Lasse, les cheveux sales et les traits tirés, la jeune fille fixait le néant de ses yeux vides. Elle était assise par terre, le dos appuyé contre la froideur du mur de pierre. Ses joues étaient creusées par la faim et la fatigue des nuits sans sommeil. Le noir était total. Entier. La nuit ne portait aucune lumière, seulement les murmures insistants du vent. Pervers, presque sadique. Epuisée, sans aucune force, elle se laissa tomber lourdement sur le tapis épais qui lui tenait lieu de lit. Le temps lui échappait. Bien des lunes étaient passées depuis que la porte de sa prison s'était refermée. Pourtant, malgré son incommensurable souci du détail, elle n'était pas parvenue à les compter. L'éternité était son seul repère.
Bien vite, l'espoir avait laissé place à la fatalité. L'insupportable routine était arrivée. Elle s'était battue, autant qu'elle en avait été capable. Puis elle avait capitulé. Trop faible pour crier. Trop seule pour se battre. Elle ne mangeait pas assez pour vivre mais trop pour mourir. Enfermée dans un supplice perpétuel, elle avait cru que la folie avait emporté son esprit autrefois si vif. Lorsque son corps était devenu trop fragile pour se mouvoir, elle avait pensé que la fin était venue. Pour autant, la vie avait continué de battre en elle. Ultime espoir d'une existence qui n'avait ni présent ni futur.
C'est à ce moment-là que la torture avait commencé. Lorsqu'elle avait vu les barreaux de sa prison bouger, une lueur avait percé son âme en sang. Puis s'était envolée, rattrapée par la réalité la plus cruelle. Au beau milieu d'une nuit assourdissante de silence, ses geôliers l'avaient sorti de sa torpeur avant de la tirer hors de sa cellule. Après plusieurs mètres, elle avait monté un escalier, avant de s'évanouir de fatigue. Ne voulant plus accomplir le moindre effort, son corps avait cessé de fonctionner. Les deux gardes n'avaient pas daigné la porter, au lieu de cela, ils avaient saisi ses poignets et l'avaient trainé jusqu'à une petite salle où une femme aux traits sévères attendait. Le sol, les murs et même le plafond étaient immaculés d'un blanc lumineux, presque aveuglant. La femme avait parlé mais la jeune fille avait été incapable de comprendre la moindre de ses paroles. Alors un éclair rouge vif était sorti du néant.
La prisonnière avait hurlé. Puis les abîmes l'avaient emporté. Ce fut la séance la plus supportable. De toute évidence, elle était trop faible pour supporter les interrogatoires. Ses repas avaient alors augmenté en quantité et en qualité. Croyant à de la clémence, la jeune sorcière s'était nourrie avec une joie non dissimulée. L'enfer lui avait ouvert ses portes. Les séances étaient alors devenues de plus en plus fréquentes et de plus en plus cruelles. Lorsque le pire était venu, le mutisme était apparu. Les interrogatoires avaient alors brusquement cessé et les repas étaient redevenus maigres.
Dans la pesante atmosphère de sa cellule de pierre, la jeune fille avait pleuré. Pleuré jusqu'à ce que son corps se dessèche. Pleuré jusqu'à ce que ses yeux ne puissent plus s'ouvrir. Pleuré. Encore et encore. Mais désormais, il lui semblait que ses réserves étaient asséchées. Tout comme son cœur et son âme. Elle n'était plus qu'une poupée articulée mais vide. Sans lendemain, sans autre perspective qu'une vie de captivité.
Elle voulut remonter ses genoux contre sa poitrine, mais les forces lui manquaient. Alors elle resta immobile, ses yeux noisette rivés sur un plafond que le noir dissimulait. D'aucuns aurait pu la croire morte. Seuls les imperceptibles mouvements de son abdomen permettaient de voir la vie palpiter encore en elle. Sous ses haillons qui n'avaient plus d'autre couleur que celle de la cendre, on ne distinguait qu'un corps squelettique à la peau tellement pâle qu'on aurait pu voir à travers la chair. Ses yeux avaient perdu leur chaleur légendaire et son sourire n'était que souvenir d'une vie passée et révolue. La prisonnière, l'esprit vide de toute pensée, ferma brusquement les yeux et découvrit avec bonheur quelques instants d'inconscience. Toujours immobile, elle dormit d'un sommeil sans rêve deux heures durant.
