C'est tard à Parsemille, dans une soirée d'automne encore tiède, alors que les infirmières se relaient pour sourire à la nuit, que les couches occupées frémissent d'une dernière agitation entre dresseur et Pokémon, et que le sommeil serre les rêves les uns contre autres, qu'une jeune fille souhaite échapper du haut de ses quinze ans, à l'oubli qui s'étend sur la ville entière depuis le créspuscule.
Elle décide de quitter le centre où se reserrent ces bras invisibles et que rien n'arrête, accompagnée d'une camarade qu'elle sait capable de les repousser quelques instants.
Partout où ses pieds marchent, sa longue robe noire glisse comme le spectre d'un bal.
Ses grands yeux bleux se déposent sur chaque alentour qu'elles rencontrent, les dévisagent intensément mais sans s'y attarder autrement, comme si les reflets des ruelles vides et des maisons éteintes lui étaient tous familiers.
Comme si l'angoisse terrible qui infecte la nuit était soumise à son regard.
Comme si elle régnait sur les ombres de l'invisible.
Grâce à Sidérella, à ses yeux sous son ordre, à sa robe qui la suit, Echo se sent la douce maîtresse de la nuit.
Le victorieux cortège s'immisce sans bruit hors de la ville puis sur les routes. Sur les allées de poussière, les ténèbres s'écartent du chemin que leur progression délivre.
Echo prend une grande inspiration.
"Qu'il est bon l'air du soir." souffle t-elle à sa compagnie.
Celle-ci lui sourit légèrement, en lui rendant d'un oeil presque sévère, un murmure de son cri.
La jeune fille se tourne ensuite vers les ombres qui les précèdent encore, rêvant à ses futures victoires.
Il y en a soudainement deux plus distinctes, détachées du fond de la nuit, qui surgissent comme des plantes devant elles... Le coeur palpitant, Echo s'arrête : son Pokémon en fait autant, légèrement en arrière ; donc sans pouvoir remarquer les deux apparitions un peu plus loin. Elles paraissent en équilibre sur le bord gauche du chemin, entre l'herbe et la poussière. Il n'y a nulle part aucune trace de leur venue ; le sable n'a pas fait d'empreinte, l'herbe n'a pas bougé, la forêt n'a pas crié...
Leurs formes sont imprécises et ont l'air de changer constamment, comme un mirage déformant les dimensions. Aussi hautes que son Sidérella, ces créatures inquiétantes sont semblables à des illusions que la nuit aurait jetées sur le monde lorsqu'elle le hante et le recouvre.
Leurs formes se précisent un peu plus ; à mesure que la jeune fille s'avance toujours vers eux, comme attirée par un appel d'outre-tombe. Ils ont de plus en plus l'air, dans son esprit, de reflets du passé, de revenants lâchés sur terre pour ramper parmi les vivants, jusqu'à ce que le jour délivre ces derniers.
Elles ne sont qu'à quelques pas d'elle.
E-Elles ont bougé...
De mouvements très lents et très vagues, comme si le temps les avait mangés.
Mon dieu, Arceus...
Et par un pas de plus, en avant, la jeune fille reconnaît une des deux formes, pour sûr elle vient d'en quitter un au centre précédent...
Un Naméouïe.
Mais qu'est-ce que...?
La figure de droite est bien un Naméouïe. Exactement la même que celles qui chuchotent poliment dans tous les centres Pokémon. Excepté que celui-là, a l'air sauvage.
En accomplissant quelques pas supplémentaires, Echo parvient à identifier la seconde forme, la plus à gauche.
C'est un humain. Un peu plus imposant qu'elle. Il porte un sac, une casquette. C'est un dresseur. Et un garçon.
Il frappe le nez du Naméouïe avec des pichenettes sans forces. Caresse son front, ses oreilles et ses antennes distraitement. Tandis que le Pokémon acquiece de petits gémissements douceureux, sûrement comblé de trouver une personne pour lui faire des caresses dans un telle profondeur de la nuit.
Et si ce Naméouïe était le sien ? Il n'y avait pas que les infirmiers pour les capturer non ? Probablement.
