Prologue : Les pleurs que ramène la pluie

Année 978 du Troisième Age, Bree.

Les jours sombres ne cessaient de s'enchainer. Les armées du Mordor gagnaient en puissance et la présence de Sauron ne faisait que s'intensifier. Tous le sentaient, tous le savaient mais personne n'avait le pouvoir de s'opposer à ce funeste destin. Les orcs étaient partout, dans les campagnes, dans les déserts, dans les montagnes et même au-dessus. Chacun vivait dans la peur et se cachait quand venait la nuit pour se soustraire aux malédictions qui couraient la campagne. Pourtant, ce n'était pas une porte en bois et un toit en chaume qui protégeraient ces malheureux de leur sort.

Bree était une grande ville humaine. Elle comptait beaucoup d'habitants et tous se connaissaient. Elle était protégée par une grande muraille qui faisait le tour des maisons afin de s'élever comme rempart entre eux et l'extérieur. Personne n'entrait ou ne sortait sans passer sous l'œil des gardes. Cette surveillance n'était pas due qu'aux tant redoutées attaques de Sauron puisqu'une vingtaine de malheureux gardes n'y changerait rien. Elle servait surtout à surveiller le ballet incessant de visiteurs et marchands qui traversaient la ville, venant des 4 coins du pays, grâce aux routes qui reliaient Bree au reste du monde.

Il pleuvait ce jour-là. Le ciel était sombre, accordé aux heures funeste qui se déroulaient, et personne n'aurait su dire s'il était midi ou minuit. Des trombes d'eaux se déversaient, elles chutaient silencieusement des nuages et s'écrasaient violemment au sol, créant un bruit continuellement assourdissant. Les rues étaient désertées et les seules personnes que l'on pouvait y apercevoir couraient pour s'abriter dans leurs maisons ou étaient des mendiants et animaux errants qui s'entassaient en se recroquevillant dans les ruelles surplombées par les toits pour espérer se soustraire à la rage du ciel.

Une jeune femme marchait dans les rues. Elle était trempée jusqu'aux os et portait un seau remplit avec difficulté. Il débordait à cause de la pluie et elle renversait un peu de son contenu à chaque pas mais elle n'y prêtait pas attention, le sol et son propre corps étant déjà imprégnés d'eau. Ses cheveux noirs collaient contre ses tempes et le chignon qui retenait ses mèches folles se défaisait un peu plus à chaque pas tandis que sa robe dont on ne distinguait pas la couleur épousait chaque forme de son corps en lui apportant une sensation de gêne.

Elle manqua de trébucher plusieurs fois mais se reprit à temps avec agilité. Elle descendit une ruelle et sentit les pavés qui tentèrent une fois de plus de la renverser. Elle soupira en continuant sa route. Les maisons étaient allumées de l'intérieur et éclairaient suffisamment son passage pour que ses yeux voient. Elle vit quelques personnes lui lancer des regards haineux au travers des vitres avant de s'éloigner quand elle levait les yeux. Laborieusement, elle continua son chemin jusqu'à l'extrémité de la ville.

Alors qu'elle arrivait au point le plus bas de la côte, le chemin pavé s'arrêta au bord d'un chemin et de l'autre côté ne se trouvait qu'un sol terreux. La pluie avait creusé des trous à force de persévérance et avait créée des flaques immenses un peu partout. Ici, se trouvait une maison à l'écart. Elle était de l'autre côté du chemin qui longeait les enceintes et semblait prête à s'écrouler. Les planches de bois qui la tenaient debout étaient humides et vermoulues et le toit en tuile rouge était rongé par la moisissure et la pluie. Une clôture brisée l'entourait et ne procurait guère de protection contre les malvenus. A l'arrière, on devinait une cour et un bâtiment annexe. Rien de plus.

Elle s'en approcha, franchit la barrière d'un enjambée et reposa violemment son pieds à cause du poids qu'elle portait. Elle pesta quand il s'enfonça dans une étendue d'eau et que ses chaussures qui avaient un tant soit peu échappées à l'averse se remplir de liquide. Rapidement, elle s'avança vers la porte pour enfin se mettre à l'abri. Elle l'ouvrit d'un coup de pied et le battant alla furieusement claquer contre le mur adjacent. Elle fut soulagée lorsque ce dernier ne céda pas. Le phénomène s'était déjà produit et ce n'était pas le moment que ça arrive, elle n'aurait pas la force, l'envie et même la possibilité de le réparer. Elle posa le seau d'eau dans un coin et referma la porte. Une fois que l'air arrêta de s'infiltrer à l'intérieur elle soupira.