Aux premières lueurs de l'aube, les esprits de la nature s'éveillèrent, emportant avec eux un sommeil si longtemps attendu. Dans un léger soupir, la jeune fille ouvrit les yeux et tenta tant bien que mal de se redresser. Les jambes écartées, les bras tombants, elle appuya son dos contre la froideur du mur de pierre. Une petite lucarne, cernées de barreaux rouillés, perçait le mur qui lui faisait face. Tandis que ses orteils effleuraient la pierre, ses doigts s'enroulèrent autour de la grille qui faisait office de mur à sa droite. Sa cellule, très étroite, était faite de granit du sol au plafond. Malgré le mur fait de barres métalliques et la petite fenêtre qui laissait passer les rayons du soleil, l'atmosphère était oppressante. De l'autre côté du couloir se trouvait un autre cachot, tout aussi étroit et tout aussi oppressant. Il ressemblait en tout point à la geôle de la jeune sorcière. A la différence que personne ne l'avait jamais occupé.
La prisonnière tenta de prendre une grande inspiration, afin de purger son corps, en vain. Ses yeux observèrent avec attention les couleurs qui peignaient le ciel et ses oreilles écoutèrent chaque bruit provenant de l'extérieur. Ses iris noisette captaient la divine lumière traversant les barreaux de métal. Les rayons du soleil, devenus synonyme de liberté, étaient à portée de main et pourtant définitivement inaccessibles. L'astre brilla rapidement haut dans le ciel, répandant sa chaleur bienfaitrice. Toujours immobile, la jeune fille avait fermé les yeux, laissant la lumière réchauffer un peu son âme.
Sa seule visite fût celle d'un moldu, asservi au maitre des lieux, qui lui apporta un verre d'eau, un trognon de pomme, quelques os de poulets et un quignon de pain datant probablement de plusieurs jours. Le moldu ne lui avait jamais adressé la parole, il savait trop sa peine si jamais il se montrait compatissant envers les prisonniers. Pourtant, après les nombreux mois qu'elle avait passé dans sa prison, la jeune fille avait trouvé dans ses visites quotidiennes, un peu de réconfort. Malheureusement, l'homme, relativement âgé, ne passait qu'une fois par jour par le petit couloir. C'est pourquoi elle fut surprise d'entendre des pas s'approcher de nouveau du cachot. A l'idée que les séances de torture puissent recommencer, son pouls s'accéléra. Sa respiration se fit haletante et la panique envahit son regard d'ordinaire si vide.
Les pas se rapprochèrent. Au bruit qu'elle perçut, la prisonnière constata qu'il y avait deux personnes, probablement des hommes. La jeune fille fronça imperceptiblement les sourcils. En plus des bruits de pas, elle percevait autre chose. Comme un frottement sonore contre la pierre. Il y avait une troisième personne. La sorcière se détendit brusquement. Les geôliers ne venaient pas pour elle. Le raclement rauque provenait d'un captif que l'on trainait sur le sol. Le couloir s'arrêtant aux niveaux des deux cellules, la prisonnière en déduisit qu'un nouvel innocent avait été capturé par les disciples de Voldemort. Son immuable solitude venait-elle finalement de prendre fin grâce à l'impitoyable injustice des Mangemorts ?
« Jette le là-dedans », ordonna un homme à la voix éraillée.
Aussitôt, son complice s'exécuta et sans une autre parole, ils quittèrent les lieux.
Dans la cellule voisine, la jeune fille ne percevait pas le visage de son nouveau voisin. Elle ne voyait que le noir de sa robe de sorcier et le blond de sa chevelure. Un blond presque blanc. Comme il ne semblait pas vouloir reprendre connaissance, la sorcière fixa son regard sur les cheveux pâles de l'homme et attendit. Les secondes devinrent minutes et les minutes devinrent des heures. Exténuée, la prisonnière se fit happer par les abîmes.
