Dans le reflet du miroir, mes mains s'activent à attacher mon insigne à mon chemisier.
L'épingle glisse dans le tissu et se coince entre les coutures.
Préfète en chef.
Voilà ce qu'indique mon insigne, soigneusement astiqué et collé à ma poitrine.
D'épaisses mèches auburn tombent dessus, le cachant par endroits et m'indiquant qu'il est temps de m'occuper un peu de mon apparence, pour l'instant négligée.
Je prends la brosse qui repose devant moi, contre la glace, et la plonge dans mes cheveux pour en défaire les nœuds. Ils sont si longs...
J'aurais dû me couper les pointes il y a un moment déjà mais les mois de juillet et août ne m'en ont pas donné l'envie. Entre le soleil, la chaleur étouffante, et les allers et retours entre les maisons de mes différentes amies, je n'ai pratiquement pas passé de temps chez moi.
Peut être seulement quelques après-midis passés à lire sur mon lit en tentant de faire abstraction des gloussements idiots de ma sœur Pétunia et de son petit ami Vernon dans la chambre d'à côté.
Elle est d'ailleurs la raison de mon peu de temps passé à la maison.
C'est sûrement stupide, je sais, mais même après six ans, je ne peux pas m'empêcher de ressentir un pincement au cœur lorsque je surprends l'un de ses regards méprisant.
Pour le reste nos sentiments sont complètement réciproques.
Ils l'ont toujours été. Même petites lorsque rien ne pouvait nous séparer, nous étions exactement sur la même longueur d'onde. Nous nous connaissions par cœur.
Et c'est toujours le cas. Je connais toutes ses mimiques, ses grimaces, et je devine aisément ce qui l'attriste ou la rend désagréable. Je détecte chacun de ses mensonges et elle repère les miens. Mais nous ne nous adressons presque pas la parole et lorsque nous le faisons, ce n'est que pour s'envoyer des méchancetés ou parce que nous le sommes obligées.
Je ne peux pas rester dans cette maison sans ressentir un malaise dans tout mon être. Pétunia vit ici toute l'année et moi, quand je reviens à chaque vacance, j'ai seulement l'impression d'être de passage, une étrangère dans un environnement qui ne me semble plus ni familier ni chaleureux. C'est pour ça que j'ai trouvé la solution : m'arranger pour me faire inviter constamment quelque part. Et je dois dire que c'était une très bonne idée.
Je regrette juste de ne pas avoir vu beaucoup mes parents, qui, je le sais, sont beaucoup attristés par ma relation avec Pétunia et mon émancipation de la maison qu'ils n'ont jamais abordés, sûrement compréhensifs.
Je repose la brosse devant moi et passe une main dans mes cheveux démêlés. Je me demande comment je vais les attacher puis remarque qu'aucune mèche rebelle ne me dérange le visage. Pourquoi pas les laisser détacher ? Je ne le fais jamais. D'habitude je les enroule dans un chignon ou dans une queue de cheval serrée, pour qu'ils ne me gênent pas.
Mais je ne sais pas pourquoi, aujourd'hui, j'ai envie de changer. Peut-être est-ce lié au fait que je pars ce matin pour ma dernière année à Poudlard ?
Mon regard dérive des mèches qui encadrent mon visage pâle à mes yeux vert émeraude qui me fixent avec mélancolie.
Ma dernière année. Ma septième année à Poudlard. Tout ça me semble tellement irréel. Aussi irréel que les attentats des mangemorts qui parcourent le monde entier. Je ne me sens tellement pas prête à affronter le monde. Poudlard est comme une bulle que je suis loin de vouloir faire éclater.
DRIIIIING
Je sursaute et cours vers mon lit pour arrêter mon réveil qui me perce les tympans. J'abats brutalement ma main sur le sommet et me laisse glisser contre le rebord de mon lit, jusqu'à finir en position complètement assise sur le sol froid.
