Bonjouuuur à tous !

Disclaimer : Si les personnages principaux de ce spin-off sortent droit de mon imagination, ce n'est pas le cas de Carmin-sur-Mer, de certains personnages et de l'univers de Pokémon, puisqu'ils sont l'entière propriété de GameFreaks et de Satoshi Tajiri.

Au risque de paraître insistante : Je me dois de rappeler que ce spin-off, "From Hell", est glauque. Les plus habiles d'entre vous auront reconnu dans le titre une référence à Jack l'Éventreur, ce n'est pas fortuit. Je ne peux que vous conseiller de ne pas lire ceci si vous êtes facilement impressionnables. Il ne s'agit même pas d'être majeur, puisque les tortures et scènes sexuelles ne sont pas explicites, il s'agit vraiment de ne pas craindre être dégoûté. Je décline toute responsabilité si vous faites fi de mon avertissement et si vous vous retrouvez choqués par ce que vous pourrez lire dans ce chapitre ou, plus vraisemblablement, dans les suivants.

Cette fanfic se base sur une interprétation très personnelle de quatre des cinq niveaux de rétention du bondage, une pratique BDSM, à savoir les rétentions symbolique, relative, effective et absolue. Mais ce n'est qu'une interprétation et je décline une fois de plus toute responsabilité pour la façon dont seront reçus ces mots. Une fois de plus, ce n'est qu'une interprétation, ce n'est pas parce que c'est écrit dans mes textes que ça signifie que toutes les personnes pratiquant le bondage sont des pervers fous furieux. Ni que les pervers fous furieux pratiquent tous le bondage.

Si vous lisez jusqu'ici, en dépit de l'avertissement que je ne cesse de formuler, bravo, je vous félicite pour votre bravoure.

Ce spin-off reprend donc à la dernière scène où nous avons croisé Sévignan et Ln dans la Ligue.


« Un vrai ennemi ne te laissera jamais tomber. » Stanislaw Jerzy Lec


Chapitre 1 – Chanvre rouge

Un hurlement de rage cueillit le mouvement brusque du général Sévignan qui balaya son bureau, envoyant valser tous les objets qui se trouvaient dessus. Cécile tenta de se protéger tant bien que mal du flot de stylos, papiers et objets contondants qui lui plurent dessus sans grand résultat et elle retint un gémissement de terreur.

Elle ne voulait pas qu'il se rappelle de sa présence alors qu'il était dans une telle fureur, elle risquerait trop gros. Si elle devait choisir dix mots pour décrire Altaïr, elle choisirait ceux-là : agressif, rancunier, violent, sadique, sans pitié, psychotique, paranoïaque, foutrement sexy. Les deux derniers n'avaient cependant aucune importance dans le cas présent. Dominateur sournois, le général avait horreur de perdre et il avait perdu sur toute la ligne.

La bataille avait été rude, surtout pour lui, Ln le savait. Son corps gardait encore des séquelles de l'empoisonnement, même après une semaine, mais ça n'importait peu, il était habitué aux blessures, ça faisait partie de son métier. Il avait bien plus de mal à tolérer et accepter la trahison d'Alexandre Ducan, nom qui lui provoquait des douleurs de déception, de colère et d'incompréhension.

Sa rage ne s'apaisait pas et Cécile en payait les pots cassés. Il ne la tenait pas pour responsable, la tabasser était seulement son exutoire.

— Mon général, tout va bien ?

Altaïr se tourna vers la porte et une lueur malsaine traversa ses yeux quand il se souvint de la présence de Cécile dans la pièce. Elle déglutit et baissa les yeux, regardant sa main qui tremblait, ne sachant démêler le dégoût, la peur et… Bordel de merde, pensa-t-elle. Le désir.

Elle recula contre le mur quand il grogna à l'importun derrière la porte que tout allait bien, et, animé d'une flamme perverse dans les yeux il s'approcha d'elle, la collant encore plus au mur, lui bloquant toute possibilité de fuite.

— Pourquoi est-ce que cette opération a échoué, à ton avis ?

— Je… Je n'en sais rien.

Elle savait que le moment était très mal choisi pour le provoquer. Elle ne baissa pourtant pas les yeux, ne pouvant s'empêcher de chercher à le pousser à bouts. S'il se défoulait sur elle, peut-être oublierait-il la présence de Split ?

— Baisse les yeux.

Elle ferma les paupières et les rouvrit, un sourire ironique se dessina sur son visage. Un poing s'abattit sur le mur. Elle sursauta légèrement.

— Qu'est-ce que tu crois faire ? susurra Altaïr dans son oreille, son souffle se perdant dans le cou de sa subordonnée.

Elle frissonna, il ricana.

— Alors baisse les yeux.

— Le dernier qui a cru me faire détourner le regard n'est plus là pour en parler, général. Adressez-vous à moi sur un autre ton, n'oubliez pas qui de nous deux est spécialiste des poisons.

Le général sourit en plaquant sa main sur le cou de Cécile qui déglutit.

— Tu peux faire mieux, pour me menacer, qu'une simple allusion. Tu prêtes à rire, petite biochimiste.

Il serra sa main et Cécile chercha de l'air par le nez, respirant fébrilement, dardant sur Sévignan un regard furieux. D'une voix étranglée, elle lui demanda de la lâcher, ce qu'il ne fit pas. Il se contenta de se rapprocher d'elle, gardant sa main sur le cou de sa subordonnée, serrant toujours plus fort, content de voir le rouge monter aux joues de Cécile.

— T'arrives quelques années trop tard pour me menacer.

— C'était pas une menace, haleta-t-elle. Général, je vous jure que ce n'était pas une menace !

Elle baissa finalement les yeux et il la lâcha. Alors qu'elle reprenait son souffle du mieux qu'elle le pouvait, se laissant glisser contre le mur en repliant ses genoux vers elle, cette fichue cordelette rouge traînant par terre, il retourna s'asseoir sur son bureau.

— Réponds à ma question. Qu'est-ce qui a foiré dans cette opération ?

— Euh…

Cécile sembla réfléchir profondément, mais aucune erreur stratégique n'avait été commise par l'armée, si on oubliait qu'ils n'avaient pas pensé qu'elle et Drake soutiendraient la Ligue Souterraine, même si dans son cas ça n'avait duré que l'espace de quelques instants. Leurs cibles étaient simplement trop fortes pour eux. Le gouvernement avait sous-estimé la Ligue Souterraine sur tous les plans : puissance de feu, esprit de corps, habileté de dressage. Elle retint un petit sourire quand elle énonça froidement :

— Vous les avez sous-estimés.

Elle se releva, attrapant au passage la cordelette de chanvre rouge pour la repasser à sa ceinture, faisant un nœud bien solide sous le regard ironique du général.

