LE SAC DE BILLES

Jour1. Lundi.

Emma Swan :

Je me sentais seule, je me sentais éloignée de toute civilisation et perdue.

Surtout perdue en fait, sur une route au milieu de nulle part au milieu d'une forêt qui n'en finissait pas de s'étendre à l'horizon, une forêt de grands sapins verts qui semblaient se rabattre sur moi et m'emprisonner jusqu'à presque disparaitre sans laisser la moindre trace de mon passage sur cette route déserte. J'angoissais déjà.

J'avais l'impression de faire une connerie. Je ne me sentais pas à ma place, comme si je pressentais, qu'ici aussi, j'allais m'attirer des ennuis. Accepter ma mutation dans une petite ville tranquille était ce qu'il y avait de plus raisonnable à faire. Et je n'étais pas quelqu'un de raisonnable alors cela m'avait couté cher de venir me terrer ici. Comment ça s'appelait déjà ? Ah oui, Storybrook. Quel nom ridicule !

Rien que le trajet pour atteindre la ville, j'avais eu l'impression d'atteindre le bout du monde. Après des kilomètres de forêt, quand j'avais vu le traditionnel panneau annonçant l'entrée de la ville, j'avais eu la nausée et l'envie de faire demi-tour. Et puis à quoi bon ? J'avais le droit de garder ma plaque du moment que j'exerçais loin de Boston pendant quelques temps. Alors oui j'avais accepté. Mon boulot c'est tout ce que j'avais, aucune attache, aucune famille, alors rester flic c'est tout ce qui m'importais, même si ça en passait par le poste de Sherif dans un patelin paumé.

Je suis entrée au ralenti dans les rues de la ville, au volant de ma voiture jaune, les yeux écarquillés et la bouche ouverte. J'ai jeté un coup d'œil au rétroviseur, comme si j'essayais d'apercevoir les reflets d'une quelconque bulle ou porte temporelle qui expliquerait où j'avais atterri.

Les rues étaient larges et les rares passants marchaient d'un pas tranquille. Nulle agitation, nul embouteillage, nulle déviation, nul bruit de klaxon ni de marteau piqueur. A la place un calme plat et des chants d'oiseaux. Devant mes roues un vieux chien a traversé sur le passage piéton, j'ai ralenti jusqu'à l'arrêt complet. Il a continué lentement son chemin, j'ai même eu l'impression de le voir tourner la tête vers moi et me souffler un truc du genre ''Quoi t'es pressé peut-être ?''. J'ai secoué la tête et il a fini par atteindre le trottoir et j'ai continué ma route.

J'avais vite atteint le centre-ville, un restaurant, une bibliothèque, une tour avec une belle horloge et toutes sortes de petits commerces. Je me suis arrêtée, j'avais besoin d'un café, ensuite je me présenterais au commissariat où ils devaient déjà m'attendre. Je n'aurais jamais pensé mettre autant de temps pour venir, ils m'avaient vraiment muté dans un endroit paumé. Et ça me déprimait d'avance.

Enfin, j'ai pris mon mal en patience, je me disais que bosser ici, allait être comme des vacances, à côté du taux de criminalité de Boston, ça avait l'air d'être du gâteau. Je m'accommodais de ses fausses excuses pour l'instant mais je sentais déjà que j'allais faire des crises de nerfs dans ce patelin. Je suis entrée dans le bar-restaurant nommé Granny's Diner et l'odeur du café chaud et du bacon grillé m'ont réconforté un instant, mais tous les regards se sont posés sur moi. Ils ne devaient pas y voire beaucoup d'étranger ou de visiteurs par ici. Ça commençait bien.

J'ai pris le temps d'avaler un petit déjeuné et de boire un grand café. La jeune femme qui m'a servi était très souriante et chaleureuse, je crois qu'elle était contente de voir un nouveau visage et elle ne cessait de me poser des questions, auxquelles je n'ai pas répondu.

Je devais prendre la direction le Poste de Police maintenant. J'ai demandé la route à la jeune serveuse et j'ai quitté les lieux. Je sentais encore tous ses yeux curieux sur moi et ça m'angoissait un peu, je l'avoue.

