Tout commence avec du sang, comme c'est souvent le cas.

Son propre sang, en l'occurrence. C'est le premier son qu'il perçoit, le premier mouvement dont il est conscient. Son sang, résonnant dans ses oreilles. Son sang, circulant dans ses veines.

Avant, il n'y avait rien. Et maintenant, ça. Un rythme régulier et calme, qui le berce.

Il l'écoute, tranquille. Il est là. Il existe.

Durant un long, long moment, cela lui suffit. Sa conscience qui vient de s'éveiller semble parfois s'étendre, changer sans qu'il comprenne comment, et des images traversent régulièrement sa tête. Il n'en garde en général aucun souvenir. Il ne sait pas à quoi elles correspondent. Il n'essaie pas non plus de comprendre.

Il est bien, là.

À flotter ici. Sans souci. Au chaud.

Le temps s'écoule indifféremment. Ou bien tout à la fois. À certains moments, il a l'impression d'avoir déjà existé depuis une éternité, et à d'autres, qu'il vient seulement de... quoi ? devenir lui ? Ça n'est pas clair. Il ignore si cela le sera un jour.

Peut-être que ça n'a pas d'importance ?

Il n'a pas non plus la réponse à cette question.

Quoi qu'il en soit, cela continue. Son état pour lequel il n'a pas de nom.

Un certain temps.

Et puis tout à coup, il entend quelque chose d'autre. Quelque chose qui ne lui appartient pas, qui n'est pas lui. Quelque chose qui provient... d'ailleurs. Serait-ce possible ? Il y aurait autre chose ? Il ne serait pas seul ? Cela lui paraît évident maintenant qu'il y pense. Pourquoi ne s'est-il pas posé la question plus tôt ? S'il avait su...

Et il veut savoir. Quoi. Comment. Qu'est-ce que.

Il écoute donc de toutes ses forces. Le bruit n'est pas rythmique du tout. Au contraire, il est saccadé, et le volume change également très souvent. Étrange. Qu'est-ce qui peut bien produire de tels sons ? Voilà qu'il est curieux. Il essaie d'imaginer les choses-faiseuses-de-bruit, mais renonce vite. Ce n'est pas qu'il manque d'imagination. Simplement de références. Il ne connaît pas assez. Mais cela viendra, il le sait à présent.

Le temps passe.

Il écoute toujours, avidement. Le bruit revient souvent. À force, il arrive à en distinguer plusieurs, différents. Certains graves, d'autres aigus, certains proches, d'autre plus lointains. Il y a un bruit qu'il aime particulièrement, un tout proche qui se manifeste très régulièrement et diffuse comme une vibration en lui. Une chaleur qu'il apprécie. Il est toujours content quand il entend ce bruit. Il arrive même, au bout de quelques efforts, à se concentrer sur lui par-delà tous les autres et à l'écouter en priorité. Une chose dont il est très fier.

Le temps passe encore.

Et puis, tout à coup, encore un changement. Du nouveau.

Mais cette fois, c'est loin d'être agréable : une secousse vient de le saisir tout entier, brutalement. Il en est tout chamboulé, et surpris. Le mouvement venant de l'extérieur l'affecte à l'intérieur ? Il vient de parvenir à cette conclusion plutôt troublante lorsqu'il se rend compte que les bruits sont de retour. Cette fois-ci, contrairement à d'habitude, ils sont plus pressés. Plus forts, aussi. Et très rapprochés.

Il n'aime pas ça. Vraiment pas. Quelque part, quelque chose au fond de lui qui sait, qui connaît, murmure "danger".

Danger, danger.

Mais pourquoi ? Il ne sait pas. Il n'a que ce mot.

Et ça ne lui suffit pas - ne lui suffit plus. Il décide qu'il doit savoir. Il est temps. Temps de changer, de passer à la suite. Quoi que ce puisse être.

Alors, il s'agite. Il pousse, fort, à plusieurs reprises. Son sang bat plus fort, plus vite à ses oreilles. Il se sent plus présent que d'habitude. Plus vivant.

Il pousse, encore.

Et sent que quelque chose cède.

Le bruit est sec, net, définitif. Un crac qui retentit, signalant qu'il arrive. Que ça y est. Quelque chose se termine, et une autre commence. Une sensation inconnue l'inonde, et la chose en lui qui sait la nomme lumière. Il cligne ses yeux. Donne une dernière poussée. Et émerge.

L'air libre le picote. Il dispose d'une seconde pour s'en émerveiller, avant que tout le reste du dehors ne le frappe.

Les bruits.

Les mouvements.

Les odeurs.

Tout l'agresse.

Une cacophonie de sons qui martèlent ses oreilles, là, partout, qui l'assaillent de tous côtés sans lui laisser aucun répit, innombrables, monstrueux, et forts forts forts, des hurlements et des gémissements, des plaintes et des beuglements, des exclamations et des sifflements, tous entremêlés, et puis des choses qui se passent devant ses yeux, trop vite, trop proches, et qu'il ne comprend absolument pas, pleins d'autres et de couleurs qui bougent, bougent, bougent, et encore une autre dimension qui se manifeste dans un torrent de désagréments, tous ces relents qui lui brûlent les narines et qui lui font monter les larmes aux yeux, au secours, au secours.

Il voulait savoir ce qu'il y avait à l'extérieur. Il sait, à présent. Et c'est terrifiant.

