Le Lion
Disclaimer : Harry Potter, noms et lieux sont la propriété de J. K. Rowling et Warner Bros Corp. en leurs titres respectifs.
Avertissement important : Le présent texte et les chapitres à suivre se présentent comme la suite du texte intitulé « Le Chameau » que vous pouvez lire en parcourant la liste de mes écrits (cliquez sur « Csame » en haut à gauche et vous le verrez dans la liste). Je vous conseille aussi fermement que possible de commencer par lire « Le Chameau » avant de vous aventurer dans la lecture de ce texte-ci. « Le Lion » et « Le Chameau » contiennent des spoilers de « Harry Potter et le prince au sang-mêlé », donc, si vous n'avez pas lu le sixième tome, vous savez à quoi vous en tenir !
Vous êtes toujours là ? Place au texte alors !
I
Harry était venu le soir en espérant rencontrer moins de gens dans les couloirs. Il avait revêtu ses plus beaux vêtements, une longue cape noire accrochée à sa plus belle robe de sorcier par deux attaches d'argent ouvragées, et un chapeau pointu neuf qu'il ne se décidait pas à porter. Les murs de Poudlard lui étaient toujours aussi familiers, et pourtant, il avait l'étrange impression d'y être un étranger. Ce retour dans les vieux murs de l'école lui rappelait des souvenirs qui ne le faisaient que davantage remarquer qu'il n'y était plus élève. Il avait, pour la première fois de sa vie, l'impression d'être vieux, d'être adulte, d'appartenir à un autre monde.
Il avait gardé en mémoire les moindres recoins de Poudlard, depuis les corridors clairs et aérés jusqu'aux placards les plus étroits. Tous étaient attachés à des souvenirs, certains heureux, certains dramatiques, certains anodins.
Pourtant, quelque chose avait changé. Poudlard n'était plus la même. Etait-ce la disparition de Dumbledore ? Etait-ce l'absence de Ron et d'Hermione ? Non, ce n'était ni l'un, ni l'autre. Rien dans le décors ne pouvait laisser présager que Dumbledore n'était plus le directeur de l'école, et Ron et Hermione n'avaient pas toujours été à ses côtés lorsqu'il parcourait les couloirs. Pourtant, rien n'était plus pareil. Ses pas ne résonnaient pas de la même manière dans les couloirs, dont quelqu'un, assurément, avait dû s'amuser à rabaisser légèrement les plafonds. Et ne devait-il pas prendre garde ? Rusard n'allait-il pas le surprendre s'il continuait à marcher normalement, sans se soucier du bruit qu'il faisait ? Et puis… quel était le sujet du devoir à remettre pour le lendemain ? Pourquoi n'avait-il pas au creux de l'estomac cette petite pointe de culpabilité due au fait qu'il se baladait dans les couloirs de Poudlard alors qu'il aurait dû se trouver dans la Salle commune de Gryffondor ?
Bien sûr, ce n'était pas Poudlard qui avait changé, c'était lui. Mais au fond, songeait Harry en scrutant le parc plongé dans l'obscurité froide, de son point de vue, cela ne changeait strictement rien. Une douce et aiguë sensation l'envahit soudain, et il ne put déterminer s'il s'agissait d'amertume ou de mélancolie. Par les fenêtres des couloirs pleins de courants d'air, on apercevait uniquement les reliefs des poteaux surmontés de cerceaux du terrain de Quidditch, telles des silhouettes filiformes, et les masses lourdes et volumineuses des stades déserts. Les salles de classe étaient toutes vides, portes closes.
Il était un peu en avance. Il était revenu dans les quartiers de Gryffondor, mais la Grosse Dame avait refusé de lui ouvrir. Bien sûr, il ne connaissait pas le mot de passe. Alors il avait rebroussé chemin, toujours sans croiser personne, vers la grande salle qui était vide et ténébreuse. Le plafond magique donnait l'impression d'être un plafond tout à fait normal, car la nuit était si profonde et nuageuse qu'on n'y distinguait pas une once de lumière. Le moindre de ses pas résonnait sur le sol dans toute la salle. Les bancs étaient tous inoccupés. Il s'assit à la table de Gryffondor, à la place qu'il occupait d'ordinaire, avant. Le silence semblait incongru dans cette salle d'ordinaire bruyante et lumineuse. Harry eut un léger vertige que lui valurent des souvenirs entremêlés, nombreux, qui se bousculaient, bruyants, dans son esprit saturé. Un seul en sortit vainqueur, et il était dérisoire. Il chassa tous les autres qui se turent et se tapirent dans l'attente vigilante d'une nouvelle occasion. Ce souvenir avait un goût sucré et prononcé, rafraîchissant et pourtant toujours déjà amer. Il avait la forme d'un bonbon, un bonbon à la menthe, collant, et transparent comme une larme sucrée.
