13.09.2015. A quelques heures de la fin du monde.
Résumé complet : "Hard is trying to rebuilt yourself, piece by piece, with no instruction book, and no clue to where all the important bits are supposed to go to."A long way down, Nick Hornby. (« Il est difficile de se reconstruire soi-même, morceau par morceau, sans mode d'emploi et sans la moindre idée de l'endroit où sont censés aller tous les bouts importants », Vous descendez ? Nick Hornby)
Trois ans ont passé depuis la fin de la guerre. Le Ministère a entamé de nombreuses politiques pour reconstruire le monde magique. Mais quelques coups de baguette magique et de jolis messages ne peuvent suffire à réparer tout ce qui a été brisé. Passée l'euphorie de la victoire, les survivants se retrouvent isolés, des étrangers dans un monde désenchanté. Rentrer à la maison sera plus compliqué qu'ils ne se l'étaient imaginés. DM/HP
Ratings & Avertissements : Fiction T, pour l'instant. L'univers est plutôt sombre mais rien de trop traumatisant en principe.
Disclaimer : L'univers de Harry Potter appartient à J.K Rowling ainsi qu'à la Warner. Je ne possède que cette intrigue.
Note de l'auteur : Après des années d'absence, je suis de retour dans le monde de la fanfiction. Je voulais inventer mon propre monde, mes propres personnages, mais je crois que j'ai vu trop grand, trop vite. J'ai failli me perdre moi-même et j'ai même fini par détester faire ce que je croyais aimer le plus au monde : écrire.
Alors, un peu honteuse, je suis rentrée chez moi et Harry m'a redonnée le goût des mots. Le monde de la fanfiction est confortable, peut-être trop. Peu importe, je ne suis pas prête à voler de mes propres ailes. Pas encore. Créer et porter seule tout un univers est difficile. Ecrire en solitaire est impossible. Je garde ça pour plus tard. Mes rêves sont trop gros pour que je risque de les perdre de vue.
Cette nouvelle histoire est sûrement plus sombre que celles que j'ai écrit auparavant mais c'est ce que je voulais. J'ai besoin de quelque chose de plus mature, d'un peu plus ambitieux, malgré tout, mais sans trop de prise de tête non plus. Je sors un peu de mon cadre habituel en vous proposant plus que le simple point de vue de Harry. J'espère que ça vous plaira et je compte sur vous pour des retours – bons ou mauvais.
Rythme de publication : En principe – j'ai bien dit en principe – un dimanche sur deux. J'ai envie de préciser début de soirée mais pour l'heure, je préfère ne rien dire, je me laisse le temps de décider et de m'organiser. J'ai des chapitres d'avance ça peut ne pas durer.
Citation du chapitre : « Après tout, l'un des principaux effets de la guerre est qu'elle décourage les personnes d'être des personnages. » Abbattoir 5, ou La Croisade des Enfants, Kurt Vonnegut Jr
1
Secrets
Un ciel de plomb écrasait la mer de métal, semblable à un couvercle qui, par moments, se craquelait d'éclairs. Il ne pleuvait pas mais une brume épaisse enveloppait la forteresse et l'écume des flots déchaînés s'écorchait contre les roches noires de l'île.
Leurs longues capes traînant derrière eux tels des étendards maléfiques, les Détraqueurs flottaient tout autour de la prison. De longs râles putrides s'échappaient de leurs cagoules et ils glaçaient l'atmosphère, répandant dans leur sillage une terrible odeur de mort et de désolation.
Un homme sortait tout juste du bâtiment. Ce n'était pas tout à fait ordinaire : durant les dernières années, il avait été plus courant d'emprisonner les gens que de les libérer. L'homme, d'ailleurs, semblait conscient de la rareté de sa situation et il considérait avec une certaine gravité l'endroit où il avait été enfermé des années durant. Une femme très ronde, vêtue d'une robe pervenche frappée du sigle doré du Ministère de la Magie, le suivait de près. Elle brandissait sa baguette magique au-dessus de leurs têtes et un Patronus en forme de dauphin se chargeait de maintenir les Détraqueurs à la distance règlementaire.
« Vous savourez la liberté ? »
Ils entamèrent, l'un derrière l'autre, la descente des marches qui menaient à l'embarcadère.
« Non. J'ai envie de dégueuler », répondit l'homme d'une voix rauque.
Effectivement, son visage décharné et cireux ne rayonnait ni la joie ni la santé. De grosses poches sombres soulignaient son regard éteint, ses épaules voûtées lui donnaient l'allure d'un vieillard. A côté de l'employée aux joues fraîches et aux imposants bourrelets, il ressemblait à un cadavre à peine exhumé après une bonne décennie passée dans un cercueil.
« Ne vous inquiétez pas, c'est normal… Vous vous sentirez mieux quand nous aurons rejoint la côte. »
L'employée parlait d'un ton monocorde. Elle se contentait de répéter son texte, sans s'intéresser à l'homme une seule seconde. Il sentait qu'elle n'éprouvait aucune sympathie pour lui, pas même une once de pitié. A vrai dire, il était même convaincu que ses airs professionnels masquaient un dégoût profond.
« Nous y sommes presque, ajouta-t-elle. Une barque nous attend. »
Au passage de quelques marches en piteux état, elle hésita à le soutenir, comme elle l'aurait fait avec un malade ordinaire, mais elle interrompit son geste avec un frisson. Il le remarqua, sans pour autant prendre la peine d'en faire la réflexion à haute voix.
Il continua de mener leur progression, d'un pas étonnamment assuré, ses mains enfoncées dans les profondeurs des poches de la robe trop grande fournie par le pénitencier. Le fracas de la mer se rapprochait de plus en plus et, bientôt, ils atteignirent les pontons de bois. Sous l'assaut des vagues, ils paraissaient bien fragiles, tout comme la vieille barque moisie qui les attendait.
« On dirait une condamnation à mort, constata l'homme en observant la houle.
— Ne vous inquiétez pas. Installez-vous à l'avant, vous risquerez moins d'y être malade.
— Je serais malade même si je reste sur la terre ferme, de toute façon », dit l'homme d'un ton amer.
Il s'assit néanmoins à l'avant du bateau et l'employée le suivit. De manière peu rassurante, la barque s'affaissa de plusieurs centimètres supplémentaires dans l'eau.
