Mon petit soleil,

Tu avais onze mois; moi, neuf ans.
Tu te souviens, n'est-ce pas, chère disparue? Pour moi, c'était comme si c'était hier.

Tant d'années ont passé et pourtant, je ressens le besoin de t'écrire, à toi, ma petite Thalie. Contrairement à ce que pensent les parents, je ne t'ai jamais oubliée. Loin de là, si courte fut ta vie.
La chaleur de ta petite main dans la mienne; les bulles de salive que tu t'amusais à créer avec ta minuscule bouche; tes cheveux de bébé, si doux, que je passais mon temps à vouloir aplatir du plat de la main; tes premiers mots, quand tu m'appelais "Si-yus!" avec cette pointe d'entêtement dans ta voix; quand, pour la première fois, tu as manifesté tes dons de sorcière et que tu as envoyé ton assiette de purée, concoctée par mes soins, dans la figure de Régulus; quand tu louchais sur ton nez; toutes les fois où tu as coursé, à quatre pattes, un gnome du jardin; le jour où tu as piqué la baguette de Mère que tu as jetée dans le chaudron à ordures; quand tu croyais pouvoir te cacher rien qu'en soulevant la jupe de ta robe pour la placer devant ton visage et quand, subitement, tu la baissais et criais "Bouh, Siyus!"...

Tous ces innombrables moments passés avec toi, ma petite soeur chérie, resteront à jamais gravés dans ma mémoire. De toute cette famille de cinglés, tu étais mon seul rayon de soleil, ma seule joie, ma seule raison de rester avec eux, de vivre...
Comme je t'ai aimé! Je pouvais consacrer mes journées à te balader, à te chatouiller, à te parler et à te faire des "gouzi-gouzi!" comme un simple d'esprit devant tes grands yeux bleus, à céder à tous tes caprices de bébé, à te faire sauter dans mes bras, à te cuisiner les seuls plats qu'un enfant de neuf ans est capable de faire, à te raconter l'histoire de la petite licorne aux pays des merveilles...

Pourquoi? Pourquoi n'étais-je pas présent ce soir-là?
Etait-ce parce que j'étais parti faire les courses sur le Chemin de Traverse? Ou bien parce que je nettoyais la cabane à balais? Ou encore parce que j'accompagnais Mère à l'une de ses innombrables soirées avec Régulus?
Je ne sais pas.
Je ne sais plus.
J'ai oublié.
J'ai oublié cette soirée.

Mais ce qui fera toujours parti de mes souvenir, de mes cauchemars, c'est la nuit qui y succéda, c'est ton petit corps bleui de coups, les dizaines de dizaines de coupures sur tes bras et ton visage, ce sang dans tes cheveux, ce teint de neige que tu arborais, tes grands yeux bleus encore ouverts, plein de terreur et de souffrance...

Tu étais une enfant non-désirée, tu étais une fille, tu n'aurais pas pu perpétuer le nom des Black, tu n'aimais que moi, qui t'élevais quasiment seul, tu t'es trouvée là, au mauvais moment, quand Père venait de rentrer de l'une de ses mystérieuses réunions. Tu étais sur son passage et tu as subi sa colère et sa cruauté.
A ma place.
Et tu es morte.

Aujourd'hui, tu aurais eu huit ans.
J'en ai dix-sept.
Et je t'aime.
A tout jamais.

Ton grand frère,
Sirius