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Il y avait dans ces montagnes une élégance rare et une pureté certaine. Le chemin que le petit groupe empruntait était tortueux à souhait et on ne semblait jamais en voir le bout. Le sous-bois, dans lequel ils étaient, empêchait de voir la vallée s'étendre sous leurs yeux. Un petit ruisseau clapotant les accompagnait et quelques oiseaux bavardaient joyeusement.
Eulalie de Bardanne se retourna pour voir où en étaient les autres. Ils étaient déjà à une vingtaine de mètres derrière elle. Seule devant, elle continua sur sa lancée en haussant les épaules. Ils ne la rattraperaient que si elle s'arrêtait, et elle n'avait pas envie de leur donner cette satisfaction tout de suite. Anselme, de quelques minutes son aîné, n'aurait jamais plus le privilège d'arriver le premier. C'était comme ça qu'elle lui faisait payer son impudence des premiers instants. Mauvais joueur, il disait toujours que c'était à cause des chaussures de marche qui n'étaient jamais à la bonne taille et qui lui faisaient mal aux pieds. En vérité, elle le savait, il voulait surtout discuter avec Raffaella, ce qu'il ne pouvait pas faire tranquillement quand sa sœur était dans les parages. La jeune Italienne avait le visage d'une statue romaine et un sourire franc qui plaisait à beaucoup de gens. Eulalie l'avait connue en première année et s'était tout de suite attachée à elle, elles étaient restées très proches depuis. Et Anselme, peut-être jaloux de la distance que prenait parfois sa sœur avec lui, s'intéressait de plus en plus à sa meilleure amie.
Eulalie profita des quelques rochers sur le bord du chemin pour prendre de la hauteur et tenter d'apercevoir le château entre les branches des sapins. Elle avait passée les vacances loin de Beauxbâtons et de ses montagnes, ce qui lui avait terriblement manqué. La végétation à Paris était nettement moins florissante et le dénivelé beaucoup moins palpitant. Elle aimait remplir ses poumons d'un air frais, pur et empreint de magie. Paris affectait beaucoup son humeur. Elle n'aimait pas la foule, la puanteur, la pollution, le bruit incessant. C'était un tourbillon interminable qui lui donnait un mal de crâne terrible.
La montagne, au contraire, lui rendait son optimisme habituel et sa joie de vivre que lui prenait la capitale. Elle enviait Raffaella qui vivait au bord du lac de Côme, sur une île cachée de la vue des Moldus, toujours au soleil et à l'abri de tout.
Le rire de son amie lui parvint aux oreilles. Ainsi donc Anselme pouvait être drôle, c'était bien rare. Eulalie baissa son regard vers eux avant de reprendre sa marche vive. Son frère avait certainement trébuché sur une pierre glissante et s'était rattrapé au bras de Raffaella qui s'esclaffait. Il accusait à nouveau ses chaussures.
Chaque année, il leur fallait marcher pour rejoindre Beauxbâtons. Cette petite aventure rituelle était le seul moyen d'accéder sans magie à l'Académie. Eulalie adorait ça. C'était une chose qui lui permettait de faire la transition entre les vacances et l'année scolaire. Ils étaient partis tôt dans la matinée avec son frère pour rejoindre Raffaella à l'entrée du chemin de Fées. Un peu plus haut, ils devraient croiser la route de leurs amis Ambrosio et Estrella, qui venaient du versant espagnol.
Les cheveux châtains d'Eulalie flottaient au vent, coupés plus courts que d'habitude, elle avait du mal à les attacher correctement et ils retombaient sans cesse dans son cou un peu humide de transpiration. Elle prendrait une douche en arrivant au château, elle n'en faisait pas grand cas. Tout le monde arrivait toujours dans le même état. Mais plus ils se dépêcheraient, plus ils auraient de temps avant le repas.
« ¡Dios mío! Ambrosio, ¡ cuidado con los pies !
– Cálmate, Estrella, no te vas a caer …
– Oh, ¡ aquí estaís ! Eulalie, ça fait si longtemps, viens dans mes bras! » *
Estrella de la Cruz, essoufflée par sa dernière montée et sa énième dispute de la journée avec son camarade Ambrosio, se jeta dans les bras de son amie. Eulalie, ravie de les avoir retrouvés, la souleva du sol en riant avant de la reposer pour lui embrasser amicalement la joue.
« Tu me sauves d'Ambrosio, cet idiot a essayé de me faire tomber sur tout le chemin. »
L'Espagnole lança un regard noir au garçon brun qui la suivait et levait les yeux au ciel. Il s'approcha d'Eulalie et lui fit la bise en soupirant :
« Estrella ne s'arrête jamais de parler, je cherchais simplement une solution pour la faire taire. Tu es toute seule ?
– Anselme est derrière avec Raffaella, ils ne devraient pas tarder.
– Ne me dis pas que ton frère a conclu avec l'Italienne de mon cœur, s'écria Estrella en ouvrant de grands yeux et posant une main dramatique sur sa poitrine.
