Note d'auteur : Cette fic a été écrite en septembre 2012, dans le cadre du concours d'AlbusDumbledore sur HPF, "Historien d'un autre monde", pour lequel j'ai choisi de raconter un évènement moldu du point de vue d'un sorcier (l'autre option du concours étant de raconter un évènement sorcier du point de vue d'un Moldu). Il s'agit de la Conjuration de Catilina, qui se déroule en 63 avant JC, et qui est un complot politique mené par le sénateur Lucius Sergius Catilina, visant à s'emparer du pouvoir et à renverser le consul Cicéron. Cette fic comptera 4 chapitres, un par Catilinaire (les Catilinaires de Cicéron qui sont 4 discours prononcés par Cicéron durant cette affaire). S'il y a parmi les lecteurs de fervents adeptes des versions de latin classique, ne soyez pas étonnés que le discours de Cicéron ne corresponde pas exactement à ce que vous avez pu traduire, les textes que nous possédons aujourd'hui ne sont pas la retranscription exacte de ce qui s'est dit au Sénat.

Honnêtement, je suis assez fière de cette fic, car j'ai fourni un important travail de recherche pour l'écrire, pour respecter le moindre détail historique, mes sources sont Les Catilinaires de Cicéron, La Conjuration de Catilina de Salluste, les cinq premiers chapitres de La Conjuration de Catilina de Gaston Boissier, historien du XIXe siècle, La vie de Cicéron de Plutarque et un partie de l'Histoire Romaine de Dion Cassius. Je me doute bien que s'il y avait une erreur, peu de gens s'en apercevraient, mais par respect pour mes lecteurs j'ai vraiment voulu faire au mieux, parce que je me dis que si un jour quelqu'un qui a lu cette fic a à faire une version en latin des Catilinaires de Cicéron ou un commentaire sur un texte traitant de cette affaire, il pourra piocher quelques éléments dans cette fic et ne pas risquer de faire une erreur.

Pour les datations en début de chapitres, je me suis fixée à la fondation de Rome, en 753 av JC, et donc l'année 690 correspond à l'année -63. Plusieurs termes dans la fic peuvent laisser perplexe aussi ai-je mis un petit glossaire à la fin, pour en expliquer certains. Et un petit détail qui n'est pas expliqué dans l'histoire : mon personnage principal se nomme Caïus Artorius Licinus, Licinus signifiant "cheveux en brosse ou relevés sur le front".

Un énorme merci à Violetykm qui a bêtaté toute cette fic, ce qui vu la longueur n'a pas été une promenade de santé, un grand merci à elle (notamment pour tous les petits commentaires semés au gré du texte xD) ! :calin:

Bonne lecture !


Chapitre 1

Villa Artoria, Rome, le 7 novembre 690

Caïus Artorius Licinus fit apparaître d'un coup de baguette magique une coupe de vin miellé qu'il s'apprêtait à déguster en toute tranquillité. Il s'installa confortablement sur un des lits du triclinium* et porta la coupe à ses lèvres.

— Père !

A ce cri, il faillit s'étouffer et reposa le calice sur la table face à lui avant de se lever en maugréant.

— Entre, Artoria.

Sa fille unique pénétra dans la pièce, le salua brièvement et croisa les bras à la manière d'une tragédienne grecque. Des pas se firent entendre dans le péristyle* et un instant plus tard, Flavia Artoria entrait à la suite de sa fille dans le triclinium.

— Père, je veux une baguette !

— Artoria ! s'exclama sa mère, l'air scandalisé. Parle à ton père sur un autre ton, je te prie, tu n'as aucun droit d'exiger quoique ce soit dans cette maison !

— Toi non plus, répliqua sa fille en la défiant du regard. Mais, ajouta-t-elle en se tournant vers son père, cela ne change rien au fait que je veux une baguette. Mes frères en ont une, et la fille de Trebellius Noctua m'a affirmé que son père avait accepté de lui en procurer une.

— Trebellius Noctua n'a aucune autorité sur sa fille, il lui passe le moindre de ses caprices, répliqua Flavia avec mépris.

Licinus se pinça l'arête du nez entre l'index et le majeur et soupira. Il avait espéré avoir enfin un moment à lui, pour boire en paix une coupe de vin miellé et ne plus se préoccuper des affaire du Sénat. Mais parfois il avait l'impression qu'à elle seule sa famille lui causait plus de problèmes que tous les sénateurs réunis.

