Disclaimer : Harry Potter, son monde et ses personnages, appartiennent évidemment à notre très chère J.K. Rowling !
Parings : Harry/Draco - Severus/Neville - Blaise/Théo
Note : Bien le bonjour ! Alors cette histoire là, ça fait un moment que j'attends d'avoir l'opportunité de vous la poster, j'espère vraiment qu'elle vous plaira :) A la base j'avais envie de faire un post-guerre en une seule partie (un OS quoi tout bêtement) maaiiis... Ardha m'a dit que si ça se finissait pas bien elle refuserait de le lire (chantage !) alors du coup je débarque avec trois parties, toutes les trois bien entendu terminée ;)
Publication : J'aime bien le rythme d'un chapitre par semaine, alors je vais reprendre ça ! Ce sera donc une partie pour les trois vendredis à suivre (aujourd'hui compris), j'espère que vous allez pas avoir l'impression de vous faire arnaquer x)
Note 2 : Les "parties" vont en décroissant en nombre de mots, ceci est donc le plus long qu'il y aura pour cette fic... ^^
Enjoy ! :)
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- Partie première -
Dans un monde où la guerre est loin derrière, où les aurors traquent les derniers traîtres à la Lumière, où les hommes libres ont trouvé leurs places, la Paix règne. Les choses, jamais, n'auraient pu être plus belles. Le monde, jamais, n'aurait pu être meilleur.
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Neville
Neville souffla doucement, sa tête le lançait. Son corps voulait dormir, mais c'était pour lui hors de question. Il frappa à la porte du bureau de l'auror le plus célèbre du monde Sorcier. Un bruit sourd et fracassant retentit de l'intérieur et après quelques secondes supplémentaires d'attente inutile il pénétra dans la pièce sombre. Au sol des dossiers renversés, sur le bureau des dossiers renversés, dans la tête embrouillée d'Harry Potter… sûrement des tonnes et des tonnes de dossiers renversés.
-Harry.
L'auror Potter sursauta à sa voix. Debout au centre de la pièce plus en désordre encore qu'à l'accoutumée, la tête entre les mains, tournant littéralement en rond, il ne l'avait pas entendu entrer. Il le vit et se laissa tomber dans un fauteuil tout proche, sur des feuilles maintenant froissées sorties sans doute de l'un des dossiers renversés. Neville baissa les yeux, il savait, il se doutait de ce qu'il s'était passé.
-J'étais à ça… A ça de lui mettre la main dessus !
Il ne répondit pas. Il s'approcha du bureau encombré et se fit une place d'un revers de la main. Il y posa ses propres papiers et posa une plume sur eux.
-Il me faut ta signature, dit-il seulement.
Il sentit plus qu'il ne vit Harry se calmer. Il se calmait toujours pour lui. Il s'écarta et le laissa parcourir les documents. Il les signa tous, un à un.
-Quand est-ce que tu retournes au tribunal ?
-Demain.
Son ami hocha seulement la tête.
-Tu seras convoqué encore une fois la semaine prochaine, d'après ce qu'on m'a dit.
-Pas de problème, j'y serai.
-Merci.
Neville reprit les feuilles qu'Harry lui tendait. Il eut un sourire fatigué et s'apprêta à repartir.
-Neville ?
Il releva les yeux vers celui qui fut autrefois le Survivant seulement, le Sauveur aujourd'hui.
-Tu y arriveras.
-Oui, je sais.
Il referma la porte derrière lui et tenta de ne pas penser au fait que non, qu'il n'y arriverait sans doute jamais. Une fois arrivé à la zone de transplanage il rentra chez lui. Pour un bien court moment, tout sauf agréable. Devant la bâtisse il inspira longuement. Il tourna la clé dans la serrure et abaissa la poignée le plus doucement qu'il put. Il pénétra de quelques mètres seulement entre ces murs, plaça ses documents sous clé dans le secrétaire de l'entrée et ressortit rapidement, sans bruit. Il remit les clés dans sa poche et retourna à l'air de transplanage. Il avait rendez-vous.
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Le voyage était interminable, comme toujours. Le bateau tanguait chaque seconde un peu plus. Neville Londubat avait le regard fixé sur l'horizon brumeux. Il avait peur, comme toujours. Peur de ne plus rien trouver à l'arrivée. Peur de n'y découvrir qu'un cadavre, qu'un corps sans vie ou qu'une tombe vide. Il leva les yeux vers les gardiens qui surveillaient la navette. Il y avait très peu de visiteurs pour Azkaban. Il était seul, aujourd'hui. Il y avait parfois une femme aux yeux vides et aux cheveux pâles, l'air malade et agité. La dernière fois elle n'avait pas repris la navette en sens inverse. Il ferma les yeux, inspira longuement, le cœur tremblant. Une fois à terre il se fit escorter par un sorcier en cape intégrale, le visage recouvert. Aussi sinistre qu'un détraqueur, seulement plus humain ou plus cynique. Ils descendirent étage par étage. Neville sentait sa vie aspirée par les murs humides. Il inspira doucement, s'arrêta devant une porte close. L'homme qui le suivait s'avança pour ouvrir l'ultime barrage à sa route.
-Dix minutes, lâcha-t-il froidement.
Neville ne prit pas la peine de répondre et la porte se referma sur lui. Ce couloir-ci était bien plus froid que les précédents. Derrière la grille de gauche, des corps sans vie depuis bien trop longtemps. Derrière celle de droite… Il fit face à l'homme assis contre le mur du fond, éreinté, amaigri.
-Severus.
L'homme eut un sursaut, comme se réveillant soudain. Il trouva la force de se lever et vint s'accrocher aux barreaux pour ne pas tomber.
-Neville… Tu devrais…
Il s'arrêta pour tousser et l'ancien élève serra les dents pour tenter d'ignorer la souffrance qu'il devait ressentir.
-Tu devrais arrêter de venir…
-Non. Je suis convoqué demain, je… je finirai par te sortir d'ici.
-Je suis presque mort… Souffla-t-il de fatigue.
Le jeune homme retint ses larmes.
-Tu n'as rien fait de mal, tu ne devrais pas être là. Et si tu dois mourir, je veux que ce soit chez nous.