De l'autre côté du couloir, l'homme reprit connaissance. La peau blanche, les yeux d'un gris froid, il avait les traits d'un jeune homme. Un jeune sorcier déchu. Il se leva brusquement, épousseta rapidement sa robe et tenta de se repérer. Autour de lui, il ne vit que de la pierre. Et lorsqu'il se retourna, il retint de justesse un cri d'effroi. Face à lui, parfaitement immobile, le cadavre d'une femme reposait. Non, ce n'était pas une femme, c'était une jeune fille. Son visage émacié, entouré de mèches brunes particulièrement sales, était repoussant. Son corps déformé reposait par terre, appuyé contre le mur, telle une poupée abandonnée par un enfant.
Soudain, le jeune homme perçu un léger mouvement, comme un soubresaut. Peut-être un réflexe post-mortem. Non, sa poitrine se soulevait. Lentement, imperceptiblement. Elle était vivante. Le sorcier aurait été incapable de dire pour combien de temps, mais elle était vivante. Une brève lueur de soulagement se lut dans son regard avant de disparaitre, laissant place à l'indifférence. Il savait que la plupart des prisonniers du Château étaient des traitres à leur sang ou, bien pire, des sang-de-bourbe. Peut-être était-il le seul à n'avoir pas sa place. C'était pour cela qu'il avait lutté lorsque les Mangemorts avaient débarqué au manoir familial. Lorsqu'ils avaient torturé son père sous les yeux de sa famille, à tel point que le patriarche des Malefoy avait voulu en finir. Puis ils l'avaient tué.
Dans une monstrueuse avalanche de colère, Drago avait sorti sa baguette et lançait autant de maléfice qu'il en connaissait. Incontrôlable, il avait blessé sa mère, avant de s'effondrer. La douleur avait été foudroyante, comme une balle en pleine tête. Sauf qu'il n'en était pas mort. Au lieu de ça il avait été fait prisonnier et emmené dans les terres les plus profondes d'Angleterre, au Château de Salazar. Il se savait impuissant, seul face aux Mangemorts. Il n'avait aucun intérêt à résister aux disciples de Voldemort. Alors il attendrait. Un jour, bientôt, quelqu'un viendrait le libérer.
Le sortant de ses pensées un Mangemort, suivi d'assez loin par un serviteur moldu, approcha de sa cellule.
« Malefoy fils. Seul héritier de sa maison et orphelin de père. La honte des sang-purs. Duncan ! », ordonna l'homme au visage masqué.
Dans la seconde qui suivit, le petit homme chauve fit glisser un plateau de nourriture dans le cachot de Drago. Quelques fruits de saisons entouraient un grand verre d'eau. Les couleurs qui parsemaient le plateau juraient avec le gris brut du granit de la geôle.
« Pour une raison qui m'échappe, poursuivit l'homme, le Seigneur des Ténèbres semble croire que tu peux encore lui être utile. Il a ordonné que l'on te nourrisse convenablement jusqu'à ce qu'il décide que ta peine a été purgée. Ne t'attends pas pour autant à ce que je te traite avec respect. Le fils d'un lâche ne mérite que la mort. »
Même derrière son masque, Drago pouvait sentir le rictus de dégout qui tordait le visage de son geôlier. La tête haute, le regard perçant, le prisonnier tenait droit. L'homme fit un signe de tête discret au vieux moldu qui ne demanda pas son reste et disparut au fond du couloir. Le Mangemort s'approcha davantage de la grille de métal, son visage s'arrêtant à quelques centimètres de celui du jeune sorcier. A cette distance, Drago pouvait distinguer sa respiration sifflante et ses yeux noirs où brillait une haine non dissimulée.
« Tu devrais être mort, murmura l'homme à travers ses dents serrées. Et, bientôt, tu le seras. »
Comme un défi, un insolent sourire en coin se dessina sur les lèvres du prisonnier. Ses yeux gris et froid comme la glace, fixèrent les iris noirs qui lui faisaient face. Déstabilisé, le Mangemort vacilla. Dans un grognement de rage, il tourna les talons.