Harry joignit les mains, murmura, et lorsqu'il les écarta une seconde plus tard, elles contenaient un bonbon à la menthe en tout point semblable à ceux que Dumbledore insistait pour qu'ils soient présentés à chaque banquet de bienvenue, pour l'accueil des nouveaux élèves. L'Apparition était une parfaite réussite. Il le déballa avec application, écarta le plastique bleuté, et le porta à sa bouche en portant un toast muet à l'ancien directeur de Poudlard.
« Des bonbons à la menthe… souffla-t-il, sans parvenir à déterminer s'il était triste ou simplement mélancolique.
- Il disait que c'était excellent pour la gorge, dit une voix derrière Harry qui ne sursauta même pas, comme s'il avait toujours été évident qu'à cet instant précis, la voix de Minerva McGonnagal retentirait derrière lui. »
Il tourna la tête. La directrice en exercice de Poudlard se tenait derrière lui, habillée d'une robe aux motifs écossais, comme à l'ordinaire.
« Bonsoir professeur McGonnagal, salua Harry.
- Je pensais bien que vous viendriez ici après avoir essuyé le refus du portrait.
- Vous avez deviné que je voudrais passer en premier lieu par la salle commune de Gryffondor ? Je constate que votre esprit n'a rien perdu de sa perspicacité, professeur.
- Je vous remercie, Potter, mais la perspicacité de mon esprit n'y est pour rien. La nouvelle est passée de portraits en portraits à une vitesse déconcertante. On m'a prévenue que vous étiez en avance, je n'ai pas voulu vous faire attendre. Je crois que demain matin il n'y aura plus personne pour ignorer que vous avez honoré Poudlard de votre visite. »
Harry haussa les épaules d'un air résigné. S'il était écrit qu'il ne pourrait plus jamais faire un mouvement sans déchaîner la rumeur, autant s'y faire le plus rapidement possible. Il pivota sur son séant et se leva. Il s'enquit de la santé du professeur qui l'emmenait vers le bureau directorial. Ils parvinrent devant la gargouille qui gardait l'entrée de l'escalier pivotant qui y menait, et lorsque McGonnagal eût prononcé le mot de passe, Harry se demanda une nouvelle fois ce qu'il allait découvrir dans la pièce qui serait postérieur au décès de Dumbledore. Ce n'était pourtant pas la première fois qu'il était amené à retourner à Poudlard depuis son départ, qui datait de la fin de sa sixième année, mais sa dernière visite commençait à dater. Elle remontait à l'époque de sa chasse aux horcruxes, lorsqu'il tentait de réunir le plus d'informations possible sur Regulus Black, le potentiel R. A. B.
La pièce qui avait été le théâtre de bien des événements de la vie de Harry lui apparut une nouvelle fois, sous un jour assez peu différent de l'ère de Dumbledore. On aurait pu y jouer le jeu des sept différences, la plus évidente étant l'absence du perchoir sur lequel Fumseck, le phénix de Dumbledore, avait l'habitude de se reposer, mais certains instruments étranges et bourdonnants brillaient également par leur absence. D'autres avaient été rajoutés. Dans l'ensemble toutefois, la pièce était restée inchangée.
« Prenez un biscuit, Potter, commença McGonnagal selon la formule consacrée. »
Harry remarqua la présence d'une boîte pleine des biscuits parfumés que la directrice avait l'habitude d'offrir à ses visiteurs. Voilà la septième différence, songea Harry en saisissant un biscuit avec une pointe d'amusement.
« Cela fait bien longtemps que je n'avais plus entendu parler de vous, Potter, commença McGonnagal. Je commençais à me demander ce que vous deveniez…
- J'ai été très occupé, éluda Harry.
- … jusqu'à ce que, bien sûr, je découvre l'article de la Gazette du nouvel an…
- Vous l'avez lu ? fit Harry très embarrassé – mais ce n'était pas vraiment une question.
- Difficile de faire autrement, répondit McGonnagal avec une ébauche de sourire.
- Ah.
- Mais ne vous inquiétez pas, Potter. Il ne me viendrait pas à l'esprit de réprouver votre… comportement de cette nuit, d'une part parce que vous êtes majeur et que vous ne faites plus partie de notre école et que par conséquent cela n'entre pas dans mes attributions, et d'autre part parce que je conçois aisément que des événements particuliers peuvent… excuser certains excès.
