Les voitures passaient dans la rue.

Les gens allaient et venaient sur le trottoir.

Il marchait au milieu d'eux, comme si il faisait partit de leur vie.

Mais il ne faisait que marcher.

Il ne faisait pas attention à eux, tout comme ils ne faisaient pas attention à lui.

Il cherchait seulement un mononoke.

Quand avait-il tué son dernier ?

Difficile à dire. Le temps passait tellement vite.

Bien plus vite qu'il ne marchait.

Depuis quand marchait-il d'ailleurs ?

Des heures ?

Des jours ?

Des années ?

Il s'arrêta et regarda autour de lui, pour voir où ses pas l'avaient menés.

Il sourit.

- Regardes où nous sommes. N'est-ce pas... magique ?

De la musique joyeuse.

Plein de lumière.

Des rires.

Une grande roue.

De la barbe à papa...

Il rit et il se retourna, attiré par quelque chose.

Quelque chose d'encore plus doux que l'odeur de sucre qui venait du stand de friandises.

Quelque chose qui venait d'une tente bleue et rouge.

Il s'en approcha et regarda à l'intérieur.

Il rit encore.

- Tu la sens, mon ami ?

L'Autre s'agita, attiré également.

Deux jeunes femmes étaient assises autour d'une petite table avec une boule en verre posé dessus. L'une d'elle était entouré d'une aura verte brunâtre et un frisson le parcouru en ressentant la lueur qui émanait d'elle. L'autre femme, dont l'aura lui était invisible, portait un foulard noir sur la tête et regardait dans la boule comme si elle y voyait quelque chose.

Mais son regard n'allait pas à la boule mais sur la femme. Sur ses habits. Sur ses mains. Sur son sac. Sur ses yeux.

- Oui, je vois... je vois... que vous avez eut une grosse rentrée d'argent.

Facile. Le tailleur qu'elle portait devait sortir tout droit d'une boutique de luxe et était tout à fait en accord avec son style général. Cette femme gagnait bien sa vie... ou avait un mari qui gagnait bien la sienne, vu la bague précieuse qu'elle portait à l'annulaire gauche.

- Je vois aussi... que vous et votre mari venez de faire un voyage.

- Oui, c'est vrai ! Comment le savez-vous ?

Sa peau était très bronzé pour la saison et elle avait un coup de soleil sur le nez uniquement, donc ce n'était pas grâce à une cabine à UV. Cette femme était vraiment naïve... mais à chaque boniment de cette voyante, son aura rayonnait un peu plus.

- Je vois aussi que vous avez des inquiétudes dans votre cœur.

Elle n'arrêtait pas de se triturer la main gauche et de tourner son alliance nerveusement.

- Oui... oui, c'est vrai. Je crois que... mon mari a une maîtresse.

- Oui... je le crains, en effet.

Elle passa la main au-dessus de sa boule de pseudo cristal, un air incertain sur le visage.

- Oui, je les vois. Je suis... désolé, madame.

Elle posa brièvement la main sur la sienne, pleine de sollicitude feinte et la pauvre femme se mit à pleurer. Le vert brunâtre devint rouge boueux. Rouge colère.

- Je le savais ! Avec qui est-il ?

La femme baissa les yeux sur son tailleur, instinctivement et la voyante le vit aussi. Elle aimait son mari. Inconsciemment ou non, elle essayait de ressembler à celle qu'elle soupçonnait de vouloir lui voler son époux, pour le faire revenir vers elle. Elle la connaissait. Ca devait être la secrétaire de son mari. Probablement les cheveux châtains clairs. Elle devait avoir beaucoup de bagues aux mains, parce que la femme semblait peu habituée à porter autant des bagues. Les cheveux courts, peut-être, car elle avait été très récemment chez le coiffeur.

Mais visiblement, son stratagème n'avait pas marché... sinon elle ne serait pas ici, chez une voyante de fête foraine, à cette heure-ci de la soirée.

- Je vois mal son visage. Le bureau est plongé dans le noir. Mais elle est très belle. Elle est... blonde.

La bague s'arrêta.

- Non... pas vraiment blonde. Un peu plus foncé...

La bague recommença à tourner, plus vite qu'avant.

- Mais les cheveux clairs quand même, sans être tout à fait brun. Je suis désolé, ce n'est pas très clair dans la boule.

Mais la femme n'avait besoin de rien de plus. C'était la confirmation qu'elle voulait. La voyante était rusée. Elle savait très bien décryptée les attitudes des humains et leur dire uniquement ce qu'ils avaient envie d'entendre. La femme était dévastée, maintenant mais son aura rayonnait comme il en avait rarement vu depuis... longtemps.

Et cette aura l'attirait comme un moustique vers une lumière.

Kusuriuri s'approcha d'elle, fasciné et tendit la main vers la lumière. Il ferma les yeux, laissant sa chaleur réchauffer son âme si froide.

- Ahh ! Qu'est-ce que...

Il rouvrit les yeux et vit la femme le fixer, effrayée, pressée contre la table. Son aura était devenu rouge, teintée de brun. Rouge peur. Il recula, surpris également d'avoir été percé à jour par son regard.

- Madame ? Qu'il y a-t-il ?

- Il y avait un homme ! Juste ici !

La voyante se leva à son tour et regarda là il se tenait il y a un instant, sans le voir. La femme non plus ne le voyait plus. Elle ne rayonnait plus non plus. Son aura lui était inaccessible, comme les autres.

- Mais... il n'y a personne.

- Je vous assure ! J'ai sentis quelque chose derrière moi et il était là ! Il tendait sa main vers moi !

Il s'approcha à nouveau, se plaçant en face de la femme, se concentrant sur l'aura qu'il avait ressentit avant que l'esprit de la femme ne se ferme. Rien ne se passa.

- Allons allons... calmez-vous ! Il n'y a que nous ici...

Mais la femme était totalement paniqué. Elle manqua de se prendre les pieds dans la chaise, renversée par terre et s'enfuit de la tente de la voyante... qui la regarda, sans comprendre.

- Mais... elle est folle ?

Kusuriuri se retourna vers la sortie de la tente, lentement et tendit la main, comme pour la rattraper. Mais il savait qu'elle ne reviendrait pas.

- Non. Revenez. Regardez-moi...

Il sentit une larme sur sa joue. Jamais il n'avait pleuré depuis son enfance. Une enfance si lointaine qu'il avait du mal à s'en souvenir.

"Ne soit pas triste. Il y en aura d'autres. Et si tu peux sentir leur aura, eux aussi..."

Il l'essuya et sourit, réconforté par Sa chaleur.

- Tu as raison... il y a encore... un moyen.

Il sortit de la tente, sans regarder la voyante bougonner sur la perte potentielle d'une bonne cliente, en redressant la chaise. Il retira ses chaussures tranquillement et s'assit à coté de la tente rouge vif et bleue foncée. Bleue foncée comme le bas de son kimono. Pour attendre celui ou celle, qui lui permettrait d'exister à nouveau.


A suivre...