– S'il te plaît, Eulalie, aide-moi, murmura Ambrosio. Et pousse-la du haut de la falaise. »
Estrella tira la langue à son compatriote avant d'aller jeter un coup d'œil curieux vers le chemin d'où Anselme et Raffaella devaient émerger d'une minute à l'autre. Eulalie, heureuse de retrouver ces amis et cette ambiance animée, chargée d'énergie, souriait. Elle allait répondre qu'Anselme n'avait aucune chance avec Raffaella quand Estrella s'exclama en faisant de grands gestes :
« ¡ Hola les amoureux ! Qu'est-ce que vous faisiez tous les deux, petits cachottiers ? »
Anselme, un peu agressé par la voix enthousiaste de l'Espagnole aux cheveux noirs, apparut, un sourire un peu crispé aux lèvres. Raffaella, qui le suivait de près, poussa un cri de surprise et le dépassa pour courir jusque dans les bras d'Estrella qui trépignait.
« Tesoro, tu m'as manquée ! »
Estrella s'esclaffa en jetant un regard satisfait en direction d'Anselme qui les observait, un peu circonspect, à côté d'Ambrosio. Les deux amies, toutes excitées de se revoir après les deux longs mois de vacances, semblaient soudain s'intéresser beaucoup moins aux garçons. Néanmoins, elles se détachèrent l'une de l'autre, Raffaella pour saluer Ambrosio, Estrella pour aller décoiffer Anselme d'une main experte et d'un rire éclatant.
« Allez, ne boude pas, de Bardanne, tu as toujours ta sœur pour te tenir compagnie. N'est-ce pas, Eulalie ? »
Cette dernière fit comme si elle n'avait rien entendu juste pour énerver son jumeau. Il haussa les épaules, las. Les trois jeunes filles partirent devant, crapahutant sur les rochers pour arriver le plus vite possible au château. Ambrosio jeta un regard compatissant à son ami.
« Tu as du courage d'être venu avec Estrella, dit Anselme en lui donnant une tape dans le dos. Elle est déchaînée ...
– Ne m'en parle pas, je n'ai pas réussi à m'en débarrasser, répondit l'Espagnol en esquissant un sourire inquiétant.
– Il va falloir encore la supporter toute l'année, ça ne va pas être une sinécure. »
Les deux garçons se regardèrent, un sourire aux lèvres et continuèrent sur le chemin sinueux. Ils marchaient derrière les filles et discutaient calmement de leurs vacances alors qu'elles bavardaient bruyamment, un bonne dizaine de mètres devant eux. Soudain, ils entendirent la voix d'Eulalie crier :
« Par tous les géants, mais qu'est-ce que c'est que ça ? »
Anselme se précipita vers sa sœur, inquiet, et constata ce qui l'avait arrêtée. Eulalie, immobile, ressentait de la colère monter en elle. Devant ses yeux, entre un rocher et un arbre, un petit Jobarbille bleu irisé voletait en silence, coincé tout entier dans un sac en plastique. Il tentait en vain de s'envoler mais le film un peu collant l'empêchait de faire autre chose que se débattre. Il n'arrivait pas à faire des trous dans la poche et sautillait, s'épuisant.
Eulalie, doucement, s'accroupit à côté du petit oiseau qui ne pouvait pas émettre le moindre son avant sa mort. Avec des gestes lents pour ne pas l'effrayer davantage, elle écarta les bords emmêlés du sac plastique et en sortit le Jobarbille paniqué. Il tremblait, ses petites plumes bleues s'agitaient dans des mouvements irréguliers. Elle le posa sur la pierre avant de se relever avec l'arme du crime dans la main.
Raffaella et Estrella avaient arrêté de rire, elles regardèrent avec gravité l'oiseau libéré par leur amie s'envoler vers un horizon plus sûr. Eulalie se tourna vers le reste du groupe, écrasant le sac moldu dans le creux de sa main. Elle déclara simplement :
« Il n'y avait pas ça, avant.
– Heureusement que tu es attentive, personne ne l'aurait entendu, le pauvre, dit Raffaella en posant une main amicale sur le bras d'Eulalie.
– Je déteste ça, maugréa-t-elle pour toute réponse en enfournant le sac dans sa poche. Les moldus ne font pas attention à l'environnement et ils ne s'en rendent même pas compte. »
L'atmosphère était soudain devenue plus pesante. Une gravité affectait le groupe, qui reprenait sa route dans un silence inhabituel. Peu à peu, la journée avançant, les discussions reprirent, les rires éclatèrent à nouveaux, mais Eulalie tournait et retournait les images du pauvre Jobarbille dans sa tête. Anselme remarqua le mutisme derrière lequel sa sœur se réfugiait. En temps normal, il l'aurait laissée tranquille, pour ne surtout pas l'énerver davantage, mais il ne voulait pas qu'elle commence l'année de mauvaise humeur. Eulalie était repartie devant, laissant Estrella raconter ses vacances à l'aide grands gestes à Raffaella, pendant qu'Ambrosio semblait plus désespéré que jamais. Anselme pressa le pas pour la rattraper.