- Je suis ravi que vous…
- Toutefois, rajouta autoritairement McGonnagal, et là je parle en tant qu'ancienne directrice de la maison Gryffondor, j'avoue que j'espérais que le prestige de votre maison vous tenait davantage à cœur.
- Mais…
- Je suis parfaitement consciente que vous avez bien plus de pression sur les épaules que quiconque et que vous attirez des regards qui ne sont pas toujours nécessairement bienveillants – je parle en particulier de la presse – mais cela ne fait que vous conférer une responsabilité plus importante. Cela ne vous confère pas d'excuse, tout au plus une circonstance atténuante.
- Je…
- Néanmoins je suis heureuse de vous revoir Potter. Bienvenue à Poudlard.
Sur cette entrée en matière, l'ancien professeur lui adressa un de ses rares sourires qui atténua un peu la sévérité de sa remontrance et qui dissuada Harry, qui préférait en rester sur un sourire, de protester.
- Cela fait bien longtemps que nous ne vous avons vu à Poudlard, Potter. J'imagine que vous n'avez pas l'intention de me dire ce qui vous a retenu si longtemps au square Grimmaurd ?
- Rien qui heurterait la morale ou les bonne mœurs, madame la directrice. »
McGonnagal eut un sourire lorsque son ancien élève prononça son titre. Elle le dévisagea de son regard perçant.
« Cinq ans… Voici cinq ans que vous avez quitté Poudlard. J'aurais aimé que cela soit par la grande porte, mais cette fois encore, vous n'avez pas voulu faillir à votre réputation, n'est-ce pas ? Vous nous avez quitté par la porte de service sans déranger personne, toujours aussi discret et modeste… Et pourtant, Dieu sait que vous plus que tout autre auriez mérité de franchir le portail de Poudlard la tête haute. »
Harry ne répondit rien. Il n'y avait rien à répondre. Il savait pertinemment que McGonnagal faisait référence à sa « victoire » contre Voldemort, mais il tenait plus que tout à éviter d'avoir à lui mentir et à la détromper, puisque rien encore n'était tout à fait gagné. Ce n'était pas tant le fait qu'il craignait que McGonnagal désapprouve certains de ses actes inconsidérés, en réalité, il voulait éviter à tous prix de réitérer le long et pénible récit des cinq ans écoulés. De plus, cela aurait impliqué qu'il fasse le récit complet de l'histoire des horcruxes, or il avait promis à Dumbledore qu'il ne le répéterait qu'à Ron et Hermione. Il n'avait aucune intention de briser ce serment. L'ancien professeur de métamorphose le regardait attentivement au travers de ses lunettes aux montures sévères.
« Vous savez Potter, reprit cette dernière, je me suis toujours flattée de posséder une excellente mémoire. J'observe et je n'oublie rien. Voici cinq ans, j'étais face à vous dans ce même bureau. C'était peu après le décès d'Albus Dumbledore. Je vous ai posé une question à laquelle, pour la première fois, vous n'avez pas voulu apporter de réponse. Vous étiez mon élève et je vous ai souvent posé des questions auxquelles vous n'avez pu répondre car vous étiez un élève plutôt "économe de ses moyens", comme on dit... Autant j'ai une certaine indulgence pour les élèves qui ne peuvent pas me répondre, autant j'en ai moins pour ceux qui ne le veulent pas. Or voici la troisième fois que vous refusez de m'apporter une réponse. La première fois, vous refusiez de me dévoiler ce que Dumbledore vous apprenait lors de vos réunions – qu'il semblait placer au-delà de toute priorité – ; la seconde vous repoussiez mon droit de savoir pourquoi vous enquêtiez sur Regulus Black ; et enfin troisièmement, aujourd'hui, je vous ai à nouveau sous la main, et vous ne voulez toujours pas m'expliquer le pourquoi et le comment. »
McGonnagal acheva sa tirade sur ces mots, et soudainement Harry fut sûr qu'elle l'avait préparée à l'avance. La directrice le considérait toujours aussi attentivement par-dessus ses lunettes. Harry baissa les yeux pour éviter le regard de son ancien professeur, puis décida brusquement qu'il n'avait pas à baisser les yeux : il n'avait fait qu'œuvrer pour le salut de tous, après tout ! Certes, il avait commis des erreurs incommensurables, mais c'était tout de même grâce à lui qu'il était désormais possible, pour le sorcier de la rue, de dormir sur ses deux oreilles sans crainte de voir au matin la marque des ténèbres planer au-dessus d'une maison du voisinage ou, pire, de la sienne. Il comprenait bien sûr que McGonnagal veuille en savoir plus, mais il n'avait pas l'intention d'en dire davantage.