La maison comptait trois pièces en tout. La première était la salle à manger-cuisine où elle se trouvait, la deuxième la chambre de ses parents et la troisième sa chambre. La salle à manger était complètement plongée dans l'ombre. Les vitres étaient heurtées par la pluie sans répit et brouillait la vue au dehors. Elle ne pouvait apercevoir que les formes des lumières des maisons à plusieurs mètres. La pièce était dans les ombres. Les meubles paraissaient froids et l'absence de vie dans la pièce conférait au tableau une sensation de peinture morte lugubre.

Elle avisa le sol sous elle en sentant les gouttes d'eau dévaler le long de son visage et de ses cheveux. Calmement, elle essora ses longs cheveux ébènes qui ondulaient déjà sur les longueurs et elle les rejeta en arrière afin d'avoir plus d'aisance dans ses mouvements. Ses yeux marron s'attardèrent sur sa robe. De base, elle était faite dans une étoffe gris perle mais l'eau l'a rendait bien plus foncée. Le vêtement ne pourrait pas être séché avant un moment mais elle devait se changer au risque de tomber malade et de tremper toute la maison. D'un pas léger et inaudible, elle alla vers sa chambre. Elle n'alluma aucune lumière, ses yeux voyaient aussi bien dans la pénombre que de jour. Elle avança vers son coffre en bois et se baissa pour l'ouvrir.

- Astíriel, est-ce toi ? demanda une voix faible et rouée dans la pièce. La jeune fille enfila une nouvelle robe violette à la hâte, reprit le seau et se dirigea dans la dite pièce.

- Oui père, je suis revenue, répondit-elle en posant l'eau à côté du lit.

La pièce était plus chaude que le reste de la maison puisqu'elle contenait la seule cheminée. Ce brusque changement de température la fit frissonner, elle ne s'était pas rendue compte que son corps était gelé à cause de la pluie... Le lit double qui était contre le mur avait été déplacé près de l'âtre et un homme y était allongé, alité et incapable de faire le moindre geste. Il était vieux, il avait 70 ans et ses cheveux blancs en témoignaient. Il portait une barbe mal-rasée et ses yeux verts contrastaient avec sa peau basanée de paysan. La jeune fille porta une main au front de l'homme et constata qu'il n'avait plus de fièvre. C'était une bonne chose. Alors qu'elle faisait ce geste, les yeux du malade se posèrent sur elle et l'examinèrent. Ses traits usés par le temps se durcirent.

- Tu ne devrais pas sortir par ce temps, tu risques d'attraper un mal, la gronda-t-il. Elle leva les yeux au ciel.

- Et qui te soigneras si je ne le fais pas ? Je ne vais pas te laisser ainsi, je suis ta fille ! s'emporta-t-elle en retirant sa main de son visage.

- Tu sais aussi bien que moi que ce qui me ronge n'est pas une maladie Astíriel. Je suis un vieil homme fatigué par la vie, bientôt, je m'en irais pour les cavernes de Mandos. Elle se figea.

- Tu te mets à parler comme mère maintenant, elle aussi parlait tout le temps de Mandos et des Valar, pourtant ils n'ont jamais rien fait pour nous aider ! se révolta la jeune fille.

- Ne blasphème pas ma fille, tu apprendras un jour que lorsque la fin est proche beaucoup d'Homme se mettent à croire…

- Et bien ça ne m'arrivera pas !

- Comment peux-tu en être sûre ? La mort est bien loin de toi…

- Je suis une elfe ! Pas un Homme ! Elle darda ses yeux emplit de rage sur son père qui sourit doucement.

- Tu me rappelles ta mère lorsque tu agis ainsi, elle aussi avait cette fougue…

Astíriel se radoucit. Elle savait que son père avait aimé sa mère de tout son être.