Ce nouveau sentiment qu'est la peur le saisit, et il tremble. Incontrôlablement. Il tente de se recroqueviller par instinct, cherchant à s'éloigner de tout ça, à revenir à avant, quant tout était calme et qu'il n'y avait que lui, et aucun bruit, ni aucun autres. Les monstres du dehors. Il a fermé les yeux pour ne pas les voir, mais il les entend toujours.

Et ils sont partout !

Comment peut-il y en avoir autant ? Confusément, il songe que l'ailleurs doit être bien plus vaste que ce qu'il croyait. C'est d'autant plus terrifiant. Pourquoi a-t-il décidé de sortir dehors ? Quelle erreur il a commise ! Il se sent complètement désemparé... Que vont donc lui faire les monstres du dehors ? Encore une fois, son imagination s'emballe et s'arrête aussitôt. Encore ce manque de références. Cette fois-ci, il en est soulagé.

Tout à coup, un bruit fort et puissant semble exploser au-dessus de lui. Quelque chose qui fait :

- ATTENTION !

Il bascule et sent qu'il bouge sans rien pouvoir contrôler. Ses pieds qui touchaient ce que la voix de son esprit lui dit être le sol pendent brusquement dans les airs. Un autre bruit éclate alors, le plus proche de tous. Le monstre qui le produit doit être terrifiant car le son est très aigu, et il se met à trembler encore plus fort. Le cri s'amplifie. Intensément. Cette fois, c'est sûr, l'autre va lui tomber dessus et...

...une chaleur qui l'entoure ? Que se passe-t-il ? Le bruit qu'il aime bien ! Il est là, il l'entend ! Le bruit plein de vibrations agréables. Est-ce un autre qui le produit aussi ? Il sent comme une présence chaude collée contre lui. Les autres cris et hurlements semblent presque s'effacer, relégués au second plan. Il est mieux, tout à coup. Comme dans un petit endroit où plus rien ne peut lui arriver. Il sait que l'autre faiseur-du-bruit-qu'il-aime-bien le protégera. Cherchant à se blottir davantage contre la présence, il se rend compte qu'elle semble être bien plus grande que lui. Plus forte, sûrement aussi. Cela le rassure encore plus. Il n'a rien à craindre là où il est.

Fort de cette conclusion, il tend à nouveau l'oreille pour écouter les autres monstres. Il doit se passer plein de choses car beaucoup de bruits lui parviennent :

- Rattata, charge-moi ce Chétiflor !

- J'y vais !

- Arbo, go !

Un sifflement.

- Smogo, dégage-moi tout ça ! Puréedpois !

La surface contre laquelle il est blotti vibre soudain quand la présence fait du bruit, son timbre différent de d'habitude mais tout de même reconnaissable :

- Luciole, réplique avec Brouillard à fond !

- Tout de suite !

Il ne comprend rien et se contente de se coller comme il le peut contre la présence. Ses yeux sont toujours fermés. Il se dit qu'il pourrait les ouvrir, mais décide finalement d'attendre que les autres monstres s'en aillent. Ou au moins que les bruits diminuent. Le dehors ne peut quand même pas être tout le temps comme ça. Si sonore et grand et effrayant et rempli de dangereux monstres ? Il espère que non. Cependant, il puise un peu de réconfort dans la présence. Si elle est là, avec lui, il pourra peut-être le faire.

Affronter le vaste dehors avec courage.

Oui, peut-être.

D'autres bruits se produisent encore, derrière lui.

La voix qui a hurlé "Tout de suite !" se fait entendre à plusieurs reprises, et la présence parle à nouveau. De même, les autres monstres émettent des sons. Il lui semble que parmi ces derniers, certains sont plus faibles, comme éteints. Et puis, petit à petit, la cacophonie s'estompe, jusqu'à disparaître presque totalement. Quelques bruits demeurent tout de même, mais ils sont espacés et lui font fortement penser à ceux qu'ils entendaient lorsqu'il était encore dans l'intérieur. Il pense n'avoir rien à craindre de ceux-là. Après tout, s'ils se trouvaient là quand il était encore dans l'intérieur, et qu'ils ne lui ont rien fait, c'est qu'ils ne doivent pas lui vouloir du mal. Et puis, la présence ne les auraient pas laissé l'approcher si c'était le cas.

Il s'aperçoit qu'il ne tremble plus.

Puis, quelque chose le saisit à nouveau, et il bouge. Ses pieds touchent le sol. La voix de la présence se fait doucement entendre :

- Tout va bien, maintenant. Les affreux sont partis, t'es en sécurité.

Cette fois, il n'est pas loin de saisir le sens du bruit. La présence le protégera, c'est une certitude. Alors, il se détend, et lentement, ouvre les yeux. Et la voit. Qu'elle est grande ! Et magnifique ! Il ne regrette plus du tout d'être sorti à présent. Un savoir venu de très loin monte en lui, et l'évidence s'impose à lui.

- Maman ! s'exclame-t-il en avançant maladroitement vers Elle.

- Coucou, Togepi... lui répond-elle. On peut dire que tu sais choisir ton moment pour éclore, toi dis donc !


Je sais, je devrais plutôt continuer Duel au Sommet, mais ça faisait longtemps que je voulais écrire un Nuzlocke du point de vue d'un Pokémon, et après une discussion avec Nyu72 sur la prétendue inutilité de Togepi, voilà où j'en suis. Je sais pas combien ça fera de chapitres, sûrement pas beaucoup si Togepi ne survit pas longtemps, on verra.

Oh, et je suis partie du principe que les Pokémon avaient une certaine mémoire génétique, sinon j'aurais pas pu décrire grand chose du point de vue d'un vrai bébé venant tout juste de naître et qui ne connaît rien à rien. ^^