Regina Mills :

Je me sentais vide. Je me sentais perdue. Je me sentais dépassée et colérique. J'avais tout fait, absolument tout fait pour qu'il m'aime. Pourquoi est-ce si difficile ? Pourquoi est-ce qu'il me rejetait ? J'étais sa mère. Il savait que je l'aimais plus que tout au monde mais ce n'était apparemment pas assez. Rien de ce que je pouvais lui offrir n'était assez. Il lui manquait quelque chose. Il savait qu'il avait été adopté mais je lui avais tout offert. Toute ma vie, pour lui. Et il me rejetait, il s'échappait, il m'échappait.

Je devais reprendre mes esprits, la réunion du conseil d'administration commençait dans 10 minutes et moi je ne pensais qu'à mes problèmes avec Henry. J'arpentais les couloirs comme une automate, voilà ce que j'étais devenue, une automate, une foutue automate. J'avais grandi à Storybrook mais très vite la ville était devenue trop petite pour moi. J'étais partit faire mes études à Boston, puis j'avais travaillé quelques temps à New-York mais inévitablement j'étais revenue à Storybrook. Et puis j'étais restée, et j'étais tomber amoureuse de mon ami d'enfance. Daniel. J'avais trouvé un bon poste à la Mairie, j'étais la plus diplômé de la ville, ce n'était pas difficile et on s'était marié sur les rives du lac.

Après des années, on avait adopté un petit garçon, un nouveau-né adorable. C'était il y a 10 ans tout juste.

Et puis quelques années après, Daniel était décédé. Un tragique accident de cheval. Henry et moi on s'était retrouvé seuls. Il avait à peine deux ans.

Aujourd'hui je renouvelais encore mon Mandat, j'étais le Maire de Storybrook depuis des années et des années, j'étais avisée et impitoyable mais apparemment mon fils aussi me trouvais impitoyable et il me faisait sentir chaque jour qui passe, qu'il rejetait ma présence, mes valeurs et mon éducation. A la maison, il m'évitait et le reste du temps, il faisait tout pour s'attirer des ennuis. Déjà les rumeurs courraient dans la ville « le fils de Madame le Maire n'est plus très poli » « Vous voyez elle est incapable d'élever un enfant, une femme qui a de telles responsabilités ne peut pas tout faire » « c'est si triste de voir comment elle est devenue depuis la mort de ce pauvre Daniel ». J'entendais les voix de ces mégères dans ma tête et ça commençait à me rendre folle.

Comme l'impression de ne plus être à ma place ici, pourtant, c'est tout ce que j'avais et je n'y renoncerais pas.

Je suis entrée en salle de réunion plus déterminée que jamais, j'ai reporté ma colère dans le travail et c'est pour ça que j'étais toujours efficace, et je les voyais tous tremblez devant moi. Je me sentais déjà un peu mieux.

Emma Swan :

Bon et bien c'était pire que ce que je croyais. Cette ville était minuscule. J'en avait déjà fait le tour, une avenue centrale avec tous les commerces, et activités locales, des petites rues qui s'étendent avec des petits pavillons, et un quartier avec de belles résidences, une mairie sur une grande place entourée d'un beau jardin aménagé et fleuri, une petite école, un parc, un Port, un marché couvert, des bars, des granges, une plage et de la forêt à perte de vue.

J'avais facilement trouvé de Poste et je me suis présentée. Et j'ai connu des accueils plus chaleureux…

Je vais mettre ça sur le compte de la déception. Les agents Graham Humbert et David Nolan attendaient surement une promotion depuis la mort de leur vieux Sherif, au lieu de ça, ils se voient attribué un tout nouveau Patron, débarqué d'une grande ville et une femme qui plus est. J'imaginais déjà les commentaires sexistes qui devaient fuser dans leurs petites têtes et qu'ils échangeraient ce soir autour d'une bière bien fraiche.

Quand je leur ai présenté la dérogation qui me nommait Sherif de Storybrook, signé du bureau fédéral du Maine, ils se sont forcés à me sourire puis à me montrer le bureau principal où je me suis installée sommairement. Je me suis vite aperçu qu'ils n'avaient même pas pris connaissance de ma venue.