Soudain, la tête naïve, joufflue, et bienheureuse du Pokémon se tourne vers elle. Et la fixe gentiment. Echo voit ensuite le visage du dresseur se tourner vers elle avec une lourdeur similaire.
Il ressemble un peu à Nate.
"...Excusez-moi, j-..." Balbutia t-elle.
Il semble à peine plus vieux qu'elle, même si les traits et les ombres de ses joues et de ses yeux sont fatigués et creusées. Son menton et ses bas-joues sont couverts d'un duvet brun. Echo en est un peu dégoûtée.
"...Il est à toi ce Nanméouïe ?"
L'inconnu la fixe sous la casquette qui affine son regard ; celui-ci n'a rien de mal intentionné ou d'aggressif. Il paraît simplement épuisé, mais avec une certaine force, une sorte d'animalité dans les iris. Comme un pokémon blessé. La jeune fille en a un peu pitié.
"Moins que le Sidérella qui t'accompagne, je suppose." Émet-il avec une intonation gutturale.
L'énoncée plante d'ailleurs enfin sur eux une attention toute particulière, alors que dans la nuit oubliée, les deux dresseurs et pokémons se font face.
Quelques minutes plus tard.
Assis l'un à côté de l'autre entre les brins de verdure s'humidifiant déjà, elle ne termine pas d'en découvrir en trifouillant l'herbe. Lui ne finit pas de contempler le ciel étoilé. Mais elle n'arrive pas à en apprendre plus sur lui. Elle imagine qu'il serait en fait une apparition du destin, présentée à elle pour lui indiquer la voie à suivre, répondre aux questions qui peuvent l'être.
"Et tu crois que... je finirai par y arriver ?
-Si tu crois en ce que tu fais, tu y parviendras forcément."
Toujours sans une aperçue claire de lui, ou de sa nature, Echo se penche les bras croisés sur ses genoux. Elle murmure, éxaspérée, en considérant son Sidérella, en train d'admirer les étoiles un peu plus loin devant eux tendue vers le ciel telle une danseuse :
"...Croire, c'est toujours ce qu'il y a de plus dur ?"
Le jeune homme lui répond comme il l'a fait avant ; en caressant la tête du Nanméouïe sur ses cuisses, les deux mains reposées sous l'oreille :
"Croire en ce que l'on veut c'est facile. Croire en ce que l'on a, généralement c'est plus compliqué. Pourtant c'est toujours avec ce que l'on a qu'on obtient...
-...ce que l'on veut." Dit-elle en même temps qu'il l'énonce aussi.
Ceci attire à elle le regard froid et doux de l'inconnu. Elle le fixe timidement, et sourit.
Elle jure que lui aussi, elle l'a vu étirer légèrement ses lèvres, dans l'ombre.
Et elle a envie... tellement envie... de rester avec lui. Ou plutôt qu'il reste avec elle ; que tout demeure paraître aussi possible que depuis qu'il est là, aussi réalisable.
Elle aimerait avoir toujours pu croire en elle et en ce qu'elle possède qu'elle y croit maintenant.
En cet instant précis.
Que tous ses voeux se réalisent. Ce sera maintenant ou peut-être jamais...
"Nous-...
-Tout est question d'Idéal et de Réalité."
Elle revient entièrement vers lui, et le trouve encore contemplant les astres brûlants.
"Lequel au prix duquel ? Je ne sais pas s'il y a de vérité pour ça... C'est peut-être à toi de décider."
La voilà perdue. Elle a soudain l'impression qu'il est parti sur une route différente de celle qu'ils ont arpentée jusqu'alors.
Est-il un véritable humain finalement ? Existe t-il comme elle dans la caresse de cette nuit ?
Est-ce qu'il y est seul ?
Et inaccessible...
Il poursuit peut-être lui aussi quelque chose sur cette voie ; malgré la souffrance qu'il a l'air d'en tirer. Ses yeux, ses traits...
