Chapitre 1 : Repérage

Londres, 21 heures.

" Deux minutes avant l'entrée en scène !

- On sait, on sait ... grognait la maquilleuse à l'encontre de l'annonce, finalisant son oeuvre le plus rapidement possible. Vous êtes splendide, conclut-elle, à l'adresse de la tête blonde qu'elle pomponnait depuis une trentaine de minutes. "

La jeune femme en question scrutait dès à présent son visage délicat dans le miroir, le silence aux lèvres, l'expression éteinte. Ses grands yeux bleu-verts scintillaient d'une lueur neutre, observant sa bouche rosée, ses joues ravivées et ses paupières colorées : une peinture qui donnait un semblant de naturel, efficace quant au camouflage des valises qu'elle portait habituellement en guise de cernes. Elle jeta un coup d'oeil à son artiste, lui offrant un mince sourire en guise de " Merci ".

" Une minute ! "

Se levant rapidement de son fauteuil à roulettes, elle se précipita d'un pas rapide et fluet, ayant du mal à courir sur ses escarpins d'argent. Elle se tenait dorénavant au milieu de l'obscurité, parmi les techniciens. Le coeur battant, elle n'osa pas vérifier la source de ce brouhaha incessant, signe d'une salle prête à déborder de spectateurs. Ses poings se serrèrent jusqu'à sentir ses petits ongles, lorsque l'un de ses exécutants se mit à murmurer, pour toute l'équipe :

" 3..."

" 2..."

" 1... "

Le rideau se leva sur la grande salle, une lueur bleutée tamisant la scène d'une douce atmosphère malgré la chaleur des projecteurs. Ses yeux se levèrent au-delà des planches tandis qu'un grand sourire naquit au sein de ses lèvres, levant son bras droit d'un geste gracieux vers son public en guise de salut. L'hystérie était à son comble, son nom de scène hurlé à l'agonie.

" SAAAAAABEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEER ! "

Sa robe au dégradé descendant du blanc au bleu Klein révélait sa nuque et son dos, moulant son torse jusqu'à arriver à ses jambes, où le tissu se libérait de sa silhouette, volant jusqu'à ses genoux. Ce vêtement lui donnait des airs de poupée en porcelaine. D'un pas détendu, elle se dirigea vers le grand piano qui siégeait au milieu de la scène, et prit place, ouvrant la conversation.

" Londres... c'est avec un immense honneur que j'achèverai ma tournée nationale avec vous, ce soir. "

Une note de piano retentit ; les cris cessèrent, laissant place à la musique que répandaient ses doigts. Après une démonstration calme et attendrissante de ses talents de pianiste, sa bouche s'entrouvrit, laissant sa voix douce et grave retentir. Lorsque son chant commença, son public sembla dompté par ses vocalises qui l'entrainèrent irrémédiablement dans une contemplation muette.

Soudain, sa complainte s'imprégna d'une force subite, marquant l'arrivée d'un orchestre derrière elle, prêt à soutenir cette montée fulgurante dans les octaves qui initia un long frisson au sein l'échine d'un certain homme. Il observait la scène du haut d'un balcon privé, la tête cachée par des jumelles. Son attention était focalisée sur le visage de la chanteuse, dont l'expression intense traduisait une passion et une détermination à toute épreuve, ses sourcils blonds froncés par le pouvoir qu'elle exerçait alors. La jeune femme semblait en transe.

Cela était indéniable : c'était elle dont il avait besoin.


Après le concert, l'artiste Saber participait à un pot dans l'un des quartiers chics de Londres, en compagnie de toute son équipe. Son manager, une femme aux longs cheveux blancs habillée en tailleur et à la silhouette menue, leva son verre de champagne aux côtés de sa protégée.

" Cette tournée fut un succès qui nous ouvrira de nombreuses portes. Levons notre verre aux performances vocales de Saber ! "

Tous levèrent leur verre dans un cri de joie, suscitant l'attention des autres clients du bar. La star rigola doucement, à l'adresse de son mentor.

" Irisviel... appelle-moi Arturia lorsque nous ne sommes pas sur scène, fit-elle, portant son verre à ses lèvres.

- Hihihi, pardonne-moi, c'est l'habitude. Elle lui sourit, posant une main sur son épaule. Tu dois avoir faim ? Je vais aller nous commander plusieurs choses.

- Oh non ça ira pour moi, ne prend pas cette... peine. Dit-elle sur un ton défaitiste, son amie s'étant éloignée vers le comptoir sans l'avoir écoutée. "

La blonde soupira doucement puis reporta son attention sur ses collègues, tous joyeux. Elle ne pouvait que partager leur bonheur, fière d'avoir pu tout donner pour garantir le succès de tout leur groupe. Leur tournée à présent terminée, elle pourrait profiter de quelques jours de repos avant de se remettre à écrire.

