Bonjour tout le monde,

Après avoir disparu de la circulation, je reviens avec un recueil d'OS sur le thème inspirant de l'Apocalypse ! Ce sera majoritairement, si ce n'est entièrement, du Destiel. Vous me direz si ça vous inspire aussi! Prochain OS : camp Chitaqua 2014 ?

Les personnages ne m'appartiennent pas, je me contente de jouer avec..


« Hello, Sam. Je sais que ça fait longtemps, mais j'ai été occupé ces derniers temps. »

Le soleil poursuivait sa déclinaison dans le ciel, effleurant désormais la cime des arbres. Surplombant la vallée, le visage tourné vers les nuages orangés, il contempla ce qui était peut-être le dernier coucher de soleil qu'il verrait, l'esprit habité de sentiments contradictoires. Cela lui avait manqué, il s'en rendait compte maintenant : la sensation du vent sur son épiderme, la chaleur de la lumière, l'odeur subtile de la terre. Toutes ces choses terrestres, matérielles, que son Père avait créées, et dont l'ange s'était détourné, le cœur lourd… Toutes ces choses sur lesquelles il avait fermé les yeux : par devoir, par amertume, par rancœur, par douleur… ?

- Castiel ?

L'ange ne détourna pas son regard de l'astre solaire :

- Oui, Anaëlle ?

- Toutes nos troupes sont en faction.

- Parfait.

Il y eut de nouveau le silence, que la voix anxieuse de l'ange vint troubler :

- Castiel…

- Je resterais.

- Tu es faible. Ta grâce…

- Elle est consumée, je le sais. C'est ce qui arrive aux grâces empruntées, énonça-t-il d'une voix égale.

Elle avait fait plus que son temps. Castiel avait pris grand soin de celle-ci, l'avait ménagée, parce que l'idée d'en prendre encore une autre n'était pas envisageable, et que récupérer la sienne s'était avérée être une cause perdue. Mais il arrivait en bout de course.

- C'est du suicide.

Castiel eut un sourire sans joie. Avait-il eu envie de mourir ? Peut-être. Très certainement. Mais il y avait de ces missions qui ne faisaient cas de ces missionnés.

Récusée, Anaëlle s'éclipsa, rejoignant les autres en contrebas. Un instant, les yeux de Castiel s'attardèrent sur eux : ceux qui avaient été ses premiers frères d'armes, ceux, plus jeunes, qu'il avait guidé dans cette lutte acharnée entre l'Enfer et le Paradis, tous ces anges prêts à mourir pour remporter la guerre. Il savait les bruits qui circulaient au sein des rangs à son sujet ; il n'en connaissait pas les détails, mais il en imaginait sans peine la teneur. Des centaines d'années n'avaient pas effacé cette histoire, l'histoire extraordinaire d'un ange ayant défié Dieu au nom d'un seul homme.

Et Dean Winchester était mort. Mais Castiel n'avait pas eu d'âme à ramener au Paradis, et Samuel Winchester n'avait pas eu de corps enterré sur lequel se recueillir.

« La vérité, c'est que… Je me sens coupable. De ne rien avoir vu venir, pour Dean. Et de ne pas avoir été toujours là, quand… quand tu étais seul. Je n'ai jamais cessé de veiller sur toi. Mais j'ai été… lâche, je crois. Trop lâche pour revenir. »

Mais il avait bel et bien veillé sur Samuel, d'en haut. Il avait suivi son corps usé par les chasses à travers l'Amérique, les mains vissées sur le volant de l'Impala, les yeux recherchant parfois dans le rétroviseur central l'ombre qui ne le quittait jamais. Il avait lu son esprit fatigué, éreinté par l'absence et l'attente. C'était une drôle de chose, l'espoir ; à la fois générateur et destructeur.

La nature humaine était courte, éphémère ; Castiel l'avait constaté tout du long de son existence de plusieurs millénaires, mais cela n'avait pas rendu les choses plus faciles lorsque la voix de Sam avait retentit dans sa tête, avec l'intonation des dernières fois. Samuel Winchester s'était éteint un soir d'hiver, durant sa quarante-huitième année d'existence. L'ange prêtait d'ordinaire peu d'attention à l'enveloppe corporelle, mais il avait été toutefois marqué par les quelques cheveux gris et les rides que le temps avait creusées sur son visage. A son apparition, un faible sourire avait flotté sur ses lèvres. Le corps était abandonné, vierge de toute blessure, baignant dans une auréole de sang : l'œuvre d'un sorcier, Castiel avait pu en sentir la magie noire. Ce fut les ailes lourdes qu'il avait mené son âme au Paradis.