« Imagine qu'un grand voile opaque te couvre la vue, t'entoure de son plastique moite et t'empêche de respirer, déclara-t-elle d'une voix froide. Si on t'y laisse trop longtemps, il y a la mort derrière. Et si on met de ces choses-là partout, ça fait des victimes partout.
– Tu prêches un convaincu, Lalie.
– Je sais bien, Ansie. Mais je ne sais pas quoi faire face à tout ça. Les moldus polluent terres et mers et nous, sorciers, on les observe juste sans rien faire.
– On ne peut pas mettre en danger notre communauté, tu le sais bien. On ne doit pas intervenir dans les affaires de moldus. Tout ce qu'on peut faire, c'est des petits gestes comme celui-ci. »
Eulalie haussa les épaules, ils avaient déjà eu cette discussion à Paris, sous le nuage de pollution dégagé par les milliers de pots d'échappement. C'était toujours pareil, les Sorciers doivent laisser faire. Mais Eulalie de Bardanne n'avait pas envie de laisser sa montagne, la nature, la faune, la flore entre les mains de Moldus peu précautionneux. Anselme aurait voulu lui donner une réponse plus convaincante mais à leur échelle de jeunes étudiants, ils ne pourraient rien faire de toute manière.
« ¡Aquí, amigos! Regardez, on aperçoit un bout du château !
– Génial, vas-y vite que je ne t'entende plus …
– Tú podrías helar el fuego, Ambrosio. » **
Ambrosio en question ne répondit pas, esquissant simplement un sourire amusé alors qu'Estrella, à nouveau surexcitée, se précipita pour finir de monter la dernière côte. Raffaella jeta un regard souriant à Ambrosio et dit avec son accent italien prononcé :
« Allez, Ambrosio, ne lui gâche pas son plaisir. Je sais qu'au fond de toi, tu es aussi heureux qu'elle de retourner à l'Académie. Regarde cette beauté. »
Ils arrivèrent tous sur le promontoire d'où on voyait un peu plus bas, dans la vallée, un château immense et pourtant qui paraissait si fin et élégant. Une architecture unique au bord d'un lac où se reflétaient le ciel d'un bleu profond, les montagnes qui entouraient ce petit coin de paradis, et les pierres blanches du château. De l'autre côté, s'étendaient les jardins à la française dont les motifs étaient en perpétuelle évolution. Pour le moment, des arabesques fleurdelisées encerclaient un B qui commençait à se transformer peu à peu en papillon.
De toutes les collines et montagnes qui entouraient l'école française, des myriades d'élèves affluaient vers le centre, comme si ce spectacle magnifique attirait irrésistiblement chaque personne à cet instant précis de l'année. Les cinq élèves observaient leur Académie, le souffle toujours aussi coupé que la première fois qu'ils avaient découvert le lieu. Eulalie soupira légèrement, semblant oublier toutes ses préoccupations. La simple vision de Beauxbâtons les rendait tous fébriles.
Les Moldus, eux, ne pouvaient y voir qu'un lac asséché et une étendue d'herbe sèche, sans intérêt. Dès qu'ils essayaient de s'approcher davantage, ils étaient pris d'une furieuse envie de se précipiter dans la direction opposée. Ce qu'il y avait de plus beau au monde, ils n'avaient pas les yeux pour le voir.
Estrella s'apprêtait à dire quelque chose mais elle se ravisa devant le regard sombre que lui lançait Ambrosio, qui ne voulaient pas qu'elle gâche cet instant si précieux. Ils descendirent tous d'un même pas, dans un doux silence uniquement brisé par le bruissement du vent et le cri lointain de deux hippogriffes qui survolaient le lac avec grâce.
Pour tous, c'était un retour à la maison, cet immense château regorgeant de magie, de délicatesse et d'un soupçon de surprise.
Il y a quelques mots en espagnol et un en italien, je trouvais ça amusant et ça reflète la variété de langage à Beauxbâtons, d'où les élèves viennent de nombreux pays différents.
Alors grossomodo voici ce qui est dit :
* " Mon dieu, Ambrosio, fais attention où tu marches !
- Calme-toi, Estrella, tu ne vas pas tomber non plus ...
- Oh ! Vous êtes là ! ..."
** " Tu pourrais geler le feu, Ambrosio. (Autrement dit, c'est un rabat-joie)
J'espère sincèrement que vous avez apprécié ce début. L'idée de m'interroger sur les problèmes climatiques dans le monde des sorciers m'a semblé peu exploitée, alors voilà, je me suis dit que les élèves de Beauxbâtons pouvait essayer d'en faire quelque chose.
J'ai inventé les personnages et l'intrigue mais le monde magique merveilleux appartient évidemment à la grande J.K. Rowling (c'est une évidence).
N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ^.^