— Qui aurait cru qu'un jour tu porterais fièrement mes couleurs ?

— Fièrement ? Aucun prisonnier n'a jamais fièrement porté ses chaînes et je ne fais pas exception. N'oubliez pas, général, je ne suis pas votre subordonnée. Je suis votre ennemie.

Le général se lécha doucement les lèvres avant de sourire d'un air cruel. Puis il descendit à bas de son bureau pour se rapprocher d'elle.

— Peut-être, effectivement. Mais cela n'a rien à faire ici. La Ligue Souterraine a été sous-estimée, reprit-il en revenant au sujet de conversation initial. Mais certainement pas par moi. Reshiram a été évincé de cette opération… Pourquoi ?

Cécile ouvrit la bouche avant de la refermer. Elle n'avait pas de réponse à apporter à cette question et le général le savait très bien. Elle fronça les sourcils alors qu'il commençait à faire les cents pas.

— J'y ai longuement réfléchi. Pourquoi est-ce que mon commando, qui est le mieux entraîné et préparé pour ce genre d'opérations, n'était pas présent sur les lieux ? Une idée, lieutenant ?

Elle secoua la tête en fermant les yeux.

— Moi non plus, commenta-t-il. Problématique, n'est-ce pas ? Il y a Serpang sous roche.

— Et pourquoi m'en parlez-vous à moi ?

Le général soupira et la dévisagea. La question était plus que judicieuse. Il savait aussi bien qu'elle que cette fidélité poussée dont elle faisait montre devant les dresseurs souterrains n'était qu'un mauvais jeu d'acteur. Il n'avait aucune confiance en elle et c'était plus que réciproque, compte tenu de la haine sans borne qu'elle lui vouait pour avoir menacé son fils.

Il observa plus en détails le pantalon de treillis de la biochimiste, rentré dans ses rangers, la chemise kaki sous laquelle il savait qu'elle portait un débardeur noir réglementaire. Ses cheveux noirs étaient noués en un chignon serré et strict et elle se tenait droite, en dépit des tremblements qui devaient immanquablement la traverser à cause de ce poison qu'il lui avait injecté dans les veines. Un béret était rangé dans la poche latérale gauche de son treillis et la fine cordelette rouge pendait sur sa cuisse droite.

Cette fille l'insupportait, telle qu'elle était actuellement. Il préférait largement lorsqu'elle ne suintait pas la peur, quand il l'avait rencontrée par exemple, dans son laboratoire secret, qu'il avait trouvé tout à fait par hasard en fouillant sa maison à la recherche d'un quelconque moyen de pression. À l'époque, il avait voulu pervertir cette fille, pour en faire sa taupe dans le groupe d'amis proches de Williams. Cette conne n'avait pas cédé immédiatement, elle lui avait tenu tête d'une exquise façon. Il ne manquait que les cheveux ondulés et châtains, pour qu'elle se débarrasse de cette cordelette et possède son propre ruban de taffetas.

— Parce que j'ai besoin de tes talents.

— Empoisonner tout l'État Major sera certes plaisant mais je doute que ça vous soit utile.

Il balaya d'un geste de la main cette idée qui, il devait le reconnaître, lui avait effleuré l'esprit. Il avait encore besoin de ces gens-là pour accéder au sommet.

— Non, je parlais de ton autre talent.

— Les pipes de plusieurs heures ? Vous voulez que je brade ma bouche ?

Plaquant une main atterrée sur ses yeux, le général secoua la tête.

— Non plus, lieutenant, grogna-t-il d'une voix dépitée, je faisais référence à tes connaissances en informatique.

— Oh. Pardon.

Altaïr leva les yeux au ciel et cessa de faire les cents pas pour la dévisager plus intensément encore, attendant qu'elle pose la question essentielle.

Elle se contenta de pincer les lèvres, jouant avec quelques instants, posant son regard partout sauf sur le général. S'impatientant, il se racla bruyamment la gorge et elle finit par le fixer, semblant agitée.

— Qu'est-ce que je dois faire ? finit-elle par lâcher comme à regrets.

— Trouve qui veut ma tête.

— À part moi ? À part Cédric Williams et June Foehn ?

Le général leva la main et lui asséna une gifle violente. Elle se mordit au sang sous le choc. Le goût métallique dans sa bouche la fit grimacer et elle avala sa salive dans la même moue écœurée en frottant sa joue qu'elle devinait rougie par l'impact. Bordel, si ce n'était pas pour protéger Sacha, Neko et Psyko, ça ferait longtemps qu'elle l'aurait refroidi, ce sale enfoiré.

— Quel délai ?

— T'as deux jours.

Hardcore, grogna-t-elle. Je suis seule et Feunard 6.1 est difficile à exploiter… Une brute stupide dans votre genre ne peut pas trop comprendre, mon général, mais il va me falloir du temps. D'autant plus que Léo exige un boulot monstre de ma part, que je dois m'occuper de Split et qu'ils ont récemment demandé ma présence au laboratoire.

Le général soupira puis il secoua la main.

— Je veux pas savoir, t'as deux jours quand même.

Elle hocha la tête en grommelant un « très bien mon général », se mettant au garde-à-vous puis, dans un salut plein d'ironie, elle se détourna et posa la main sur la poignée, pour répéter :

— Pourquoi m'en parler à moi ?

— Parce que si tu as envie de me voir mort, tu veux être celle qui m'ôtera la vie.

— Vous exagérez, général.

— Tu ne veux pas me voir mourir ?

Elle tourna la tête vers lui et il vit une flamme d'un sadisme morbide briller dans ses yeux, un sourire d'anticipation jouissif se dessinant sur les lèvres de son lieutenant.

— Je ne pense pas que cette conspiration contre vous le veuille, elle.

Elle claqua la porte et lui éclata de rire. Il savait bien que quand elle voulait, elle pouvait faire peur. Il en avait presque les poils dressés sur les bras. Altaïr Sévignan était bien loin d'être un ange. S'il avait dû se définir, il aurait choisi le terme de prédateur. C'était tout de même moins offensant que « démon ». Il était un prédateur et en tant que tel, il savait reconnaître un de ses semblables. Et la petite Cécile avait réveillé ses instincts primaires à son contact, elle était en phase de devenir une démone, plus dangereuse encore que les prédateurs.

Ne s'inquiétant pourtant pas de ça – pas encore du moins – il se contenta de retourner à la fichue paperasse qu'il se devait d'effectuer. Il était bien loin le temps de ses classes où il n'avait pas à se préoccuper de toutes les formalités administratives qui allaient avec la gestion d'un régiment.


