BREATHING UNDERWATER
Daybreak
Julia ne pouvait s'arrêter de courir. C'était comme ça depuis quelques mois, ces mois qu'elle considérait comme les plus durs et les plus longs de toute sa vie. Elle courrait à toute vitesse, traversant la vallée et ses paysages qu'elle avait l'habitude d'aimer plus que tout, ignorant la fatigue et le jour qui tombait, la douce brise de la nuit la faisant frissonner. Lorsqu'elle courrait, elle ne pensait à rien, tous ses problèmes n'étaient plus qu'une lointaine forme indiscernable qui ne pouvait l'atteindre. Enfin, elle se sentait elle-même.
Pourtant, au bout de quelques heures, elle s'arrêtait, à bout de souffle. La nuit était tombée depuis un moment, sans qu'elle ne s'en rende compte. Alors, elle rentrait chez elle, dans son miteux appartement qui lui ressemblait : vide, triste. Il semblait qu'il avait été abandonné, laissé de côté, tout comme elle. Elle se dirigea dans la salle de bain, retira ses vêtements et entra dans la douche. Alors que l'eau chaude coulait sur son corps, soulageant ses muscles endoloris par tant d'efforts, toute la peine qui emplissait son cœur refit surface. Elle sentait les larmes lui monter aux yeux. Elle éteignit la douche et s'enroula dans une serviette, son miroir se situait juste en face, dans la minuscule salle d'eau. Elle s'observait, se jaugeant sans indulgence. Certes, elle avait une belle apparence, un visage agréable à regarder, beaucoup disaient irrésistible. Mais elle n'était qu'une coquille vide dont le contenu avait été détruit il y a bien longtemps.
Elle traversa le couloir qui menait jusqu'à sa chambre et s'engouffra dans les draps blancs de son lit, bien qu'étant sûre de ne pas trouver le sommeil. Elle pensait au lendemain, où elle continuerait ses recherches, comme chaque jour. Elle avait sacrifié sa vie amoureuse pour son travail et essayait de ne pas l'oublier, bien que depuis quelques temps, même l'avancée de ses recherches ne parvenait à remplir son cœur du vide constant qui s'y était installé.
Il y a deux ans, elle avait délocalisé son laboratoire de recherche qui était situé en Arizona, son pays d'origine, à Kyoto, où l'équipe de chercheurs qu'elle dirigeait était plus qualifiée. Elle luttait contre la déforestation depuis toujours, soutenue par Michelle, sa mère adoptive qui était morte aujourd'hui. Au cours de ses études, elle avait étudié des processus biologiques qui permettaient de recréer la vie dans des environnements qui en étaient privés. Ainsi espérait-elle retrouver les paysages emplis de verdure qui se faisaient de plus en plus rares.
Alors qu'elle venait de déménager, elle avait fait la rencontre de l'homme qui allait faire chavirer son cœur, l'emplissant d'une joie qu'elle n'avait encore jamais connue en 19 ans. Un homme au prénom qu'elle trouvait si doux, comme la plus belle des mélodies qui fut inventée : Hwoarang. Pourtant, ils se connaissaient depuis des années, tous deux ayant participés au troisième King of Iron Fist Tournament, mais ils ne s'étaient alors jamais parlé. Le hasard avait fait qu'ils s'entraînaient au même endroit à Kyoto et durant des semaines, ils avaient appris à se connaître, jusqu'à devenir inséparables. Finalement, un soir, il lui avait avoué ses sentiments. Elle ne s'était jamais sentie aussi heureuse, ils s'entendaient à merveille et étaient fous l'un de l'autre, il n'y avait pas une ombre au tableau. Deux jours après lui avoir déclaré sa flamme, ils devinrent amants et pour la première fois, elle connaissait le vrai bonheur. Ils ne pouvaient imaginer que quelque chose puisse briser ce qu'ils partageaient.
Il y a un an, le sixième King of Iron Fist Tournament était annoncé. Bien entendu, tous deux s'y étaient attendus et y participèrent. Pour Julia, c'était l'occasion d'empêcher Jin et Kazuya de détruire la planète avec leur haine perpétuelle et pour Hwoarang, de se venger de son éternel rival qui l'avait battu lors du dernier tournoi. Finalement, Kazuya remporta le tournoi et s'empara de la Mishima Zaibatsu, l'alliant à la G Corporation. Déçue de sa défaite, Julia s'était plongée dans son travail, créant des tensions dans son couple. Un soir, alors qu'elle et Hwoarang se disputaient, comme fréquemment, elle lui avait ordonné de partir. Lui, ne pouvant y croire, avait tenté de la raisonner, mais en vain. Elle avait quitté l'appartement qu'ils partageaient depuis deux ans et avait passé la nuit à l'hôtel, elle apprit le lendemain que c'est aussi ce qu'il avait fait, mais pas seul.