« Professeur McGonnagal, commença Harry d'une voix aussi ferme que le permettait le respect qu'il devait à son ancien professeur, je conçois tout à fait que vous veuillez en savoir davantage sur ces mystères qui planent autour de moi, et autour de la disparition de Voldemort. Vous en savez trop pour ne pas vous douter qu'il existe des liens entre tous les événements, entre ces réunions secrètes avec Dumbledore, entre la dernière bataille, entre mon long ermitage au square Grimmaurd, et peut-être encore bien d'autres choses qu'il est possible que vous soupçonniez.
« Quoiqu'il vous en coûte, cependant, je dois maintenir le silence, et ce n'est pas seulement parce que je l'ai promis à Dumbledore. C'est également parce que cela vaut mieux pour vous, pour moi, et pour beaucoup de monde. Je vais devoir mettre en jeu ma crédibilité et la confiance que vous estimez pouvoir m'accorder, donc croyez-moi : moins vous en saurez sur le sujet, mieux vous vous porterez. »
Harry vit au regard de la directrice que ces phrases ne la satisferaient pas. Elle attendait un engagement. Harry commençait réellement à en avoir assez des promesses que tant de gens s'arrogeaient le droit de lui extorquer. Il ajouta cependant d'une voix contrite et légèrement irritée :
« Si vous tenez à exiger de moi une promesse, vous devrez vous contenter de celle-ci : je réenvisagerai la question de vous parler plus en détails de toutes ces choses un autre jour. »
Il n'en dit pas plus. Il savait que cela ne contenterait toujours pas McGonnagal, car ce n'était pas réellement un serment tangible, mais elle devrait s'en contenter. Il croisa les bras, planta ses yeux dans ceux de son interlocutrice et la défia d'en demander plus, mais cette dernière sembla s'avouer temporairement vaincue. Le ton vindicatif de Harry avait manifestement fait mouche, mais il savait que ce n'était que partie remise.
« Au lieu de remuer le passé, commença McGonnagal d'un ton aimable, si nous parlions plutôt de ce qui vous amène ici, dans les vénérables murs de votre ancienne école ? »
Harry sentit brusquement au fond de lui une énorme boule d'anxiété qui remonta vers sa bouche et se figea dans sa gorge. Il se demanda soudain s'il n'eut pas préféré rester dans ces discussions qui parlaient du passé, car même si c'était douloureux, même si tous ces gens exigeaient perpétuellement qu'il fasse des merveilles et soit a la hauteur de l'image qu'ils avaient de lui ; il était tout de même en terrain conquis, il parlait de chose qu'il maîtrisait et sur lesquelles il avait vaguement prise. Il s'agissait maintenant de se lancer dans l'inconnu, dans l'avenir, dans son avenir. Un avenir qu'il aurait aimé exempt de certains actes, un avenir qu'il lui aurait été agréable de penser comme neuf.
Il eut dès lors beaucoup de mal à prononcer les mots suivants, car une image obsédante et des phrases redondantes retentissaient dans son esprit, comme des échos d'un passé qui était presque le sien :
« Je… Je voulais vous demander… »
Des images de Jedusor. Pas très vieux alors. Puis des phrases de Ron : « Tu sais quoi ? Tu es en train d'imiter Tu-Sais-Qui, étape par étape ! »
« Je voulais vous demander… »
Il s'interrompit et son regard se brouilla. McGonnagal n'intervint pas, et il ne sut pas si elle voulait éviter de l'interrompre ou au contraire le laisser s'embourber.
« J'ai entendu des rumeurs… recommença-t-il plus distinctement, mais moins directement qu'il en avait eu l'intention. On dit qu'un poste se libère à Poudlard.
- Vous êtes bien informé, Potter. Puis-je savoir d'où vous tenez cette information qui ne devait pas être divulguée avant plusieurs mois ? »
Harry dut recourir à toutes ses aptitudes pour ne pas piquer un fard. Dénoncer Neville – heureux titulaire temporaire de la chaire de botanique – était hors de question, il ne pouvait pas révéler à McGonnagal que son ancien camarade, dès qu'il avait appris que le poste de professeur de Défense contre les Forces du Mal serait vaquant l'année suivante, avait averti Harry de la nouvelle par courrier express. Il allait répliquer qu'une fois de plus, il ne pourrait pas répondre à la directrice, et appréhendait déjà sa réaction, mais cette dernière le devança :
« Je vais encore vous faire la grâce de ne pas vous obliger à me répondre, Potter, car j'ai des soupçons assez vraisemblables concernant l'identité de celui qui vous a informé, et je ne voudrais pas vous forcer à commettre l'indélicatesse de le dénoncer.