Sa mère était une elfe qui se prénommait Edlenn. Elle était magnifique et les souvenirs qu'elle avait d'elle étaient nombreux. Pourtant, dans chacun d'eux, elle revoyait une elleth aux cheveux bruns et aux yeux marrons souriante et pleine de vitalité. Sa mère avait vécu une idylle autrefois lors de ses jeunes années et avait eu un amant, chose rare pour les elfes qui chérissaient l'amour. C'est à ce moment qu'elle était tombée enceinte d'elle et qu'elle avait fui de la Forêt Noire pour ne pas avoir à rendre de compte à ses semblables. Elle était certaine qu'ils l'auraient mal pris et qu'Astíriel n'aurait été qu'un martyre. C'est pour cela qu'elle avait traversé les montagnes et avait atterrit à Bree où elle avait rencontré Fréa. A l'époque, il était un homme de 20 ans vigoureux et actif. Edlenn était tombée sous son charme et le sentiment avait été réciproque. Astíriel était née juste après leur mariage et Fréa l'avait élevé comme un vrai père. Si bien qu'elle le considérait comme tel. Ils ne lui avaient jamais cachés qu'elle n'était pas sa vraie fille et elle s'en fichait. Les parents étaient ceux qui élevaient les enfants et non les géniteurs. Elle ne connaissait pas son vrai père. Sa mère ne lui avait jamais dit qui il était et elle ne souhaitait pas le savoir. La mort de sa mère avait été un évènement tragique il y a 30 ans et elle avait eu du mal à surmonter cette douleur alors qu'elle voyait son père mourir à petit feu.

- Je ne veux pas que tu partes comme mère… dit-elle du bout des lèvres. Je vais me retrouver seule…

- Ecoute-moi ma fille…commença-t-il en parlant lentement à cause de sa difficulté à respirer. Ta mère est partie bien trop tôt, 525 ans est un âge bien dérisoire pour un elfe et tu le sais… Nous t'avons enseigné tout ce que nous savions sur nos cultures respectives. Nous sommes fiers de toi, hélas, je suis un Homme et ma vie n'égalera jamais la tienne… Chéries cette vie mon enfant, cette vie que ta mère et moi n'avons pas eu. Tu n'as que 53 ans, tu dois vivre plus, tellement plus.

Il fut pris d'une quinte de toux violente que la jeune elfe calma en le faisant boire. Elle releva sa tête en le soutenant par la nuque puis le reposa doucement.

- Promet-moi que tu vivras longtemps Astíriel, des milliers d'années, promet-le moi, dit-il à bout de force comme s'il cherchait un réconfort. Il plongea ses yeux dans ceux de sa fille qui brillaient.

- Je te le promets père, je vivrais, pour toi et pour mère. L'Homme secoua la tête.

- Non ma fille, vis pour toi et toi seule. Elle pinça les lèvres et s'assit sur le lit. Les couettes ne s'affaissèrent presque pas sous son poids.

Elle sentit la main de Fréa se poser dans la sienne puis se retirer. Il ne restait qu'un petit objet en métal dans sa paume qu'elle regarda attentivement.

- La clé de la trappe ?! s'exclama-t-elle.

- Je pense qu'il est temps que tu l'aies, ta mère aurait voulu que tu hérites de ses affaires.

Astíriel approcha l'objet de sa poitrine et le serra fortement contre elle. Elle permettait d'ouvrir la trappe au fond des écuries où se trouvait le refuge de sa défunte mère. Elle ne savait ce qu'il restait à l'intérieur mais elle avait toujours voulu y aller. Pourtant, l'accès lui avait toujours été interdit et son père n'avait eu le droit d'y aller que quelques fois.

- Père, cela ressemble à des adieux, ne me dis pas que tu renonces à te battre, dit-elle en lâchant son présent du regard. Un sourire las naquit sur les lèvres de l'homme allongé.

- Je ne peux plus me battre mon enfant j'ai déjà suffisamment lutté, un Homme ne peut pas vivre éternellement. Je dois partir. Astíriel étouffa un sanglot et elle sentit ses yeux s'embuer de larmes.

- Je ne veux pas… Pourquoi ? Les elfes ne sont-ils pas censés être assez sages pour accepter la mort ? Ne pensent-ils pas que le cycle est une chose normale ? Alors pourquoi ai-je si mal ? geignit-elle entre deux sanglots en se laissant tomber sur le torse de son père.

Elle sentit ses soubresauts s'accompagner de la respiration lente et difficile de l'être cher sous elle.

- Les choses ne sont pas aussi faciles Astíriel, tu apprendras avec les années, la sagesse n'est pas innée. Elle sentit la main de son père caresser ses cheveux humides. Est-ce que tu peux chanter ? Mes pauvres yeux ne te voient plus, j'aimerais que mes oreilles entendent ta voix…

Elle entendit la voix de son père butter contre les derniers mots alors que sa gorge ne semblait plus vouloir laisser passer l'air.