Une fois la porte du bureau claquée et ne prêtant aucune attention aux commentaires qui se chuchotaient sur son passage – Cécile n'avait que faire de ce que pensaient les autres garces en uniforme sur ses trop fréquentes visites au connard qui dirigeait cette foutue base – elle tourna à droite au bout du couloir, pour emprunter l'escalier. Deux étages plus bas, au deuxième sous-sol, se trouvait la cellule de Split, où elle allait se rendre pour voir quels dégâts avaient été occasionnés par l'interrogatoire plutôt musclé, quoique très méticuleux, d'une propreté relative un peu effrayante, par cette pute de Crush et ses hommes.

Rien n'était pire pour Ln(3) que voir Split se mourir et de ne pouvoir ni le libérer ni l'achever par peur de voir son fils en payer le prix fort. Elle profiterait d'être dans la cellule, qui par chance ne possédait ni micro ni caméra – la torture n'était pas vraiment légale – pour envoyer un message à Attila et savoir ce qu'il en était pour Prof, s'il avait été mis en terre et où, connaître l'état d'esprit des autres. Elle fit une pause dans le dévalement des marches pour s'appuyer contre le mur, laissant la culpabilité l'envahir quelques secondes.

Sur le moment, faire feu sur Prof lui avait paru être la meilleure des choses à faire. Pouvoir fuir. Empêcher la mort de Sévignan qui entraînerait des complications sordides en tuant un de ses meilleurs amis… Non, elle était sûre qu'il avait compris son geste au moment de mourir. Après tout, il était au courant de sa situation. Et quand bien même, faire un choix entre Artik, Neko, Prof et Psyko, c'était cruel à dire, mais Prof arrivait bon dernier. Pourtant, à présent que ses mains étaient couvertes du sang du professeur pokémon, elle se rendait compte qu'il allait beaucoup lui manquer. Psyko ne lui pardonnerait jamais d'avoir tué son ami d'enfance et garant.

Se ressaisissant bien vite – elle ne pouvait pas se permettre la moindre faille à une telle proximité du connard en uniforme – elle continua de descendre les marches à une allure plutôt soutenue, habitude prise à force de courir avec les autres membres du commando Reshiram, dont elle était bien évidemment la seule femme. Ça ferait marrer Artik d'entendre ça. Il dirait que de toute façon, elle n'était pas une femme.

Secouant la tête, elle se força à reprendre un visage neutre quand elle passa devant les gardes qui la saluèrent respectueusement avant de la laisser entrer dans la cellule isolée de Split.

— Salut, Ln, lança-t-il d'un coin de la pièce d'un ton éraillé quand la porte se fut refermée dans un grincement.

Il avait dû être torturé plus que de rigueur pour avoir la voix si amochée. Les cris avaient dû lui déchirer la gorge. D'un ton sec, où transperçait tout de même un peu d'horreur, elle répliqua :

— C'est « lieutenant », Split. Comment tu vas aujourd'hui ?

Il se redressa faiblement sur la paillasse et se fendit d'un sourire ironique et un peu édenté – conséquence de la torture à laquelle Sarah Crush s'adonnait trop régulièrement au goût des deux dresseurs souterrains –, ses yeux aveugles tournés vers elle de façon approximative.

— Ça va. Je me porte comme un charme. Je me sens comme un Stari dans l'eau, dans cette suite présidentielle, trois étoiles au guide Pokéchelin.

Ln(3) eut un sourire en constatant avec une joie non feinte que Split ne perdait rien de son ironie. Elle s'approcha de lui et sortit son Pokédex de sa poche, enrichie de plusieurs fonctions, notamment un clavier tactile. Cette nouvelle version de l'index Pokémon était un prototype que Nerd avait fabriqué. Il l'avait enrichi d'un système de petits messages – sur des fréquences inconnues de Cécile – pour pouvoir, à long terme, remplacer l'actuelle messagerie de la Ligue qui, si elle avait la classe, n'en restait pas moins quelque peu hasardeuse et archaïque. Le deuxième prototype avait été remis à Attila quand elle lui avait dit pour les menaces d'Altaïr. Il n'y avait pour l'instant aucune perte de messages à déplorer. L'essai en situation réelle était donc plus que concluant. Le silence qui s'installa pendant qu'elle tapait son message à Attila dut alerter Split car il se repositionna sur sa couchette, se redressant sur ses coudes endoloris, l'appelant doucement :

— Ln ? Tu… Tu es partie ?

— Non, je suis là.

Elle oublia de s'insurger contre l'utilisation de son surnom de la Ligue Souterraine. Secouant la tête, elle s'excusa :

— J'étais plongée dans mes pensées… Je dois m'attendre à quoi aujourd'hui ?

Elle s'approcha de l'étagère en hauteur dont Split ignorait l'existence, où elle laissait toujours ses bandes et ses désinfectants, pour attraper ceux-ci, justement, alors que Split lui dressait la liste des tortures auxquelles il avait eu droit. Sarah Crush s'impatientait visiblement et n'hésitait plus à franchir les limites du dicible, en matière de châtiments. Des plus basiques aux plus cruels, elle espérait visiblement faire craquer Split rapidement mais ne parvenait pas en tirer ce qu'elle voulait, si Cécile en croyait le sourire satisfait du prisonnier.

Cécile soupira en retirant, comme à son habitude, les lambeaux de vêtements. Split se laissait faire depuis plusieurs semaines, ayant apparemment compris qu'elle ne lui voulait pas de mal, seulement lui apporter un peu de réconfort. C'était son quart d'heure de bien-être journalier et il avait appris à s'en contenter, à s'en réjouir, même si ça devait être des mains d'une traîtresse. Et de toute façon, il n'avait plus tellement de dignité. La militaire grimaça en retirant le peu qui cachait l'intimité de Split, voyant son sexe rouge et enflé.

— Oh bordel, jura-t-elle.

Elle ne mit pas longtemps à comprendre, vu l'état du pénis, que le général Crush avait usé de sa torture préférée. Cécile ne put réprimer un frisson d'horreur. La grande spécialiste des sévices en temps de guerre avait sûrement pris une tige de fer, un peu rouillée de préférence, qu'elle avait enfoncée dans l'urètre de Split, avant de la relier à un fil conducteur qui était alimenté par un Pokémon électrique. Cette femme était démoniaque et complètement frapadingue.

Ln imaginait sans difficulté la sensation de l'électricité qui remonte par cet endroit, qui brûle, picote et taillade en même temps, l'impression d'avoir des petites bulles sous la peau qui éclatent toutes ensemble. Elle devinait sans peine les chairs qui paraissent vouloir se déchirer et le hurlement d'agonie qui avait dû résonner dans cette cellule peu de temps avant, ainsi que le petit claquement de langue de Sarah Crush, qui, imperturbable, continuait de répéter ses questions, inlassable machine de tortures sans âme.

