Disclaimer :
Tout ce qui relève du canon appartient à J. K. Rowling.
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Ahuum… Voilà qui a été un peu plus long que prévu à écrire. Merci à tous les reviewers de DIHEH d'avoir toujours été là pour me rappeler que le temps passait.
Cette fic est bien un HG/SS : malheureusement pour Severus, il faudra attendre un peu avant qu'Hermione ne fasse son entrée en scène.
Première partie
I. a.
Unus
Tant qu'il y a de la mort, il y a de l'espoir
– Giuseppe Tomasi di Lampedusa (Le Guépard)
Eileen Prince n'oublia jamais cette naissance. Elle avait prévu de la chérir comme un nouveau départ. Elle s'en souvint comme l'effondrement de son dernier espoir.
Elle avait assisté à des accouchements, elle avait entendu les récits des mères, longtemps après la souffrance et la victoire. Elle savait que certaines accouchent dans l'angoisse et la douleur quand d'autres souffrent à peine, que certaines érigent ce jour comme le meilleur de leur vie quand pour d'autres il sonne comme une condamnation.
Elle connaissait les théories médicales et les citations sombres sur le premier cri des enfants lorsqu'ils naissent. Elle connaissait les brocards désenchantés de ces mères et de ces pères qui, ayant préféré ne pas l'être, n'en avaient jamais eu que le nom.
Quand son fils vint au monde, la douleur refluant, elle attendit ce cri dont elle espérait tant ; qu'il la rapprocherait de Tobias et sauverait leur mariage ; qu'il serait plus que ce qu'elle était devenue ; qu'il ferait à la famille Prince l'honneur qu'elle n'avait pu lui faire. Elle espérait que ce cri lui dirait que son fils serait beau, intelligent, et qu'il rirait parfois avec elle en partageant une partie de Bavboules. Elle espérait qu'il n'aurait pris d'elle et de Tobias que le meilleur, et qu'il créerait pour lui les qualités qu'ils ne pouvaient lui transmettre. Elle l'attendait pour sourire, elle qui avait bâti discrètement sa joie pour la laisser s'épanouir dans ce sourire, quand elle entendrait son fils pour la première fois.
Il hurla. Elle eut peur. La peur se fossilisa dans chaque recoin de son être et ne devait plus la quitter.
Fébrile, elle le reçut dans ses bras et tenta de le calmer, de le bercer. Il n'avait pas les yeux bleus des nourrissons, il avait des yeux déjà noirs, comme les siens. Elle croisa le regard vaguement inquiet de la sage-femme. À deux, elles tentèrent de faire cesser ce cri qui souffrait trop. Il se tordait comme si elles l'avaient torturé. Quand il s'arrêta enfin, à bout de voix plutôt que de désespoir, ses yeux continuèrent à la brûler, puis il se recroquevilla dans le berceau d'hôpital et trembla.
Pourquoi ?, se demandait-elle. De quoi souffrait-il ? Pourquoi son fils lui en voulait-il à ce point, déjà ?
Elle ne pensait plus à sourire. Le sourire fragile d'Eileen Prince, confectionné pendant des mois, s'était écroulé avant d'atteindre ses lèvres.
Severus avait toujours eu l'impression que la douleur qu'il ressentait était trop grande pour son corps. Parfois, soudainement, il éprouvait tant de fureur que la douleur s'estompait. Lorsqu'il était en proie à l'une, il implorait l'autre de venir le sauver ; et lorsqu'enfin un tourment remplaçait l'autre, il regrettait le premier. Il savait que sa mère ne supportait ni ses accès de rage, ni de le voir souffrir ; il pensait qu'il lui rappelait trop son père, qu'elle avait peur qu'il soit aussi violent que lui. Alors, il apprit à se cacher. Il se cachait dans la maison, il se cachait dehors – mais surtout, il se cachait en lui-même. Il se cachait sous un visage impassible, les yeux regardant droit devant lui, à travers tout ce qu'ils pouvaient rencontrer. Son père, souvent, claquait des doigts devant ses yeux, tant les yeux fixes de son fils le révulsaient.
Naturellement, il avait pris les traits physiques de sa mère – ses lèvres minces, sa peau cireuse d'une pâleur maladive, presque jaune ; de son père, il avait ce nez qu'il détestait et ces cheveux qui lui attiraient tant de moqueries. Et puis il y avait sa voix, trop grave pour un enfant parce qu'il l'utilisait rarement ; le temps que sa gorge s'éclaircisse, il avait fini sa phrase. Parfois pourtant, sans qu'il puisse se retenir, des flots entiers de mots coulaient de sa gorge ; et il avait alors envie de plaquer ses mains contre sa bouche pour les retenir, et longtemps après, le soir, dans son lit, des jours plus tard, son visage brûlait de honte en repensant à cette impulsivité téméraire, à ce trop plein d'informations qu'il n'avait pas voulu divulguer. Dans ces moments d'abandon, sa voix lui paraissait trop fluette, trop haute par rapport au son grave qu'il s'attendait à entendre dans cette éruption de mots. Après chacun de ces épisodes, il se retirait un peu plus profondément en lui-même ; et il lui semblait que la crise de vomissement de mots qui suivait était plus violente que la précédente.
