Indispensable

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Pairing : KageHina / Rating : T (pas d'avertissement particulier)

Note : On m'a fait remarquer que les membres du club de volleyball avaient aussi entraînement le matin. Quand j'ai écrit cette fic, j'avais oublié ce détail, et changer ça serait assez délicat maintenant. J'espère que vous me pardonnerez.


Premier Chapitre

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Ce matin encore, Tobio Kageyama frappa délicatement trois coups sur la porte en bois blanc de la salle de bain, sans obtenir de réponse. Tâchant de garder son calme, il répéta son geste, une fois, puis une autre. Finalement, la porte s'ouvrit sur une tête mal réveillée à la coiffure orange si emmêlée qu'elle pourrait bien abriter un nid de poussins que ça n'étonnerait probablement personne. Tobio fronça les sourcils.

— Hé, crétin, t'as pas vu l'heure ?
— Fiche-moi la paix, grommela la tête d'oiseau. J'ai presque fini…
— D'abord, pourquoi il faut toujours que tu passes quarante ans là-dedans, alors qu'au final t'en ressors avec la même tête d'abruti qu'en entrant ?

Le rouquin ne répondit pas à la pique envoyée par Tobio, probablement encore trop endormi pour trouver quoi répliquer. Il referma doucement la porte, laissant l'autre garçon derrière. Tobio poussa un long soupir et retourna vers sa chambre pour finir de préparer ses affaires.

— Si t'es pas prêt à temps, t'étonne pas si je pars sans toi, Hinata ! cria-t-il une dernière fois depuis sa chambre.

Il n'eut pour réponse que le marmonnement incompréhensible de quelqu'un qui tente de parler avec une brosse à dents dans la bouche et il leva les yeux au ciel une fois de plus. Malgré tout, Tobio ne s'inquiétait pas vraiment. Pour une raison mystérieuse, Hinata avait beau se réveiller en retard tous les matins, il finissait toujours par être prêt à l'heure quoi qu'il arrive. Tobio avait vite pris l'habitude d'utiliser la salle de bain dès qu'il se levait afin de la lui laisser libre ensuite.

En arrangeant du bout des doigts les quelques mèches de cheveux noirs qui se rebellaient sur son front, Tobio se demanda depuis combien de temps la présence d'Hinata lui paraissait normale. Ils ne vivaient pourtant pas ensemble depuis si longtemps, quelques mois à peine, mais il s'était totalement accoutumé à ce garçon inconnu qui avait débarqué dans sa vie d'un jour à l'autre.

Une fois prêt, le lycéen descendit les marches de l'escalier et ouvrit le réfrigérateur pour en sortir une petite brique de lait à la fraise qu'il but distraitement en écoutant les informations qui passaient à la télévision. Il eut tout juste le temps de finir de boire quand Hinata descendit enfin à son tour. Jetant un œil à l'horloge de la cuisine, Tobio jeta la brique dans la poubelle avec une précision sans faille et attrapa son sac. Hinata tenait une enveloppe entre ses mains, et un grand sourire ornait son visage.

— Une lettre pour ta sœur ? demanda Tobio.
— Ouip ! J'avais pas eu le temps de lui répondre ce week-end, alors…

Tobio ne répondit rien et partit enfiler ses chaussures en baillant. Quand il y pensait, sa vie n'était pas si différente que ça depuis que ses parents avaient accepté d'héberger Hinata chez eux. Les deux garçons ne s'entendaient pas si mal, et Hinata aimait le volley autant que lui, si bien que Tobio ne se plaignait pas de grand-chose. Enfin, à part…

— Ah, Kageyama ! Kageyama ! appela Hinata derrière lui.

Tobio se retourna et fronça les sourcils devant la mine boudeuse du garçon.

— T'oublies pas quelque chose ? se plaignit-il.
— Tu me soûles…

Il fit signe au rouquin d'avancer et Hinata accourut jusqu'à l'entrée, où il dut se mettre sur la pointe des pieds pour atteindre la même hauteur que Tobio, et poser délicatement ses lèvres contre les siennes. L'échange dura quelques secondes à peine – Tobio n'en autorisait pas davantage – et lorsqu'il recula, Hinata passa sa langue sur ses lèvres comme s'il venait de finir de manger.

— Ah, je me sens mieux ! dit-il d'un air réjoui.
— On peut partir maintenant, avant d'être à la bourre ?
— Ce que tu peux être grognon, Kageyama !

