Disclaimer : namco
Notes : ficlette écrite pour la communauté livejournal 5_sens sur le thème "Point de départ". Le titre du chapitre vient d'une chanson de Black Sabbath, les informations sur l'enfance éventuelle de Mitsurugi sont tirées de mon ami wikipédia et largement brodées par ma petite tête.
War Pigs
Il fallait être plus bâté qu'un âne pour vouloir une ferme dans une province assise sur les bords de la mer intérieure. Il fallait ne pas voir bien loin pour s'acharner dans la terre grasse et limoneuse de la province de Bizen ; le sol, là-bas, n'était pas fait pour le grain, pour les récoltes ou pour les bœufs.
Le sol, boueux et noir, était juste bon à y laisser barboter des cochons, rogneux, gloutons, toujours bruyants, et à abandonner à leur garde le plus inutile de ses enfants.
C'était lui, des quatre fils du fermier, le plus jeune, malingre petite tête noire à sa naissance, grandissant, pousse sauvage, sous les railleries de ses frères qui lui trouvaient l'air idiot à cause de la masse de ses cheveux, plus longs et drus que les crins d'une carne.
Il était le petit porcher ; quand les autres peinaient à la terre et aux champs, menaient les bestiaux maigres à leur fourrage, il restait là, dans la cour de la ferme, à agacer de son bâton les bêtes pataugeant dans la gadoue.
Il n'était bon qu'à ça, répétait-on, trop rêveur et distrait pour seulement s'appliquer à lire, compter ou écrire – quelle importance cela aurait-il eu de toute façon qu'il sache ouvrir un livre ? – trop court sur pattes, à huit ans, pour pouvoir enchaîner le pas de ses aînés, tous sortis de leur mère des années avant lui.
Il n'était bon qu'à ça. Nourrir les porcs et tresser dans les joncs des badines avec lesquelles il leur grattouillait les flancs.
Un jour, pour se moquer, un de ses frères lui offrit un katana de bois, taillé grossièrement dans la branche d'un arbre, racontant qu'il faudrait bien qu'il apprenne à se défendre d'eux si les cochons gourmands décidaient de le bouffer tout cru.
Il n'avait pas réellement cru la chose possible, c'était des animaux somme toute assez stupides, se contentant tout le long du jour de grogner au soleil ou sous la pluie, dévorant en un rien de temps le contenu de leur auge et ne faisant rien de plus que de se laisser rouler dans leur carré de paille et de boue au moment de la digestion, rien dans tout ça qu'on puisse, même à dix ans, trouver réellement menaçant.
Pourtant, il était moins idiot que ce que ses frères se plaisaient à insinuer, il savait bien que, loin de la ferme, en bordure de mer, au pic de la province, des hommes faisaient parler en leurs noms de vrais sabres, brûlant encore du feu des forges, et que, bientôt, ce seul langage-là serait celui qu'on entendrait.
Il le savait parce qu'il avait vu, souvent, passer devant chez eux des cavaliers en armures, toujours menaçants et rudes quand ils s'arrêtaient pour se servir au broc d'eau, dédaignant néanmoins ce petit garçon crotté qui les buvait de ses yeux sombres quand ils se désaltéraient.
Ces passages, aussi rares et pressés qu'ils soient, avaient suffit à éveiller en lui une envie d'être l'égal de ces hommes-là, et une honte lourde, poisseuse comme le mélange de terre et de déjections animales qui croûtaient sur ses pieds, de n'être en fait qu'un petit rien du tout.
Dès l'instant où il se trouva incapable d'accomplir les petites tâches porcines qui étaient l'essentiel de son quotidien sans ressentir l'urgence de laisser là et les bêtes et l'ensemble de sa famille, il décida qu'il deviendrait lui aussi un porteur d'épée.
Il avait douze ans, et débuta son apprentissage en détachant à coups furieux de son sabre de bois l'écorce de tous les arbres qui entouraient la ferme : il fallait bien commencer quelque part.