Ils ont fait l'effort et me font visiter les lieux. Je n'avais jamais vu un Poste de Police si petit. Ils m'indiquent les endroits clefs de la ville sur une grande carte posée au mur. C'est bien ce que j'avais vu, cette ville était perdue au milieu de nulle part.

Le commissariat était calme, les téléphones silencieux, les cellules vides, je sentais déjà l'ennuie et la monotonie m'envahir comme si l'effervescence des grandes villes me manquait déjà. Comme si la violence à chaque coin de rue, les appels radio qui interrompent vos pauses déjeuner, les week-ends de garde et les courses poursuites me manquaient à m'en faire presque crever sur place. J'avais vraiment ça dans le sang et on m'envoyait volontairement m'enterrer au fond des bois.

Je soupirais. Je baissais les bras. Je n'avais pas eu le choix pour garder mon droit d'exercer mais là, je trouvais la punition vraiment rude. Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir foutre dans ce trou perdu ?

Je leur ai demandé quels était les affaires en cours. Ils m'ont répondu qu'il n'y en avait aucune. Là, j'ai cru que c'était le coup de grâce. J'ai trainé les pieds jusqu'à mon nouveau bureau, j'ai posé mon arme sur la console et ma veste sur le dossier, je me suis affalée dans le fauteuil, qui était plus confortable qu'il n'en avait l'air, c'était déjà ça. L'agent David Nolan posa un épais dossier devant moi.

« Un peu de paperasse avant de prendre officiellement poste » Me dit-il un peu froidement.

J'ai ouvert en dossier en question et je soupirais devant le nombre de pages quand il en posa un autre à côté.

« Celui-là, c'est à faire valider par le bureau du Maire, c'est pour une demande de logement de fonction et ceux-là ce sont les ordonnances qui font de vous un membre du comité de la ville et là vos accréditations »

« Bien merci, je vais m'occuper de remplir tout ça puisqu'il n'y a rien de plus urgent »

« Je confirme » dit-il en tournant les talons.

L'administratif, ce n'était vraiment pas mon fort mais je m'y suis pliée, plus vite ce sera fait, mieux je me porterais. Une heure plus tard, j'avais tout rempli en bonne et due forme et je m'apprêtais à aller directement à la Mairie pour en finir.

Regina Mills :

Cette réunion avait été interminable. Pourquoi faut-il toujours qu'ils me contredisent ? Alors qu'ils n'ont jamais le dernier mot. Heureusement après j'aurais tout le temps de me concentrer sur de vrais projets pour cette ville. Pas un seul rendez-vous de prévu pour le reste de la journée. C'était parfait.

Je me suis enfermée dans mon bureau, j'ai ouvert les fenêtres et j'ai profité des rayons du soleil pendant un instant. J'ai admiré mon pommier dans les jardins de la Mairie qui forment une vaste étendue somptueusement aménagée. J'avais besoin d'une pause, j'avais soudain l'envie insoutenable de m'enfuir par cette fenêtre ouverte. Laisser cette ville et ce boulot en plan et partir loin avec Henry pour tout recommencer.

J'avais une main sur le rebord de la fenêtre quand la voix de mon assistance dans le couloir me coupa dans mon faux élan en quête de liberté. Parce qu'à bien y réfléchir je n'étais pas ce genre ce personne, pas le genre à agir sur un coup de tête, pas le genre à partir et abandonner des années de dur labeur derrière soi. Il fallait le reconnaitre, de toute évidence je resterais car le naturel revient toujours au galop, et que je préférais tout ravager sur mon passage plutôt que d'abandonner.

J'ai tendu l'oreille et j'ai entendu : « Le Maire ne reçoit personne aujourd'hui, veuillez revenir demain ou prendre rendez-vous »

J'avais envie de virer mon assistante trois fois par semaine au moins. Elle n'avait pas l'assurance qu'il fallait, elle avait les mots justes mais pas le bon ton. Personne ne ferait demi-tour devant son air si gentil et naïf.