Oui, il y avait bien un tout petit détail qui séparait le quotidien de Tobio de celui d'un lycée de quinze ans ordinaire. Shōyō Hinata, élève de seconde au lycée Karasuno et membre du club de volleyball, un mètre soixante-deux, et résidant actuellement chez un de ses camarades de classe, était un incube : un démon se nourrissant du désir des êtres humains. Évidemment, ça, Tobio était le seul à le savoir, et il n'avait nullement l'intention que ça change.

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Comment Tobio Kageyama avait rencontré un jeune démon et comment il en était venu à l'inviter à vivre chez lui, l'histoire était plus banale qu'on aurait pu le croire. La mère d'Hinata avait perdu la vie au début de l'été, et les deux orphelins avaient été recueillis par une de ses connaissances. Natsu, la petite sœur de Shōyō, avait pu être adoptée facilement, mais pour son frère aîné la situation était plus compliquée. Les succubes et incubes étaient semblables en tous points à des êtres humains ordinaires jusqu'à la puberté, après quoi le besoin de se nourrir d'autre chose que de nourriture se faisait progressivement sentir, rendant leur insertion dans une famille humaine plus délicate.

Tobio avait fait la connaissance d'Hinata par hasard et avait découvert son secret, et de fil en aiguille, la personne qui s'occupait de lui jusqu'à présent lui avait demandé de l'héberger. Comme l'homme en question s'était engagé à leur verser l'argent nécessaire à toutes ses dépenses, les parents de Tobio avaient fini par accepter, et c'est ainsi que leur vie commune avait commencé. Hinata avait pu s'inscrire au même lycée que l'autre jeune homme et rejoindre le club de volleyball qu'il avait toujours rêvé d'intégrer par la même occasion ; et Tobio, même s'il ne l'admettait pas facilement, avait trouvé en lui un ami et un partenaire irremplaçable. Quant à la connaissance de la mère de Shōyō et Natsu, Tobio l'avait appris plus tard, il n'était autre que l'ancien coach de l'équipe de volleyball de leur lycée, et le père de celui qui était devenu leur coach actuel. Si Tobio n'avait pas détesté ce mot, il aurait pu parler de destin.

Évidemment, il aurait préféré se passer de tout ce qu'avoir un démon vivant à ses côtés pouvait entraîner, mais il avait tout de suite imposé des conditions strictes qu'Hinata se devait de respecter : un seul baiser par jour, et uniquement après avoir demandé sa permission. C'était là, d'après l'ancien coach Ukai, le strict minimum à la survie d'un incube de cet âge, et Hinata s'était engagé à ne pas dépasser cette limite. Tobio avait de son côté fini par s'habituer à ce petit rituel inhabituel ; ce n'était pas grand-chose, au final. Et ainsi, tout le monde était satisfait et le quotidien des deux lycéens se déroulait de manière (presque) parfaitement normale.

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Après avoir posté la lettre d'Hinata, les deux garçons avaient, comme chaque matin, fini par faire la course jusqu'au lycée – certains pourraient trouver cela puéril, mais au moins, cela leur permettait de toujours arriver à l'heure.

À part certains membres de l'équipe, personne au lycée Karasuno n'était au courant de leur situation particulière, et Tobio ne voyait pas l'intérêt de le dévoiler à qui que ce soit. Les professeurs avaient simplement été informés que, à cause de raisons familiales compliquées, les parents de Tobio avaient pris Hinata à leur charge pour quelques temps. Heureusement pour Hinata, l'ancien coach Ukai s'était occupé de toutes les mesures administratives, et les frais de scolarités avaient été payés grâce aux économies de la défunte mère du garçon, bloquées sur un compte auquel il n'aurait entièrement accès qu'à sa majorité.

La journée se déroula tranquillement. Tobio passait habituellement ses heures de cours à réfléchir à de nouvelles stratégies ou à repenser à l'entraînement de la veille, à ce qu'il pouvait faire pour s'améliorer et aider l'équipe à progresser. Il n'était pas exactement un bon élève, mais ce n'était pas nouveau. Les cours terminés, tout ce qui avait été dit en salle de classe disparut aussitôt de son esprit et il se dirigea vers le gymnase avec entrain — ce n'était certes pas forcément évident à sa mine constamment renfrognée, mais Tobio aimait beaucoup les séances d'entraînement du club de volleyball.