A la pensée de ce souvenir douloureux, Julia recouvra son visage de la couette et étouffa un sanglot. C'était comme ça depuis un an, elle n'avait plus de raisons de vivre et chaque minute de sa vie était douloureuse. Hwoarang avait été la lumière de sa vie. Maintenant, il la faisait sombrer dans les flammes de l'enfer… Elle n'était plus rien.
Le lendemain, elle se réveilla avec une sourde douleur qui martelait son crâne, conséquence du fait qu'elle n'avait quasiment pas dormi. Elle se leva et se dirigea vers la cuisine pour y chercher une aspirine. Elle jeta un regard par la fenêtre, le temps était sombre, à l'image de son humeur. Elle s'habilla et se rendit à son travail, où son équipe l'y attendait déjà. Elle s'effectua à la tâche, bien que le cœur n'y soit plus depuis quelques temps. Cependant, leurs recherches avaient prit une avancée considérable, c'était d'ailleurs pour cette raison qu'elle ne pouvait se résoudre à retourner en Arizona. Elle avait trop donné de son énergie dans ce laboratoire pour recommencer à zéro, même si cela devait impliquer le fait de souffrir un peu plus chaque jour, tant elle devait faire face à la réalité tous les soirs, lors de l'entraînement.
Le combat faisait parti de sa vie, elle ne pouvait se résoudre à l'abandonner. Lorsqu'elle s'était inscrite au tournoi, des années auparavant, elle n'avait alors aucune idée de tout ce que cela allait impliquer. Pourtant, elle n'avait d'autre choix que de continuer dans cette voie. C'est pourquoi après le travail, elle se rendait au plus réputé des dojos de Kyoto, pour s'y entraîner. Sa réputation était due à la qualité de l'enseignement qui s'y trouvait. Un expert en arts martiaux, le maître Hiroki Kasaido en était le gérant et proposait des cours dans toutes les catégories. Ainsi, tous les soirs, elle y retrouvait d'anciens combattants du tournoi, Hwoarang en faisant parti.
C'était pour cette raison qu'elle ne pouvait refaire surface et trouver un sens à sa vie, chaque soir, c'était le même rituel, bien qu'il soit le plus vil et le plus détestable. Après l'entraînement, elle allait se changer au vestiaire, où elle y retrouvait toutes les élèves, dont Xiaoyu qui, comme toujours, était enfoncée dans son mutisme, mais aussi Lili qui se dépêchait afin de sortir la première du dojo. Ses écouteurs dans une main, son sac de sport dans l'autre, Lili se précipitait vers la sortie, adressant un bref salut à Julia et Xiaoyu, qui répondirent poliment. Julia observait ses longs cheveux blonds qui rebondissaient sur ses hanches, comme pour rendre les lignes de son corps interminables. Malgré la distance qui les séparait, elle pouvait sentir l'effluve de prunier blanc qui émanait d'elle. Ce parfum avait la propriété d'apaiser tous ceux qui s'en approchait et pourtant, il l'irritait au plus au point.
Julia enfila ses bottes et se dirigea elle aussi vers la sortie, bien décidée ce jour ci à prendre sur elle-même et ne pas se laisser submerger par les émotions, mais en vain. Elle sortie du dojo et le spectacle auquel elle assista chassa toutes ses bonnes volontés. Hwoarang se trouvait là, ses cheveux auburn flottant au vent, occupé à retirer l'antivol de sa moto. Il l'aperçut et s'apprêta à lui dire quelque chose quand il fut interrompu par Lili qui se jeta à son cou en guise de bonjour. Gêné, celui-ci tenta de la repousser alors elle s'agrippa à son bras comme si sa vie en dépendait.
« Tu m'as tellement manqué ! Je me sens si seule quand tu n'es pas auprès de moi… » S'écria-t-elle, ignorant superbement Julia dont le visage commençait à se décomposer.