Il était maigre aussi, et grand pour son âge ; et cela lui donnait l'aspect d'une figurine sépulcrale que l'on aurait façonnée avec du fil de fer et dont on pouvait tordre les membres à sa guise. Dans son visage émacié, qui, semblait-il, n'avait jamais rien eu des rondeurs de l'enfance, ses yeux fixes étaient démesurés.
Clac.
Il cilla promptement, passant son regard vide à travers le visage de son père, pour ne pas recevoir la taloche à l'arrière du crâne qui suivrait s'il ne clignait pas des yeux assez vite.
De la magie, son père ne voulait pas entendre parler. Il avait vu, au fil des années, sa mère sortir de moins en moins sa baguette. Lorsqu'il était plus jeune, elle lui apprenait les rudiments des potions lorsque son père était au café ou au travail. Ces moments étaient ses plus beaux souvenirs ; il ne se rappelait pas d'autre occasion où il avait senti se relâcher l'étau qui le comprimait. Aujourd'hui, lorsqu'il se tenait près de sa mère, il sentait la magie en elle décroître. Il avait peur qu'un jour, elle disparaisse totalement et le laisse sans défense, face à son père, de plus en plus vindicatif, enragé par ce fils qui lui déplaisait tant.
Il cachait sa magie. Il la sentait onduler, bouillonner. Elle voulait s'échapper et faire quelque chose de si grand que sa mère ne le regarderait plus avec cette peur abjecte au fond des yeux, que son père ne le toiserait plus avec ce mépris qui pesait au coin de ses lèvres. Un jour, il partirait pour Poudlard, il la laisserait libre, et elle guérirait ce mal qui le rongeait.
Il sentait une grande forme noire qui palpitait à l'arrière de son crâne. Elle pulsait jusqu'à ses tempes, elle laissait s'échapper de longs filaments noirs qui s'enroulaient autour de ses gestes, de son cœur, de son esprit ; elle en savait plus que lui sur lui-même.
Elle le terrifiait.
Il voulait savoir ce qu'elle renfermait. Pendant des heures, les yeux vagues, tout à fait immobile, les lèvres descendant légèrement dans une moue indifférente, il la cherchait, là, dans son esprit. Il l'approchait. Comment savoir ? Elle contenait les clés de cette douleur, là, sur sa poitrine.
Cette douleur qui lui donnait envie de déchirer sa peau avec ses ongles pour qu'elle puisse s'échapper.
Mais il restait assis dans ce calme glaçant, gardant pour lui les émotions qui fermentaient sous la surface.
Clac.
Il papillonna des yeux automatiquement, sans sortir de ses pensées. Il cherchait. Il cherchait la clé.
Une partie de la réponse se trouvait en Lily Evans, il en était sûr. Quand il l'avait vue pour la première fois, il l'avait étudiée avec méfiance, puis était revenu l'observer. Et depuis, il y était retourné chaque jour.
Sa façon de relever son nez et son menton en l'air pour avoir le dernier mot face à sa sœur – cela l'attirait. Ses cheveux bouclés qui rebondissaient dans son dos l'hypnotisaient. Leur couleur lui semblait irréelle. Elle était si – vive.
Chaque heure passée à l'étudier le persuadait qu'elle faisait partie du puzzle. Elle était un pan de la clé qu'il cherchait. Elle l'obsédait.
Severus caressa la lettre et pensa à Poudlard, il pensa à Lily. Il pensa qu'ils y seraient réunis. Il pensa qu'il aurait sa baguette, et qu'il ne serait plus à la merci de rien. Dans ce moment vulnérable, la barrière qui protégeait le gouffre des pensées qu'il ne pouvait voir se releva un bref instant. Il entrevit ce qu'il y avait dans cette caverne noire, enfouie au fond de ses pensées. Il n'y vit rien de précis – qui avait dit qu'on pouvait lire dans les esprits ? ce n'était que des notions, des couleurs, des sentiments tout au mieux – il sentit un tourbillon indistinct. Puis il ressentit. Il sentit sa douleur fraîche, inaltérée. Il ressentit le poids d'une mission. Il secoua la tête, vivement, claquant la porte de ce qu'il avait cherché à découvrir si longtemps ; il recula sa chaise si brusquement qu'elle tomba à la renverse.