Arrivé dans les vestiaires, le jeune homme retrouva Hinata en train de se changer, l'air ailleurs. Tobio leva un sourcil étonné. Ce n'était pas dans le genre de son ami de rêvasser juste avant l'entraînement ; d'ordinaire, il était plutôt du style à sautiller partout en criant à Tobio de se dépêcher de lui envoyer le ballon.

— Tu t'es fait engueuler par un prof aujourd'hui ou quoi ? demanda-t-il.

Hinata poussa un long soupir avant de répondre :

— Non… Je sais pas ce que j'ai, j'ai pas d'énergie aujourd'hui.
— T'en avais bien pour courir ce matin.
— Ce matin, c'était ce matin…

Il termina de se changer et soupira à nouveau, ses bras pendant le long de son corps comme s'ils étaient trop lourds pour lui.

— Kageyama, tu voudrais pas m'embrasser ?

Tobio crut qu'il allait s'étrangler avec le t-shirt qu'il était en train d'enlever. Il regarda à droite et à gauche et ne détendit ses épaules que quand il fut sûr que personne n'était dans le coin pour les entendre.

— Abruti, je t'ai dit de pas parler de ce genre de trucs ici ! s'énerva Tobio.
— Ça va, y'a personne ! Allez, s'te plaît !
— Pas question !

Il sentit ses joues se réchauffer sous le coup de l'embarras et se dépêcha de finir de s'habiller.

— Juste un câlin alors ! Sois sympa, je me sens super raplapla, là !
— Rien à foutre, crétin !

Hinata fit la moue, mais Tobio l'ignora royalement. Il ne comprenait pas ce qui lui passait par la tête ; c'était la première fois qu'il lui faisait une requête pareille ailleurs que chez eux. Mais Tobio n'avait aucune intention de céder à ses caprices.

— T'es trop radin ! dit Hinata en quittant les vestiaires, langue tirée.

Tobio haussa les épaules. S'il avait encore l'énergie pour se plaindre, c'est bien qu'il n'était pas en si mauvaise forme que ça.

Effectivement, l'entraînement se passa comme tous les autres jours, et Hinata était aussi hyperactif que d'ordinaire, réclamant qu'on lui envoie la balle dès qu'il le pouvait et restant même après la fin pour continuer à jouer. Il avait toujours ce sourire idiot sur les lèvres qu'il avait à chaque fois qu'il jouait, et rapidement, Tobio ne pensa même plus à ce qui s'était passé dans les vestiaires, se concentrant uniquement sur le volley.

Ils firent la course jusqu'à chez eux et se disputèrent pour la dernière portion de riz au dîner.

...

Tobio avait encore les cheveux mouillés après son bain et réfléchissait à une excuse pour ne pas faire ses devoirs quand il entendit frapper doucement à sa porte. Il n'eut pas besoin de dire quoi que ce soit pour qu'Hinata rentre et referme derrière lui. Tobio croisa les bras et le toisa d'un air agacé.

— Je peux savoir ce qui t'a pris aujourd'hui ? grogna-t-il aussitôt.
— Hein ?
— Tu sais très bien de quoi je parle ! Je t'avais dit de pas parler de ça en public ! Si quelqu'un nous avait entendus, t'aurais fait quoi ?
— Mais personne nous a entendus alors c'est bon, non ? répliqua Hinata, visiblement vexé. Et c'est vrai que j'étais fatigué ! D'abord c'est ta faute, tu me donnes jamais assez à manger !

Il allait continuer mais sembla soudain se raviser. Il resta pendant quelques secondes sans rien dire, son expression faciale passant de l'agacement à l'hésitation plusieurs fois avant qu'il ne se décide finalement à reprendre, sur un ton un peu plus calme :

— D'accord, j'ai eu tort, je le ferai plus, ça te va ? Maintenant qu'on est là, tu peux me laisser te toucher un peu, non ? Je te laisserai tranquille après, promis juré !

Tobio fronça les sourcils, pas convaincu.

— Juste deux minutes ! insista Hinata.
— Et après tu arrêtes de me soûler avec ça ?

Hinata hocha vivement la tête en signe d'affirmation, et Tobio soupira. Il lui fit signe d'approcher, ce que le jeune homme fit avec un grand sourire. S'asseyant à même la moquette, Tobio ferma les yeux et attendit qu'Hinata enroule ses bras autour de lui.