Je l'entendis qui haussait le ton quand même. Elle n'arrivait pas à se débarrasser de la personne qui voulait m'entretenir. J'aurais pu voler à son secours mais je n'en avais pas envie, je voulais que le reste de la journée soit paisible et calme.

Mais apparemment ça n'allait pas être le cas.

Emma Swan :

Sur une plaque à l'entrée de la Mairie, j'ai lu 'Mayor Mills' entre d'autres noms de notaires et avocats. Je me suis dirigée vers son office. L'endroit était désert. Les notables devaient être au golf. J'ai dû rendre des comptes à un agent d'accueil, je lui ai expliqué pourquoi j'étais là et il m'a laissé passer même si je n'étais pas sur sa liste. Je me disais que le Maire devait en faire des tonnes. Non mais laissez-moi rire, une liste de rendez-vous ? Il ne devait pas être submergé quand même dans une si petite ville ?!

Enfin bon, au bout d'un large couloir, dans une aile déserte du bâtiment, j'ai enfin entrevu une porte avec l'inscription 'Mayor Mills' mais je fus stoppé dans mon élan par une jeune assistance zélée mais bien trop chétive, assise devant son bureau dans l'antichambre.

« Le Maire ne reçoit personne aujourd'hui, veuillez revenir demain ou prendre rendez-vous » me dit-elle avec sa petite voix sans même relever le nez de ses notes.

J'ai fait quelques pas de plus, pour l'informer du motif de ma venue, mais elle m'a sorti le même baratin.

« Je m'excuse d'insister, mademoiselle, mais je suis le nouveau Sherif, je viens d'arriver et j'aimerais beaucoup m'entretenir avec le Maire afin de valider mes accréditations et pouvoir prendre mon poste au plus vite »

Elle a enfin relevé la tête et m'a regardé avec curiosité.

« Et j'ai un tas d'autres paperasse apparemment importante à lui faire signer… »

« Je suis désolé, je comprends bien votre problème mais j'ai pour consigne de ne déranger le Maire sous aucun prétexte »

« Ecoutez, j'ai fait un long voyage, je m'aperçois que personne ici n'a été prévenue de mon arrivée…»

« Ce n'est pas de mon ressort ça, Madame. »

« C'est ma faute si vos agents de police n'ouvrent pas leur courrier ? Elle est bien bonne celle-là ! »

« Je comprends bien votre indignation mais… »

« Il y a des choses qui aurait dû être réglé avant ma venue, je me suis étonnée de ne recevoir aucun coup de fil de votre administration mais bon, maintenant, je comprends. La demande de logement de fonction, je l'ai là, dans la main, alors j'ai vraiment besoin de voir Monsieur le Maire aujourd'hui pour pouvoir m'organiser »

« Bon, il y a certains documents que je vais pouvoir valider moi-même mais pour les autres, il faudra attendre demain »

« Non hors de question, y'en a pas pour deux heures non plus, appelez-le, faites-le venir, je ne bougerais pas d'ici ».

J'ai posé les mains sur les hanches, déterminée à ne pas bouger.

Regina Mills :

Je me suis approchée de la porte pour saisir toute la conversation mais j'ai fait en sorte que l'on ne voit pas ma silhouette au travers de la porte vitrée.

Quoi ? un nouveau Shérif ? De la paperasse ? Non pitié pas ça. Une voix de femme ? Curieux.

Et Graham et Nolan qui ne m'ont pas averti, j'avais l'air maline maintenant de ne même pas savoir qu'on nous envoyait un nouveau Sherif. Ils allaient m'entendre ces deux-là.

Camille ne cédait pas mais elle n'avait plus aucun contrôle. Je n'allais pas la laisser là toute la journée, répéter à cette femme que je ne pouvais pas la recevoir et puis il faudrait bien que je sorte de là de toute manière. Alors je me suis apprêtée à sortir du bureau, en regonflant mes cheveux et réajustant ma veste de tailleur, car j'avais la vague impression que ce nouveau Shérif ne lâcherait pas l'affaire comme ça.

J'ai donc décidé d'ouvrir la porte et de faire irruption dans leurs échanges.