« Je suis sûre que ça va aller... Dès que nous aurons quitté l'île, vous vous sentirez beaucoup mieux, vous allez voir... L'orage va retomber. »
Elle parlait sans le regarder et elle entreprit de diriger l'embarcation avec sa baguette. La barque se mit à filer sur la mer sombre, le dauphin argenté bondissant joyeusement autour d'eux, de retour dans son élément naturel.
« Dès que nous aurons rejoint la côte, nous allons rentrer au Ministère, expliqua l'employée. Vous signerez quelques papiers et vous pourrez démarrer une nouvelle vie.
— Cool », maugréa l'homme.
L'employée eut un sourire très nerveux.
« Vous aurez rendez-vous avec moi deux fois par semaine. Je serai votre agent de probation. Le Ministère s'efforce d'assister les anciens prisonniers dans le cadre de leur réinsertion à la vie civile... On va vous aider à trouver un emploi, ou alors vous pourrez reprendre des études...
— Rendez-moi un service, s'il vous plaît. »
Elle s'interrompit et le dévisagea avec de grands yeux troublés. Elle ressemblait à un bambin obèse.
« Lequel ? demanda-t-elle d'une voix hésitante.
— Fermez votre gueule. »
Son visage se tordit d'une grimace choquée et elle parut sur le point de rétorquer. Elle referma cependant la bouche après quelques secondes d'hésitation.
« Merci beaucoup », dit l'homme.
La barque avançait très vite et, à part le son des vagues, tout redevint très calme. L'homme avait presque oublié ce qu'était le silence. Les cellules d'Azkaban étaient toutes très bruyantes : jour et nuit, les prisonniers monologuaient, hurlaient ou sanglotaient. On avait l'impression que ça ne s'arrêtait jamais, que ça ne s'arrêterait plus jamais.
Quand ils furent suffisamment loin de la prison, le ciel et la mer changèrent de teinte. Un soleil d'été était apparu. Les vagues se faisaient de plus en plus douces, presque tendres. Et, au loin, la côte anglaise se découpait, scintillante sur l'horizon.
« C'est beau, n'est-ce pas ? risqua l'employée en surprenant son regard.
— C'est supportable », admit l'homme à contrecoeur.
Il se passa les doigts dans les cheveux et une pleine poignée lui resta dans la main. Avec tout ce qu'il avait perdu en trois ans, il était surpris d'en trouver encore qui tombaient. Dès qu'il aurait rempli ces fichues formalités avec le Ministère, il allait courir s'arroser la tête de potions. Mais il ne se faisait pas trop d'illusions : il savait qu'il avait laissé sa beauté et sa jeunesse loin derrière lui et que rien n'allait les lui rendre.
L'employée nota le coup d'œil mauvais qu'il jeta sur les mèches fines entre ses doigts et se détourna avec pudeur.
« Désolé de vous imposer ce spectacle, railla l'homme.
— J'en ai vu d'autres », répondit l'employée.
Mais elle continua de fixer obstinément la mer, pointant toujours sa baguette vers l'avant, de sa main impeccablement manucurée
Ils accostèrent le long d'une plage déserte et l'employée amarra le bateau sous l'expression indifférente de l'homme. Elle recouvrit l'embarcation d'un sortilège de désillusion.
« On ne le voit plus, là ? » lui demanda-t-elle.
Elle recula de quelques pas, ses talons hauts s'enfonçant dans les galets. L'homme haussa les épaules. Il s'en fichait pas mal.
Ils remontèrent par un sentier côtier plutôt raide. L'employée était hors d'haleine tandis que l'homme déguisait tant bien que mal sa fatigue. Ils finirent par atteindre un hameau de quelques maisons. Comme dans tout village anglais qui se respecte, l'une d'elles s'avéra être en réalité un pub et l'homme comprit vite qu'il s'agissait de leur destination.
Un carillon résonna dans la salle quand ils franchirent le seuil mais le son ne dérangea personne. Il n'y avait pas un seul client. L'unique occupante des lieux était une serveuse boutonneuse visiblement très occupée à bâtir un château d'allumettes sur le comptoir.
« Vous m'offrez une pinte ? » proposa l'homme à l'agent du Ministère.
Il lorgnait sur les tonneaux bien remplis. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas senti l'alcool lui réchauffer la gorge et une envie subite de whisky Pur Feu le prenait. Mais un regard sans équivoque lui répondit.
« L'aubergiste loue sa cheminée. Nous allons juste utiliser la poudre de Cheminette pour nous rendre au Ministère. »
Elle se dirigea vers la serveuse et lui glissa un petit rectangle de carton sous le nez.
« Bonjour, Natacha Brooks, Ministère de la Magie, se présenta-t-elle en agitant sa carte. Je souhaiterais utiliser votre cheminée.
— Cinq mornilles par personne », réclama la serveuse en continuant d'empiler prudemment ses allumettes.
Brooks fronça les sourcils.
« C'était quatre mornilles la dernière fois.
— C'est le tarif de l'année dernière. On a augmenté les prix. Après tout, vous avez bien augmenté les impôts. »
Brooks soupira, pour la forme, déposa dix mornilles sur le comptoir et se dirigea vers l'arrière salle. L'homme vit clairement la jeune fille ranger huit mornilles dans la caisse et en glisser deux dans sa poche. Mais comme, à ses yeux, voler le Ministère, ce n'était pas vraiment voler, il ne dit rien. Qu'est-ce que le Ministère avait à foutre de deux mornilles de toute façon ? Il emboîta le pas à Brooks.
La cheminée du pub était toute délabrée mais un feu vivace l'animait.
« Vous d'abord », dit Brooks.
L'homme jeta une pleine poignée de poudre dans l'âtre. Avec un grondement, les flammes grandirent et se teintèrent de vert émeraude. Le regard de Brooks pesait lourd contre son dos quand il entra dans la cheminée en lançant :
« Atrium, Ministère de la Magie ».
Il se sentit aussitôt transporté par un tourbillon et il manqua de tomber à genoux lorsque ses pieds heurtèrent à nouveau un plancher solide.