-Tu veux toujours…
Une nouvelle quinte de toux l'interrompit mais il reprit très vite, presque moqueur.
-Tu veux toujours vieillir avec moi, hein ?…
-Je sais ce que tu penses de ça.
-Ouais…
Il glissa le long de la grille, à bout de force.
-Je reviendrai.
-Je sais…
-Severus ? Tiens le coup.
L'homme ne répondit rien, les yeux fermés, le front contre les barreaux.
-Severus… je t'aime.
Il n'eut pas de réaction et Neville lutta pour ne pas baisser les yeux. Il lui tourna le dos et alla frapper trois grands coups à la porte, le cœur lourd, rongé par l'angoisse du lendemain. Avant que le gardien ne vienne lui ouvrir il entendit comme un bref mouvement dans la cellule.
-Je t'aime, moi aussi… Souffla-t-on doucement.
Et une larme vint barrer sa joue alors que la porte s'ouvrait enfin. Il allait remonter les étages un à un, rejoindre la rive lugubre et prendre la navette en sens inverse. Il en avait déjà mal au cœur. Le voyage du retour serait plus long encore que celui de l'aller. Comme toujours.
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Devant chez lui, il resta un instant à fixer en silence la façade. Il ne savait pas s'il avait vraiment envie de franchir le pas de cette porte. Il savait que ce qu'il y trouverait à l'intérieur serait aussi détruit que ce qu'il vivait à l'extérieur. Peut-être plus. Il abaissa la poignée et laissa sa veste joncher sur le meuble de l'entrée. Il ne fit rien pour être discret. Mais ça ne changea pas grand-chose. Il fit quelques pas dans le couloir et s'arrêta sur le pas de la porte de l'une des pièces ouvertes.
-Dean.
Le jeune homme releva vaguement le visage vers lui, mais ne sembla pas le voir. Neville baissa les yeux. Il fit demi tour pour aller chercher dans le frigo l'un des nombreux plats préparés par les soin d'un restaurant de qualité médiocre, seul acceptant de les livrer à domicile de façon plus que régulière. Neville n'avait pas le temps de cuisiner. Quand à Dean… Neville posa une assiette devant lui, sur le plateau installé à même sa chaise roulante.
-Seamus… Souffla le garçon, comme à bout de force.
-Je sais. Mange, s'il-te-plaît.
Il baissa les yeux sur le plat mais une fois de plus ne sembla pas le voir. Neville prit une cuillère et l'aida lorsqu'il ouvrit la bouche avec peine. Le voir ainsi, impuissant… il en aurait presque pleuré. Mais ses yeux étaient secs et son cœur amer. La guerre avait détruit beaucoup de choses, mais elle était terminée maintenant et depuis longtemps il avait arrêté de penser par elle.
-Encore un peu.
Il essayait de retarder au maximum le moment où il devrait le mettre sous perfusion. Parce que ça arriverait, c'était inévitable, mais il ne voulait pas le voir peu à peu se transformer en véritable légume. Il voulait de nouveau le voir agir par lui-même, et qu'il mange ainsi, même avec son aide, démontrait qu'il avait encore la force de vivre. Du moins pensait-il. Quand Dean n'ouvrit plus la bouche il posa l'assiette sur une table à côté. Et retourna dans l'entrée pour ouvrir leur courrier. Il écarta rapidement les factures, il les lirait ce soir dans son lit. Il y avait deux lettres qui retinrent son attention. L'une du cabinet de médicomagie, l'autre du tribunal. Sans nulle doute sa convocation officielle pour le lendemain. Il ouvrit l'enveloppe du médecin. C'étaient les résultats de la dernière visite de Dean. Il ne semblait n'y avoir aucune raison biologique, mais il perdait la vue.
Neville continua de fixer le parchemin de longues secondes encore, et puis les larmes qu'il ne pensait plus avoir vinrent mouiller ses yeux. Il reposa toutes les enveloppes sur le meuble de l'entrée et tant pis pour les factures. Il retourna auprès de Dean et lui sourit comme il put. Il s'accroupit devant lui.
-Dean… Commença-t-il. C'est l'heure de ton bain.
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Harry
Harry croulait sous les dossiers prioritaires. Il carburait au café. Au café et aux acides aminés. Toujours énervé, toujours stressé. Les boosters étaient son lot quotidien. Il finit son gobelet cul sec et formula un rapide sort pour le remplir de nouveau. Il se leva, comme sur ressorts, pour aller chercher un papier complémentaire sur une étagère encombrée. Il se rassit immédiatement et jura quand un hibou vint cogner à sa fenêtre. Il n'avait vraiment pas besoin de sollicitation extérieure ce mois-ci. Quand aux lettres de fans ou de remerciements… si c'en était une il la brûlerait dans la seconde. Mais il connaissait l'animal qui attendait sur le rebord près de la vitre et son air se fit grave. Il ouvrit la fenêtre, prit l'enveloppe et congédia l'oiseau. Ginny. Il ne sut pas s'il voulait vraiment l'ouvrir. Il décida que non et la jeta avec les autres plis urgents sur son bureau. Il allait se rasseoir encore lorsque l'on ouvrit sa porte sans préavis aucun.
-On l'a trouvé ! S'exclama l'auror sur le pas de sa porte.
Et les yeux d'Harry s'écarquillèrent avant que son cœur ne se mettre à battre plus fort et que son cerveau ne commence à envoyer de l'adrénaline partout dans son corps. Il prit son manteau au vol et claqua sa porte en suivant son collègue, courant presque dans les couloirs du ministère. Mais il fut arrêté en pleine course. Ou plutôt… il ralentit, grognant presque, en reconnaissant son ex-fiancée marcher vers lui, le regard tout aussi perdu que le jour de leur rupture.
-Harry…
-Ginny, c'est vraiment pas le moment là, coupa-t-il sec.
-Mais tu sais, j'ai réfléchis Harry et… je pense vraiment que c'est une erreur…
Harry se retint de lever les yeux au ciel. Le temps était compté, il n'avait pas besoin de le perdre ici en conversation inutile.
-Ginny, je suis pressé.
-Mais Harry…
Il voulut la couper de nouveau mais elle fut plus rapide.