- C'est bien le poste de Défense contre les Forces du Mal ?
- Très bien informé, même, murmura l'ancien professeur de métamorphose pour elle-même. »
L'estomac de Harry se contracta. Il avait eu un sursis de trente seconde environ, mais il allait inévitablement devoir prononcer cette phrase. Comment allait-il pouvoir prononcer cette phrase d'une manière différente de celle de Jedusor ? Il n'avait pas le choix.
« Je voudrais vous demander de retourner au château afin d'y enseigner. »
Les mêmes intonations. Exactement pareil. Il entendait encore l'écho de ses propres paroles, qui raisonnaient en lui comme avaient résonné celles de Jedusor dans cette même pièce, cinquante ans auparavant. Comment aurait-ce pu en être autrement ? Il n'avait besoin de personne pour lui rappeler qu'il y avait un morceau de Voldemort qui squattait clandestinement son âme. Il avait l'impression que ce n'était pas réellement lui qui avait prononcé ces paroles, mais une part de lui qui lui appartenait moins, sur laquelle sa conscience avait un moindre ascendant. D'un autre côté toutefois, l'aspect redondant de la demande qu'il venait de formuler plaisait à son goût artistique de la mise en abîme.
« Vous ? fit McGonnagal »
Harry hocha la tête. Le ton de McGonnagal n'était ni moqueur ni dénigrant, seulement surpris. Harry fut rassuré que la conversation prenne définitivement d'autres rails que ceux qu'avaient emprunté en leur temps Jedusor et Dumbledore.
« Vous voulez dire que vous postulez pour le poste de professeur de Défense contre les Forces du Mal ?
- Je savais bien que j'aurais dû vous écrire plutôt que de vous dire cela comme ça… s'empressa de dire Harry.
- Ce n'est pas cela…
- … je sais que je n'ai ni papiers ni diplômes ni attestations, mais… je m'y connais, croyez-moi ! J'ai eu de… la pratique… »
Il fut d'un coup persuadé qu'il s'évertuait pour rien. Qu'avait-il cru ? Scrimgeour, oui Scrimgeour, lui avait explicitement proposé de l'accueillir au sein du Ministère parce qu'il était le Harry Potter, mais McGonnagal ! McGonnagal n'allait certainement pas céder aux travers populistes du Ministre, c'était tout le contraire de ce que Harry savait d'elle. Quand McGonnagal prit la parole, elle paraissait un peu gênée :
« Je suis navrée, Potter, mais le poste a déjà été attribué.
- Ah ? s'étonna Harry. On peut savoir à qui ?
- Il ne m'appartient pas de décider unilatéralement de dévoiler le nom du futur professeur. J'ai besoin de l'approbation du conseil d'administration. »
Harry accusa le coup. Comment quelqu'un avait-il déjà pu décrocher le poste alors que lui-même venait à peine d'être informé par Neville qui lui avait affirmé que la nouvelle était très fraîche ? Il jouait de décidément de malchance.
« Si je comprends bien, Potter, reprit McGonnagal, les rumeurs colportées par la presse étaient au moins partiellement fondées : vous avez bien l'intention de trouver du travail.
- Eh bien, comme vous le voyez, j'essaie, déclara Harry, un peu caustique.
- Accepterez-vous d'écouter mes conseils issus d'une longue expérience ? »
McGonnagal ne se donna pas la peine d'attendre qu'il accepte et embraya immédiatement :
« Je crois qu'il est de mon devoir de vous dire, Potter, qu'il m'étonnerait que vous arriviez à trouver un emploi dans votre situation. Excusez-moi d'être aussi brutale, mais tout Harry Potter que vous soyez, vous n'avez pas de diplôme – ou juste vos BUSE qui ont une valeur toute relative – et par les temps qui courent, c'est bien souvent le seul critère que les employeurs prennent en compte. Je suis certaine que vous aurez à cœur de ne pas faire jouer votre nom pour obtenir des faveurs, j'en conclus donc qu'il est nécessaire que vous obteniez au moins vos ASPIC.
- Que voulez-vous dire ? Il faut que je retourne à l'école ?