L'atrium avait beaucoup changé depuis sa dernière visite, lors de sa condamnation. A l'époque, l'immense hall était en pleine rénovation. Une multitude d'ouvriers s'occupaient alors de casser le parquet de bois foncé, de dépecer le monument « La Magie est Puissance » ou de repeindre le plafond. Les travaux étaient désormais terminés et l'atrium bouillonnait d'employés vêtus de robes de toutes les couleurs, de civils ainsi que de vendeurs de journaux ou de sandwichs. Le plafond avait été transformé en gigantesque panneau d'affichage sur lequel défilaient les nouvelles nationales ou internationales mais aussi les heures des différentes réunions, les communiqués internes et les déclarations de différents chefs de service. Enfin, le sol avait été dallé et une nouvelle sculpture trônait au milieu du décor. Elle ressemblait beaucoup à la Fontaine de la Fraternité Magique mais il n'eut pas le temps de chercher les différences : Brooks l'avait rejoint.
« Dépêchons », dit-elle.
Elle lui attrapa le bras avant de le lâcher très vite, comme si elle s'était brûlée, et se mit à trottiner en direction des ascenseurs. L'homme la suivit en allongeant le pas.
Il s'était plus ou moins attendu à attirer les regards pourtant personne ne semblait lui prêter la moindre attention. Peut-être avait-on déjà oublié à quoi il ressemblait… De plus, comme si Brooks voulait minimiser les risques qu'il soit reconnu, elle choisit une cabine d'ascenseur vide et appuya sur le bouton du niveau deux avant que quiconque ait pu les rejoindre.
La montée lui sembla interminable, même si elle prit tout au plus quelques minutes. Il étouffait et il retint un soupir de soulagement lorsque la cabine s'arrêta et que les portes ouvragées s'ouvrirent.
Ils longèrent un couleur étroit tapissé d'une moquette épaisse. Brooks s'immobilisa devant une porte à côté de laquelle était accrochée une plaque « Département de la Justice Magique – Service Administratif du Magenmagot ».
Ils entrèrent dans une vaste salle organisée en open-space. Dans la plupart des box, un employé du Ministère s'occupait d'une personne, parfois accompagnée, et lui faisait signer des piles de paperasses en parlant à voix basse.
« Par ici », dit Brooks.
Ils s'installèrent dans un box désert. Le bureau était bien rangé même s'il n'y avait pas beaucoup de matériel pour travailler : le côté gauche était encombré par une grosse boîte pleine de gâteaux, une petite bouteille de soda magique Bubble Star (« De la boisson en bulles ! »), un échantillon de flacons de vernis à changement de couleur et une photo de famille où Brooks prenait l'essentiel de la place. Du côté droit, une quinzaine de dossiers se superposaient en une pile bien nette.
Brooks sortit un encrier et une plume d'un tiroir. Elle les posa devant elle et prit le premier dossier de la pile. Elle le feuilleta rapidement puis revint au début. Une photographie de l'homme, vieille de près de trois ans, figurait sur la première page. Il eut presque du mal à se reconnaître lui-même et compris mieux l'absence de réaction de la foule, quelques minutes plus tôt.
« Comme vous le savez, vous avez été gracié en raison de la surpopulation de la prison d'Azkaban, bien que, normalement, vous ayez encore huit mois à purger. Votre dossier a été validé par le Juge Ericsen mais sous certaines conditions, expliqua-t-elle. Vous devrez notamment vous présenter deux fois par semaine dans ce bureau pour faire le point sur vos activités avec votre agent de probation, c'est-à-dire moi. Vous ne pouvez pas quitter l'Angleterre. Tout lien avec des affaires illicites, tout propos ou acte déplacé, toute promotion d'idéologies interdites, vous renverra immédiatement en prison, pour une peine pouvant aller jusqu'à vingt ans d'emprisonnement ferme. Le protocole de surveillance numéro quatre vous a déjà été appliqué. Sachez aussi que vous ne recevrez aucune aide de réinsertion du Ministère étant donné votre situation financière. Votre baguette ayant été cassée le jour de votre jugement...
— Ce n'était pas ma baguette, fit remarquer l'homme d'une voix lasse. C'était celle de ma mère.
— Cette question avait été réglée au moment du procès, il me semble, répondit-elle d'un ton plus sec. En tous cas, si vous désirez une nouvelle baguette, c'est à vous de vous la procurer. Je vous ai fait une autorisation qu'il faudra présenter au vendeur. »
Elle tira un parchemin du dossier et le lui remit. Il y jeta à peine un coup d'œil.
« Je serais avertie dès que vous l'aurez en votre possession. J'imagine que ça ne tardera pas… Je vous imagine mal vivre parmi les Moldus. »
L'homme sentit le piège. Cette femme était décidément de ceux qui préféraient le voir derrière les barreaux. Voyant qu'il ne réagissait pas, elle reprit :
« Voilà, je crois que c'est à peu près tout. Vous avez bien compris les conditions ?
— Je ne suis pas stupide.
— C'est mon devoir de m'assurer que vous savez à quoi vous vous engagez. Si vous voulez bien, signez ici, ici, et là, et ici aussi. »
Elle indiqua les différents endroits de son doigt dodu. L'homme prit mollement une plume et obtempéra avant de repousser le dossier vers elle d'un air résigné. Elle feuilleta à nouveau toutes les pages. Elle le referma ensuite, prit un tampon encreur dans le tiroir de son bureau et en frappa la couverture cartonnée. Puis elle annonça, avec un pauvre sourire forcé :
« Drago Malefoy, au nom du Ministère de la Magie, je vous déclare en liberté conditionnelle. »
Drago Malefoy, puisque c'était son nom, hocha la tête. Il attendit qu'elle lui remette des copies de quelques-uns des documents puis, lorsqu'elle l'y autorisa enfin, il quitta la pièce.
Il retraversa rapidement le Ministère et ne prit pas la peine de retourner auprès de la fontaine pour la comparer au précédent modèle. Il était pressé de quitter les lieux. Maintenant qu'il était seul, il avait l'impression que toutes les personnes qu'il rencontrait se retournaient sur son passage, cherchant son identité dans les tréfonds de leur mémoire. Il s'obligea à ne pas courber l'échine sous leurs regards désapprobateurs.
Dès qu'il le put, il transplana. Ce fut moins difficile qu'il ne l'avait craint, après tant de temps passé sans pratiquer la magie. Il y parvint au bout du quatrième essai seulement et n'eut même pas la honte de se désartibuler. Les bruits et les odeurs de Londres s'estompèrent, laissant la place au calme des campagnes du Wiltshire. Quand Malefoy rouvrit les yeux, il était de retour chez lui, au milieu des ifs.