-Dis-moi au moins que tu as lu ma lettre !
-Non. Ecoute, elle vient d'arriver, je n'ai pas eu le temps. Maintenant il faut que je parte.
-Harry…
-Mais il va s'enfuir ! S'emporta-t-il.
Ginny parut blêmir, puis elle baissa le regard.
-Oh… je comprends.
-Merci.
Il reprit sa course dans les couloirs jusqu'à la zone de transplanage ou il disparut sans la moindre pensée pour celle qu'il venait de planter là, sans le moindre regret.
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Harry peinait à calmer son souffle, l'excitation faisait bouillir le sang dans ses veines. L'adresse qu'ils avaient réussi à débusquer était celle d'une vieille usine à charbon désaffectée dans la banlieue nord de Nottingham. Son équipe avait encerclé le bâtiment, des renforts attendaient un peu plus loin. Un seul ordre de lui, et… Un frisson lui parcourut l'échine. Il n'arrivait pas à se rendre compte qu'il y était. Qu'enfin il y était. Qu'il allait pouvoir, après tant de mois et de mois de traque, arrêter Draco Malfoy pour meurtre, tentative de meurtre et association aux forces du mal. Il allait pouvoir lui passer les menottes et le regarder dans les yeux lorsqu'il comprendrait qu'il n'avait plus rien d'un homme libre. Qu'il allait payer pour ses crimes. Qu'il allait payer pour ne pas avoir fuit à l'époque, et pour fuir aujourd'hui.
-Monsieur, qu'est-ce qu'on fait ? Lui demanda l'un de ses hommes.
Il jeta un coup d'œil à l'intégralité de son équipe. Il sentait son cœur battre contre sa poitrine, il ne s'était jamais senti si vivant.
-On est sûr qu'il est là ? Demanda-t-il à ses éclaireurs.
-Certains, lui répondit-on. Johnson et Lewis l'ont vu entrer il y a moins d'une heure, et personne n'est sorti de là.
-Transplanage ?
-Aucune trace de magie.
Harry souffla doucement, il tremblait un peu.
-Okay… Fit-il, fébrile. On y va.
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La porte de son bureau se referma derrière l'auror dans un « clac » discret et pendant quelques secondes il aurait presque pu paraître comme mort. Et puis il cria.
-Fait chier !
Harry envoya valser ses dossiers qui allèrent s'éparpiller sur le sol. Il explosait de rage. Il lui fallut moins de deux minutes pour entièrement réarranger son bureau.
-Quel salopard, bouillit-il en entamant les cent pas. Quel connard. Quel enculé. Quel crevard !
Il shoota dans une pile de dossier qui s'écroula dans un grand bruit. Il sortit sa baguette et pulvérisa une étagère, puis la fenêtre de son bureau qui se reconstitua immédiatement. De rage il lança un nouveau sort contre la vitre. Puis un autre. Puis un autre… Il lança sa baguette dans un coin et se prit la tête entre les mains, ne pouvant s'empêcha d'arpenter la pièce. Il sursauta lorsque l'on prononça son prénom. Il voulut jeter toute sa haine au visage de l'opportun. Mais l'opportun le regardait d'un œil fatigué, presque las de vivre encore. Il se calma un peu en reconnaissant Neville. Il se sentit vidé alors, et se laissa tomber sur son fauteuil, recouvert des feuilles tombées de l'étagère maintenant en miettes au pied du mur.
-J'étais à ça… Geint-il sur un fond de sourde colère. A ça de lui mettre la main dessus !
Il ferma les yeux et jeta sa tête en arrière sur le dossier. Neville posa de nouvelles feuilles sur son bureau et sa voix fut terne lorsqu'il parla à nouveau.
-Il me faut ta signature.
Harry se leva, décidément plus calme, presque en condoléances. Il lui arrivait presque d'oublier à quel point la vie continuait autour de lui lorsqu'il traquait Malfoy. Mais Harry en oubliait jusqu'à sa propre existence, lorsqu'il traquait Malfoy. Seulement en tant qu'auror il avait d'autres responsabilités, en tant que Sauveur il avait d'autres devoirs, et en tant qu'ami il avait d'autres préoccupations. Pour Neville il redevenait les trois. Pour Snape, il redevenait ça.
-Quand est-ce que tu retournes au tribunal ? Demanda-t-il en signant une par une les feuilles du dossier.
-Demain.
Il hocha la tête, grave.
-Tu seras convoqué encore une fois la semaine prochaine, d'après ce qu'on m'a dit.
-Pas de problème, lui dit-il en lui rendant ses papiers. J'y serai.
-Merci.
Neville reprit son dossier et tourna les talons. Harry savait à quel point il souffrait de cette situation, et comme les démarches étaient difficiles pour pouvoir faire progresser le dossier d'un mangemort présumé, si ce n'était affirmé.
-Neville ? Tenta-t-il avant qu'il ne s'en aille.
Son ami releva les yeux sur lui et il ne sut si sa voix fut réellement convaincante quand il lui assura le moins certain des avenirs.
-Tu y arriveras.
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Ginny
On aurait pu entendre une mouche voler. Partout dans le journal on s'affairait, dans les couloirs on courait, devant les pendules on s'excitait. Mais ici… ici, dans ce bureau séparé du reste de la rédaction par une porte aussi épaisse qu'une rondelle de citron, un silence sourd et bourdonnant s'étirait entre les murs. Ginny fixait sans s'en apercevoir l'hideux papier peint qui lui faisait face. Sur son bureau, la plume qu'elle utilisait pour rédiger la dernière étape du papier qu'elle devait rendre le soir même aurait sans doute formé une immense tâche d'encre si elle n'avait pas été faite pour éviter ça. On frappa à sa porte et elle sursauta. Sa plume dérapa, traçant un trait malencontreux sur le parchemin qui avait parvenu à survivre jusque là. Dommage. Elle releva les yeux vers la porte qui ne s'ouvrait pas.
-Entrez, fit-elle.
Un jeune homme – dont elle ne parvenait jamais à se souvenir du nom – entra timidement, muni d'un gobelet de café fumant.
-Bonjour, Miss Weasley.
-Bonjour, hm… Hésita-t-elle sans vraiment s'en préoccuper.