« Bien, que se passe-t-il Camille ? »

« Ha le Maire n'est plus occupé, il va pouvoir me recevoir maintenant ! » Dit une jolie femme blonde en veste de cuir rouge, tout en jetant un coup d'œil par-dessus mon épaule, pour y voir à l'intérieur de mon bureau.

« C'est moi le Maire. A qui ais-je l'honneur ? »

Elle s'est stoppée net et m'a dévisagé. Elle semblait un peu confuse puis elle m'a tendu la main avec un léger sourire en coin.

« Emma Swan, le nouveau Shérif de votre… charmante petite ville… »

Son ton indiquait clairement qu'elle voulait calmer le jeu, ou bien qu'elle se moquait ouvertement, c'était difficile à dire avec ce regard impétueux qu'elle arborait.

« Regina Mills, le Maire de… cette charmante petite ville. »

Elle me fixait avec insistance, son regard me mettais quelque peu mal à l'aise, pourtant rien ne me mettait jamais mal à l'aise.

« Je m'en occupe Camille, Merci »

J'ai donc invité le nouveau Shérif à entrer dans mon bureau. Elle m'a tendu ses documents avant de s'assoir, avant même que je ne l'y invite. Bref. Passons sur l'inélégance de son comportement, je devais arranger cette histoire au plus vite.

J'ai lu les articles, j'ai signé les bas de pages, j'ai tamponné du sceau de la ville, je prenais acte du document de sa mutation. Je restais silencieuse, elle aussi, elle observait les lieux, et elle m'observait moi. Je sentais bien son regard sur moi alors que tête baissée, je m'efforçais de remplir les documents au plus vite.

Mais s'en était trop quand j'ai vu ce sourire en coin s'afficher encore une fois sur ses lèvres.

« Un problème Shérif Swan ? »

« Non, non aucun »

Elle a continué de sourire et je ne savais pas pourquoi cela m'énervait prodigieusement. Je retenais mon agacement soudain pour cette femme, et j'ai appelé Camille pour qu'elle me fasse des photocopies de certains documents. Je ne savais pas pourquoi, je sentais comme une angoisse dans l'air quand elle entra dans mon bureau. Cette Emma Swan et son sourire en coin n'agaçait pas que moi visiblement.

Camille revint, un silence de mort plombait toujours. Je sentais que notre nouveau Sherif s'agitait sur son siège. Il y avait quelque chose qu'elle aimerait dire mais elle restait muette et continuait de m'observer.

Inconsciemment, je pris mon air le plus hautain possible et j'ai fini de signer les derniers formulaires. J'ai fait signe à mon assistante de nous laisser et je lui ai rendu son dossier à jour. Elle a eu le culot de l'ouvrir et de vérifier toutes les pages, très lentement, comme si elle voulait s'assurer que je n'avais rien oublié, ou bien, comme si elle voulait prolonger le moment.

« Je tiens à vous présenter mes excuses pour le manque de communication de mes équipes et pour le retard administratif. Je vais m'occuper personnellement de vous trouver un logement de fonction décent. Nos agents employés ici n'en ont pas puisqu'ils ont déjà des maisons. Mais je vais vous trouver quelque chose de correcte d'ici la fin de semaine »

« Et je fais comment en attendant la fin de la semaine ? »

« Vous allez prendre une chambre chez Granny, c'est la meilleure auberge du coin… »

« C'est la seule surtout. »

« Hm, oui… et vous lui direz me m'envoyer la facture » Ai-je rajouté, légèrement agacée de sa remarque.

« Oh non ce n'est pas nécessaire de payer pour moi »

« Non c'est tout à fait normal, vous auriez dû avoir un point de chute convenable en arrivant, c'est entièrement ma faute si ce n'est pas le cas. Je tiens à corriger cette erreur, ce n'est pas dans les habitudes de la ville que de mal recevoir nos invités. »

« Bon… et bien je vous remercie »

Le silence revint, moins pesant mais tout aussi étrange.