Cécile s'abstint de tout commentaire se disant que l'élève d'Artik n'avait probablement pas besoin de cette humiliation supplémentaire.

— J'crois qu'il m'en manque un ou deux morceaux, commenta Split en détournant le regard.

Cécile grimaça et l'examina avec plus de minutie pour constater qu'effectivement, des parcelles de peau avaient été arrachées, laissant les chairs à vif.

— Ils sont vraiment… Ce sont des… Tu dois sacrément déguster…

— Ouais. J'me sens faible, j'ai dû perdre beaucoup de sang.

— La couverture que je t'avais laissée est rouge tellement tu t'es vidé… Faudra que je t'en apporte une nouvelle… Autre chose ?

— J'ai eu droit au supplice des ongles. Je pense qu'ils m'ont même esquinté un muscle du majeur gauche, j'arrive plus à le bouger.

— Il n'y a pas de muscle dans les doigts, corrigea Cécile en attrapant les mains du dresseur souterrain pour les nettoyer un peu. Ce sont des tendons qui sont reliés aux muscles du–

— Ouais, j'm'en carre un peu, là. Comment tu peux t'allier à des gens comme ça ?

Lâchant le linge humide qui lui servait à retirer le sang séché sur les mains de Split, Cécile soupira et secoua la tête, oubliant temporairement qu'il ne pouvait pas la voir. Elle ne voulait pas prendre le risque de lui confesser la prise d'otage à laquelle elle était soumise. S'il lâchait cette information en torture, Crush saurait. C'était une des conditions de Sévignan. Tout le monde devait croire qu'elle était totalement dévouée à Sévignan, alors même qu'il ne lui tournait jamais le dos en privé, sachant très bien qu'un tel acte pourrait lui coûter la vie.

— Tu m'avais promis de ne plus poser cette question, se lamenta-t-elle.

— Mais je ne comprends pas… Comment as-tu pu délaisser ta famille pour ces salopards ?

— Peut-être que j'ai de forts sentiments pour l'un d'entre eux…

Et ce n'était pas un mensonge. Cécile détestait plus que tout le général Sévignan et la haine était un sentiment. Cette perversion de la réalité la dégoûtait un peu, parce qu'elle savait très bien ce que le prisonnier allait penser. Split manqua de s'étouffer de rire.

— Attends, tu veux dire…

Il perdit son sourire ironique.

— Tu es amoureuse d'Altaïr Sévignan ? Mais tu sais ce qu'il fait aux femmes ?

Elle confirma d'une petite voix. Bien sûr qu'elle savait. Elle en savait sûrement même bien plus que Split et ça la répugnait, lui donnait envie de vomir, de se jeter sur le connard en uniforme pour lui arracher les yeux et les lui faire bouffer, avant de le confier à Aura pour une séance bien plus poussée dans les sous-sols du château de Fresnelle pour qu'ils réinventent ensemble le sens des mots « tortures physique et psychologique », pour que la dominatrice le brise à jamais.

— T'es encore plus timbrée que ce que je croyais, affirma Split avec un léger mouvement de recul. Enfin, ce n'est pas mon problème, n'est-ce pas ?

— Non, pas vraiment. Tu sais, cette guerre n'est facile pour personne.

— C'est marrant, c'est tout le temps ceux qui sont du bon côté du Chacripan à neuf queues qui disent ça.

Retenant un pouffement, alors même qu'elle savait qu'elle était régulièrement couverte d'hématomes, de traces de coups et de coupures profondes – elle servait aussi de défouloir à Altaïr, quand il lui prenait l'envie de taper sur quelqu'un – elle reprit ses soins, avant d'ignorer la phrase moqueuse de Split :

— Crois-tu vraiment que nous autres militaires ne souffrons pas de voir nos camarades tomber sous les attaques des Pokémons de la Ligue Souterraine ? Ceux que tu prends pour des tyrans ont aussi des femmes, des enfants, des plaisirs…

— Le mien sera de voir Artik ridiculiser ton précieux général.

Cécile se redressa d'un bond pour scander :

— Ça n'arrivera JAMAIS !

Étonnée du cri qu'elle venait de pousser, elle ne réalisa pas que son Pokédex avait vibré, signalant la réception d'une réponse d'Attila qui lui indiquait qu'elle aurait de la visite. Elle se contenta donc de repousser les interrogations qui lui venaient en s'entendant réagir de cette façon si violente. Elle finit par se dire qu'elle ferait tout pour éviter cette rencontre dévastatrice et Split toussa :

— On verra bien…

Un petit silence s'installa entre eux et Cécile ahana.

— Dis-moi… Tu sais quelque chose à propos d'un complot contre Altaïr, toi ?

Split tira sur lui la couverture imbibée de sang.

— Pourquoi ?

— S'il te plaît, je déteste quand tu me réponds par une autre question…

Le prisonnier soupira et se laissa aller sur sa couchette.

— Je suppose que je te dois bien ça. Y a des bruits qui courent dans les couloirs… Des gens qui veulent pas qu'il progresse. Il a beaucoup d'ennemis, ton général d'amour…

— Oh ta gueule, avec ça… Dis m'en plus. Qui ?

— Je ne sais pas. Mais si tu cherches, cherche pas dans la piétaille. C'est plus dans la pointe de la pyramide.

— Les hauts gradés ? T'es sûr ?

Split hocha la tête et grimaça.

— J'ai pas les noms, par contre.

Ses plaies lui faisaient horriblement mal. Ln ébouriffa ses cheveux.

— Merci mon vieux ! Je te revaudrai ça ! Tu veux que je t'apporte quelque chose la prochaine fois ?

— Je rêve… d'une tartelette au citron…

— Meringuée ? grimaça Cécile. Bon, d'accord, je t'apporte ça demain. Faite maison.

Elle ébouriffa de nouveau ses cheveux et lui porta un regard doux qu'il ne put pas voir. Elle l'aimait bien, Split. Elle était déjà amie avec Artik – les cuites dans la serre, c'était toute une épopée entre eux, bien avant que Neko et elle ne se fréquentent ou que Psyko revienne du Mont Couronné – quand Split était entré dans la Ligue Souterraine. Le pauvre avait cruellement manqué de chance, comme souvent.

Elle finit par sortir de la cellule en promettant au détenu de revenir dès le lendemain et elle quitta la caserne, pensive. Malgré son état de prisonnière, elle pouvait sortir. Le général Sévignan était très fort. Quiconque la voyait de l'extérieur pouvait penser qu'elle était un militaire tout ce qu'il y a de plus courant dans cette région. Elle avait l'uniforme, les médailles, le grade, la formation. Elle était détachée à plusieurs unités et obéissait aux ordres, saluait le drapeau.