-Jules.
-C'est ça.
Il eut un sourire gêné, comme s'il avait peur de s'imposer, et s'approcha tant bien que mal du bureau où il déposa le café.
-Je… Bredouilla-t-il. Je vous ai apporté… enfin… un… café.
Elle hocha la tête, pensive. Mais elle ne l'écoutait pas vraiment. Elle se demanda si Harry avait reçu sa lettre. Elle se demanda s'il lui répondrait. Harry, lui disait-elle sur le papier. Harry, donne-nous une seconde chance.
Harry, je t'en prie.
Harry, réfléchis.
Harry, je t'aime.
Ses yeux s'embuèrent de larmes mais elle les retint. Elle eut le réflexe de relever le regard sur le garçon aux cafés, mais il était sorti. Une larme coula sur sa joue. Elle savait qu'ils pouvaient s'aimer de nouveau. Elle ferait des efforts. Harry vivait pour son boulot, mais elle s'en contenterait. Elle se fichait de ne seulement faire partie du décor. Elle se fichait qu'il se fiche d'elle. Elle voulait juste qu'il l'aime, encore, un peu. Même si ce n'était pas tous les jours. Même si parfois il oubliait. Même si elle devait se faire toute petite, dans un coin. Même si Malfoy comptait plus qu'elle aux yeux de son fiancé. Même s'il n'était pas là à son réveil, pas là à son couché. Même s'il passait la nuit en traque, même s'il mangeait au ministère. Même s'il ne pensait jamais à elle. C'était normal, voulait-elle se convaincre, il était débordé de travail. Il n'avait pas le temps. Il n'avait pas le temps pour elle. Mais si au moins il pouvait lui dire… lui dire je t'aime, lui dire encore. L'embrasser, peut-être. Sur les lèvres, peut-être.
Elle devait le voir. Elle se leva et prit son manteau au vol. Quand elle sortit de son bureau elle aperçut le garçon aux cafés. Elle l'apostropha.
-Si on me cherche je suis en pause déjeuner ! Dit-elle alors qu'il distribuait le courrier dans les box des non-gradés.
-A dix heures du matin ? Miss Weasley !
Mais elle avait déjà tourné au bout du couloir et elle pénétra dans la pièce des cheminées. Direction, le ministère.
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Le réseau de cheminettes était encombré à cette heure-ci de la matinée. Elle faillit bousculer un homme en complet noir quand elle arriva au ministère, tant la pièce était encombrée. Mais elle avait un besoin viscéral de voir son fiancé et elle parvint en moins d'une trentaine de secondes à se frayer un chemin vers le couloir le plus proche. Une fois là, elle connaissait le chemin du bureau de l'auror sur le bout des ongles. Son cœur battait la chamade. Et s'il avait réfléchi ? Et s'il leur accordait une chance ? Et s'il l'aimait toujours…? Au fond d'elle, elle était persuadée que cette rupture n'était qu'une mauvais passe. Ce ne pouvait être autrement. Elle l'aimait depuis tellement longtemps, ils avaient mis tant de temps à se trouver, ils avaient tant peiné à traverser la guerre…
Elle le vit. Il marchait avec empressement dans sa direction. Il avait l'air pressé, mais il la vit et il ralentit. Elle le prit comme un signe, peut-être que finalement elle comptait pour lui.
-Harry… Tenta-t-elle, pleine d'espoir.
-Ginny, c'est vraiment pas le moment là.
Le ton de l'homme aimé lui coupa le souffle tant il fut sec, froid et distant. Elle se rappela à quel point ça n'avait jamais été le moment, avec lui. Elle tenta de se reprendre.
-Mais tu sais, j'ai réfléchi Harry et… Bredouilla-t-elle. Je pense vraiment que c'est une erreur…
-Ginny, je suis pressé.
-Mais Harry…
Il y avait comme des trémolos dans sa voix, mais elle vit qu'il allait la couper une fois de plus et elle le devança.
-Dis-moi au moins que tu as lu ma lettre ! Supplia-t-elle presque.
-Non.
La réponse fut comme une pierre jetée dans son estomac. Non, il ne l'avait pas lue, non, il n'avait pas réfléchi, non, il ne pensait pas leur accorder de chance. Non, il ne l'aimait pas. Elle peina à déglutir et ses yeux s'embuèrent. Elle voulut le lui cacher, mais il n'y fit de toute façon pas attention.
-Ecoute, continuait-il, elle vient d'arriver, je n'ai pas eu le temps. Maintenant il faut que je parte.
-Harry… Tenta-t-elle une dernière fois.
-Mais il va s'enfuir !
Il s'était énervé, là, soudain. Ses yeux brillaient de fureur et l'adrénaline qui parcourait son corps se sentait même à cette distance. Face à face avec la raison principale de leur rupture, Ginny blêmit. Harry avait du Malfoy plein la tête.
-Oh… Souffla-t-elle. Je comprends.
-Merci, conclut-il, sec, avant de s'enfuir à son tour.
Oui, elle comprenait. Elle comprenait que face à cette traque infernale elle n'avait pas la moindre chance. Elle se souvint de ces nuits où ce qui le maintenait en forme était la fureur de sa haine, et non plus les formes de son corps de femme. Elle se souvint du sentiment de le voir vouloir s'enfuir à tout moment de leur bonheur presque conjugal et de l'évasion de ses yeux sous la tendresse de ses regards aimants. Elle se souvint de l'enfer de leurs jours vides d'amour et pria pour oublier encore. Comme à chaque fois qu'elle se souvenait. Comme à chaque fois qu'elle se souvenait… Et comme à chaque fois elle ferma les yeux très fort et se maudit d'y croire encore.
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Lorsqu'elle rentra chez elle le soir même, dans son appartement vide, Ginny se mit à nue. Littéralement. Elle referma la porte du pied, puis laissa choir ses chaussures sur le parquet froid. Elle marcha vers son salon, fit tomber son manteau, puis sa veste. Elle déboutonna sa chemise, laissa glisser son pantalon.