Est-ce parce que cette voie est la sienne, à lui, et qu'elle n'a pas le droit de le rejoindre ni d'interférer avec sa course ? Est-ce que ça veut dire qu'elle doit emprunter un autre itinéraire, même si ça revient à se séparer de lui et à ne pouvoir le rejoindre ? Jamais ? Est-ce que c'est cette voie, la sienne, qu'il vient de lui indiquer ? Elle ne sait plus rien, et a tout d'un coup trop de questions surgissant dans sa tête à lui poser.
Mais elle les oublie toutes pour l'instant, possédée par la peur soudaine de le perdre, sans rien connaître de lui, ni rien avoir pour le retrouver.
"Et ce Nanméouïe... tu as une équipe ?"
Il a un sursaut amusé, et il répond :
Il me fait du bien."
Echo se souvient d'un extrait de l'article du pokédex concernant cette espèce pokémon :
Son ouÏe est si développée qu'il arrive à juger de la santé des gens, [...] de leurs émotions.
Un premier indice attestant de sa connaissance en Pokémon. C'est bien un dresseur.
Mais c'est subitement son propre Pokémon qui attire leur attention.
"Quelque chose ne va pas Sidérella ?"
La créature vient de se poster devant le dresseur inconnu. Elle le fixe, comme à son habitude, le dévisageant de haut en bas, cherchant quelque chose qu'elle seule peut intercepter. Et lorsqu'elle semble l'avoir trouvée, une lueur sombre vient passer dans ses yeux et elle émit un long gémissement plaintif :
Rouuuuuuu-uu-u-u...
"Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a Sidérella ? Qu'est-ce qui ne va pas ?" S'enquit la jeune dresseur en se rapprochant précipitamment de son pokémon, et se penchant sur lui, alors qu'il continue de fixer l'invisible. "Dis, tu crois que..."
En se retournant vers l'inconnu et le Nanméouïe, elle réalise avec effroi qu'il n'y a rien derrière elles. Ils viennent tous les deux de disparaître.
Ils ne se sont pas relevés pour s'éloigner. Non, ils ont disparu. Ils se sont volatilisés. Comme des apparitions, des ombres.
Echo sent une brise qui lui souffle sur le visage, une vague froide. Il y a un son qui s'éteint dans ses oreilles. Un ultime souffle de vie parmi la noirceur léthale de cette nuit.
Echo fixe l'obscurité où ils ont existé. Quelque chose les y a peut-être avalés.
Le Sidérella accentue brusquement ses mugissements désespérés, en s'agitant convulsivement dans les bras de sa maîtresse.
En revenant de l'obscurité où le dresseur et le Nanméouïe ont disparu, la jeune fille tente d'apaiser son Pokémon.
"Sidérella ! Attends, calme-toi ! Qu'est-ce qui t'arrive ?! Sidérella !"
Ryaaaaaaaaaaaaaaaaahh !
Elle sent la peur lui remplir l'estomac et la saisir au coeur, lui donnant envie de vomir. Si violemment que des larmes commencent à chauffer dans ses yeux, tandis qu'elle devient presque sourde à n'entendre plus que le gémissement continu du vent envahir sa tête.
"MAIS CALME-TOI !" crie t-elle à l'être secoué contre sa poitrine serrée. "JE T'EN PRIE SIDÉRELLA ! C'EST MOI !"
D'un coup, le Pokémon se calme enfin. Son agitation cesse aussi brutalement qu'elle avait commencée, et le pokémon n'émet plus qu'un triste appel à sa maîtresse.
Rentrons.
En pleurs désormais, Echo est essoufflée de soulagement en constatant le retour du silence. Elle serre puissamment sa camarade dans ses bras, autant pour soulager son Pokémon qu'elle-même. Elle renifle, remuée de petits sanglots calmés le long de ses joues humides, puis elle relève la tête et entrevoit à travers le voile de ses larmes, l'espace constellé qui ne les quitte pas. C'est à ce moment que lui revient un autre souvenir des articles du Pokédex, concernant les Sidérella :
Il prédit l'avenir à partir du mouvement des étoiles et devient triste après avoir aperçu l'espérance de vie des Dresseurs.
