Assis à flanc de colline, l'homme observait anxieusement la lueur orangée qui naissait à l'horizon. Cela faisait plus d'un an maintenant qu'il contemplait l'astre et sa voute dans leur splendeur naissante. Un spectale si bannal auparavant que comme tant d'autres, il en avait oublié la saveur.

Dénué de sentiments. C'était la première pensée qui venait à l'esprit de chacun quand on murmurait respectueusement son nom, ou plutôt ce sobriquet qu'il avait lui même imposé aux yeux des autres : "celui dont on ne doit pas prononcer le nom". Comme il le haïssait aujourd'hui ! Il s'était élevé au rang de symbole : la Mort et la Terreur pour certains, le phare d'une éclatante obscurité dans la lumière de la bannalité de notre monde.

A présent, l'Astre commençait sa course dans la voute nuageuse qui couvrait le Manoir Riddle et la vie s'afférait autour de lui. Les rares qui avaient l'honneur de dormir dans le manoir se mirent comme chaque jour à papilloner autours de lui, électrons perdus auparavant, gravitant maintenant dans son écrasante présence. Des serviteurs. Rien de plus. A quoi s'était-il attendu ? Il s'était lui même crée l'image d'un sorcier sans pitié dans sa quête. Comment espérer l'amitié en ce cas ?

Il était perdu. Au moment même de son retour à la vie, le voila qui flanchait, tiraillé, écartelé qu'il était par les choix qui s'offraient à lui. D'un côté, il y avait sa quête de pouvoir, son envie corrosive de faire disparaître la mort, tâche qui avait jusqu'à présent occupé la majeure partie de son existence. Et de l'autre, la paix, tout simplement. Le droit de contempler un lever de soleil sans avoir la peur de ressentir la froide lame d'une dague transpersant son échine, de vivre parmis les badaux, ombre parmis les ombres, libéré du fardeau de son existence...

Le fleuve de ses pensées suivait son cours, chaque bras lui offrant de nouvelles possibilités. Sa destination ? Son delta menant à l'Océan de son désir, la Vie, dans tous les cas. L'homme torturé se leva en grognant, puis se dirigea en titubant vers le manoir, aveuglé qu'il était par sa contemplation de cet astre qui lui exposait crûement son être aussi sûrement qu'il lui détruisait la vue. Arrivé dans la bibliothèque il pressa un livre dévoilant ainsi une ouverture secrète. Suivant les lueurs magiques qui éclairaient faiblement le corridor s'étant dévoilé à lui, il arriva dans cette pièce, son jardin secret qu'il s'était créé il y avait cinquante ans de cela. Plongeant la main dans sa collection de trente-trois tours, il en sortit un : six nocturnes de Chopin, musiques de nuits d'été. Le crissement du patin sur le disque ramena en ce lieu de troublants souvenirs : Un tableau, un son mat dans son dos, un cri, de la musique, cette musique. L'odeur pénétrante d'une cigarette... Le disque sauta. Les douces notes du deuxième nocturne chassèrent ces pensées.

Six, Sol, Fa... Comme c'était beau ! Comme l'harmonie semblait facile quand on écoutait du Chopin ! Les notes s'élevaient, une à une, accompagnées par les doux accords de la main gauche, Chaque pression d'une touche, chaque intonation donnée par le pianiste libérant un pannel d'émotions dans son être...Et ces notes, cet aigu prestissimo final qui tel le chant d'un rossignol faisait pleurer autant qu'il faisait réver... Soulevant le patin, il quitta la salle et rejoint le manoir. Il ne pouvait s'arréter maintenant. Il avait trop sacrifié pour flancher à cet instant. Avant de rejoindre ses serviteurs, il eut une dernière pensée pour le plan génial qu'il avait mis à l'oeuvre pour capturer son ennemi de toujours.

A plus de cent kilomètre de là, un jeune homme se réveillait doucement dans son lit. Pour la première fois depuis des mois, son rêve n'était pas devenu cauchemar...

A suivre ( si vous pensez que ca en vaut la peine.. )