Qui aurait pu croire que cette jeune femme qui déambulait mains dans les poches et dos bien droit était en réalité un prisonnier de guerre ? Personne. Ce connard avait bien joué son coup. Pourtant cette réalité la frappait à chaque fois qu'elle frôlait la corde à sa ceinture, du chanvre, qui avait une odeur tellement particulière. Pas désagréable.

Cécile frissonna en passant la porte de l'appartement qu'elle occupait en centre-ville – le général avait beaucoup grommelé quand elle avait dit qu'elle devait quitter la caserne mais il avait fini par lui donner raison. Qu'un officier reste à la caserne était trop étrange. Elle fila immédiatement dans la salle de bains, ne faisant pas attention au désordre qui régnait dans son appartement, puis elle se changea pour revêtir des vêtements plus larges et confortables, gardant tout de même la cordelette, puis elle alluma son ordinateur qui trônait dans le salon.

Sévignan avait raison sur un point : elle ne voulait pas le voir calancher d'une autre main que la sienne. Elle prendrait un plaisir rare à l'achever, se permettrait même le luxe de lancer une plaisanterie vaseuse à ce moment-là. Mais en attendant, elle devait le maintenir en vie, qu'importe combien ça la faisait chier.

Ce complot contre lui, si tant est qu'il ne soit pas juste parano, comme ça lui arrivait si souvent, n'était pas pour arranger ses affaires. Elle soupira de lassitude. Il lui en demandait trop. Elle allait essayer quand même, mais craquer le système de sécurité pour pénétrer dans les dossiers était strictement infaisable depuis l'extérieur. Elle aurait pu avoir une chance infime si elle avait été dans la base, mais de l'extérieur, ce régiment lui faisait vraiment l'effet d'une forteresse imprenable. En plus, elle avait des tartelettes à faire et comme elle ratait systématiquement ses meringues, il allait falloir qu'elle s'acharne…

Elle grimaça sous la douleur qui commençait à se réveiller – le poison dans ses veines progressait trop lentement, elle avait fait une arme redoutable et elle allait sûrement se mourir dans bien plus de temps qu'elle ne l'avait affirmé à Psyko, d'autant plus que grâce à Attila, elle avait pu récupérer un retardateur. Le poison progressait deux fois moins vite. Elle avait largement le temps de s'accoutumer à son poison contre la douleur.

Cependant, elle décida que, ne connaissant pas les interactions entre son antidouleur et son poison contre la fatigue, ce jour-ci serait un jour de souffrance probablement interminable. Il était encore si tôt le matin et déjà ses muscles la tiraillaient et se contractaient. La journée serait difficile… Elle sourit. Difficile, mais il était possible de l'adoucir avec du chocolat et du café.

Sautillant pour éviter les divers objets éparpillés sur le sol, elle se rendit dans la cuisine, dans la ferme intention de se préparer un copieux petit-déjeuner. Elle le méritait bien pour supporter l'autre connard.


Les sons électroniques et clairs tombèrent dans son bureau, comme une douce mélodie apaisante. Altaïr soupira d'aise avant de retourner s'asseoir sur son fauteuil un peu grinçant, enfonçant ses bottes – il avait délaissé ses rangers pour s'habituer à porter ces fichues bottes de cérémonie – dans la moquette gris souris de son bureau. Saisissant la télécommande de la chaîne hifi, il poussa un peu le volume, dans la ferme intention d'embêter le sous-officier qui lui servait de porte-serviette pour ses sorties, sachant très bien que cette petite blonde ne supportait pas la musique électronique. Dommage pour elle, il en raffolait plus encore que de la sacro-sainte musique classique qui était si chère aux autres officiers supérieurs.

Il ne devait plus être très loin de dix-huit heures, heure bénie où il rentrait chez lui, et il terminait à peine la première moitié du travail qu'il aurait dû abattre dans la journée. Comme s'il était capable de faire tout ça. Il n'était qu'un être humain, certes un peu plus beau, intelligent et sadique que les autres, mais humain quand même. Par moments, il se demandait comment faisait Cécile pour s'acquitter de toutes les tâches dont il la submergeait pour la voir échouer, pour la voir ramper et supplier – elle ne l'avait fait qu'une fois, pour sauver la vie de « Split ». Était-elle une sorte de robot surhumain dont les compétences dépassaient l'entendement ? Impossible.

Rapidement arraché à ses dossiers par des pensées qui se bousculaient dans sa tête, il lâcha son stylo, passant sa main gauche sur son crâne presque rasé à blanc, s'amusant de la sensation de l'épais anneau qu'il portait au majeur sur ses cheveux millimétrés. Il baissa les yeux sur sa paperasse, étonné de voir dépasser du tiroir un morceau du dossier de Juliane Foehn. Il était épais, notamment en raison de ses liens avec June Foehn, la célèbre tueuse à gages. Personne n'avait jamais réussi à la capturer, elle était jugée insaisissable et lui-même s'était cassé les dents sur la prise de cette fille.

Deuxième d'une fratrie de cinq, June Foehn était responsable de la mort de plusieurs diplomates. Elle agissait toujours sur le sol de ce pays, n'acceptant pas les contrats ailleurs, sans doute par souci de s'épargner le déplacement. Elle était originaire d'Arabelle et assassinait sans sourciller hommes et femmes, du moment qu'ils lui rapportaient assez.

La troisième de cette fratrie était Juliane – Jule pour les intimes. Oh, comme il aimerait être intime avec elle. Il avait des frissons juste à repenser aux mèches folles qui s'échappaient de son chignon quand il l'avait croisée. Elle avait été surnommée Neko en raison d'une discrétion toute aussi légendaire que celle de l'insaisissable June. Voleuse de la plus belle pièce de joaillerie de Sinnoh, Neko s'était rendue célèbre des années auparavant en effectuant un « cambriolage de courtoisie » à la Gédublé SARL, pour répondre à l'offense faite par Carla Gédublé qui avait crié trop fort que sa tour de verre était impénétrable.

Le quatrième était Seth Foehn. Cash, pour les dresseurs souterrains. Personne n'avait rien sur lui, il était introuvable dans les dossiers. Le général Sévignan savait pourtant de source plus que sûre que ce gosse était un spécialiste de l'espionnage industriel – que ce secteur rapportait gros – et qu'il commettait de temps en temps de petits larcins pour agacer Juliane, elle détestait qu'on marche sur ses plates-bandes.

La dernière était April. Disparue sans laisser de trace. Dresseuse furtive la plus accomplie, visiblement. Aucune information supplémentaire. Le premier était Octavian, mais cet homme était plus que clean.