Sur le cadran, l'aiguille pointe le chiffre sept, visible uniquement grâce aux quelques rayons du soleil qui filtrent à travers mes volets.
Voilà, ça y est. C'est parti pour une nouvelle journée. Je dois me préparer et dans une heure, partir en voiture pour la gare de King Cross.
J'ai mal dormi cette nuit. Un mélange d'excitation et d'appréhension n'est jamais bon pour trouver le sommeil. C'est pour ça que je me suis réveillée bien avant la sonnerie de mon réveil et que cela fait bien une heure que je traîne dans ma chambre sombre et silencieuse en me remémorant de vieux souvenirs.
Je me relève lentement et m'approche à nouveau du miroir que j'ai quitté quelques minutes plus tôt. Je suis habillée, mais de mon uniforme, que j'ai revêtu uniquement pour voir l'effet de mon insigne de préfète en chef. J'enlève mes habits délicatement et les dépose sur le tas de vêtements empilés dans ma valise. Je prends un jean et un débardeur et les enfile rapidement tout en actionnant la poignée de ma porte. Je pénètre dans le couloir froid et dévale en silence les escaliers pour aller manger mon petit déjeuner. Ma mère, mon père et Pétunia le prennent déjà et j'hésite à faire demi-tour pour le prendre plus tard mais je réalise que je ne me suis jamais assise à la même table qu'eux durant tout l'été.
A chaque fois que j'étais à la maison, je feignais un mal de ventre et allais me resservir à manger plus tard.
Allez, c'est la dernière fois, Lily ! je m'encourage mentalement
Je m'assois sur un tabouret qui traîne et lance un petit bonjour à l'adresse de mes parents qui me répondent avec bonne humeur et font les gros yeux à Pétunia pour qu'elle fasse preuve d'un minimum de politesse. Elle grommelle dans sa barbe ce qui doit se rapprocher d'une salutation tout en évitant de croiser mon regard. Tant mieux je suis loin de vouloir subir ses piques et ses remarques aujourd'hui. Je ne suis juste pas d'humeur.
Remarquant qu'un gros blanc s'est installé depuis mon arrivée ici, je me dépêche de finir mon bol de céréale et de grimper à nouveau les escaliers pour me préparer dans la salle de bain. J'applique enfin du mascara sur mes cils clairs pour relever mon regard et presse un gloss brillant sur mes lèvres.
Enfin l'heure. Me voilà maintenant sur le chemin de Poudlard.
Ou plutôt de King Cross, vous me direz.
« Lily ! »
Je viens à peine de traverser la barrière que je sens quelqu'un plonger sur moi.
Je lui décroche un sourire amusé. Kallista se détache de moi et commence à me parler avec animation, incapable de se retenir plus longtemps.
Elle fait partie des personnes à qui il arrive toujours des choses incroyables.
Mais quand on connaît le contexte, ce n'est plus si étonnant.
Kallista Maslov habite dans une très grande villa en Russie et est la fille d'un homme politique très célèbre. A 17 ans, elle est déjà très connue dans la société sorcière et a assisté aux soirées mondaines les plus réputées.
Si elle est inscrite à Poudlard et non à Durmstrang, c'est tout simplement pour qu'elle ait la meilleure éducation possible.
Et également pour questions de sécurité. Il y a eu déjà un bon nombre d'attentats ratés à l'encontre de son père et celui-ci craint qu'on essaye de l'atteindre à travers sa fille.
Kallista s'arrête soudainement dans son récit et regarde autour de nous. Peut-être parce qu'elle vient de se rendre compte -après que quelqu'un lui soit rentré dedans pour la dixième fois en lui disant de dégager du chemin- qu'elle gênait le passage pour rentrer dans la voie 9 3/4.
Elle se retourne vers moi et alors qu'elle ouvre la bouche, elle se stoppe net à nouveau et commence à me dévisager.