De là où il était, Castiel jaugea les portes de l'Enfer, encastrées dans la roche. Lorsqu'elles s'ouvriraient, des millions de démons déferleraient sur l'humanité, vomis par les souterrains. Le roi des Enfers était avide de toujours plus de conquête, plus de pouvoir, plus de sang. Un véritable régime de terreur lui avait permis d'asseoir son autorité et de rallier à lui toutes les forces obscures. Les anges avaient essayé de l'empêcher de lever cette redoutable armée, mais des siècles plus tard… ils allaient devoir y faire face. Une nouvelle apocalypse, sans Lucifer ni Michael.

« Tu sais, Crowley est venu me voir, une cinquantaine d'années après ta mort. Il m'a dit que la marque rendait le démon de plus en plus incontrôlable, et il proposait… il m'a proposé de faire alliance avec le Paradis pour le mettre hors d'état de nuire… J'ai eu la possibilité de dire oui, d'essayer de mettre fin à tout ça… Mais je n'ai pas pu m'y résoudre. Je me suis trouvé toute sorte d'excuse pour avoir laissé passer cette opportunité… Alors que je ne pouvais juste pas surpasser ma colère. »

Il revoyait le démon se présenter à lui, comme un vieil ami, celui qui avait fait imploser son monde, affichant un air d'arrogance sans égal. S'écoutant parler, alors que chacun de ces mots le tailladait, aussi sûrement qu'une lame de rasoir. Castiel n'avait pas entendu. Il ne pouvait pas entendre, paralysé par la haine. D'un simple toucher, le roi des Enfers aurait pu être balayé aux quatre coins de l'univers, et l'arrogant personnage en avait conscience. Se tenant à distance, il avait rapidement battu en retraite.

Avec la distance, Castiel se rendait bien compte qu'il avait peut-être laissé passer leur seule chance de vaincre.

« Et pourtant… Quand il est mort de la main même de sa création, j'ai juste regretté de ne pas l'avoir tué de mes propres mains. »

Cela était étrange de penser à Crowley. D'une certaine façon, le démon avait été la dernière personne à le rattacher à Dean. Le dernier lien, le dernier témoin de leur relation. Tout était mort, depuis, ne laissant plus que des souvenirs défraichis et amers, et rien pour les ranimer.

« Si je viens aujourd'hui, Samuel, c'est parce que demain, je vais mourir. Je ne sais pas ce qu'il adviendra de moi, entre ma grâce d'emprunt, mon antécédent de rébellion… Je ne sais pas s'il y a un paradis pour moi. »

Un bruit assourdissant retentit, comme un grondement venant des entrailles de la Terre. En contrebas, les Anges campèrent sur leurs positions, montrant des signes d'agitation. De là où il était, Castiel vit les gigantesques falaises s'effriter, commençant à s'écarter. Il se leva ; le ciel avait viré pourpre, précédant de quelques minutes la tombée de la nuit. Il déploya ses ailes, prêt à rejoindre la première ligne. Il savait que c'était là qu'il serait, lui aussi.

« Mais ça n'a pas d'importance, pas vraiment. »

Une silhouette émergea de la crevasse.

A sa vue, avec une acuité qui le prit au dépourvu, les souvenirs se ravivèrent, reprirent de la couleur, retrouvèrent de leur vivacité. La boite de Pandore s'ouvrit, et un raz de marée d'images se déversa dans son esprit.

Des souvenirs quotidiens, quand Dean riait en ébouriffant les cheveux de son frère, buvait une bière accoudé au bar, se ruait sur une part de tarte aux pommes, se vautrait devant la télévision, chantait ACDC au volant de l'Impala.

Des souvenirs poignants, la première fois où il l'avait agrippé en Enfer, sans savoir alors ce qui en résulterait ; quand il avait affirmé qu'ils faisaient partie d'une même famille ; la chaleur d'une étreinte fraternelle.

Des souvenirs brûlants, quand les doigts de Dean effleurait son genou alors qu'il changeait une vitesse, quand il le croisait en sortant de la salle de bain, la peau encore humide.

Des souvenirs douloureux, quand il avait été confronté à un Dean à la dérive, sans son frère ; quand il l'avait tabassé dans le bunker et laissé pour mort, rongé par la marque de Caïn.

Avec la distance, il ne voyait pas le noir qui avait éclipsé les iris verts.

« J'ai repoussé le moment trop longtemps. »

Mais il devinait son regard tourné dans sa direction. Le trenchcoat avait probablement attiré son attention. Ou plus certainement était-ce la lame de Caïn qui l'appelait. Il porta la main à sa ceinture, et en tira le poignard légendaire, que Crowley lui avait fait parvenir avant d'être assassiné, à titre posthume.

« J'ai réussi à sauver son âme rongée par les Enfers une fois, j'y parviendrais de nouveau. »

L'armée de démons jaillit des Enfers, dépassant leur roi, déferlant sur l'armée céleste. L'obscurité enveloppa le champ de bataille.

Castiel se jeta de la falaise, porté par ses ailes.

« Il porte la marque de Caïn, mais il porte toujours l'empreinte de ma grâce. ».