Son impassibilité s'écroulait. Il courut.
Il fuyait loin de lui, mais on n'échappe pas à soi-même. Il ne pouvait pas contourner la souffrance. Il ne pouvait pas la laisser derrière lui. C'était un boulet dans sa tête, un élancement dans son âme.
Même au bord de la rivière, il avait chaud. Il faisait chaud. Il fait beaucoup trop chaud. Beaucoup trop chaud.
Je suis sorti parce qu'il fallait que je prenne l'air que j'étouffe Il étouffait entre les murs de l'impasse du Tisseur et s'y sentait à l'étroit. Oui j'étouffe ici mais tu étouffais à la maison. Il fait trop chaud c'est pour ça que j'étouffe –mais il ne faisait pas si chaud à la maison et tu étouffais déjà–
et mon col est trop serré mais je dois garder le dernier bouton
–tu étouffais déjà à la maison mais ça n'a rien à voir avec la météo et tu le sais.
– parce que –Tu gardes le dernier bouton fermé parce que tu es un lâche– je ne suis pas un lâche pas un lâche ! je dois garder mon bouton fermé –tu aurais moins chaud si tu déboutonnais ton col– mais je dois garder mon bouton attaché
Pourquoi fait-il si chaud ?
–Est-ce que tu as la lettre ? –Bien sûr que j'ai la lettre, pourquoi fait-il si chaud ?
Il se sentait à l'étroit chez lui parce qu'il faisait trop sombre et que les murs étaient trop rapprochés, et il se sentait tout autant à l'étroit dehors où le soleil tapait trop fort sans recoin où il pouvait s'abriter. Me cacher –me cacher !
Mon col fermé, je dois garder mon col fermé. –Le soleil tapera aussi fort avec ton col fermé– Mais je n'ai pas le choix ! Je n'ai pas d'autre choix –As-tu la lettre ?
Bien sûr que j'ai la lettre –
Ses tempes et ses narines palpitaient de concert, surchauffées de soleil. Tu ne v- Bien sûr que je veux aller à Poudlard pourquoi voudrais-je y aller –Bien sûr que je ne veux pas aller à Poudlard, pourquoi voudrais-je y aller bien sûr que je ne veux pas aller à Poudlard – bien sûr que je veux aller à Poudlard pourquoi dis-tu que je ne veux pas y aller pourquoi dis-tu que je veux y aller ?
Mon père– mon père– mon père. Il ne peut pas t'en empêcher– Ce n'est pas le problème.
Le problème c'est la – tais-toi – ne pense pas, ne pense pas, ne pense pas
Ce n'est pas le problème. Le problème c'est la douleur. C'est ce que tu as vu. Lâche. Je n'ai pas le–
Et Lily ? –Lily ?
–choix
Elle va m'oublier –elle t'oubliera– c'est ta meilleure amie– ma seule amie ça ne peut pas durer– elle ne m'aimera pas– elle ne t'aimera pas –elle t'oubliera –elle aura d'autres amis –et Lily –Lily ? –et Lily –Lily, vraiment ? –elle n'a pas besoin de moi
–Personne ne remarquera ton abs- Ce sera de ta faute –absence une fois – si tu pars–
de ta faute, ce sera de ta faute –à cette gare– de ta faute –pourquoi es-tu là ? ce n'est pas de ma faute –ce sera de ta faute –personne ne remarquera mon absence, je peux fuir –ce n'est pas de ta faute –c'est ma faute –je peux fuir, tu ne peux pas partir, ce sera de ma faute –personne ne remarquera mon absence, je ne peux pas, je ne peux pas le faire, ce sera ma faute, ce sera ma faute, ce sera ma faute, ma faute ma faute ma faute pourquoi fait-il si chaud je ne–
L'eau était fraîche – il pouvait de nouveau penser clairement. La première bouffée d'eau qu'il inspira brûla douloureusement sa poitrine.
Je devrais paniquer, pensa-t-il, je devrais me débattre pour remonter. Cette nouvelle douleur masquait cette peur insurmontable qu'il avait ressentie en entrouvrant la porte des souvenirs enfouis au fond de lui. Il respira l'eau encore et encore, jusqu'à ce que la brûlure même de ses poumons hoquetant disparaisse, et qu'il se sente vide, flottant, calme, et qu'il ne ressentit plus le besoin de respirer. Il pensa qu'il était libre, puis il ne pensa plus ; il vit des formes fantasmagoriques, des formes sombres, des filaments argentés dans les tourbillons noirs de l'eau qui coulaient avec lui. Il tendit les doigts, souriant. Il était libéré. Cette douleur au fond de son âme mourrait avec lui. N'est-ce pas ?
