand sa porte s'entrouvrit discrètement. Si discrètement qu'il avait failli ne pas s'en rendre compte. Il se retrouva presque nez à nez avec le visage rougi de Reina qui recula aussitôt qu'elle le vit. Il cala son pied dans l'ouverture de la porte et entra dans la chambre. Il n'accepterait pas cette fois de rester attendre à l'écouter pleurer.
- Tu écoutes aux portes maintenant ? L'attaqua Reina.
- Je t'apportais de quoi manger. Fit-il en déposant la cruche d'eau, la miche de pain et le miel sur sa table de nuit. Tu vas... Mieux ?
- Oui. Lui répondit-elle en se fermant complètement.
Il la scruta du regard et s'approcha d'elle. Il leva son visage vers lui et observa les yeux rouges et les joues trempées.
- Je ne te considérerais pas plus faible parce que tu pleures devant moi. Lui dit-il d'une voix sourde.
- Je dois en conclure que tu me considère comme étant déjà tellement faible que je ne pourrais pas l'être davantage ? Releva Reina après quelques secondes à se noyer dans les yeux dorés.
Il relâcha son visage et recula.
- Tu sais très bien que ce n'est pas ce que je veux dire.
- Je sais. Mais tu t'inquiètes pour rien, ça passera. Laisse-moi juste du temps.
Il hocha la tête.
- Merci quand même pour le repas.
Il fit un mince sourire et sortit de sa chambre. Il ne pouvait rien faire mais au moins avait-il tenté quelque chose.
Fin.