Tout semblait exactement comme la dernière fois. Le chemin de gravier se faufilait sous le portail, glissant jusqu'au Manoir, niché entre les arbres aux feuillages d'été et les massifs en fleurs. Un soleil brillant arrosait les vertes pelouses et, en tendant l'oreille, Malefoy pouvait entendre le ruissellement de la fontaine magique, les gloussements des paons. Il se rapprocha des grilles en fer forgé et passa les doigts sur les barrières de métal. Son domaine lui apparaissait presque irréaliste dans la chaleur de midi.
Il s'apprêtait à rentrer quand quelque chose de neuf, d'inhabituel, attira son regard. Une plaque rectangulaire était suspendue sur le côté gauche. Elle portait la légende suivante, gravée dans le métal doré :
Le Manoir Malefoy
Demeure de la famille Malefoy depuis plus de deux siècles, le Manoir a connu ses heures les plus sombres pendant la deuxième guerre des sorciers, entre 1996 et 1998. En effet, les Malefoy sont tristement célèbres pour leur soutien à Lord Voldemort. Ils ont notamment hébergé le Mage noir sous leur toit pendant l'année 1997 et le Manoir a été le lieu de nombreuses réunions des Mangemorts. Ses caves ont aussi servi de geôles. De nombreux opposants au Seigneur des Ténèbres ont été emprisonnés, torturés et parfois assassinés derrière ces murs. Harry Potter et ses alliés ont ainsi été brièvement retenu en ces lieux.
Lucius Malefoy, fidèle Mangemort, a été condamné à vingt ans de prison. Narcissa Malefoy, son épouse née Black, a échappé à une peine criminelle en acceptant de payer de lourdes amendes. Elle a remis les clefs du Manoir au Ministère de la Magie afin qu'il soit transformé en musée en mémoire de toutes les victimes de la guerre. Leur fils Drago, également porteur de la marque, a été condamné à trois ans et huit mois à Azkaban.
Horaires d'ouverture du musée : du mardi au samedi
9 h – 12 h
14 h – 18 h
Malefoy eut l'impression qu'on lui avait stupéfixé le cerveau. Il resta un long moment planté devant le panneau, à le fixer sans le voir, désemparé. Il ne pouvait pas bouger, même le cours de ses pensées semblait s'être interrompu sous le choc. Quand il retrouva un semblant de conscience, sa première idée fut qu'aujourd'hui était lundi.
Il ignorait si le Ministère avait été capable d'annuler les charmes ancestraux qui protégeaient le domaine mais, de toute manière, il ne songea pas une seule seconde à repartir. Même si son esprit avait enregistré que le Manoir avait été transformé en musée public, il n'en comprenait pas bien les implications. Il continuait de raisonner suivant le film qu'il s'était diffusé en boucle depuis son arrestation. Tel un disque rayé, il était incapable de penser autre chose que « je rentre à la maison, je rentre à la maison ».
Malefoy poussa le portail avec naturel, ce fut presque un geste inconscient, un réflexe. La grille pivota silencieusement sur ses gonds, sans opposer la moindre résistance.
Il remonta l'allée jusqu'au perron. Il avait l'impression que ses jambes se déplaçaient toutes seules, qu'il ne contrôlait rien. Il sentait à peine le sol sous ses pieds.
Entrer dans le Manoir fut tout aussi aisé, comme si les portes s'étaient ouvertes d'elles-mêmes pour le jeune héritier, l'ancien propriétaire. Il n'eut pas besoin de presser la poignée. Toute la maison semblait l'attendre.
Le hall l'accueillit de son vide sombre, étonnamment glacé. Les portraits de ses ancêtres bougèrent à peine aux bruits de ses pas sur les dalles lisses. Seul Abraxas Malefoy, dans un sursaut, ouvrit ses grands yeux ronds semblables à ceux d'une chouette hulotte. Il resta toutefois silencieux, se contentant de surveiller son petit-fils d'un air distant.
Chaque objet avait conservé sa place familière et pourtant, ce n'était plus le hall qu'avait connu Malefoy. Il avait l'impression étrange de visiter une reconstitution de sa propre maison plutôt que l'originale. Le décor exhalait désormais quelque chose d'artificiel et ce n'était pas uniquement à cause des cordons vermeils qui ceignaient les meubles ou des petits panneaux explicatifs qui accompagnaient la plupart des décorations. Cela tenait plus d'un changement global de l'atmosphère, une froideur inexplicable, comme si le Manoir avait cessé d'être un foyer pour n'être plus qu'un ensemble de pierres, de dorures, avec un toit par-dessus.
Malefoy évita du regard la pancarte qui pointait vers les caves et se dirigea vers le salon. Des livres, autrefois rangés dans les bibliothèques qui tapissaient les murs, étaient dorénavant exposés sur des présentoires vitrés, pour que les visiteurs puissent les examiner de plus près. Les ouvrages ainsi mis en avant traitaient tous de la théorie du sang ou de magie noire. D'horribles dessins de torture parsemaient leurs pages. Au milieu de la pièce, une marque au sol indiquait l'entrée de la trappe secrète. Un autre panneau expliquait comment, pendant des décennies, son père avait caché des articles de magie noire aux yeux du Ministère grâce aux différentes cachettes du Manoir.
Malefoy erra de pièce en pièce, laissant ses doigts glisser sur tout ce qu'ils pouvaient atteindre, effleurant les contours familiers des vases et des murs. Il éprouvait le besoin de se convaincre de leur réalité physique. Mais, semblable à un spectre, il avait plutôt l'impression de passer à travers. Il se sentait absent, comme s'il marchait à côté de lui-même.
Il finit par ressortir de la cuisine, où était accrochée une grande pancarte à la gloire de Dobby leur ancien elfe de maison, et par monter dans les étages. Il y avait encore plus de panneaux là-haut, sur Voldemort, les Mangemorts, la guerre, mais aussi sur sa famille. Toute leur vie s'étalait sur leurs murs. Un malaise sourd encombrait sa poitrine tandis qu'il déambulait entre les posters.
De vieilles photographies avaient été sorties des tiroirs pour chercher les origines du mal. Les historiens avaient trouvé quelque chose à reprocher à presque tous les membres de la famille depuis plusieurs centaines d'années. A l'exception de Sirius et Regulus Black, présentés comme des héros, on les décrivait tous plus mauvais les uns que les autres, une dynastie de monstres, au sang encrassé par des siècles d'endogamie.