Un homme fit son entrée dans le bar, attirant l'attention de l'assemblée ainsi que celle d'Arturia. Habillé de façon excentrique, alliant la classe du smoking blanc avec le port ostentatoire de boucles d'oreilles pendantes en or massif, ses cheveux dorés étaient relevés en une coiffure piquante et aérodynamique qui laissait voir son visage dans son entièreté. Son attitude n'était pas celle de quelqu'un de discret. Il restait immobile, bloquant l'entrée de sa stature alors que deux individus habillés en noir s'étaient placés de part et d'autre de la grande porte. Il avait l'air de chercher quelque chose.

Les conversations s'étaient tues. Seuls les talons d'Irisviel rythmaient la salle tandis qu'elle s'approchait d'Arturia. L'homme la suivit du regard avant de poser ses yeux sur la chanteuse. Un large sourire étira ses lèvres.

" Cet homme... Il s'agit de Gilgamesh, le PDG et producteur de la Babylon Entertainment, murmura Irisviel à l'attention de sa protégée, l'air méfiant. "

Le prétendu Gilgamesh se mit à marcher dans leur direction d'un pas assuré, les mains dans les poches. Ses yeux sanguins étaient plantés dans ceux d'Arturia. La jeune femme n'appréciait pas cette condescendance. Plus personne ne parlait, même le barman observait la scène armé de son portable, prêt à tweeter ce qui était sur le point de se produire.

Il cassa enfin le silence, sa voix portante envahissant leur espace.

" Saber... Félicitations pour cette tournée, votre... talent, dépasse mes espérances, je dois dire. "

La jeune femme lui lança un regard noir, ayant perdu son sourire. A vrai dire, toute l'équipe toisait l'intrus avec des yeux de loups, prêts à mordre au moindre faux pas. La façon dont il avait prononcé le mot "talent" n'avait plu à personne.

" Votre voix est un atout rare, fit-il tout en prenant ses aises sur l'une des chaises, s'asseyant face à elle. " Il ne la quittait pas des yeux. Il claqua des doigts avant que le barman n'accoure à ses côtés. " Le meilleur rouge. " Glissa-t-il avant de reprendre, à l'attention d'Arturia :

" Néanmoins, il vous manque quelque chose, Saber. Travaillez avec moi, et je vous aiderai à accomplir des prouesses que vous ne vous soupçonniez pas. "

Arturia serra les dents.

" Votre proposition me flatte, cependant... je ne veux pas paraître grossière, mais vous venez d'interrompre une réception privée, avec mon équipe.

- Ha ha ha ! Une réception, ça ! Vous valez tellement mieux, Saber ! S'exclama-t-il, soudain pris d'hilarité. Il attrapa son verre de vin au passage, avant de faire tournoyer le liquide au sein du verre. Puis, il jeta un rapide coup d'œil provocateur à chaque membre, chacun semblant sur le point de lui sauter dessus. Il but une gorgée de son alcool.

- Qui donc êtes-vous pour juger ? Je ne vais pas vous laisser cracher des inepties à l'encontre de mes camarades puis accepter votre requête. Partez, s'il-vous-plaît. "

Son ton avait haussé, l'ambiance était devenue électrique. Irisviel, affolée, cherchait une solution pour ne pas que ça finisse en boucherie. Le producteur, lui, semblait bien s'amuser.

" Décidément, vous êtes une femme intéressante. Sachez qu'au moment où j'ai porté mon intérêt sur vous, votre destin était tout tracé. Jamais je n'abandonnerai, Saber."

Il farfouilla dans la poche intérieure de sa veste blanche puis lança sa carte de visite dans sa direction. Irisviel s'apprêtait à la récupérer lorsqu'il haussa subitement la voix.

" N'y touche pas, espèce d'incapable. C'est à Saber que je la donne. "

C'en était trop. Une vague de violence s'éleva autour de leur table. L'un des techniciens s'élança sur l'individu avant de se faire retenir par un autre, à bout de souffle. Irisviel, horrifiée, vint calmer leurs esprits, ayant déjà oublié l'injure, son insouciance étant à toute épreuve. Quant à Arturia, elle se leva de sa place subitement, surplombant le producteur de ses yeux glacés. Elle n'eut aucun mal à se faire entendre.

" Je ne veux plus vous voir. Déguerpissez. "

Le blond lâcha un rire sourd tout en finissant son verre de vin. L'indignation était à son comble. Il lâcha deux ou trois pièces sur la table puis se redressa, l'air confortable, commençant à se diriger vers la porte de sortie.

Néanmoins, il tourna son visage vers Arturia une dernière fois, avec l'expression la plus arrogante qu'elle n'eut jamais vue.

" Tu seras à moi, Saber. Que tu le veuilles ou non. "

Puis il s'éclipsa, suivi par ses deux hommes de main.

Le barman s'essuya la tempe, tapotant sur son portable de façon acharnée.