Elle s'affala sur son sofa, chemise ainsi ouverte, et ramassa au sol une bouteille de vodka entamée. Elle en but une lampée. Puis deux, puis trois. Face à elle, au dessus de la petite cheminée, une photo. Elle la regarda longuement, les yeux vides. La soirée fut longue. Elle finit sa bouteille, en ouvrit une seconde. Face à elle l'image la narguait. Elle but d'avantage. Quand une heure sonna au cloché le plus proche, Ginny gisait, ivre morte, entre son canapé et sa table basse. Malade. Mal.
Sur la photographie en mouvement, Harry l'embrassait avec tendresse.
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Draco
Il faisait sombre, Draco trembla lorsqu'il souffla. Devant lui la porte vaguement entrebâillée semblait le narguer. Pousse-moi, si tu en as le cran… Il leva doucement sa baguette au bout de laquelle brillait un faible lumos. Ses doigts effleurèrent le bois dur du battant. Les gonds grincèrent vaguement. La pièce, vide, sombre, était poussiéreuse. Il fit un pas à l'intérieur, puis deux.
-Des mois, que dis-je… Résonna une voix qui le fit sursauter. Des années que l'on n'a pas eu de visiteur.
Il balaya vivement la pièce de sa baguette allumée. Personne.
-Voulez-vous bien, jeune homme, illuminer le plafonnier ?
-Je ne préfère pas… S'avança Draco. Où êtes-vous ?
-Sur le mur, jeune sot !
L'héritier Malfoy se retourna. Près de la porte, un tableau. Seul.
-La lumière vous effraie-t-elle, jeune inconnu ? Se moqua le portrait.
-Je suis du genre discret, murmura Draco en s'approchant.
-Je vois…
Le portrait avait l'air profondément lassé par la tournure que prenaient les choses. Mais Draco avait mieux à faire que de s'occuper des états d'âme d'un pot de peinture.
-Connaissez-vous Arlang Spart ?
-Oh, oui, le pauvre… Paix à son âme. Il passait ici après la mort de son original, de temps à autres.
Dans la rue un bruit sourd résonna et Draco marcha avec efficacité vers l'unique fenêtre dont il écarta faiblement le pan de l'un des rideaux. Rien.
-Passait ? Souligna-t-il sans quitter le dehors des yeux.
-Voyez vous-même.
Draco laissa retomber le rideau et intensifia son lumos en balayant sa baguette près des murs. Brûlés, brisés, lacérés… nombreux étaient les cadres qui avaient été massacrés. Son cœur rata un battement. Et puis il serra les mâchoires. Un échec, une fois encore.
-Savez-vous où il a pu se rendre ?
-Il fut un temps où il avait des cadres un peu partout en Angleterre.
-Je sais, grinça Draco.
Une impasse. Draco se lassait des impasses.
-Sa demeure sur la côte peut-être, à Clevedon… Songea le portrait.
Mais la rage montait chez Draco et il se retint de justesse de frapper le mur de son poing maintenant serré. Il y était allé, à Clevedon. Comme à Neath ou à Hereford. Comme partout où il aurait pu être susceptible de trouver les dernières traces de cet homme. Son unique porte de sortie, sa dernière chance. Mais les mois passaient et Draco voyait se rétrécir à vu d'œil le halo de lumière de liberté du bout du tunnel. Passer sa vie à fuir… il enfonça sans le vouloir ses ongles dans les paumes de ses mains crispées.
-Ou même Edimbourg… Il me semble que son original a vécu en Ecosse, un temps.
Edimbourg. Draco tiqua. L'Ecosse, vraiment ? Tout ce temps à parcourir l'Angleterre alors que la solution se trouvait peut-être si près de là où tout avait pris fin ? Un autre bruit, identique au précédent, éclata dans la rue. Draco se rua cette fois sur la fenêtre. Un petit groupe d'aurors venait d'arriver par portoloin. Une patrouille. La première fois avait dû être un transplanage. Il tourna la tête vers la peinture.
-Je ne suis jamais venu, affirma-t-il.
Et, dans un bruissement sonore, il disparut.
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Draco dormait depuis quelques jours en plein dans la partie délaissée d'une zone industrielle moldue. Il transplana à près d'un kilomètre de là, s'acheta un lot de sandwichs sous vide, puis fit la route à pied. Le hangar était grand, froid, poussiéreux et humide. Draco s'était métamorphosé quelques couvertures près d'une fenêtre encore en état. Pour pouvoir fuir au plus vite, comme on disait, « au cas où ».
A quelques mètres de ça, un bloc de béton lui servait de table précaire. Il y posa ses sandwichs, en ouvrit un. Il mordit dedans distraitement, réfléchissant. Il ne pourrait pas se rendre en Ecosse si facilement. On le repérerait dès qu'il mettrait un pied sur ces terres. Ses yeux se perdirent au loin. Il n'y était plus retourné depuis… depuis. Il pensa à Pansy. Pansy qui rêvait en ce temps là d'un monde meilleur. Il se laissa un instant aller à la mélancolie. Ce monde-ci n'avait rien de ce que son amie avait voulu pour leurs avenirs. Ou tout du moins lui n'avait-il pas droit à ça. Lui, condamné à… Il tiqua. Non, il paniqua. On venait de forcer l'entrée du hangar. Le bruit métallique et tremblant bourdonnait encore à ses oreilles.
Il se retourna vers la porte de son refuge, maintenant dernier rempart qui le séparait d'Azkaban. Une foule d'aurors devait déjà mettre le lieu sans dessus-dessous. Il voulut courir vers la fenêtre. Il voulut l'ouvrir à la volée et sauter sur le sol de l'autre côté du mur. Et puis transplaner, en dehors des barrages qu'il avait lui-même instauré. Mais on l'en empêcha.
-Malfoy ! Entendit-il dans son dos. Ne bouge plus !
Il obéit. Il aurait pu reconnaître cette voix entre mille, peut-être plus. Il n'avait simplement pas pensé le revoir si vite. Potter était là de plus en plus tôt. C'était dérangeant, mais Potter avait toujours été comme ça. Dérangeant. Draco se retourna lentement vers lui, les mains en évidence. Il ne l'avait pas pensé si près. L'auror le menaçait de sa baguette, d'un geste ferme et assuré. Comme sa voix, comme son regard. Draco eut un sourire sans joie.
-Qu'est-ce qui m'a trahi ? Fit-il.