Elle prit une inspiration et entama un chant elfique, le même que sa mère chantait sans arrêt... Les paroles étaient douces et chantantes et elle l'avait appris dès son plus jeune âge. Avant, elles le chantaient ensembles dans les grandes plaines entourant Bree, l'air était nostalgique mais aujourd'hui, il était plus triste que jamais. Il ressemblait plus à une litanie et était empreint de toute la peine d'Astíriel. Sa voix s'éleva majestueusement dans la pièce et puis plus haut encore alors qu'elle formait des notes aussi graves qu'aigues.

( watch?v=zFp9qGtqrbw) Tous les crédits de la chanson leurs reviennent et je n'ai fait que traduire en français la traduction anglaise (ce qui peut avoir altéré la qualité des paroles). Pour ceux qui veulent les voir sur Youtube vous pouvez taper "Forest Elves - Lullaby from a distant land".

Hön'marën kena-uva kala

Mon cœur verra la lumière

Indönya ullumeá

Nos cœurs devront être l'éternité

Nör'ande sëra mi lorien

Va de l'avant, repose-toi dans le monde des rêves

Îm'eri ratö naya

Je serais bientôt là

Larya nîn mëlissè

Attends-moi mon amour

Le sinte îma sinomë

Tu sais, je suis là

Ána sama lemî oloorë

Pour te rejoindre dans tes rêves

Le ar'uunèr ana kaurë

Tu n'as rien à craindre

Uur'anor wannëa

Le soleil ardent se lève

Isilme va'arya

La lune nous protège

Telume siila tere

Les étoiles du paradis brillent au travers

Na'are utumno wanya

Les flammes de l'enfer s'évanouissent

Erüma, helkàda

Une voix solitaire, froide et grave

Raanè ressè

Errant seule

Lörna à'kuilä

Endormie mais encore éveillée

Vàrna mi'olör

Sauve en rêve

Türma ei ràumo

A l'abri de la tempête

Sinomë

Ici

Alors que sa chanson prenait fin, elle sentit sa voix s'écorcher contre les syllabes et la langue elfique qui paraissait si mélodieuse se transforma en un amas de pleurs et de sons qui s'entrechoquaient. Elle réalisa qu'au milieu du chant, elle avait entendu son père soupirer le nom de sa mère et son torse n'était pas remonté.

Elle avait peur de lever les yeux vers le visage du mort. Elle ne voulait pas être hantée par cette image toute sa vie. Elle attendit, les yeux ouverts contre la couette sur le ventre de Fréa, prostrée alors que sa tête tournait en boucle sur du néant, le néant qui l'entourait. Elle finit par se redresser, ses bras se rabattirent contre son corps en longeant les couvertures et ses yeux fixèrent le mur en face d'elle. Doucement, elle tourna sa tête et fit face au corps de son père inerte. Il avait des yeux mi-clos, vides et la bouche entrouverte figée dans un petit sourire. Il ne bougeait plus du tout. Elle passa une main sur son visage pour fermer ses yeux et ne bougea pas. Elle caressa sa joue et fit le tour de ses lèvres qui s'étirait en un sourire. Avait-il vu sa mère avant de partir ? Etait-il heureux ? Ou peut-être était-elle venue le chercher pour l'emmener avec elle ?

Astíriel sentit sa peine revenir au galop quand quelques minutes plus tard son père était toujours immobile. Elle avait espéré qu'il revienne d'entre les morts ? Futilité ! Si ce que ses parents croyaient existaient, elle savait d'ores et déjà que Mandos gardait jalousement ses visiteurs avec lui. Elle se pinça les lèvres et ses yeux se mirent à briller. Elle ne put retenir plus longtemps le cri de détresse qui s'échappa de sa gorge et qui mourut en pleurs alors qu'elle s'effondrait par terre en agrippant les draps du lit.

Au dehors, on entendait les hurlements de tristesse s'élever dans l'air mais la pluie les coupaient en les rabattant au sol, les empêchant de faire leur chemin jusqu'aux cieux.


Bonjour à tous ! Alors voilà le prologue de ma fanfiction sur LotR, dites-moi ce que vous en pensez ! Je reviendrais bientôte avec la suite ^^.