Les nuits passent et me paraissent se ressembler, telles des gouttes d'eaux jumelles s'écrasant avec la même vigueur contre les carreaux de la fenêtre de ma chambre. Lestat est revenu, sans explication, comme à son habitude, comme si cela ne faisait pas plusieurs jours qu'il ne nous avait pas honoré de sa présence. Espère t-il que nous l'interrogions sur ses activités ? Ou peut être son ego démesuré attend que nous nous plaignons de son absence ? Cela ne me surprendrait guère.

Comme à chaque fois, depuis des mois il me semble, il nous est impossible d'échanger plus de quelques paroles sans devenir blessant, l'un envers l'autre. La raison cette fois-ci ? Un banal morceau de piano. Nous étions dans le salon à bavarder avec Louis du jeune peintre que nous avions découvert il y a trois mois quand il est arrivé et s'est mit à jouer. Un requiem, sombre et lancinant. Je n'ai pas pu m'empêcher de lui faire la remarque qu'un air enjoué serait plus approprié pour célébrer son retour, avec une ironie volontairement mal masquée dans ma voix. Notre échange s'est très rapidement envenimé, comme à chaque fois, j'ai senti cette bouffée de haine monter en moi et bouillir, sans ne jamais pouvoir exploser. Eternelle frustration aggravée par mon Louis. Une fois de plus, il a tenté de mettre un terme à la dispute, alors que Lestat venait de me faire une remarque sur mes attributs qui n'avaient rien de féminins. Louis, Louis, Louis… Mon terrible Louis, si pathétique dans ta façon désespérée de vouloir que nous cohabitions dans la paix. Comme si cela était possible. Louis, je détestes tellement ta faiblesse face à lui, ton regard presque suppliant, ton incapacité à t'opposer à lui, comme si tu craignais plus que tout de le froisser une fois de trop et qu'il nous quitte. Définitivement. Je te méprise à un point que tu n'imagines pas dans ces moments là, au point d'en oublier mon amour pour toi, mon amant ténébreux.

J'ai préféré sortir et mettre un terme à cette mascarade, j'ai entendu longtemps les rires de Lestat raisonner, mais je ne lui ai pas fait le plaisir de répliquer cette fois. Cette colère hurle en moi et je ne sais pas parfois si je serais capable de la contenir. Je les aime, je les hais. Si fort. J'ai envie de leur faire mal, de les briser, d'enfoncer ma main dans leurs poitrines et d'en retirer leurs cœurs et de les écraser entre mes doigts. Avons-nous seulement un cœur ? Je ressens les émotions, mais cela ne me fait humaine. Je vis mais ne suis pas vivante. Notre existence complète n'est que contradiction.

Je n'ai éprouvé aucun plaisir à chasser et même avoir supplicier un maquereau ne m'a pas divertie. Je m'ennuie, j'aimerai parfois que nous quittions la Nouvelle Orléans afin de voir le monde, mais Lestat refuserait et Louis ne serait pas capable de bouger le petit doigt sans son approbation.

Je ne leur ai pas reparlé depuis mon retour, je sens le soleil qui approche, mes sens vont prochainement s'engourdir et le sommeil me prendra, où que je sois. Je voulais me tenir éloignée de Louis, lui faire du mal en ne le rejoignant pas ce matin, mais il m'est impossible de lui tenir querelle longtemps. Je l'entends marcher et faire les cent pas dans la pièce à côté, sans oser franchir le pas de ma porte. Mon cœur se brise, mon âme ne peut résister à l'amour que je lui porte, bien malgré moi parfois. Il se torture tout seul, s'en voulant sans doute pour ne pas avoir prit ma défense. Comme si j'en avais vraiment besoin. Je ne suis plus une enfant, depuis des années, même si j'en ai l'air. Ils l'oublient trop souvent. Ils devront bien s'en rappeler une de ces nuits…