L'histoire de sa mère était racontée dans son bureau, une pièce lumineuse où elle s'installait autrefois pour lire et écrire. Grâce au témoignage poignant de Saint Potter le Sauveur de ce monde, elle avait échappé à la prison mais elle s'était ensuite enfermée dans le Manoir pendant plusieurs mois, sombrant dans la dépression. Potter, encore lui, s'était efforcé de l'aider à gérer ses affaires et, un jour, elle avait fini par se rendre au Ministère pour confier la création d'un Mémorial à l'intérieur du Manoir au Département de la Culture Magique avant de quitter le pays. On disait qu'elle était partie rejoindre une amie à elle, en Transylvanie. Plus personne n'avait de nouvelles d'elle depuis, même pas Potter, toujours lui. Toutes les lettres qui lui étaient adressées revenaient intactes, attachées aux pattes de hiboux désorientés. Elle n'a jamais répondu aux nombreux messages de son fils qui ont continué de parvenir au Manoir bien après son départ, concluait l'affiche.
Malefoy détourna brusquement les yeux. Il quitta la pièce et se remit à remonter les couloirs du musée, d'un pas plus rapide, ses mains moites d'une sueur glacée. Les panneaux n'apparaissaient plus qu'en périphérie de son regard mais leurs titres parvenaient encore à résonner en lui, toujours plus vifs, semblables à des poignards de givre parés à l'attaque.
Finalement, par magie, il fut là où il voulait être plus que tout au monde. Un instinct puéril le poussait à croire qu'une fois cette porte franchie, il serait en sécurité. Comme les enfants, il s'imaginait encore que sa chambre était une forteresse invincible, où plus rien ne pouvait l'atteindre : ni les monstres de ses cauchemars, ni le mal lui-même. Le pouvoir ultime de la maison. Mais Malefoy n'était plus chez lui au Manoir, il n'y avait plus sa place. Ici, il n'était plus qu'un mot sur des panneaux, un être du passé dont la vie avait été rangée derrière des vitres en verre.
Grâce aux hautes fenêtres, la chambre brûlait de la lumière du soleil. Un léger courant d'air gonflait les tentures du lit à baldaquin. Un livre ouvert était posé sur le bureau, une plume volumineuse glissée entre les pages, comme si Malefoy avait interrompu ses révisions la veille seulement. Mais il était parti depuis plus de trois ans maintenant. Il s'avança à pas lents, presque timides.
Des lettres qu'il avait reçues et d'autres qu'il avait écrites à sa mère étaient exposées et presque toutes ses photos avec l'équipe de Quidditch de Serpentard avaient été accrochées au mur, à côté de son balai. Il avait l'impression d'être un étranger dans sa propre chambre, un étranger dans un musée qui portait son propre nom. Le parquet craquait sous ses pieds mais il n'en reconnaissait pas le son.
Il réalisa son tour au ralenti. Son cœur l'accompagna d'un rythme solennel pendant qu'il effleurait les draps de soie, caressait le bois verni. Il atteignit ensuite la commode et il sentit quelque chose se décrocher en lui, comme s'il venait de manquer une marche.
Protégée par une nouvelle vitrine, une pile bien droite de magazines était posée sur le dessus du meuble et, sur la première couverture, un homme à demi-nu, cachant son pénis disproportionné de ses deux mains, lui adressait un clin d'œil aguicheur. « Des préférences insoupçonnées » titrait le petit panneau installée juste au-dessus de la commode.
Malefoy se figea au milieu de la pièce. Sa respiration ralentit, sourde et effroyable, devant son dernier secret dévoilé. Sa dernière honte révélée au grand jour.
Il eut envie de hurler, de fracasser les vitrines, jusqu'à ce que sa voix se casse comme le verre et que le sang ruissèle entre ses doigts, parce qu'il se sentait mentalement souillé, violé. Toute sa vie était étalée là, devant lui, à la merci des regards haineux et moqueurs. Il avait l'impression qu'on le déchirait de l'intérieur.
Mais il demeura immobile, les traits figés. Il se força à compter. Puis il ferma ses mains, pour ne plus trembler, et il ferma ses yeux, pour ne plus voir, et il ferma son esprit, pour ne plus penser.
OoOoO
Août s'installait confortablement. Les premières familles et bandes de collégiens envahissaient le Chemin de Traverse afin de se préparer pour la rentrée.
Accoudé à son balcon, le soleil lui brûlant la nuque, Ron se laissait déconcentrer par l'agitation en contrebas. Il avait posé un gros livre de magie avancée sur la balustrade devant lui mais la foule qui ne cessait d'entrer et de sortir du magasin de farces et attrapes, quelques mètres plus loin dans la rue, attirait indéniablement son attention. Il éprouvait une certaine satisfaction à regarder les passants sortir les bras chargés de paquets alors que lui-même profitait de ses vacances.
Il ne lui avait pas fallu longtemps pour réaliser qu'il n'avait ni l'esprit d'un grand créatif, ni l'âme d'un bon commerçant. C'était peut-être prétentieux cependant il ne pouvait pas s'empêcher d'être certain qu'il n'avait pas sa place derrière une caisse enregistreuse. Il se sentait beaucoup plus que ça. Après tout ce qu'il avait vécu ces dernières années, il ne parvenait pas à s'imaginer passant sa vie à vendre des crèmes canaris ou des baguettes farceuses. En vérité, il savait que ce n'était pas trop mal. Simplement, pour apprécier cette vie paisible, il aurait fallu qu'il n'ait jamais connu Harry Potter.
Mais ils s'étaient rencontrés et ils s'étaient trouvés. Ron avait soudain cessé d'être le sixième, condamné à vivre dans l'ombre de ses aînés, pour devenir le second. Il avait remporté une partie d'échecs mortelle, il avait échappé à des centaines d'araignées géantes et à un loup-garou. Il avait combattu des Mangemorts bien plus âgés que lui, il avait suivi Harry à travers l'Angleterre pour détruire les Horcruxes. En sept ans, il avait fait face à plus de dangers que la plupart des gens pendant toute leur vie. Il ne pouvait pas prétendre qu'il s'était beaucoup amusé toutefois il se souvenait du sentiment de puissance qui lui avait embrasé la poitrine à chaque victoire, de la fierté qu'il avait éprouvé en rentrant à la maison, conscient d'avoir fait ce qu'il fallait. Il avait cru avoir démontré sa valeur et son individualité. Aujourd'hui, pourtant, il se retrouvait à vendre les inventions de Fred et George sous les ordres de Percy et de Bill. Il avait l'impression d'être de retour à la case départ.