Potter eut un reniflement dédaigneux. Il n'avait jamais aimé ce genre de conversations, à aucune de leurs rares entrevues, depuis qu'il était en fuite.
-Pour que tu t'améliores ? Lança-t-il. Certainement pas !
Draco haussa un sourcil qui aurait pu paraître amusé dans un cadre différent. Il vit à quel point Potter en fut exaspéré.
-Donc… Reprit-il. Tu n'exclus pas la possibilité que je m'enfuisse ?
-Tu ne sais faire que ça, siffla l'autre entre ses dents.
Draco le prit comme un reproche, et c'en était sûrement un. Il baissa brièvement les yeux. Il n'avait pas besoin de Potter pour appuyer sur ce poids au fond de son estomac. Il releva les yeux dans les siens, décidé. Potter dut remarquer son changement d'attitude, parce qu'il entama un stupéfix. Mais Draco franchit le pas qui les séparait et d'un geste vif dévia le bras de l'auror qui envoya son sort contre un mur. Le baiser fut brutal alors. Draco avait fermé les yeux. Quand il les rouvrit il vit que Potter les avait fermés, lui aussi.
-Un jour, chuchota-t-il contre ses lèvres. Je te le jure.
Et alors qu'il transplanait une fois de plus, les barrages désactivés, il entendit résonner autour de lui le cri de rage de l'auror impuissant.
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Ron
-Je vois ici que vous avez été diplômé des aurors, une expérience de deux ans dans le commercial… ainsi qu'assistant chef au restaurant d'Eston Baie ?
Ronald tenta de sourire mais il était crispé, tendu sur sa chaise. La femme qui lui faisait face, loin d'être intimidante, n'incitait tout de même nullement à la détente. Ils étaient la troisième agence en recherche d'employés qu'il visitait aujourd'hui. Cela faisait des mois, maintenant.
-Et j'en passe… Continuait la sorcière. Et à chaque fois vous avez démissionné… Je peux vous demander pourquoi ?
-Eh bien… Commença Ron, pas assuré pour un sous. Je suis issu d'une grande famille et… et il se trouve que nous avons essuyé des moments difficiles, mais…
-Et qu'est-ce qui me garantie que vous ne ferez pas la même chose une fois chez nous ? Le coupa-t-elle.
Ron ravala la fin de sa phrase, déglutit péniblement. C'était toujours la même chose.
-Je ne sais pas si vous êtes au courant, reprit-elle d'un ton devenu presque méprisant. Mais le pays a lui aussi « essuyé des moments difficiles », récemment. La guerre a affaibli toutes nos entreprises ! Nous avons besoin d'éléments sûrs pour avancer !
Il serra les dents. Et les poings. La pimbêche lui tendit sèchement son CV.
-Et maintenant si vous permettez, j'ai d'autres rendez-vous.
Il aurait voulu claquer la porte en sortant, mais il n'eut même pas la force de ça. Il était las, las de tout ça. Tout ce qu'il voulait, c'était oublier. Il ne voulait pas qu'on lui rappelle à tout bout de champs les horreurs des batailles comme s'il n'y avait pas été. Il ne voulait pas qu'on le pense inconscient des dommages, des pertes. Mais il ne voulait pas non plus le dire, dire qu'il y avait été, là-bas, au cœur de tout. Près du Sauveur, près d'Harry, en pleine guerre. Il ne voulait pas se souvenir de la mort et des cris. Tout cela était devenu trop dur pour lui. La guerre leur avait tout pris. A lui, à tout le monde. A sa famille, à ses amis. A Harry, à Hermione…
Hermione, la douce Hermione.
Il avait été amoureux d'elle, autrefois. Peut-être l'était-il toujours aujourd'hui, mais aujourd'hui plus rien n'était pareil. Son Hermione n'avait plus rien de la femme qu'il avait un jour aimé. Elle s'en était allée, dès les dernières secondes qui avaient sonné la fin de l'horreur. Dès que pour elle l'espoir s'était éteint. Tout espoir de bonheur, la moindre espérance d'amour. Puis ils s'étaient mariés. Lui pour elle et elle pour oublier. Mais rien n'avait pu s'arranger et l'amour profond que Ron lui portait n'avait pas pu lui faire oublier le sort cruel qu'avait subi la seule qu'elle n'eut jamais aimé. Pansy demeurait froid souvenir et Hermione n'était devenue que le vague fantôme de ce qu'elle avait su être.
Il lisait dans ses yeux le lointain espoir tari, et dans son propre cœur la contagion du malheur le rongeait jusqu'à l'âme. Il lui semblait que depuis le Renouveau son quotidien n'était que misère de l'esprit et soupirs de rancœur. Il eut un genre de sourire, vague mélancolie devant son regard perdu. Elle avait été si belle, son Hermione. Cette femme qui aujourd'hui encore partageait avec lui lit et logis. Celle qui aujourd'hui encore savait faire naître en lui ce sentiment si précieux que toujours les hommes poursuivent. Elle était toujours belle, son Hermione, mais sa beauté féline et sauvage de leurs premières années s'était muée doucement en une grâce singulière que l'on ne pouvait approcher. Car elle portait en son cœur un amour inaccessible que même le mariage n'avait pu lui arracher. Et Ron aurait tant aimé être celui qui la ferait revenir du côté des vivants, celui qui lui ferait oublier la solitude d'un cœur meurtri.
Pourtant elle restait lointaine et la bravoure comme la patience de son cœur s'atténuait doucement. Le jeune homme se rendait compte à chaque jour que sa passion s'éteignait et que ce qu'il ressentait pour elle se muait en une tendre caresse, jamais remarquée, jamais répondue. Il savait qu'il fallait lâcher prise, mais toujours il voulait garder auprès d'elle une place salvatrice. Lui tendant sans relâche cette main qu'elle finirait un jour par prendre. Et tant pis si l'amour était mort.
Ses pas l'avaient mené au magasin de ses frères. Il voulut sonner, mais se ravisa. Il sortit de l'une de ses poches un trousseau de clés et ouvrit sans s'annoncer. Il referma derrière lui. Il alla poser négligemment sa mallette sur le comptoir et monta à l'étage. Il frappa trois fois à la porte de l'unique chambre.