« Comment va ma mère ? » demanda Drago d'une voix assurée.
Le geôlier s'arrêta de surprise. Décontenancé, il fit une erreur et revint sur ses pas. Cette fois, il se planta à bonne distance du prisonnier.
« Elle est vivante, c'est tout ce que tu as besoin de savoir. Le reste ne dépend que de toi Malefoy. Si tu coopères alors le Seigneur des Ténèbres sera clément envers ta mère. Dans le cas inverse… »
L'homme laissa sa phrase en suspens. Il n'avait nul besoin de la finir, Drago connaissait la sentence réserver à ceux qui contrariaient Lord Voldemort. Le sourire malfaisant qu'il devinait sur le visage du Mangemort lui fit serrer la mâchoire à s'en briser les dents.
« Tu as de la chance que ton sang soit pur », siffla l'homme.
Son regard se posa sur la prisonnière inconsciente de la cellule en face. Un petit rire sadique s'échappa de sa gorge et il poursuivit dans un sourire radieux :
« Ce n'est pas le cas de celle-ci ! »
A son tour, Drago regarda le visage de la jeune fille. Malgré la pâleur morbide de son teint et les creux inquiétant dans ses joues, elle lui sembla brusquement familière.
« Qui est-elle ? l'interrogea le prisonnier.
- Une sang-de-bourbe, elle ne mérite même pas d'avoir de nom. Si les choses continuent à ce rythme, même elle ne se souviendra pas du sien.
- Quel est son âge ?
- Je me fiche de son âge. Tout ce que je sais c'est qu'elle a étudié à Poudlard avant d'atterrir ici. »
Drago se pétrifia. Cette fille, qui ressemblait à un cadavre, avait été une de ses camarades d'école. Bien vite, il se reprit. Sang-de-bourbe. Elle méritait ce qui lui arrivait.
L'homme fixa de nouveau son regard sur le prisonnier.
« Dans une heure, un serviteur viendra t'apporter tes vêtements de prisonnier. Ta robe de sorcier sera brûlée et ta baguette détruite. »
Le jeune homme déglutit avec difficulté. Sa baguette faisait de lui un sorcier puissant. Sans elle, il n'était définitivement plus rien. Voyant son trouble, le Mangemort sourit de plus belle. Puis dans une série de révérences grotesques, il acheva le prisonnier.
« Bon appétit, Monseigneur ! »
Un rire tonitruant se fit entendre jusqu'à ce que l'homme disparaisse au fond du couloir de pierre. Dans la cellule voisine, un frémissement alerta Drago. Le cadavre prenait vie.
Tirée de sa léthargie par un bruit étrange ressemblant à un orage lointain, la sorcière ouvrit péniblement les yeux. Ses yeux vides se fixèrent sur le jeune homme en robe noire du cachot voisin mais sa vision demeura floue. Drago, lui, percevait très nettement le visage de la jeune fille s'animer. Il perçut ses paupières frémir, et ses yeux s'ouvrirent. Il perçut aussi la couleur de ses iris, un noisette intense, qu'il s'imaginait autrefois chaleureux. Il s'accroupit et agrippa les barreaux de sa cellule. Se concentrant sur les yeux embrumés qui le fixaient, des souvenirs d'une autre vie lui revinrent.
Il vacilla puis tomba lourdement sur le sol de pierre. Sans qu'il ne sache pourquoi, son pouls s'accéléra brutalement.
« Non ! C'est… impossible ! », murmura-t-il.
A genoux sur le granit, il écarquilla les yeux. La lueur qu'il avait, une fraction de seconde, perçut dans le regard mort de la prisonnière avait brisé son cœur. Il la connaissait. Eclairant son maigre visage de quelques rayons de lumière, le soleil descendant agit comme un flash sur les souvenirs de Drago. A la place de la jeune fille squelettique, il vit une élève. Une élève brillante aux cheveux bruns. Une élève avec de caractère, livres à la main.
C'était elle, il en était convaincu. C'était elle. Hermione Granger.