Cependant, hormis Juliane, aucun de ceux-là ne l'intéressait. À la limite, Seth, pour le tuer, comme il éliminerait tous les autres dresseurs souterrains. Mais Juliane éveillait son intérêt plus qu'aucune autre de ses proies. Elle était jolie, tout ce qu'il aimait chez une femme, mais plus important encore, le lieutenant s'évertuait à ne lui reconnaître aucune qualité alors qu'elles étaient amies. Une forme de protection totalement vaine qui l'excitait plus qu'autre chose. Oh bon sang, comme il prendrait du plaisir à blesser la petite biochimiste en torturant sa précieuse Neko sous ses yeux.


Cécile se dandinait sur sa chaise, les yeux rivés sur son écran, dans une tentative aussi vaine que futile de craquer les sécurités installées par Léo. S'il n'était pas tout à fait de la trempe de Nerd, il avait tout de même des capacités qui faisaient de lui quelqu'un de reconnu dans plusieurs milieux. Il fallait dire que le système de stockage des Pokémons était quelque chose de grandiose – même si Nerd et elle l'avaient contourné assez facilement en faisant sauter les protections incluses dans les Pokéballs et les ceintures à Pokéballs, association de talents informatique et mécanique. La musique l'assourdissait, lui permettant de faire abstraction de la douleur qui revenait la hanter régulièrement. Chargée de basses, d'instruments saturés et de cris gutturaux, elle contrastait totalement avec la musique qu'adorait Sévignan et elle avait besoin de ça pour se rappeler qu'elle possédait un libre-arbitre.

Sifflotant l'air de la chanson, elle tâtonna sur son bureau à la recherche de son paquet de cigarettes, pour en allumer une, en pensant toujours à ce crétin de général. Il lui avait interdit de fumer. Recrachant la fumée dans un sourire plus que satisfait, elle savoura la violence de sa musique – ce n'était pas les Grotadmorv Déchaînés mais ça valait son pesant de caramel quand même.

« ACCESS DENIED »

Quelle surprise. Elle n'était même pas étonnée. Un peu agacée mais pas étonnée… Une main s'abattit sur son épaule, la faisant sursauter et renverser un peu de son café sur le clavier de son ordinateur.

— Putain tu m'as fait peur ! jura-t-elle en se tournant, ayant reconnu cette façon de glisser la main sur l'épaule.

La nouvelle venue éclata de rire en se reculant alors que Cécile se levait et retournait le clavier dans l'espoir que la boisson qu'elle venait d'y verser n'aurait pas le temps de s'infiltrer plus loin que ça. Elle pensa à Nerd qui la tuerait de voir du si beau matériel foutu en l'air – fourni par l'armée. Être otage, nourrie, logée, blanchie, choyée, c'était quand même pas si mal – puis elle fusilla des yeux sa visiteuse en replaçant sa chaise d'ordinateur correctement.

— Ça ne se fait pas de furtiver comme ça chez moi, tu veux faire sauter ma couverture ?

June pouffa en dodelinant de la tête, vraiment très amusée par le côté échevelé de Cécile qui venait d'avoir la trouille de sa vie. Cette dernière lui jeta un regard neutre qui accentua le rire de la sœur de Neko. Elle slaloma entre les objets étalés dans l'appartement pour se rendre dans la cuisine et se servir un café, alors que Cécile saisissait sa tasse pour la porter à ses lèvres en crachant un « qu'est-ce tu veux ? » contrarié.

La tueuse à gages eut un petit sourire, esquivant la question d'un geste de la main en revenant vers elle.

— D'après toi, quelle est la différence entre pratique sadomasochiste et torture ?

— Le consentement, répondit Cécile du tac au tac.

June hocha la tête en s'installant sur l'accoudoir du canapé, réchauffant ses mains contre la tasse brûlante alors que la biochimiste le dévisageait dans l'attente d'une réponse à sa question. La sœur de Neko se contenta de l'esquiver en enchaînant :

— Cette réponse te ressemble bien, Ln. Tu sembles avoir creusé la question de fond en combles.

Cécile soupira en secouant la tête, avant de se lever pour tirer les rideaux et dissimuler la présence de June à ses visiteurs.

— C'est une précaution touchante, signala la tueuse à gages, mais parfaitement inutile. Tu penses bien que j'ai caché ma venue… C'est Attila qui m'envoie.

La moue contrariée de Cécile se transforma en pure inquiétude lorsqu'elle entendit ces mots et elle s'assit, retenant les tremblements de ses mains sur sa tasse.

— A… Alors ? Tu…

Un petit silence s'installa le temps que June avale une gorgée de café.

— Prof va bien, Ln. En tout cas, tu ne l'as pas tué. Il a eu beaucoup de chance, Inu avait creusé un trou qui l'a fait s'enfoncer au moment où tu as tiré. Tu as raté le cœur de justesse… As-tu déjà pensé à devenir tueuse à gages ? Avec ta précision et ton Métamorph, tu serais une concurrente sérieuse.

— Certainement pas, grommela la dresseuse souterraine visiblement mécontente.

Elle soupira cependant rapidement de soulagement.

— Heureusement qu'il est en vie. Je crois que j'aurais jamais pu me le pardonner, si j'avais tué un de mes plus proches collaborateurs pour Altaïr Sévignan.

Le nom craché avec haine fit sourire June de toutes ses dents.

— Il va sûrement rester chez Keiran jusqu'à nouvel ordre et la nouvelle de sa survie ne sera pas ébruitée. Attila envisage également de parler de ta situation à Artik…

— NON ! s'exclama Cécile en tournant vivement la tête vers la tueuse à gages. Non, non, il ne doit surtout pas savoir, lui encore moins que les autres, il se précipiterait ici pour tuer Sévignan ! Déjà qu'Attila a eu du mal à convaincre Aura de ne pas lâcher ses milices sur lui… Non, c'est trop dangereux, tu sais comment il peut être…

— Oui. Je comprends pourquoi ma sœur en est folle, c'est quelqu'un de bien, ce garçon.

Cécile hocha la tête mais ne dit rien. Elle savait combien Neko détestait qu'on dise ou sous-entende qu'elle pouvait s'être attachée plus que nécessaire à Artik. Esquissant un sourire et ignorant son cœur qui se serrait – bordel, ils lui manquaient tant ! – elle demanda à la tueuse à gages de continuer à lui donner ses informations.

— Je pense qu'Attila ne tiendra pas compte de ton avis.

— Je me doute, grogna Ln. De toute façon c'est sûrement déjà trop tard… Putain, ça modifie complètement mes plans.

June soupira et se leva, ses pas glissant silencieusement sur le parquet d'habitude grinçant et elle dégagea une mèche de ses cheveux de son col.

— Je suis inquiète pour toi.

— Pas la peine. Préoccupe-toi plutôt de Neko et Cash.

June fit la moue.

— Inutile, ils ont suivi mon enseignement et je crois en eux plus qu'en quiconque. Par contre, toi, tu m'inquiètes. J'ai bien peur que Sévignan n'exerce un contrôle toujours plus grand sur toi.