- Non, rassurez-vous ! Je ne vais pas vous faire retourner sur les bancs des écoliers à votre âge, je vous propose simplement de tenter de passer vos ASPIC en élève libre, indépendamment du programme scolaire. J'ai d'ailleurs donné le même conseil à vos amis Granger et Weasley, et ils m'ont écoutée. »
Harry s'accorda une seconde de réflexion avant d'en conclure qu'il était très intéressé, car même les ASPIC, qui avaient la réputation d'être des examens très difficiles, ne lui faisaient pas très peur au vu des études post-scolaires qu'il avait entreprise pendant toutes ces années, avec un professeur très particulier, mais néanmoins très efficace.
« Et quand croyez-vous qu'il soit possible que je passe ces examens ? De préférence le plus vite possible…
- Je peux faire venir l'examinatrice en chef dès demain. Elle n'est pas très occupée en cette période de l'année. Il vous suffira de vous présenter à Poudlard à l'heure dite.
- Demain ? s'étrangla Harry, qui n'envisageait quand même pas que cela soit si rapide.
- Ou si vous préférez après-demain…
- Je préférerais, oui, balbutia le jeune sorcier. Cela me laisse juste le temps de replonger un peu dans les manuels…
- Pour quelqu'un qui vient de m'affirmer qu'il était capable d'endosser le poste de professeur de Défense contre les Forces du Mal, fit McGonnagal avec un fin sourire, je vous trouve bien craintif, Harry. »
Tout à la hâte de commencer ses révisons, Harry se dépêcha d'accepter la proposition de McGonnagal, et de lui faire ses adieux, puis il se leva et se dirigea vers la sortie du bureau directorial. Il s'arrêta à mi-chemin, car il se rendit soudainement compte qu'il avait oublié de demander à la directrice une information importante :
« Professeur… Je voulais vous demander quelque chose… Cela n'a rien à voir avec… mes éventuelles perspectives d'avenir mais… Je voulais vous parler des animagi… Est-ce que vous auriez, par hasard, déjà entendu parler d'un cas d'un animagus qui… qui brusquement… serait incapable de se transformer…
- Vous, Potter… Vous avez encore fait quelque chose de répréhensible, n'est-ce pas ? Non, ne me répondez pas ! Vous n'êtes plus de mon ressort, je ne veux rien savoir ! Non, pour répondre à votre question : non, je n'ai jamais entendu parler de cela, et cela me paraît assez improbable, puisque la définition même du terme animagus implique qu'il puisse se métamorphoser à tous moments.
- Ah… Merci… Merci de l'information. Au revoir, professeur McGonnagal.
- Au revoir, Potter. Revenez-nous vite, Harry. »
L'intéressé quitta la pièce en refermant doucement la porte derrière lui. Il prit le plus court chemin à travers le parc pour sortir de l'enceinte de Poudlard. Il voulait transplaner le plus rapidement possible au Douze, d'une part pour se pencher à nouveau sur les bouquins – un sport qu'il n'avait plus pratiqué depuis un moment – et d'autre part pour empêcher la mélancolie de s'en prendre une fois de plus à lui. Il avait voulu renouer avec Poudlard en y postulant comme professeur, mais force était de constater que, pour l'instant, l'école représentait le passé. Il lui faudrait se tourner vers autre chose, et il avait un plan.
- - -
Dans « Accumulation de Sorcellerie Particulièrement Intensive et Contraignante », Harry ne trouva ni « intensive », ni « contraignante ». Malgré les appréhensions qu'il avait pu concevoir à l'idée de leur proximité, les différentes épreuves se révélèrent d'une déconcertante facilité, à tel point que Harry se demandait à chaque fois qu'il répondait à ne question ou qu'il exécutait un sortilège où était le piège. Il fut plutôt content de se dire que ses études aux Douze n'auraient pas servi qu'à alimenter la boulimie de savoir dont il avait souffert auparavant.
Les résultats furent à la hauteur de ses espérances. Il ne put s'empêcher de ressentir une ridicule fierté lorsqu'il apprit qu'il était reçu dans toutes les matières qu'il avait présentées. Les examinateurs le félicitèrent personnellement et lui remirent un beau rouleau de parchemin aux allures officielles, revêtu d'un sceau de cire bordeaux et de cachets animés infalsifiables. Il ne l'ouvrit pas, mais il savait que c'était son diplôme.