-George.
Silence. A l'intérieur rien ne bougea. Il frappa plus fort.
-George ?
Toujours rien. Soupirant longuement, il s'apprêta à frapper encore. Mais dans la chambre retentit un genre de fracas et la porte s'ouvrit brusquement devant lui. Il en sursauta presque. Son frère se tenait droit comme un i, le visage presque froid. Cette vision aurait pu l'effrayer, et d'ailleurs les premières fois il l'avait été. Mais Ron ne fut traversé par rien d'autre qu'une douce vague de mélancolie. Son regard se détendit sous celui de son frère pourtant toujours fixé sur lui.
-Tu me fais entrer ? Demanda-t-il doucement.
George baissa les yeux, le temps d'un instant, et s'effaça pour le laisser passer. Ron alla directement vers le bureau où il s'assit. S'emparant d'une bouteille d'eau posée là, il inspecta brièvement la pièce. Le lit était franchement défait, son frère en caleçon. Il avisa sa montre : midi dix. Il but quelques gorgées.
-Ginny a appelé ? Demanda-t-il en tentant de se faire distrait.
-Non.
George s'assit sur son lit, contre le mur, les genoux ramenés à la poitrine. Il ne défit plus ses yeux de son petit frère, fixés.
-Et avant que tu demandes, elle n'est pas passée non plus.
Le ton était froid, mais il était comme ça, maintenant. Ron baissa les yeux, reboucha la bouteille de plastique. La guerre avait fait voler sa famille en éclat.
-Je te taxe un repas ? Fit-il pour changer de sujet.
-Je ne suis pas sûr d'avoir ce qu'il faut.
Le cadet inspira doucement, puis se leva. Il alla jusqu'à la porte, abaissa la poignée, et se retourna, rien qu'un peu.
-Il faut tourner la page, souffla-t-il.
George tourna vivement la tête vers lui, comme piqué au vif.
-Parce que toi tu la tournes, peut-être ?! S'emporta-t-il.
Ron soutint son regard un instant, mais il savait qu'il ne pourrait rester beaucoup plus longtemps. D'autant plus que George s'était levé, et qu'il avançait.
-Regarde-toi… Disait son frère. Piégé dans un mariage dénué de sens… Tu te raccroches à des souvenirs toi aussi Ronald ! On n'est pas si différents, toi et moi !
Ils se fixèrent de longues secondes ainsi, contemplant dans les yeux de l'autre leurs propres démons, leurs propres fantômes.
-Je sais que je ne suis pas lui, finit par dire Ron doucement.
-Tu n'as rien de lui.
Le cadet déglutit, et sa voix fut presque nouée quand il murmura :
-Je suis ton frère.
-Il était tellement plus que ça…
Et Ron ferma les yeux. Pour contenir le sentiment amer qui perlait à ses yeux tout comme pour ne pas voir la souffrance dans ceux du jumeau aujourd'hui condamné à la solitude. Il baissa la tête, recula d'un pas, d'un seul. Quand il releva le regard vers son frère, George serrait les dents pour s'empêcher de pleurer. Le sentiment d'impuissance qui le saisit alors fut pire encore que l'amertume.
-Je repasserai, promit-il dans un souffle avant de refermer la porte entre eux.
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La porte qui se referma derrière lui à son retour à la maison lui fit l'effet d'un piège que l'on refermait sur lui. Une odeur de pâtes et de tomates chaudes vint jusqu'à lui alors qu'il accrochait son manteau dans l'entrée. Hermione devait faire des lasagnes. Tout semblait si simple. Il n'alla pas à la cuisine. Dans le buffet de la salle à manger il prit des assiettes. Des couverts, des verres. Il pensa au dessous-de-plat. Hermione arriva avec les pâtes quand il finissait de remplir leurs verres de vin.
Il s'assit, elle les servit.
-Tu prends ton service à quelle heure ? Demanda-t-il.
-Vingt-et-une heure.
Ron jeta un coup d'œil à sa montre. Vingt-heure cinq. Son regard se fit plus sombre. Elle ne tarderait plus à partir. Elle ne toucha d'ailleurs pas à son vin. Elle ne lui demanda pas ce qu'on lui avait dit, aux agences. Ça devait se lire sur son visage. Ils mangèrent dans un silence quasi complet, brusquement interrompue par Hermione qui fit racler sa chaise au sol en se levant. Elle s'apprêtait à rapporter son assiette vide en cuisine, Ron l'arrêta.
-Laisse, fit-il. Je ferai.
Elle lui sourit, tendre, et contourna la table pour l'embrasser sur la joue.
-Bonne nuit, lui dit-elle.
-Toi aussi, bosse bien, va sauver des vies.
Elle lui sourit une fois de plus. Ron ne s'était jamais lassé de ses sourires. Surtout de ceux-là, ceux qu'elle ne feintait pas.
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Blaise
Blaise ouvrit les yeux, il se sentait fatigué. Il dormait mal, ces derniers temps. Qui n'aurait pas été dans son cas, dans ces conditions… Il s'assit sur son semblant de matelas et posa ses pieds sur le sol froid. Il se leva, passa une chemise et la rentra négligemment dans le pantalon qui ne le quittait presque plus. Il récupéra sa baguette et la glissa dans sa poche arrière. Il avait mal au dos. Il avait les pieds froids. Il chercha des yeux ses chaussures, les trouva. Les mit. Posée sur la rambarde du couloir ouvert sur le rez-de-chaussée, une cape. Il l'enfila. Devant lui, en contrebas, un homme. Il se figea, cessa de respirer. Ce n'était pas Théo. Il ferma les yeux, les frotta un peu, puis les rouvrit. Son souffle sembla se reprendre doucement. Il se traita d'idiot, puis descendit. Il ne comprenait pas qu'on réussisse encore à le surprendre.
Il se laissa tomber sur une chaise autour de l'unique table et fut tout de même satisfait de faire ainsi sursauter son visiteur.
-Tu m'as fait peur, Draco. Je ne pensais pas te revoir avant… longtemps.
L'héritier Malfoy releva sur lui des yeux blasés. Mais pas de lui, non, blasés de tout le reste. Blaise remarqua qu'il s'était servi du café. Lui-même se prit un bol.