« Tu as changé ! » déclare-t-elle en continuant de m'observer minutieusement
« C'est vrai ? » je m'étonne en fronçant les sourcils
La jeune fille russe acquiesce silencieusement, concentrée à la recherche de ce qui est à l'origine de ma différence.
« Je sais ! » crie-t-elle si fort que la moitié de la gare se retourne vers nous.
Je soupire en l'attirant dans un endroit plus discret car quelqu'un vient, à nouveau de bousculer Kallista en lui demandant de se pousser. Bien sûr, elle l'a ignoré superbement.
« Alors ? » je demande en tentant d'oublier sa désinvolture qui parfois m'agace
« Tes cheveux ! » s'exclame-t-elle en partant dans les aigus comme une gamine
« Oui, et bien ? » je souris, ne sachant pas où elle veut en venir
« Tu les as lâchés ! »
Oh c'est vrai. Je jette un coup d'œil vers le train qui reflète mon image comme un miroir. J'avais oublié qu'exceptionnellement, je ne les avais pas attachés.
« Et alors ? Ça ne va pas ? » je demande inquiète
« Tu rigoles ? Ils sont magnifiques ! C'est un crime de ne pas les laisser comme ça tous les jours ! » me sermonne-t-elle
Je lève les yeux au ciel. Toujours à tout exagérer. Je reconnais bien là Kallista.
Mais sa remarque me laisse incrédule quand elle me revient entièrement en tête.
Magnifiques ? Comment elle peut dire ça ? Est-ce qu'elle a vu ses propres cheveux ?
Les siens font partis des plus beaux que j'ai vu.
Je ne sais pas vraiment en quoi mais ils dégagent quelque chose d'unique. La façon dont ils ondulent légèrement le long de son dos, dont les mèches châtain-brun glissent parfaitement sur ses épaules...
Mais ce n'est pas tout. Kallista n'a pas autant de succès en raison de ses cheveux. Elle est vraiment très belle.
Elle a de grands yeux marrons surmontés de longs cils, un nez si petit qu'il en paraît enfantin et des lèvres en cœur d'une teinte rosée qui contraste sur sa peau blanche de porcelaine.
« Oh et tu es toute bronzée aussi ! » remarque-t-elle
« Ça y est ? Tu as fini ? » je demande en retenant un léger rire
« Hum...non » avoue-t-elle, un doigt posé sur ses lèvres entrouvertes, signe d'une intense réflexion
Cette fois, je laisse échapper un gloussement amusé. Elle me regarde et me lance un regard noir, retrouvant aussitôt sa fierté, la tête haute.
« Je pense qu'on devrait y aller » je dis sans m'en formaliser « regarde, on ne va plus avoir de compartiment. »
Je lui montre le Poudlard Express et le nombre d'enfants qui affluent dedans tout en se piétinant les uns et les autres.
« Oh mince ! Oui... »
Nous nous frayons un chemin à travers la foule et ne tardons pas à nous retrouver écrasés de tous les côtés, à peine après avoir posé un pied dans le couloir. Quelqu'un me pousse et je tombe à la renverse. Mais au lieu de m'écrouler sur le sol, je me cogne contre un torse et de grands bras viennent me retenir. Mon nez est plaqué contre un parfum masculin qui ne me paraît pas si désagréable.
« Evans, je sais que je t'ai manqué, mais de là à me sauter dessus... »
Je rougis aussitôt de cette proximité alors que je me rends compte à qui appartient la voix. Je me décale si vivement que je manque de trébucher en arrière. James Potter, qui n'a pas manqué ma réaction, arbore un sourire goguenard. Sourire goguenard qui s'élargit encore plus lorsque mon rougissement embarrassé se transforme en rougissement de colère.