Le soir même, il passait à la deuxième phase de son plan. Il écrivit une lettre aux allures formelles à destination de Sir Martin Harvey Slies, qui était le coordinateur du CIA – acronyme de « Centre d'Instruction des Aurors », comme chacun le sait. Il venait de se décider de s'accrocher à un fil qu'il avait abandonné il y a bien longtemps et qu'il avait cru définitivement consommé. C'était la carrière d'Auror.
Ce n'était pas un véritable choix, car il n'y avait pas d'autres propositions. Il était tenu par la promesse faite à Hermione d'abandonner sa tranquillité, immortel parmi les mortels, et la seule option qu'il n'ait jamais envisagée, c'était l'académie des Aurors, le CIA. Il avait coché la seule case qui lui convenait, il avait choisi la seule carrière s'offrait à lui. On aurait pu la croire forgée pour lui, elle lui convenait parfaitement, presque trop. Car combattre les vilains, c'était ce qu'il avait toujours fait, c'était la seule chose qu'il savait faire. Ce n'était peut-être pas très glorieux, mais Harry estimait que cette prise en charge par une sorte de destin auquel il lui était interdit de déroger était très reposante.
Il ne parvenait pas à s'expliquer ce qui justifiait que, soudainement, il se sente si pressé par le temps. N'était-il pas censé être immortel ? Que pouvaient bien changer une semaine, un mois, un an ? Il avait vécu cinq ans dans une sorte d'expectative laborieuse, et voici que, brusquement, tout lui semblait urgent, comme si une voix impérieuse lui dictait ses actes.
Il ne voulait surtout pas prendre un instant de repos supplémentaire que le strict sommeil minimal réparateur, car se reposer réellement, prendre le temps de réfléchir, lui paraissait très risqué. En effet, pour une fois – pour la première fois depuis longtemps –, il avait les idées claires, il était sûr de son chemin, tout lui semblait limpide, tout paraissait couler de source ; il ne voulait surtout pas que ce sentiment jouissif disparaisse. Sa voie lui semblait comme tracée d'avance, et il y filait avec la célérité de son impatience et l'ivresse de la vitesse. Si le prix à payer était de foncer à tombeau ouvert, il s'en acquitterait avec plaisir.
Il fut donc très satisfait que sa demande de passage des examens d'entrée au CIA soit rapidement acceptée par Slies. Les différents tests d'aptitudes, bien plus pratiques que théoriques, étaient fixés à une date très proche. Ces tests, bien que destinés à des étudiants à peine sortis de Poudlard, avaient la réputation d'être très difficile. Ron avait tenté sa chance quelques années auparavant, et avait échoué, or Ron était loin d'être mauvais. Dès lors, une angoisse pesante et tenace s'empara alors de lui, et ne le lâcha plus. Bien au contraire, elle muta en trac, puis en authentique panique. Heureusement, ces appréhensions, bien que déplaisantes, ne furent pas paralysantes. Il travailla sans relâche, révisant sorts et sortilèges, charmes et enchantements, illusions et maléfices, incantations et envoûtements. Souvent, il renonçait avec peine à s'en aller trouver son hôte pour lui demander une précision sur telle ou telle pratique, mais il tenait à sa résolution de ne plus donner la moindre occasion à celui qui avait été le Seigneur des Ténèbres.
Il continuait d'exiger de Kréattur qu'il s'acquitte des tâches qu'il se refusait d'exécuter lui-même. Curieusement, c'était avec un certain plaisir que l'Elfe de maison préparait les repas qu'il destinait à Voldemort : ceux-ci étaient souvent d'apparence bien plus comestibles que ceux qu'il cuisinait pour son maître officiel. Harry se doutait que Kréattur ignorait l'ascendance honteuse de leur hôte, mais, dans l'immédiat, il estimait qu'il serait mesquin d'informer l'Elfe sur le sujet. Probablement en effet, la cuisine de Kréattur s'en ressentirait-elle.
Pendant les quelques jours qui précédèrent les examens, Harry se serait cru retourné à sa plus sinistre période, quand il refusait de quitter la froide quiétude du Douze, quand il ne parvenait pas à s'endormir avant d'avoir progressé en magie, quand il vivait dans la dépendance du savoir de Jedusor. Il s'entraînait tous les jours pendant plusieurs heures consécutives, puis s'endormait comme une masse. Au matin, il avait souvent beaucoup de mal à ne pas faire exploser son réveil magique, mais quand il cédait à la tentation, celui-ci prouvait par des petits bonds adroits qu'il était de taille à se défendre.
