Le sol froid.
Ma première sensation : le sol froid et humide, un peu visqueux. De la terre. Et une odeur. Du sang. Mon sang.
Soudain, la douleur me frappe de plein fouet. J'essaie de bouger mon bras. Impossible.
Des cris derrière moi me remettent les idées en place. Il faut fuir, et vite.
Je parviens à me lever et commence à courir. Chaque parcelle de ma peau est à vif. Chaque goutte de mon précieux sang dégouline à travers les tatouages qui recouvrent mon corps.
Ils arrivent. Je dois fuir. Avant qu'ils ne recommencent.
J'entends leurs cris sauvages et leurs rires gras. Ils sont sûrs de m'avoir, mais je leur laisserait pas cette chance. Le feu nouveau qui coule dans mes veines donne à mes jambes la force de les distancer. Ils s'arrêtent, étonnés et reniflent les arbres. Mais il est trop tard.
Car dès que j'aurais atteint la maison de l'autre côté de la rivière, j'aurais gagné.
Je me retourne. Deux yeux noirs m'observent depuis un fourré. Mon sang se glace. Je suis paralysée par la peur. Il s'approche. Le sourire qui fend son visage n'a rien d'humain. Des canines immenses et pointues débordent au dessus de sa lèvre.
C'est un vampire.

J'ouvre brusquement les yeux.
Le rêve, encore une fois. Je ferme les les yeux. Il est là, toujours aussi réel, toujours aussi tenace. Toujours le même.
Je monte me débarbouiller dans la salle de bains. Il est sûrement trop tôt pour qu'un autre pensionnaire soit déjà levé. J'en profite pour me laver entièrement dans le baquet. Je n'aime pas que les gens voient mes tatouages. Ils font partie de moi. Aussi loin que je me souvienne, ils ont toujours été là.
Je m'habille, et profite de ces minutes inespérées pour m'inspecter dans la glace. Je sursaute. Il y a longtemps que je ne me suis pas observée de si près. Je fais peur à voir. Des cernes violettes creuses mes joues sans mélanine. Mes cheveux blancs me donnent l'air d'une vieille femme. J'enfile un sweat à capuche pour les protéger du soleil. Quelle idée de vivre à Vegas lorsqu'on est albinos ! Aurait-je seulement pu atterir dans un autre endroit ?
Je descends au réfectoire le plus silencieusement possible pour ne réveiller personne. Arrivée en bas de l'escalier, je pousse un soupir : je m'étais trompée, trois personnes sont déjà attablées devant leur ration de petit-déj', un morceau de pain, une pomme et une boisson chaude.
Je me sers et m'assoie avec eux en silence. Ici, le silence signifie la honte. Alors je baisse les yeux comme tout le monde et boit mon café.


Je m'appelle Maria. Maria qui ? Maria tout court. Je n'ai pas de parents, pas d'amis, pas de lien quelque qu'il soit avec la société. Mon premier souvenir tangible remonte à mes quatorze ans. J'étais seule à l'hôpital, prisonnière d'un lit aux draps aussi blancs que ma peau. Une infirmière s'était approché de moi, et avait changé mes poches de calmants sans voir que j'étais réveillée. Au delà, que du rêve, des flashs et des éclairs.
Je déteste les hôpitaux.
Quand j'ai eu seize ans, le foyer à décidé que je pouvais me débrouiller seule avec deux cents dollars, un sac de fringues et trois élastiques pour cheveux. Depuis, j'ai dû mendier et dépenser les deux cents dollars, et j'ai perdu un des élastiques. Mais je suis toujours vivante. Quel exploit.
Je regarde la pendue au mur de la salle de déjeuner. Il est sept heures dix. Il me reste un quart d'heure pour emballer mes maigres affaires dans mon sac et quitter la pension. Pour revenir ce soir. A moins que je ne trouve du boulot. Ce qui n'a a peu près aucune chance d'arriver. Je fais une boule avec mes habits, la fourre dans ma valise informe, enfile ma capuche, fait un dernier tour pour vérifier que je n'ai rien oublié.
Avant de quitter les lieux, quelque chose m'arrête. Je me retourne. Il m'a semblé... Il m'a semblé voir une ombre sur ma fenêtre. Je soulève le rideau. La lumière du soleil m'aveugle et je referme précipitamment. Encore une hallucination.

Tôt le matin, le métro de Vegas à une odeur de déception, de retour de fête et de transpiration. Je colle mon visage contre la vitre et regarde les affiches défiler. L'une d'elle attire mon attention. La rame est arrêtée, j'ai donc tout le temps de la lire. A moitié déchirée, elle me fait un peu pitié pour le type représenté dessus.