Au bout de quelques secondes où ils restèrent tous deux dans cette position, Tobio rouvrit les yeux et concentra son regard sur le mur de sa chambre. Hinata sentait le gel douche à la vanille et ses cheveux, encore humides après son bain, gouttaient le long de sa nuque. Sans rien dire, le rouquin se rapprocha légèrement, collant sa poitrine contre la sienne tout en resserrant davantage ses bras autour de son dos, sa tête venant se nicher dans son cou tandis qu'il poussait un long soupir satisfait.

Tobio déglutit. Cela ne faisait que quelques secondes à peine, mais l'envie pressante de se dégager et de repousser Hinata le tiraillait déjà. Il n'avait jamais été un grand fan des contacts physiques et, pour une raison ou une autre, cette proximité le mettait incroyablement mal à l'aise. Ce n'était ni dégoûtant ni désagréable en soi, mais c'était bizarre. Il avait donné son accord à Hinata alors il ne bougea pas malgré tout, mais plus les secondes passaient, plus les battements de son cœur s'accéléraient.

Soudain, il sentit les mains d'Hinata passer sous son t-shirt et remonter le long de son dos. Il voulut protester, mais Hinata se colla à lui encore davantage et poussa un long, long gémissement qui coupa net le souffle de Tobio, réchauffant son visage comme jamais. Il leva ses mains mais ne sut pas quoi en faire, bouche ouverte et incapable de réfléchir. Contre lui, il pouvait sentir les battements du cœur d'Hinata qui semblaient s'accélérer à mesure que ses mains caressaient sa peau. Le coup final fut porté lorsqu'enfin il murmura son nom, son souffle tiède contre son cou, et Tobio agit sans réfléchir, envoyant son pied en plein dans le ventre de son ami.

Hinata fut repoussé en arrière avec un « outch ! » non contenu et sa tête se heurta contre le mur dans un cognement qui aurait pu être inquiétant si l'esprit de Tobio n'était pas focalisé sur d'autres préoccupations plus importantes.

— C'est… C'est quoi ton problème ? balbutia-t-il sur un ton plus paniqué qu'énervé.

Hinata se redressa lentement et frotta l'arrière de sa tête, regard baissé et lèvre inférieure mordillée. Il ressemblait à un enfant qui venait d'être pris sur le fait mais refuserait d'admettre sa bêtise pour ne pas avoir à être grondé. Mais ses yeux brillaient d'un éclat qui n'avait rien d'enfantin. Tobio connaissait bien ces yeux et leur signification pour avoir vu cette expression à de nombreuses reprises sur le visage de son partenaire. C'était le regard qu'il avait face à un adversaire plus fort que lui, ou dans les moments intenses pendant un match. « Je veux tout obtenir, sans aucune restriction. Je veux atteindre le sommet, et personne ne pourra se mettre en travers de ma route », voilà ce que Tobio lisait alors dans son regard.

— C'est pas assez, murmura Hinata sans lever les yeux vers lui.
— Te fous pas de moi ! Le coach Ukai a bien dit que c'était…
— Je parle pas de ça !

Hinata avait dû prendre conscience qu'il avait crié un peu trop fort car immédiatement après il se releva et tourna le dos à l'autre garçon, sortant de la chambre sans rien ajouter.

Tobio resta sans bouger un long moment, réfléchissant à ce qui venait de se passer. Qu'est-ce qu'Hinata avait voulu dire ? Ses mots n'avaient pas plus de sens que ses actes, et ne pas comprendre irritait encore plus Tobio. Il n'arrivait pas à savoir ce que son ami voulait. Tout allait très bien jusqu'à présent, pourquoi aurait-il fallu que ça change ? Ils s'entendaient bien la plupart du temps, ils étaient en parfaite synchronisation pendant les matchs, c'était plus que suffisant, non ?

Le jeune homme finit par se relever et, abandonnant définitivement l'idée de faire ses devoirs, il alla directement se coucher. S'il n'avait pas été aussi tard, il aurait voulu sortir, prendre son ballon avec lui et se défouler dehors pour chasser ces pensées de sa tête une bonne fois pour toutes. Il avait encore la sensation des mains brulantes d'Hinata contre sa peau et de ses cheveux mouillés dans son cou. D'ordinaire, il n'avait aucun problème à toucher Hinata — à l'occasion d'accolades générales après une victoire avec les autres membres de l'équipe, par exemple. Là, c'était différent. Il ne pouvait s'empêcher d'y repenser, et c'était ça le plus effrayant.