— Mais non, détrompa Cécile dans un rire. Je gère parfaitement toute cette histoire !

— Vraiment ? Alors pourquoi gardes-tu cette cordelette à ta taille ? Tu sais aussi bien que moi qu'il ne vient jamais chez toi.

Cécile sentit ses yeux s'écarquiller, alors qu'elle les baissait sur son ventre, le rouge du chanvre semblant la narguer. Elle posa brutalement sa tasse sur la table basse, passa une main tremblante sur son visage, avant de jeter un regard terrorisé à June, constatant avec horreur qu'elle avait raison. Son cœur qui battait la chamade pulsait dans ses oreilles et elle se força à se lever pour dénouer la cordelette et l'abandonner sur le canapé. Elle fit quelques pas, ne tenant pas compte de la gêne qui lui étreignait le cœur à savoir qu'elle n'avait plus cette corde attachée à son pantalon. Elle avait fini par s'habituer à la pression du chanvre serré sur sa taille, elle s'était habituée au nœud qui appuyait presque douloureusement sur sa hanche et aux ficelles qui pendaient sur sa cuisse.

— Je te répète ma question, Cécile : quelle est la différence entre sadomasochisme et torture ?

— Le consentement, souffla-t-elle de nouveau.

Elle n'en démordrait pas. La seule différence entre une torture et une pratique sadomasochiste était l'accord des deux partis, le code établi entre eux. Elle se laissa glisser le long du mur du couloir alors que June s'en allait, lui disant qu'elle repasserait plus tard d'une voix neutre. Cécile hocha la tête, n'entendant qu'à peine la porte se refermer. Elle n'aimait pas l'angoisse qui retournait son estomac, elle n'aimait pas la douce sensation, qu'elle n'identifiait pas, qui semblait l'envelopper chaleureusement, alors qu'elle répétait tout bas ces deux mots. Ce n'était pas possible.


« ACCESS DENIED »

Dans un grognement sourd empli de rage, Cécile balança son clavier d'ordinateur à travers la pièce et il alla s'écraser contre la fenêtre du salon. Elle avait tout essayé et ce message d'erreur – du même rouge que la cordelette de chanvre de sa ceinture. June avait forcément tort – qui clignotait la narguait. Elle n'y arrivait pas. Jetant un coup d'œil à son réveil qui indiquait une heure matinale, elle soupira de dépit. Il était temps pour elle de partir pour le régiment, elle détestait tellement être en retard.

Délaissant avec un mélange de plaisir et d'angoisse son ordinateur qui clignotait toujours, elle alla ramasser le clavier et ses touches qui s'étaient répandues un peu partout – génial, il faudrait qu'elle le remonte, que du bonheur – elle se rendit dans la salle de bains, croisant son reflet. Elle n'avait pas encore de cernes et semblait juste un peu plus pâle qu'à l'accoutumée. Tant mieux, au moins, elle ne donnerait pas au connard la satisfaction de voir qu'il l'avait maintenue éveillée toute la nuit.

Elle prit une douche rapide et s'habilla, attachant ses cheveux encore mouillés en un chignon très serré qui lui donnait l'impression qu'on allait lui arracher la tête. La porte de son appartement claqua et elle frissonna quand le vent caressa sa nuque humide. Tendant un sourire poli à sa voisine qui murmura à une vieille amie que « c'est un jeune lieutenant du général Sévignan, c'est quelqu'un de bien cette petite » elle libéra Phyllali de sa pokéball.

Il s'ébroua et lui jeta un regard triste avant de taper sa main de son museau, courant ensuite en avant, pour lui montrer le chemin, lui dire qu'il serait toujours avec elle. Gambadant autour d'elle et achevant de la mettre de bonne humeur, Phyllali se permit le luxe de faire voler autour de lui des feuilles avec sa tranch'herbe. Son pokémon était un grand gamin, quand Mystherbe n'était pas dans le coin, comme s'il essayait de compenser la crétinerie du petit qui était capable de tomber en étant immobile.

Elle n'avait pas réussi à pénétrer dans les serveurs de la base. Le délai que lui avait donné Altaïr semblait se réduire à chaque fois plus rapidement. Vingt-quatre heures étaient passées. Il ne lui restait que peu de temps et elle s'en inquiétait vraiment. Ce barge serait bien capable de l'exécuter. Et si elle mourait, qui pourrait avertir Attila des mouvements de Reshiram et Spiritomb et donc protéger la Ligue Souterraine ?

Cécile salua les deux hommes qui faisaient le guet devant les grilles puis elle observa la fenêtre du général. Son bureau était éteint. Phyllali sautillait toujours devant elle et elle grimaça en le voyant s'arrêter, plier les pattes avant et feuler en direction d'un groupe d'hommes menés par le général. Elle avait oublié le changement d'heure et était en retard. Merde.

En voyant le pokémon Plante se dresser entre lui et sa propriétaire, Altaïr sourit et fit signe à ses hommes de continuer sans lui, tandis qu'il déviait sa course pour arriver vers elle. Il s'arrêta à son niveau, elle sourit des joues rougies par la course et du jogging ridicule du général mais son rictus retomba rapidement quand il lui fit de la suivre.

— Mais mon général, je ne suis pas en tenue !

— Tant pis pour toi. En route.

— Putain de bordel de merde, jura-t-elle.

Elle se mit pourtant en route, surprise que Sévignan ne cale pas son pas sur celui des hommes qui les devançaient. Ils coururent un petit moment en silence, passant derrière la caserne, saluant les militaires du régiment qui ne faisaient pas partie du commando d'élite toujours silencieusement. Phyllali trottinait entre eux, pour mettre de la distance entre Altaïr et Cécile et le général lui lança un regard neutre avant d'observer le profil de la jeune femme.

— Alors, t'en es où dans ce que je t'ai demandé ?

— Exactement là où je pensais en être. Nulle part.

Un nouveau silence se laissa troubler par la respiration de plus en plus erratique de Cécile qui peinait à suivre son général. Le soin qu'il mettait à entretenir son corps, son endurance et le reste la laissait un peu admirative. À trente-deux ans, il était bien plus en forme que les membres de Reshiram, sûrement bien plus dangereux, aussi.

Elle grimaça un peu. Le poison qui courait dans ses veines semblait s'être réveillé. Cependant, comme elle ne voulait pas donner ce plaisir au général, elle força davantage afin de ne pas ralentir son allure, qui était pourtant bien trop soutenue pour elle.