« Voilà, vous êtes officiellement notre nouveau Sherif. »

« Apparemment. »

« Ho j'allais oublier, c'est moi qui est l'étoile de notre cher défunt, notre ancien Sherif…. Tenez… »

Je l'ai prise dans un tiroir de mon bureau, elle s'est levée et je lui ai tendu. Nos doigts se sont frôlés et mon malaise face à cette femme s'est décuplé en une fraction de seconde. J'évitais son regard, mon pouls s'accélérait et c'était rare de ma part, comme si l'espace d'un instant, j'avais perdu le contrôle.

Emma Swan :

Il s'était passé quoi là ? J'avais rêvé où j'avais senti un truc ? Et c'était quoi ce regard qu'elle m'avait lancé ? J'avais reçu une décharge électrique, j'avais reçu un coup de jus et je ne l'expliquais pas.

Je pensais manquer de sommeil ou un truc du genre. Mais je devais me ressaisir et vite !

« Merci… je crois que j'ai tout ce qu'il me faut, et merci d'avoir pris le temps de me recevoir »

« J'ai simplement voulu éviter un scandale inutile » A-t-elle dit calmement.

« Je vous demande pardon ?»

C'était dingue pour qui elle se prenait, Madame le Maire ? Elle était si arrogante et si … j'en perdais mes mots. J'en bouillonnais de rage.

« Eh bien quoi ? Osez me dire que vous n'auriez pas insisté ?»

Bon j'avoue, elle m'avait plutôt bien cerné.

« J'avais de bonnes raisons d'insister non ?»

Elle ne pouvait plus rien dire. Passons, ça s'engageait mal, je devais soigner mes effets, mon affectation ici était une seconde chance, fallait pas que je commence à me mettre tout le monde à dos. Et c'était mal partit, le silence de mort était revenu et elle me fusillait du regard.

« Je vais organiser une rencontre avec les membres du conseil dans le courant de la semaine. »

« Je ne crois pas que ce soit nécessaire. »

« Je crois que si au contraire. Je ne sais pas comment ça fonctionne à Boston, les gens se fichent peut-être de connaitre personnellement le responsable de la sécurité de leur ville ? Mais ici, nous tenons à savoir qui vous êtes et en retour, nous présenter officiellement à vous. »

« Bien, si vous insistez »

« Oui, j'insiste »

Je rêvais, j'avais été Inspecteur à la criminelle, j'avais échappé à beaucoup de réunions générales, de galas officiels et autres mondanités pendant des années grâce à mon comportement jugé antisocial par mes supérieurs, et voilà qu'il fallait que je me farcisse une réunion du conseil maintenant. Bien, bien, je restais calme.

Elle affichait une mine sévère. Elle avait l'air à cran, ou bien c'était ma présence qui la rendait comme ça ? J'ai eu du mal à la cerner. Ce regard était si glacial pourtant il émanait qu'elle chose d'elle qui m'intriguais, une sorte de force d'attraction, une sorte de curiosité malsaine, comme si elle était un mystère à découvrir. Mais je devais me méfier. Je ne devais pas commencer à faire d'amalgame, ce n'est pas parce que j'avais mis le nez dans une affaire de politicien véreux - qui m'a value cette petite mutation surprise, d'ailleurs - qu'elle, elle avait quelque chose à se reprocher. Fallait que j'arrête, cette ville semblait bien tranquille, je devais faire mon boulot et rien de plus.

« En arrivant ce matin, j'ai eu le temps de faire le tour de la ville. C'est vraiment un coin charmant et très tranquille. »

Elle se détendait un peu mais les expressions de son visage étaient presque figées. Elle savait garder le contrôle mais je savais lire les infimes mimiques qui marquent tous nos traits et révèlent momentanément nos émotions et nos mensonges. Même les meilleurs menteurs, même les meilleurs acteurs ne me dupaient pas. Pour certains, j'avais un don, mais c'était une malédiction pour ma part. Et j'avais été mise sur la touche pour ça. Pourtant je ne pouvais m'empêcher de vouloir percer à jour le tourment qui habitait cette femme. Si bien que je crois m'être perdu dans le temps en l'observant attentivement.