Pour tout le monde, la décision avait semblé logique. Il n'avait pas de diplôme – à peine une poignée de B.U.S.E.S – et il n'avait pas non plus émis de souhaits de carrière depuis ses quinze ans. Charlie avait eu l'excuse d'être déjà titulaire de son poste, en Roumanie, tandis que Bill et Percy s'étaient décidés par eux-mêmes à abandonner leurs carrières respectives pour reprendre la boutique. Rapidement, ils avaient réalisé que des bras supplémentaires pourraient être utiles. George avait disparu, Ginny s'était envolée avec les Harpies de Holyhead : il ne restait alors plus que ce brave Ron, sans projets, qui passait ses journées à faire la fête au 12, Square Grimmaurd, en compagnie de ses anciens camarades de classe. La solution s'était immédiatement imposée et Ron ne pouvait pas le leur reprocher.
Il n'avait pas osé refuser. Qu'aurait-il pu dire, d'ailleurs ? Qu'il envisageait, comme Harry alors, d'entrer à l'Ecole des Aurors, une formation réputée pour sa difficulté et, surtout, sa dangerosité ? Plusieurs fois, il avait envisagé de le dire à sa mère, ou à son père plutôt, mais le moment semblait toujours mal choisi. Il savait que cela leur causerait du souci. C'étaient des études pénibles, qui réclamaient une grande implication. Beaucoup d'élèves arrêtaient en milieu d'année. Dans ces conditions, il serait incapable d'aider au magasin, même pendant les week-ends. Et c'était risqué aussi. Il y avait de nombreux exercices pratiques ainsi que de l'apprentissage en temps réel, aux côtés de vrais Aurors. Pendant la guerre, Bill avait été défiguré par Greyback, Percy s'était pris un mauvais sort dans une jambe et Fred était mort. Il ne pouvait décemment pas leur annoncer son souhait de suivre les traces de Maugrey Fol Œil. Sa famille avait besoin de lui, il ne pouvait pas les laisser tomber.
Toutefois, il continuait de réviser en secret pour l'Examen d'entrée. Il voulait se tenir prêt, parce que c'était tout ce qu'il pouvait faire pour l'instant. S'il s'arrêtait de rêver, il allait devenir fou.
Harry, lui, n'avait pas de boutique familiale à faire tourner et il avait pu entamer la formation. Kingsley lui avait même donné un coup de pouce pour qu'il puisse commencer les cours en octobre, car il s'était présenté trop tard aux inscriptions. Harry avait suivi les cours pendant quelques mois et il avait eu l'occasion de participer à deux missions avec des Aurors aguerris. Puis, petit à petit, il avait arrêté d'aller en classe et Ron ne savait pas pourquoi. Harry lui avait donné près d'un millier de raisons différentes mais aucune ne tenait la route. Personne ne savait ce qu'il faisait de ses journées depuis qu'il n'étudiait plus. Il prétendait juste être très occupé.
Le claquement familier de la porte tira Ron de ses souvenirs. Il s'empressa de sortir sa baguette magique et de réduire son gros manuel à la taille d'un post-it, qu'il glissa aisément dans sa poche. Il ne voulait pas que Hermione découvre ce qu'il faisait de son temps libre. Comme elle-même poursuivait toujours ses objectifs avec acharnement, elle ne comprendrait sans doute pas sa logique et essayerait de le convaincre de démissioner de la boutique. Il ne pouvait prendre le risque qu'elle y parvienne.
Il se retourna vers l'intérieur de l'appartement. Il l'entendait chantonner, en dépit de sa respiration haletante, le casque de son walkman visé sur les oreilles. Elle prit une petite bouteille dans le réfrigérateur et vint le rejoindre sur la terrasse tout en buvant. Ses cheveux étaient gonflés d'humidité, sa peau luisait de sueur sous le soleil. Elle était magnifique.
Ron lui ôta le casque des oreilles avec un air coquin tandis qu'elle s'efforçait de ne pas boire l'intégralité de la bouteille d'un seul coup. Il récupérait le walkman dans sa poche quand elle s'arrêta enfin.
« Il ne faisait pas trop chaud ? demanda-t-il avec un sourire.
— Non, il y a un peu de vent, ça va. »
Elle s'appuya à côté de lui sur la balustrade pour regarder l'agitation de la ville.
« Qu'est-ce que tu faisais ?
— Je profitais de mes vacances. Tu as vu le monde à la boutique ?
— Oui. J'ai promis de donner un coup de main cet après-midi. »
Ron ne put s'empêcher de la dévisager comme si elle était complètement folle.
« Ah ouais ?
— Oui. La rentrée scolaire n'est que dans trois semaines mais il y a déjà plein de gens qui viennent faire leurs courses avant de partir en vacances… Et tous les gamins se précipitent chez Weasley dès que leurs parents ont le dos tourné, bien sûr.
— Et tu penses que c'est une bonne idée de leur vendre des boîtes à flemmes étant donné le rôle que tu vas tenir à Poudlard cette année ? »
Dans le cadre de ses études, Hermione avait accepté un stage à Poudlard pour la rentrée à venir.
« Peut-être qu'ils n'oseront pas les utiliser avec moi, du coup », supposa-t-elle.
Ils échangèrent un regard avant d'éclater de rire.
« Bon, d'accord, il y a peu de chances que ça fonctionne ! De toute façon, je suis sûre que ce cours sera un fiasco total…
— Ne dis pas ça. C'est important.
— C'est typiquement le genre de cours que Harry et toi auriez séché.
— C'était une autre époque », répondit Ron.
Il secoua la tête.
« Les gamins d'aujourd'hui ont besoin de ça et personne ne pourra le leur donner mieux que toi. »
Hermione rougit et il se sentit satisfait. Au fil des années, il avait beaucoup appris sur les compliments.
« Tu te souviens qu'on va déjeuner avec Neville ce midi ? demanda-t-elle soudain.
— Harry ne vient pas ?
— Non… Apparemment, il a autre chose de prévu. »
Ron sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Harry l'évitait, c'était certain. Il avait refusé près d'une dizaine d'invitations rien qu'au cours des deux derniers mois et si Ron ne lui avait pas organisé une fête d'anniversaire la semaine précédente, ils ne se seraient probablement même pas vus à cette occasion. L'époque d'après guerre où les soirées s'étalaient sur plusieurs semaines, en une fête permanente, semblait aujourd'hui lointaine.