« Dans tes rêves, Potter » je lâche les dents serrées
« Effectivement, pas dans les tiens ? » dit-il en se rapprochant de moi, comme pour reconstituer la scène qui s'est déroulée juste avant
Je me sens bouillir de l'intérieur. J'ai envie de lui arracher son sourire narquois, dessiné sur ses lèvres. Je ne sais pas ce que je m'apprêtais à faire, mais je sens Kallista me retenir.
« Viens, ne perds pas ton temps avec eux » dit-elle doucement en me tirant le bras
Je lance un regard méprisant à Potter et recule pour m'éloigner de lui. En retour, il ne fait qu'hausser un sourcil l'air de dire : "c'est tout, tu abandonnes, Evans ?"
Il a gardé son air moqueur. Il est fier et arrogant. En partant, j'ai l'impression de le laisser gagner et il n'y a pas de sensation plus détestable.
Je tourne les talons et brise le contact. Je suis si énervée que je pourrais frapper dans quelque chose.
« Lily ! Kallista ! » crie une voix forte tout au bout du couloir
Je plisse les yeux pour tenter d'apercevoir la personne qui nous a appelé et mon regard croise celui de Mary qui agite les bras en grand pour qu'on la voit. Je me détends aussitôt et ma mâchoire, serrée, se décontracte dans un large sourire.
« Vous avez trouvé un compartiment ? » je demande en arrivant à son niveau en en la serrant joyeusement dans mes bras
« Oui vient-il est juste là ! »
Mary se retourne et pousse la porte à sa droite pour nous laisser rentrer. Alice, qui est déjà là, se lève aussitôt pour nous dire bonjour.
« Hey ! Ça fait longtemps ! » rigole-t-elle
J'acquiesce en esquissant à mon tour un sourire complice tandis que Kallista fronce les sourcils. Cet été, comme je l'ai déjà mentionné, je n'ai pas passé beaucoup de temps chez moi, mais chez mes amies. Je suis restée principalement chez Mary puis chez Alice et nous nous sommes souvent retrouvées toutes les trois.
Si nous n'avons pas pris la peine d'inviter Kallista, c'est tout simplement parce que nous savions qu'elle ne pourrait pas venir. Son père ne la laisse pas s'amuser une seule seconde et la fait travailler sans relâche. De plus, il ne consent pas entièrement à son amitié avec des sangs mêlés. Alors celle d'une née moldue...
Je me mords la lèvre en pensant à la peine qu'elle peut ressentir, en permanence exclue.
Un réel lien se renforce à chaque vacance passée ensemble et je ne crois pas qu'elle ait manqué ce détail.
Je m'assois sur une banquette et glisse jusqu'au bout pour me coller à la fenêtre. Je pose ma joue contre la vitre et contemple un instant cette vision unique que jamais plus je n'aurais la possibilité d'avoir.
Les plus jeunes qui sont émerveillés en voyant le Poudlard express tout en étant incapables de lâcher leurs parents d'une semelle.
Les gamins qui crient et courent à travers tout le quai 9 3/4.
Les groupes d'amis qui se reforment, les cris surexcités et les joies des retrouvailles.
Les parents, qui, certains avec les larmes aux yeux, effectuent une dernière recommandation tout en embrassant leurs enfants. Même les plus vieux. Même les cinquièmes années qui tentent de se défaire de leurs étreintes, sûrement par souci d'expression de leur indépendance.
Je grave chaque sourire, chaque geste, chaque couleur. Chaque son étouffé qui me parvient jusque dans mon wagon. Wagon dans lequel je serais la prochaine fois pour la toute dernière fois. Pour partir, cette fois, définitivement, de Poudlard, pour ne jamais plus y revenir.
J'ai presque envie de pleurer. Est-ce que c'est de la nostalgie ?
Non...
C'est surtout de la peur. La peur d'être adulte et de devoir enfin l'assumer.
Il faut que je profite de cette dernière année d'insouciance. De cette année où j'ai encore le droit d'être une enfant.
D'être, pour une fois encore, émerveillée par la vue d'un château rempli de magie.