Elle aurait voulu fuir, ne pas assister à la scène qui lui déchirait le cœur presque chaque soir, lorsque Hwoarang se trouvait prit au piège, comme un imbécile. Pourtant, ses jambes refusaient d'avancer, elle demeurait scotchée et contrainte à observer son ex-amant qui faisait toujours preuve d'une naïveté alarmante. Jin sortait du dojo à ce moment là et s'arrêta à la vue de Julia et Hwoarang.
Le visage d'Hwoarang virait au rouge alors qu'il tentait de se dégager de l'étreinte de Lili, balbutiant :
« Oui, oui… Toi aussi tu m'as manqué » Son ton n'était guère convainquant mais Lili sembla largement s'en contenter. « Mais j'ai des choses à faire, je… Je dois partir maintenant. »
« Je peux faire le chemin avec toi ? C'est dangereux pour une jeune fille comme moi de rentrer seule… » Répondit Lili l'air faussement abattue.
Julia ne pouvait pas croire ce à quoi elle assistait, Lili était une jeune kendoka de renom, elle s'était battue avec de nombreux combattants pour le plaisir et prétendait qu'elle avait peur de rentrer seule ? Elle ressentait soudain l'envie d'enrouler les écouteurs de Lili autour de son cou gracile et de serrer, serrer…
« Je… Oui d'accord, je peux bien faire un détour et c'est vrai que c'est dangereux. » Répondit Hwoarang en tendant un casque à la blonde qui s'empressa de le poser sur sa tête, un grand sourire aux lèvres.
… Et prévoir une deuxième paire d'écouteurs pour Hwoarang qui s'obstinait à ne pas voir les manigances de Lili, pensa Julia.
Elle les observait s'éloigner, la rage au ventre. Pourtant, cette rage n'était en rien comparable à la peine qui lui écorchait le cœur. Incapable de retenir ses jambes, elle s'écroula sur le sable chaud qui entourait le dojo. Jin, inquiet, se précipita pour l'aider à se relever. Elle en fut surprise car sous le choc des évènements, elle avait oublié sa présence. Précipitamment, elle se redressa et s'apprêta à partir, honteuse que son ami ait la preuve directe de ce qu'elle essayait de cacher depuis des mois. Il la retint par le bras et l'obligea à lui faire face, croisant un regard larmoyant qu'elle ne pouvait nier.
« Tu veux que je te raccompagne chez toi ? Je pense que tu as besoin de parler. » Demanda Jin, hésitant, se demandant comment faire pour que son amie accepte son aide alors qu'elle refusait catégoriquement de parler d'Hwoarang.
« C'est gentil, Jin, mais je vais très bien et je vais courir un peu avant de rentrer chez moi… » Répondit-elle alors qu'elle tentait de détourner les yeux, chassant ses larmes, en vain, tant son ami savait lire en elle.
« Et tu vas me faire avaler ça ? » La coupa Jin, resserrant un peu plus la pression sur son bras « Tu vas courir à chaque fois que tu vas mal, tu penses que ça t'aide sur le moment, mais c'est inutile et tu te sens encore plus seule à la fin ! »
« Mais Jin je te jure que… »
« Ne jure pas ! Le seul serment qui compte, c'est celui où on s'était promis de toujours tout se dire. Tu as oublié ? »
« Bien sûr que non ! » maugréa Julia, qui ne put s'empêcher de rougir. Comment je pourrais oublier cette nuit-là, où tu m'as réappris à vivre…
« Bien, » approuva Jin, « parce que moi, je t'ai toujours tout raconté. Y comprit certains événements dont je ne suis pas fière… »
Julia releva la tête à sa remarque. Il était vrai que son ami lui avait fait part de tous les meurtres et les mauvaises actions qu'il avait effectués, alors qu'il était sous l'emprise de Devil.
« Ce n'était pas ta faute, Jin… » Dit-elle dans un élan de compassion.
Son ami détourna le regard, pensif. Julia savait qu'il se sentait toujours extrêmement coupable et qu'il vivait avec tous ses crimes sur la conscience, bien qu'il n'en fût pas responsable. Lors du dernier tournoi, son père Kazuya l'avait tellement affaiblit qu'il avait failli mourir, il était resté plusieurs jours dans le coma. Après un mois entier passé à l'hôpital, il n'avait nulle part où aller, il ne lui restait plus rien. Julia l'avait donc recueilli chez elle, le temps qu'il se retrouve un appartement et surtout, qu'il se relève de toutes ses peines.