« C'est normal, Ron, reprit Hermione en remarquant son air abattu. On ne pourra pas continuer comme à Poudlard pour toujours. C'est normal qu'il rencontre d'autres gens, et nous aussi. »
Elle l'embrassa doucement mais Ron la connaissait trop bien et il savait qu'elle mentait comme une arracheuse de dents. Elle aussi se faisait du souci pour Harry.
Elle lui caressa le front, écartant quelques mèches qui lui tombaient sur les yeux.
« Je vais me doucher », lâcha-t-elle finalement.
Elle s'écarta de lui et retourna dans l'ombre de l'appartement. A peine avait-elle franchi la porte qu'elle déboutonna son short pour le laisser glisser sur le sol. Il fut très vite suivi de sa petite culotte et Ron sourit malgré lui. Avant de la rejoindre dans la douche, il eut néanmoins une dernière pensée pour Harry. Il se demandait vraiment ce qu'il le tenait aussi occupé.
OoOoO
Harry, debout sur le canapé, surplombait la mer de cartons du petit salon du 12, Square Grimmaurd. Il se sentait un peu comme un navigateur à la proue de son vaisseau, cherchant à éviter les écueils. Mais, pour sa part, il essayait plutôt de planifier son travail de la journée dans tout ce désordre.
Aidé par Kreattur, il avait passé plusieurs mois à faire le tour de la maison pour récolter tout ce qui lui semblait intéressant. Il avait ensuite tout entassé dans cette pièce, d'abord avec ordre et méthode, puis, finalement, juste là où il y avait de la place. Il regrettait d'ailleurs plus ou moins cette décision depuis qu'il s'était mis à étudier une par une ses trouvailles. Une meilleure organisation préalable lui aurait certainement permis un plus grand rendement.
Toutefois, il n'était pas pressé. A vrai dire, il savait qu'il aurait bientôt terminé de tout examiner et cette perspective l'angoissait plus qu'elle ne soulageait. Cette fin, si elle n'était pas satisfaisante (et il craignait qu'elle ne le soit pas du tout), marquerait le début de d'autres recherches, plus aventureuses et bien moins paisibles. Il n'avait pas encore réellement prévu ce qu'il ferait si ses questions demeuraient sans réponse une fois qu'il aurait étudié toutes les affaires des Black. Pour l'instant, il préférait ne même pas y penser. Cette seule idée suffisait à lui retournait l'estomac.
Il lui restait encore cinq cartons. D'après ses calculs, c'était l'équivalent d'un petit mois de travail. Bien sûr, il pourrait ralentir la cadence mais si ce qu'il cherchait se trouvait juste là, dans le dernier carton, ce serait ridicule de s'en priver plus longtemps. Cependant, son côté pessimiste ne cessait de lui rétorquer qu'il ne trouverait rien et que s'il gardait la même vitesse, il allait se retrouver au pied du mur très bientôt.
Par habitude, Harry se frotta le front, à l'endroit de sa cicatrice, essayant de dégager le brouillard de ses pensées. Il décida d'arrêter de se torturer à ce propos et de se remettre à travailler. C'était la meilleure solution.
Il sauta du canapé pour s'installer près de la fenêtre, à côté des derniers cartons. En s'adossant au radiateur éteint, il pouvait profiter de la luminosité et de la chaleur du soleil presque comme s'il était à la terrasse d'un salon de thé du Chemin de Traverse. L'avantage du salon par rapport aux tables de chez Florian Fortarôme, c'était qu'ici, personne ne venait lui poser de questions et il pouvait avancer tranquillement. Une fois, il avait commis l'erreur d'amener un livre trouvé dans l'armoire de Mr Black à un déjeuner et Ron n'avait cessé de le harceler à ce sujet. Il n'avait pas essayé de lui expliquer ce qu'il faisait car il savait que Ron n'aurait jamais compris. Il était bien mieux à travailler chez lui, tout seul avec le passé.
Il tira un carton vers lui et l'ouvrit rapidement. La première chose qu'il sortit fut un classeur rempli de la correspondance de Mrs Black. Au début, Harry avait été surpris de découvrir qu'elle était une grande épistolière mais, au fil du temps, il avait fini par comprendre que ça correspondait bien avec sa personnalité. Elle aimait s'écouter parler au point de garder les brouillons de ce qu'elle envoyait. Elle adorait le regard admirateur que lui portaient ses amis et sa famille, qui lui demandaient sans cesse conseil sur tous les sujets. Sans doute passait-elle des heures chaque jour à entretenir et à relire sa correspondance, vu qu'elle était sans emploi.
Le classeur qu'il venait de trouver regroupait toutes les lettres de la belle-sœur de Mrs Black, Druella. Cette découverte mit Harry un peu mal à l'aise. Au fil de ses lectures, il s'était familiarisé avec la généalogie des familles de sorciers et il savait bien qui était Druella Black, née Rosier : la mère de Narcissa Malefoy.
Comme toujours, dès qu'il était question de Mrs Malefoy, il sentit la honte le brûler de l'intérieur. Elle l'avait doublé. A chaque fois que son nom lui venait à l'esprit, il essayait d'effacer qu'il s'était passé mais c'était impossible. Il n'arriverait probablement jamais à se débarasser de la culpabilité qu'il éprouvait vis-à-vis de cette affaire, même si Hermione et Ron lui répétaient sans cesse qu'il n'aurait rien pu faire d'autre.
Il avait simplement voulu les aider, elle et son fils, parce que Azkaban était un endroit horrible et que ni l'un ni l'autre ne méritait tout à fait d'y aller. Le Magenmagot s'était cependant montré intransigeant avec tous ceux qui portaient la marque, peu importait leur âge ou leur lâcheté, et en dépit des témoignages de Harry, Malefoy avait été condamné. Toutefois, il était parvenu à faire pencher la balance en faveur de Mrs Malefoy, qui ne faisait pas officiellement partie des Mangemorts. Elle avait échappé au pire et tout aurait dû s'arrêter là.