Altaïr, qui l'observait attentivement, ne rata pas la douleur qui passa sur son visage et il retint un rire quand il lui demanda si le poison était toujours efficace. Le fusillant du regard, mais s'abstenant de tout commentaire, la biochimiste haussa les épaules. Pourquoi avait-elle passé la nuit à tenter de l'aider ? Elle aurait mieux fait de dormir et de feindre avoir passé des heures sur son ordinateur. Il finit par ralentir l'allure quand il fut sûr de n'être visible par personne et d'un geste vif, il plaqua sa subordonnée contre un mur. Phyllali feula et cracha avant d'être apaisé d'un geste de la main par la biochimiste.

— Ça devient une habitude, suffoqua-t-elle. Vous êtes fétichiste des murs en plus de tous vos autres vices ?

Ne répondant pas, Altaïr changea la main qui exerçait une pression sur la gorge de Cécile, afin de soulever son tee-shirt de la main droite. Elle grogna une insanité et frissonna de dégoût quand la main du général frôla sa peau. Lui se contenta d'une moue écœurée, qui se transforma vite en pure nausée quand il contempla la peau rongée de la jeune femme.

— J'en ai vu des choses vilaines, mais une nécrose comme ça, jamais. Qu'est-ce que c'est ?

— Une nécrose, vous venez de le dire. Pouvez-vous retirer votre main de ma gorge s'il vous plaît ?

Elle détourna les yeux, gênée. Si elle s'était habituée à cette tare physique qui, heureusement, ne s'étendait pas, elle oubliait toujours que peu de gens savaient qu'elle avait cette horreur sur le ventre, que le général l'avait ignoré jusqu'à présent. Il enleva sa main de son tee-shirt, ne la lâchant pas et se rapprocha encore d'elle. Elle se retint de déglutir d'horreur à la proximité de son bourreau, sentant avec un mélange horripilant de dégoût profond et de désir tous les points de contact entre leurs corps. Pourquoi fallait-il que June ait eu raison ? Ne pouvait-elle pas avoir tort, juste une fois ?

Il se pencha vers elle et murmura :

— C'est le poison que je t'ai injecté ?

— Oui.

— Ça fait mal ?

— Tu veux tester ?

La main pressa davantage sur sa gorge, les doigts d'Altaïr appuyèrent sur sa nécrose à travers ses vêtements, elle retint un gémissement de douleur.

— Oui, ça fait mal.

— Parfait, sourit le général.

Il se rapprocha un peu plus, elle tenta de reculer pour se fondre dans la pierre et éviter le contact entre elle et Altaïr qui plaqua plus fort la biochimiste contre le mur. Un sourire peu rassurant s'étalait sur ses lèvres quand il chuchota :

— C'est que ça m'exciterait presque, cette situation, pas toi ?

Il finit par desserrer sa main et s'écarta de trois pas, la laissant reprendre son souffle. D'un hochement de tête, Altaïr désigna le ventre de Cécile :

— Ça t'empêche de travailler ?

— Non.

— Alors demain, je veux des réponses à mes questions.

Il se détourna en reprenant son jogging, alors que Phyllali se précipitait vers elle, lui donnant un coup de museau pour s'assurer que tout allait bien. Cécile se laissa glisser contre le mur en regardant la silhouette du connard en uniforme s'éloigner. Caressant fébrilement son Pokémon qui se pelotonna contre elle, elle se permit de laisser jaillir sa nervosité avec un petit rire hystérique. June n'avait pas le droit. Pas le droit de lui insuffler le moindre doute à propos de ses sentiments pour Altaïr. Elle le haïssait. Elle n'avait pas le moins du monde apprécié de l'avoir si près d'elle, elle n'avait pas aimé se sentir totalement dominée, elle avait horreur de ça. June avait tort. Simplement. Il n'y avait même pas à batailler pour trouver des arguments, elle avait tort, voilà tout.

C'était strictement impossible qu'elle puisse obtenir des informations sur ça dans la journée. Elle ne pouvait pas passer les sécurités informatiques et – à moins d'aller taper sur l'ensemble de l'État Major dans le courant de la journée – jamais elle n'aurait de réponses à apporter à Altaïr. Elle serra un peu plus Phyllali contre elle.

— Si je meurs, je veux que Métamorph et toi rejoigniez Artik, d'accord ?

Phyllali gémit et trembla. Il n'aimait pas ce que sa dresseuse disait. Il ne voulait pas qu'elle meure. Discrètement, il braqua un regard en direction de Sévignan. Si Cécile mourait, avant toute chose, il la vengerait. Après tout, ce ne sera pas désobéir à ses ordres, elle n'avait jamais précisé qu'il devait rejoindre Artik tout de suite.

Elle finit par se relever quelques minutes après et se rendit tranquillement jusqu'à son laboratoire en empruntant le chemin qu'elle venait de courir, se permettant de remarquer quelques détails qu'elle n'avait jamais notés avant. Le platane qui se trouvait devant elle, par exemple, était situé juste au-dessus de la cellule de Split. Elle espérait qu'il allait bien.

Cécile se demandait vraiment quelle était la place la plus enviable : la sienne ou celle de Split ? Elle frissonna. Dans peu de temps, elle allait devoir assister à une des séances de torture de son camarade de Ligue Souterraine. Peut-être même qu'elle devrait participer. Ça la rendait malade de s'imaginer devoir infliger à Split de tels traitements, la souffrance des autres n'était pas quelque chose qui la réjouissait.

Sans être un exemple d'altruisme et de bonté, elle ne se considérait pas comme un monstre, en dépit de sa profession. Les poisons Pokémon, c'était avant tout pour elle un défi scientifique qu'elle se plaisait à vouloir relever, ayant la chance d'être talentueuse dans son domaine, comme Nerd et Léo l'étaient avec l'informatique. Contrairement à elle qui devait réfléchir pour associer les bons codes, les différents langages, eux faisaient ça d'instinct. C'étaient des génies et Cécile se savait chanceuse d'être la meilleure amie de l'un et la collaboratrice de l'autre. Léo n'avait aucune patience, il était orgueilleux et d'une franchise extrême, avec une sale tendance à se déguiser en Pokémon dans un fétichisme aussi bizarre qu'inquiétant, aussi, mais elle se sentait progresser de façon exponentielle avec lui.

S'arrêtant de marcher, elle s'excusa auprès de Phyllali avant de le rappeler dans sa Pokéball et elle se dépêcha de rejoindre le bâtiment administratif. C'était tellement évident qu'elle n'y avait pas pensé avant. Elle allait simplement demander à Léo de lui filer un coup de mains !


Notes et références :

• Le chacripan à neuf queues dont parle Split est un dérivé du chat à neuf queues, une sorte de martinet dans les lanières étaient terminées par des griffes.


Et donc voilà, pour le premier chapitre, en espérant que, malgré tout, mes avertissements et ce début d'intrigue n'auront pas fait fuir tous mes lecteurs...