Julia pensait que Jin l'avait énormément aidé à surmonter sa rupture avec Hwoarang et qu'elle n'osait penser à celle qu'elle serait aujourd'hui s'il n'avait pas été là. C'était pour cette raison, par reconnaissance, qu'elle refusait d'admettre que son ex-amant la faisait toujours souffrir. Jin lui avait tant donné, elle ne voulait pas le décevoir en s'il s'apercevait que tout cela était vain, qu'elle se mourrait un peu plus chaque jour.
« Chaque jour, je vis avec tous ces morts sur la conscience, » expliqua Jin, une grande peine visible sur le visage « Quoi que je fasse, je n'arrive pas à les enlever de ma tête et rien ni personne n'arrive à me les faire oublier…»
Au même moment, Xiaoyu sortit du dojo, ses cheveux noirs de jais détachés flottant au vent. Jin l'observa et une curieuse lueur anima son regard, il tenta de la dissimuler, mais Julia l'avait bien notée. Jin avait beau le cacher, Julia savait depuis des années qu'il était secrètement amoureux de la jeune chinoise.
Cet engouement avait commencé dès leur rencontre au cours du troisième tournoi, il s'était vite épris de la joie persistante qui émanait d'elle. Un seul de ses sourires parvenait à le rendre joyeux à son tour. Elle était la lumière qui éclairait sa vie, le simple fait de penser à elle répandait une douce quiétude dans tout son être et d'après l'attitude de la jeune fille, il avait toutes les raisons de penser que ses sentiments étaient réciproques.
Cependant, par timidité et respect pour son jeune âge, il n'avait jamais osé lui avouer ses sentiments et encore moins la toucher. Au fur et à mesure des années, malgré ses problèmes familiaux qui lui coutèrent bien des tracas et des blessures, il n'avait cessé de penser à elle. A la fin du sixième tournoi, il s'était résolu à abandonner le combat et avait même songé à construire une relation avec Xiaoyu. Pourtant, à l'instant même où il avait pris sa décision, l'attitude de la jeune fille avait littéralement changé. Il s'était retrouvé face à un mur.
Elle qui était si avenante et lumineuse s'était totalement renfermée sur elle-même, une grande peine était alors visible sur son visage. Jin s'était trouvé déboussolé, il avait essayé de lui parler, de comprendre pourquoi elle semblait souffrir autant. Mais elle ne lui avait jamais rien dit et pire elle semblait agacée de sa présence.
Depuis un an, il avait tenté par de nombreux moyens de la séduire, ne pouvant se résoudre à l'oublier. Julia se disait que c'était sans espoirs puisque Xiaoyu ne s'était pas seulement fermée à Jin mais aussi à tout son entourage.
Julia observait son ami qui s'exclama :
« Xiaoyu, attends ! »
Il se précipita à sa rencontre, bien que la jeune fille fût prise de panique lorsqu'il l'interpella. De toute évidence, elle n'avait pas la moindre envie de parler à Jin.
« Dis, est-ce que tu veux que je te raccompagne chez toi ? C'est dangereux pour une jeune fille comme toi de rentrer seule.»
Julia failli s'étouffer en entendant Jin user du même stratagème que Lili, alors qu'il avait pleinement conscience de la stupidité de celui-ci. De toute évidence, il ne savait pas comment aborder l'élue de son cœur et usait de tous les moyens qui lui passaient par la tête, aussi ridicules soient-ils.
Visiblement, Jin et Xiaoyu s'étaient fait la même remarque puisqu'ils s'empourprèrent et la jeune fille baissa la tête, balbutiant péniblement :
« Dé… Désolée Jin. Mais j'ai des choses à faire avant de rentrer chez moi. »
« Ah… Répondit le brun. Une autre fois, alors ? » Demanda-t-il sans trop d'espoirs.
« Oui, c'est ça. Une autre fois. » Puis elle s'éloigna d'un pas rapide, sans croiser son regard.
Jin l'observait, dépité.
Pauvre Jin, pensa Julia. Il s'obstine à ne pas comprendre…
Elle alla à sa rencontre et posa une main sur son épaule, compatissante. Que ce soit l'un ou l'autre, ils étaient bien tristes en amour.
« Allez viens, inutile de rester ici. » Dit-elle. « Tu m'as convaincu : je n'irai pas courir ce soir ! »
Cette remarque fit sourire son ami qui répondit :
« Au moins, c'est ce que j'aurais gagné… »
Et ils prirent tous deux le chemin de leurs appartements respectifs.