Pourquoi j'avais envie de ça ? Voilà que je m'ennuyais déjà tellement que j'avais choisi un spécimen un tant soit peu intéressant pour me focaliser dessus. Je n'allais vraiment pas mieux. Pourquoi elle ? Une femme ? Un poste haut placé ? Du pouvoir ? Une prestance ? C'était étonnant, dans cette ville qui collait jusque-là au stéréotype de la campagne américaine, de trouver une femme à sa tête.

Elle avait un côté insupportable et je commençais à vouloir écourter notre entretien autant que je désirais en savoir plus sur elle. Ses yeux me fixaient et je ne pouvais plus bouger.

« Cela va vous changer de Boston, je suppose ? »

« Et, bien oui, le changement est brutal, je vous l'accorde »

« Il y a moins d'ambiance qu'à Campbrigde ou qu'à BackBay ou Fenway, c'est vrai, mais c'est très paisible. Et je tiens à cette tranquillité. C'est votre travail de veiller à ce que cet équilibre soit maintenu. Si vous faites bien votre travail, nous n'aurons aucun souci et vous finirez par vous sentir bien ici. »

Je lui ai souri. Je ne répondais pas.

« Je suppose que vous avez rencontré vos collègues ? Les agents Graham et Nolan. »

« Oui, nous avons fait connaissance … ce sont de charmants garçons. » Ais-je dit ironique au possible.

« Ne vous en faites pas, ils se méfient des étrangers, ils ont l'air rude comme ça mais quand vous les connaitrez un peu plus, vous verrez que ce sont de gentils gars, très serviables, et toujours dévoués. »

« Moi, du moment que ce sont de bons agents, ça me suffit. »

« Bien, du professionnalisme, c'est ce que j'attends de vous. »

On s'est regardées. Il y avait quelque chose de vraiment étrange chez cette femme, j'avais l'impression d'avoir quelque chose en commun avec elle, l'impression qu'on serait amené à se revoir pour des raisons encore obscures. Je me sentais à l'aise et sur de moi en toute circonstances, personne jusque-là ne me faisait baisser le regard, personne ne m'impressionnait – surement parce que j'avais grandi dans un orphelinat et que j'avais appris très tôt à cacher mes faiblesses et me défendre corps et âme - mais cette femme, si elle le désirait, pourrait me faire plier l'échine. Je sentais une grande force en elle, une force qu'elle affichait ouvertement et qu'elle entretenait, pourtant ça cachait forcement quelque chose de plus fragile.

Elle me perturbait, c'était évident. Elle m'intriguait. Je me suis surprise à sourire et elle l'a vu.

« Sherif Swan, depuis tout à l'heure, je sens qu'il y a quelque chose que vous ne dites pas, alors allez-y, dites-le ! » A-t-elle soudain lancé.

Je rêvais ou quoi ? Je venais de me mettre à rougir parce qu'elle avait vu trop facilement en moi ? Non je ne rêvais pas. Je me suis replacée sur mon fauteuil, j'ai repris un peu de constance.

« Hm, c'est gênant, Madame le Maire. Pardonnez mon comportement de tout à l'heure, mais en arrivant j'étais déjà sur les nerfs en pensant devoir négocier avec un vieux Maire misogyne, à l'image de vos deux agents de police, qui n'ont clairement pas l'air de vouloir suivre les ordres d'une femme… »

Son regard a changé, il était intrigué, méfiant et lumineux à la fois. Elle semblait intéressée par mes propos. Cette femme était décidément très surprenante. Elle a presque souri en attendant la suite. Mais j'ai eu l'impression de jouer à quitte ou double, soit elle serait flattée, soit elle m'assassinerait sur place.

« …Et j'avoue avoir été agréablement surprise que vous soyez … »

Je ne sais pas pourquoi mais je n'osais plus finir ma phrase.