-Potter m'est tombé dessus à Nottingham.
Il hocha la tête, compréhensif. Le café était tiède, mais il voulait éviter l'usage de la magie. Surtout pour des questions de confort. Ils n'étaient plus à ça près.
-T'es là depuis longtemps ? S'informa-t-il.
-Ce matin.
Hochement de tête. Mais Blaise fronça doucement les sourcils. Il n'avait plus vraiment la notion du temps. Il n'avait plus les repères des repas constants, et il ne sortait pas assez pour se fier à la lumière du jour. Il se perdait, lentement, dans un quotidien flou et incertain.
-Et là, il est… ?
-Près de quatorze heures.
-Hm.
Il but une gorgée. Draco avait l'air fatigué, lui aussi. Ça l'aurait étonné que les aurors fassent beaucoup de décentes la nuit. Même Potter. Même pour lui. Il but une autre gorgée.
-Où est-ce que tu as passé la nuit ?
Draco releva les yeux sur lui. Il eut un genre de sourire sarcastique. Blaise ne parvint pas à savoir s'il se jouait de la situation, ou de sa situation.
-Au Lextric, lui dit-il.
Et Blaise eut à son tour une faible esquisse de sourire. Voilà des mois qu'il n'avait plus mis les pieds dans ce Bordel. Mais c'était certain que jamais les aurors ne chercheraient un fuyard dans un endroit comme celui-ci.
-Après ça j'ai fait quelques planques, reprit Draco. Mais les aurors sont partout. Impossible d'avoir accès.
Blaise se fit songeur, l'air grave.
-Ils gagnent chaque jour du terrain, convint-il dans un souffle. On commence tous à manquer d'avance.
Ils avaient eu beaucoup de chance avec Théodore, lorsqu'ils avaient trouvé ce manoir en ruine. Dans les campagnes du Nord, ils avaient moins de chance de se faire repérer par des voisins curieux. Le premier village sorcier était à pas moins de vingt kilomètres. Il se demanda brièvement comment Draco les avait retrouvés, mais après tout qu'importait.
-Tu as vu Théo ? Demanda-t-il soudain, se rappelant qu'il ne survivait pas seul dans ce semblant de bâtiment.
-Oui. On a parlé, un peu. Il est parti acheter quelques trucs à manger.
Et ce disant il fit un vague geste du menton sur la baguette abandonnée là. L'inaperçu était leur priorité.
-Il m'a dit que vous squattiez ici depuis presque un mois, déjà ?
Blaise baissa les yeux. Squatter, c'était tellement vrai. Qui eut cru qu'un jour les héritiers qu'ils étaient seraient condamnés à étaler des matelas défoncés sur des parquets pourris…
-Oui. Je ne pense pas que ça dure encore longtemps. Je suis presque étonné qu'on ne nous ait pas encore débusqués.
Le silence revint alors que chacun faisait comme un point sur sa situation. Blaise souffla. Ce n'était pas vraiment comme si ce qu'il vivait là pouvait porter le nom de situation.
-Et, donc… Tenta son ami. Avec Théo…
Blaise releva la tête tellement vite qu'il crut qu'il allait se déloger une vertèbre. Et puis l'instant passa, il se calma. Une vague de mélancolie, même, le traversa.
-Non, murmura-t-il. Non…
Compliqué. Voilà ce que c'était. Trop compliqué. Ils vivaient de façon tellement précaire, dans des endroits tellement sordides, dans l'attente d'un avenir tellement sombre… Pour le moment tout ce qu'il pouvait espérer partager avec lui, c'était cette pile de vaisselle posée sur la table, leurs seules possessions. Leurs seuls biens.
-Tu sais, il…
Mais il n'eut pas le temps. Les interrompant sans scrupule, la porte près d'eux s'ouvrit sur Théo qui avait lâché toutes ses courses sur le perron. Paniqué, il cria en entrant :
-Aurors !
Sursautant, Blaise renversa son café. Sans s'en préoccuper d'avantage il transplana dans la seconde, abandonnant tout dans cette planque où jamais plus ils ne pourraient remettre les pieds. Draco finit cul sec son bol et l'imita, dans un laps de temps s'apparentant à la demie seconde. Aussi rapide qu'un flash, Théodore récupéra sa baguette d'un accio et, à son tour, disparut Merlin seul sut où. Les aurors enfoncèrent la porte au moment où le bol de terre cuite lâché par l'héritier Malfoy éclata sur le sol.
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Blaise voulut hurler de colère, mais il se contenta de retenir ses larmes de rage. Seul dans cette ruelle aux relents d'ordures, il résista à son envie de se laisser tomber à genoux sur le sol sec et bitumeux. Il rabattit la capuche de sa cape et fut envahi par le parfum de Théodore. Théodore qui, depuis quelques semaines, s'était mis à laisser traîner ses quelques affaires un peu partout dans le manoir. Ses chaussures sous la table, une assiette sur le sol du salon… sa cape sur la rambarde du couloir mezzanine. Une larme chaude roula sur la joue de Blaise Zabini. Il faisait ça comme si… comme si… Comme s'ils avaient été chez eux. Comme s'ils avaient été… à la maison. Blaise serra les poings dans les poches de son pantalon. Ils n'étaient chez eux nulle part. Il sortit de la ruelle et déboucha dans une rue marchande. Le visage ainsi camouflé, il se mêla à la foule. Parce que l'inaperçu était leur seule alliée.
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Dans un monde où la guerre a laissé ses marques, où les aurors traquent sans relâche les derniers fugitifs, où les hommes libres se meurent sous leurs places, la Paix règne. Les choses, jamais, n'auraient pu paraître plus belles. Le monde, jamais, n'aurait pu être meilleur.
A suivre…
Voilà, pour le moment ! Pour ceux et celles qui m'ont déjà lue vous avez peut-être remarqué que je me suis un peu laissée allée sur la "forme", mais j'avais envie de faire ça comme ça, j'espère que ça vous a pas gêné ^_^
Bien sûr vos avis m'intéressent !
En attendant j'espère vraiment que ça vous a plu, et je vous dis à vendredi prochain, 25/07/14 ! :)
Chip.