Mais elle était alors affaiblie par les procès ainsi que l'incarcération de ses proches. A la sortie de la salle d'audience, elle était tombée dans les bras de Harry. Ses sanglots l'avaient déchiré de part en part, il avait promis de ne pas l'abandonner. Il l'avait raccompagnée au Manoir et s'était occupé de ses affaires, le temps qu'elle aille mieux. Elle avait passé des mois à pleurer, enfermée dans sa chambre, mangeant à peine. Harry avait eu pitié d'elle. Il s'était montré très stupide.
Puis, un beau jour, elle avait séché ses larmes et lui avait annoncé qu'elle cédait le Manoir au Département de la Culture Magique pour qu'il devienne un musée, un endroit où les gens pourraient s'informer sur sa famille ainsi que sur la guerre. Il s'y était opposé parce qu'il trouvait l'idée malsaine. Il lui avait demandé de penser à Drago, à ce qu'il dirait, car c'était sa maison à lui aussi. Il trouvait également mesquin de sa part de ne pas lui avoir écrit la moindre lettre, même si elle souffrait. Mais Mrs Malefoy ne l'avait pas écouté. Elle avait prétendu avoir ses raisons et lui avait promis de tout expliquer à son fils. A sa façon, on pouvait dire qu'elle avait tenu parole.
En effet, avant de disparaître, elle avait écrit une lettre qu'elle avait laissée à Harry, accompagnée d'un petit mot : « Harry, je ne sais comment te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi. Je ne méritais pas ton aide et je n'en abuserai pas plus longtemps. Je vais m'en aller vers d'autres horizons, j'ai besoin de changer d'air. Je sais que tu n'approuveras pas mon départ, comme tu n'as pas approuvé mes dernières décisions, probablement parce que tu es une bien meilleure personne que je ne le suis. Nous sommes différents, il faut te rendre à l'évidence, et tu comprendras un jour que mes intentions sont nobles. Malgré tout ce que tu as déjà fait pour moi, je te supplie de m'accorder un dernier service : peux-tu, s'il te plaît, transmettre la lettre jointe à mon Drago ? Je pense qu'attendre qu'il sorte de prison serait plus avisé pour la lui donner ce n'est que mon conseil. J'aurais préféré demander une telle faveur à quelqu'un d'autre mais je n'ai plus personne. Fais-le pour mon Drago et non pour moi. Je sais que tu le feras, je sais que tu veilleras sur lui et je ne m'inquiète pas. Avec toute ma gratitude, Narcissa Black Malefoy ». Harry avait lu la lettre et il ne l'aurait envoyé à un prisonnier d'Azkaban sous aucun prétexte. C'était l'un des textes les plus horribles qu'il ait jamais lu de toute sa vie.
Il avait hésité à expliquer la situation à Malefoy par lui-même, en envoyant sa propre lettre. Il avait écrit des multitudes de brouillons, fait des centaines de ratures. Mais même s'il avait essayé d'ordonner ses phrases de la façon la plus douce possible, il avait toujours eu l'impression de dire : Salut, Malefoy, c'est Harry, l'une des personnes que tu détestes probablement le plus au monde depuis toujours et encore plus maintenant, vu que j'ai échoué à te défendre à ton procès. Puisque tu n'étais plus là, je me suis occupé de ta mère et elle m'a bien eu. Je sais qu'elle n'est pas venue te rendre visite une seule fois mais je t'écris pour te dire qu'elle a autorisé le Ministère à faire du Manoir un musée. Après ça, elle est partie en Transylvanie rejoindre une amie et plus personne n'a de nouvelles depuis. Elle m'a quand même laissé une lettre pour toi où elle t'explique pourquoi elle a fait ça mais je ne te la donnerais que quand tu sortiras de prison, c'est mieux pour toi. J'espère que les Détraqueurs vont bien, à la prochaine.
De toute manière, Harry savait qu'il n'y avait pas de bon moyen de raconter à Malefoy ce qu'il s'était passé, surtout sachant qu'il était enfermé dans une cellule de quelques mètres carré à peine, privé de tout souvenir heureux. Aussi avait-il jugé préférable d'attendre et de ne rien envoyer.
Il ne comprenait cependant pas pourquoi Mrs Malefoy, qui aimait tant son fils, avait agi ainsi. Il se demandait également pourquoi elle lui avait confié la lourde tâche d'expliquer son départ à Malefoy. Il avait fait de son mieux avec elle et il considérait qu'il ne lui devait plus rien du tout. Leurs chemins auraient dû se séparer dès la fin des procès.
C'était trop tard pour les regrets désormais. Quoi qu'en dise Ron, il ne pouvait pas tout abandonner et laisser cette histoire en plan derrière lui. Ce serait injuste, cruel surtout, vis-à-vis de Malefoy. Ils n'avaient jamais été amis mais Harry était certain de ne plus le détester. En fouinant dans le Manoir, il avait découvert une autre image de son ancien camarade de classe. Il y avait un être humain dans l'armure de l'ennemi et Harry s'était mis à éprouver une pitié sincère pour lui. Il avait même essayé de protéger ses secrets du regard pervers de la foule ou des historiens. En vain.
Harry referma brutalement le classeur, dans l'espoir de pouvoir aussi refermer mentalement ce chapitre. Il ne voulait pas lire des lettres de Druella vantant les mérites de sa fille Narcissa, combien elle était intelligente, combien elle était maternelle avec les enfants des voisins. Mrs Malefoy n'était plus qu'un monstre sans cœur aujourd'hui. Harry avait voulu l'aider mais elle avait abandonné son fils au pire moment possible. Elle n'avait pas mérité sa seconde chance.
Il remit le classeur dans le carton et, à la place, sortit quatre manuels théoriques trouvés dans une bibliothèque du deuxième étage. Ils n'étaient pas en anglais cependant Harry avait appris à repérer ce qu'il cherchait dans la plupart des langues européennes.
Il feuilletta rapidement les trois premiers ouvrages sans que rien n'attire son attention, les sonorités étrangères glissant devant ses yeux comme un ruisseau d'eau tiède. Mais, dans l'introduction du dernier bouquin, deux mots, égarés au milieu d'un charabia français datant du XVème siècle, accrochèrent brusquement son regard. Sous les coups violents de son cœur dans sa poitrine, il s'arrêta de tourner les pages. C'était là. Peut-être pas grand-chose mais, au moins, les mots étaient là. Il les reconnaissait sans peine. Le nom, « âme », et le verbe, « rompre ».
Je sais que c'est court mais je n'avais pas besoin de plus pour démarrer. Dîtes-moi quand même ce que vous pensez ! A bientôt !