« Une femme ? »

« Oui …Je pense que cela peut faciliter les choses... »

« Que voulez-vous dire ? »

« Et bien, certaines personnes voient d'un mauvais œil que les femmes occupent des postes comme les nôtres, alors oui, j'ai été soulagé de voir que dans une ville comme celle-ci, il y ait une femme, Maire, et je pense que les habitant m'accepterons mieux, parce que parfois ils sont tellement bornés et ancrés dans leurs stupides traditions que … »

« Une ville comme celle-ci ? Qu'est-ce que vous entendez par là ? Vous pensez que parce qu'on vit au fond des forêts du Maine, on est arriérés, on est archaïques, qu'on ne laisse pas les femmes travailler et que les hommes dirigent tout ? Eh bien non pas dans cette ville, Mademoiselle Swan. »

Oups, j'avais encore trop parlé. J'avais peut-être trop de préjugés moi qui avait grandi dans la jungle des grandes villes, au cœur de la civilisation, au cœur du 21ème siècle.

« Je … je ne voulais pas dire ça Madame le Maire, seulement, il se trouve que même à notre époque, il est parfois encore difficile pour une femme de se faire respecter à un tel poste. J'espère que vous me comprenez ? »

Elle semblait perturbée, elle affichait toujours un mécontentement implacable pourtant son regard changeait pour devenir presque amical et tendre.

« Bien sûr que je comprends. Et si l'on vous cause le moindre problème, je vous soutiendrais. »

« Je vous en remercie »

Son regard me transperça, elle me perturbait vraiment. C'était étrange, et il fallait que je sorte de là. Je l'ai remercié à nouveau et j'ai pris congé. Vite.

Regina Mills :

Je n'en revenais pas qu'elle ait filer aussi vite. Je ne savais pas si cette entrevue avec le nouveau Sherif s'était bien passé, je n'arrivais pas à la cerner. Elle était franche et sarcastique, elle semblait se foutre de tout, et pourtant elle observait attentivement le moindre geste, et mine de rien, elle cherchait à tout comprendre. Son comportement était désinvolte, presque adolescent mais elle était à la Criminelle et les états de service qu'elle m'avait présentés étaient stupéfiants.

Comment avait-elle atterri ici ? Elle avait dû faire une sacrée bourde. Je devais peut-être me renseigner sur elle. Après tout j'allais lui confier la responsabilité de ma ville parce que des Hauts gradés de Boston l'avaient décidé ainsi.

J'ai décroché mon téléphone et j'ai passé quelques appels. J'en ai oublié mes projets de la journée. Je ne pensais plus qu'à l'arrivée de ce nouveau Sherif pas comme les autres.

Emma Swan :

J'avais une impression mitigée. Est-ce que je m'étais mis le Maire dans la poche ou à dos ? Je n'en savais foutrement rien à vrai dire ! Elle était si statique et froide pourtant elle était changeante, c'était infime mais je l'avais vu, il y avait en elle, une faille grande ouverte, presque une tristesse immense qui la consume lentement pendant qu'elle fait mine que tout va pour le mieux. Il y a en même temps un potentiel de joie inexploité chez elle, comme si elle avait oublié comment être heureuse.

Qu'est-ce qu'il me prenait ? Je devais me concentrer. Retourner au poste pour envoyer les accréditations à Boston et commencer à travailler.

Cette ville était beaucoup trop paisible, le chant des oiseaux était la seule chose qui envahissait l'air. J'allais surement m'y habituer mais pour l'instant ça m'agaçait prodigieusement alors j'ai fermé la fenêtre du bureau, je préférais encore le ronronnement des moteurs d'ordinateurs.

Il était 17 heures et il n'y avait rien à faire. J'ai fini les démarches, j'ai pris mes marques, j'ai établi un planning pour les semaines à venir, j'ai pris note des gens importants à connaitre, en gros les membres du conseil. J'ai vaguement feuilleté un vieux guide touristique sur la ville, périmé, qui n'avait plus lieu d'être de toute évidence.

J'informais l'Agent Graham, qui était de garde cette nuit, que je quittais le Poste et que j'étais joignable au Granny's Hotel. Il me fit un vague signe de la main pour me dire qu'il m'avait entendu.

J'ai soupiré et je suis rentrée à l'Auberge.

J'avais des heures de sommeil en retard. Ses dernières semaines avaient été un véritable calvaire pour moi. Je voulais prendre une douche chaude, ne penser à plus rien et dormir jusqu'à demain, en espérant me réveiller ailleurs.

Voilà tout ceux à quoi j'aspirais, me trouver ailleurs.