Les gestes de la magie lui revenaient facilement, le doigté réintégrait la main qui tenait sa baguette de houx. « La magie, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas », lui avait un jour dit Hermione, et même si les Dursley ne l'avaient jamais laissé enfourcher une bicyclette, il constatait avec soulagement que les automatismes ne tardèrent pas à lui revenir. Même s'il n'avait pas d'adversaire avec lequel s'entraîner, il sentait revenir les réflexes du combat, la vigilance du guet et la prudence de la veille. Il redevenait une bête de combat, un véritable gladiateur tel qu'il avait été contraint d'être pour être en mesure d'affronter Voldemort lors de la bataille finale. Il s'astreignit à un jogging quotidien dans le froid hivernal des rues londoniennes pour se remettre en forme physiquement.
La seule chose qui le contrariait est que depuis quelques jours, il ne parvenait plus à se transformer en chameau. Il ne savait pas comment interpréter cet état de fait, toujours était-il que malgré toute la concentration qu'il pouvait mettre à la tâche, il n'y arrivait plus. Il tentait de se concentrer, mais ne parvenait qu'à se donner un mal de crâne persistant et des rêves flous qui sentaient le brûlé. Il se réveillait avec une faim de loup qu'il ne s'expliquait pas, avec des envies de viandes saignantes cuisinées à la française.
Les examens d'entrée eurent lieu une semaine plus tard. Ils furent bien plus difficiles que les ASPIC. On sentait que le CIA avait trop de candidats, et qu'il procédait à un écrémage radical. Il y eut des épreuves très variées, à commencer par le classique examen écrit, jusqu'au test d'aptitude à la filature en milieu réel. Il s'agissait de suivre discrètement l'examinateur dans les rues de Londres sans se faire repérer par lui. Harry n'était pas métamorphormage comme Tonks, mais il parvint à faire bonne impression grâce à un savant mélange d'illusions et de légilimancie, qui consistait à manipuler la personne filée en la persuadant qu'il n'y avait rien à craindre. Ce n'était certes pas une méthode très académique, qui ne relevait pas de la magie la plus blanche, mais cela avait le mérite d'être efficace. Harry ne voyait pas très bien quelle autre méthode il aurait pu utiliser, parce qu'une filature à la mode moldue se serait certainement révélée impossible.
Il eut en outre un examen qui ressemblait plus à un duel qu'à un véritable examen, si ce n'est qu'il fallait éviter d'indisposer son adversaire trop radicalement. Là encore, Harry eut recours à des méthodes qui étaient peu conventionnelles, et là encore, cela s'avéra payant. L'examinatrice, visiblement effrayée d'avoir été désignée pour affronter Celui-Qui-Avait-Vaincu-Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, n'était vraiment pas à la hauteur. Harry fut très gêné d'avoir à la malmener, tenaillé entre l'envie de faire ses preuves et son embarras, accentué par le fait que l'examinateur était une femme – plutôt jolie – et que certains relents de ridicule courtoisie galante le bridaient. Il la ménagea autant qu'il le put, et se contenta de clore rapidement l'expérience en l'immobilisant pudiquement contre le sol.
L'examen qui lui causa le plus de difficulté fut celui qui portait sur les soins magiques d'urgence, car il n'avait jamais eu l'occasion d'envisager cette matière, qu'il avait dû étudier à la hâte. Il se révéla incapable d'effectuer un simple sortilège de garrot car il ne se souvenait platement plus de la formule magique. Les examinateurs eurent un regard entendu et il quitta la pièce abattu.
Néanmoins, dans l'ensemble, quand les examens s'achevèrent, son impression était bonne, et il n'avait pas trop d'appréhensions quant à la réussite de l'ensemble.
- - -
Les résultats furent pourtant sans appel : il avait échoué.
Note de fin de chapitre : Je vous prie de m'excuser pour le temps écoulé avant la parution de ce chapitre. Mon vieil ordinateur a rendu l'âme pendant les vacances, et j'ai été contraint de recourir à des méthodes relevant presque de l'archéologie pour récupérer les textes qui avaient déjà été écrits. Cela m'a valu beaucoup de retard. Enfin, tout est arrangé, et je suis à présent l'heureux propriétaire d'un ordinateur flambant neuf qui parvient – chose absolument formidable – à charger Microsoft Word en moins d'une heure !
J'espère que ce chapitre – un peu plus court que la moyenne puisqu'il compte 5714 mots – vous aura plu. Vos commentaires, positifs et négatifs (c'est comme ça qu'on progresse) sont évidemment les bienvenus.
A bientôt (j'espère), et merci de m'avoir lu !
