« Oh mon dieu, tu l'aimes. »
Il s'était contenté de baisser le regard, percé à jour. Il ne savait pas s'il devait se sentir honteux, soulagé, ou effrayé. Peut-être que cela s'inscrivait en points lumineux dans ses yeux, des petits scintillements qui n'échappaient à personne. Peut-être que c'était dans l'éclat du sourire, cette expression qui déformait ses traits à un point auparavant inconcevable. Ou la manière dont il perdait tout besoin d'avoir un minimum de contrôle de la situation. Ouais, pour le dire simplement, il se sentait bien, et c'était probablement notable. Il eut un mouvement de recul alors qu'il se demandait s'il devait sortir. Il fixa de nouveau Sam, ouvrit la bouche, cherchant ce qu'il devait dire. Il n'était pas très aidé. Habituellement le silence ne le gênait pas, il pouvait rester immobile, à regarder son interlocuteur en chien de faïence, avec toute la miséricorde divine qu'il pouvait réunir dans cette simple attention. Là, l'idée même que Sam puisse se poser des questions sur lui le rendait mal à l'aise. Il tenta de rire, alors que ses épaules étaient tendues, c'était déplaisant.
« Non, Sam. »
Il s'en détourna et sortit, ne laissant pas la possibilité de répondre. Il douta de ses capacités motrices tant les membres étaient raides, il crut une demi seconde que les muscles ne lui obéissaient plus correctement, puis comprit que c'était l'exact opposé. Le corps était en accord, en total accord avec ses pensées, avec les idées qui se heurtaient contre les parois de son crâne, dans un mouvement violent, saccadé, et nié. Il se battit trente secondes avec la poignée de porte, puis la tourna dans le bon sens, et percuta Dean. Évidemment. Il voulut se retourner, vérifier l'état de son protégé et finit par le faire, alors qu'il allait franchir le hall. L'humain avait dans ses orbes cette lueur malicieuse, perçue comme de la provocation par la plupart de ses congénères, une étincelle joueuse, la mèche d'un bâton de dynamite. Avec le temps, la proximité, cela avait plus l'air d'être la manifestation visible de son intérêt pour les choses, avec un œil certes détaché, un peu amusé, mais attentif.
« Sam pense que je t'aime. »
Sans la moindre intonation, c'était juste une déclaration, pas la déclaration. Le récit passablement écourté des journées et nuits passées à chasser ensemble, qui avaient mené Sam à cette conclusion. Ils se permirent un sourire, comme pour se moquer du ridicule de la situation. Ils restèrent silencieux cependant, attendant chacun une réaction de l'autre. Au bout de deux minutes de duel muet Dean succomba au rire nerveux, désincarné, avec les épaules tendues. Castiel eut l'impression de se voir en différé, exactement comme il avait réagi devant Sam, ce qui eut pour effet d'élargir son sourire. Il observa le coin des lèvres de son vis-à-vis en se demandant s'il n'allait pas se coincer un nerf à forcer le rire. Heureusement celui-ci s'arrêta à temps, passa la main dans son cou, laissant transparaître un instant sa gêne. Puis revint au calme habituel de leurs conversations sans mots, car il cherchait précisément les siens. La patience les récompensa lorsque Dean releva légèrement un sourcil.
« Non, Cas'. »
Castiel s'humecta les lèvres, cherchant à répondre, cherchant à interpréter correctement les mots prononcés. Il savait qu'il ne devait pas prendre cela au premier degré, mais cela laissait encore un certain nombre de possibilités concernant le sens, allant du « non, Cas', tu m'idolâtres » au « non, Cas', il le sait ». Et ce n'était pas ce qui intéressait l'ange. Non, ce qu'il voulait savoir c'était le ressenti, le sentiment de Dean sur ce fait qui, même avant d'être évoqué, était irréfutable. Il s'approcha alors, avec une mine indécise, comme prêt à parler, mais n'ayant rien à dire. Il franchit la zone de confort puis l'espace vital jusqu'à ce qu'ils soient sur le point de se toucher.
Puis ils se touchèrent.