"A feu et à sang"
Le nouveau show flamboyant de l'illusionniste Peter Vincent, le plus grand chasseur de vampires de tous les temps.
Renseignements au 856 1041 1871

Je soupire. "Plus grand chasseur de vampires de tous les temps" ? Allons bon. Les vampires n'existent pas. Et ce ne sont pas les pentacles et stigmates gravés à même ma peau qui vont me prouver le contraire. Ce type n'était qu'un showman à la dérive, et les suçeurs de sang dévoreurs d'âme, c'était démodé. Depuis que les vampires étaient devenus sexy et sensibles, il devait avoir perdu toute sa popularité.
La journée avance et la rame continue son tour. Je laisse aller ma tête contre la vitre et ferme les paupières.

Je me retourne. Deux yeux noirs m'observent depuis un fourré. Mon sang se glace. Je suis paralysée par la peur. Il s'approche. Le sourire qui fend son visage n'a rien d'humain. Des canines immenses et pointues débordent au dessus de sa lèvre.
C'est un vampire.

La rame s'arrête. J'ouvre brusquement les yeux. Encore ce cauchemar... Je soupire. Soudain, mon coeur rate un bond.

Il m'a semblé le voir, derrière un des innombrables bidons qui bordent la voie ferrée vers la banlieue de Vegas. Avec ce même regard pénétrant qui me donne envie de fuir à toutes jambes. Ça n'a duré qu'une seconde, et pourtant je me sens tellement mal à l'aise que je descend de la rame deux arrêts avant le mien. Je ne me rend compte de mon erreur quand les portes sonnent.

-Oh non merde !

Je donne un coup de pied dans la borne de passage des tickets et sort à l'air libre. A cette heure ci, le centre de Vegas est aussi désert que la banlieue. Les gens dorment, où travaillent. Il n'y a que les clochards pour se promener dans les rues comme ça.
Je m'étale sur un banc et prend un quotidien dans une poubelle. J'ai raté mon rendez-vous pour le job de vendeuse chez Spencer, alors je n'ai plus que ça pour tuer le temps. Après une longue et ennuyeuse lecture des actualités, je décide de l'ouvrir à la page des annonces d'emplois. Aucune n'est assez intéressante vu mon niveau de qualifications (rien du tout), à l'exeption d'une, très intriguante :

GARDE D'ENFANTS
Urgent - Père seul cherche nourrice permanente pour enfant de 5 ans et demi. Logement sur place. Salaire à négocier. Disponible pour RDV de 10h à 17h. Renseignements au 856 1041 1871

Je jette un coup d'oeil au reste des annonces, puis y revient. Je suis dubitative quand au Logement sur place et au salaire à négocier. Quand à la garde d'enfants... j'ai déjà gardé le chien de madame Walters quand celle-ci a quitté la pension pour aller vivre chez son fils. Bon, le chien est mort au bout de trois jours (Jimmy mon voisin de chambre avait ouvert la porte, une voiture est passée et un ballon de foot sauvage s'est sauvé dans la rue... ce n'était pas ma faute) mais je pense être qualifiée... En plus ce numéro me dit quelque chose Je décide d'appeler.
Une cabine de téléphone et quelques piécettes plus tard, quelqu'un décroche le combiné à l'autre bout du fil. Je suis surprise : c'est une voix féminine.

-Allô, hôtel particulier Vegas Fire Blood, j'écoute.
-Euh... Bonjour... je m'appelle Maria... je...

Je ne m'attendais pas à tomber sur un secrétariat. De toute évidence, cet homme a un poil d'importance. Quand à l'hôtel particulier... Peut-être que le "logement sur place" n'était pas du chiqué. Je me rattrappe.

-J'appelle pour... pour l'annonce. De garde d'enfants.

Un instant de blanc au bout du fil, avant que la fille ne semble se souvenir de quelque chose.

-Ah oui ça ! Je vous transmet sur la ligne de monsieur Vincent.

Le téléphone sonne dans le vide quelques instants avant d'entendre sa voix. Je sursaute. J'ai l'impression de le connaître depuis toujours.

-Allô ? Je balbutie.
-Oui, allô, ici Peter Vincent à l'appareil. Qu'est-ce que vous me voulez ?

Son ton est raide, un peu agressif. Sa voix rauque épuisée par la cigarette et l'alcool est un peu pathétique. Je m'attendais à un jeune homme un peu paumé. J'essaie d'imaginer cette homme là avec un gamin de 5 ans et demi. La paire est assez improbable. Ça me déstabilise.

-Je... oui... je suis Maria... je... j'appelle pour votre annonce pour la garde d'enfants.

De nouveau, un silence dans l'appareil, avant qu'il ne me lance d'une voix à la fois nerveuse et soulagée :

-Venez tout de suite. J'ai besoin de vous.