— Père, je vous promets que je ne ferai pas de magie en public, supplia Artoria. J'ai quinze ans père, je suis capable de contrôler ma magie, vous me l'avez appris…

Licinus poussa un nouveau soupir puis regarda son épouse pour avoir son avis. Comme il s'y attendait, elle secoua vigoureusement la tête en signe de dénégation. Il haussa alors les épaules et dit à sa fille :

— C'est non, Artoria. Nous verrons cela lorsque tu te marieras, mais d'ici là tu n'auras pas de baguette.

— C'est injuste ! s'écria Artoria. Cette bêcheuse de Trebellia a tout ce qu'elle souhaite et vous ne m'accordez jamais rien !

Elle fit volte-face et sortit du triclinium sans saluer son père. Flavia poussa un long soupir de lassitude. Complaisant, Licinus lui tendit sa coupe de vin miellé. Après en avoir bu quelques gorgées, se sentant visiblement mieux, Flavia murmura :

— Je ne sais plus quoi faire, elle exige cela depuis les calendes* de septembre.

— Il ne faut pas céder, répondit Licinus. Elle finira par se lasser. Nous lui en offrirons une le jour de son mariage. J'irai en Bretagne* dans quelques mois pour demander à Garthog Ollivander de lui en réaliser une. J'aimerais bien qu'un fabricant de baguettes s'implante à Rome, ce serait tout de même moins contraignant.

Flavia acquiesça et le salua brièvement avant de sortir du triclinium. Licinus soupira de soulagement et s'installa confortablement sur son lit pour profiter un peu de ce moment de solitude. Il avait vu ses fils le matin, il venait d'affronter son épouse et sa fille. En toute logique, il était enfin en paix. Il se servit une nouvelle coupe de vin et en but une gorgée avec délice. Mais alors qu'il allait s'octroyer à nouveau ce plaisir, des coups sourds retentirent à la porte de la villa.

— Par Saturne, c'est donc un complot ! s'exclama-t-il, excédé. On ne me laissera jamais en paix !

Il entendit Galla, son esclave gauloise, ouvrir la porte. Attentif, il écouta ce qui se disait sans pour autant se montrer.

— Tous les sénateurs doivent se réunir, sur ordre du consul Marcus Tullius Cicéron. Caïus Artorius Licinus doit se présenter de toute urgence au temple de Jupiter Stator. Transmets ce message à ton maître.

Il entendit la porte se refermer et le pas léger de la petite Galla qui se dirigeait vers le triclinium. Il en sortit avant qu'elle ne demande la permission d'entrer et elle s'inclina bien bas pour le saluer.

— Un message du Sénat pour vous, maître Licinus, souffla-t-elle. Vous devez…

— J'ai entendu Galla. Je ne sais pas ce qui me retient de leur lancer à tous un maléfice cuisant, pour ne pas me laisser une heure de répit ! ajouta-t-il entre ses dents. Que me veulent-ils encore ?

Il vit Galla ouvrir la bouche comme pour dire quelque chose mais elle la referma aussitôt. Licinus ne pouvait s'empêcher d'être amusé par l'attitude de la jeune esclave, qui se comportait comme s'il se promenait avec un glaive à la main et menaçait de l'en frapper à chaque mot qu'elle osait prononcer. Pourtant elle était une sorcière, comme eux tous dans cette maison. Elle était une esclave certes, mais Licinus avait enseigné la magie à ses esclaves comme à ses enfants, bien que ne se cantonnant qu'aux rudiments élémentaires pour les premiers.

— De quoi s'agit-il, Galla ? demanda-t-il.

— J'ai… j'ai entendu des choses ce matin, lorsque je suis allée au Forum Vinarium acheter votre vin miellé… On aurait essayé d'assassiner le consul dans sa maison, cette nuit !

Elle parut épouvantée par ses propres paroles et Licinus fronça les sourcils. Voilà qui expliquait cette réunion extraordinaire… Quelques temps auparavant, Cicéron avait déjoué les plans d'un certain Lucius Sergius Catilina alors que celui-ci prévoyait de déclencher un grand incendie dans Rome. Leur but était simple : éliminer ceux qui empêchaient Catilina d'accéder au poste de consul, Cicéron le premier. La catastrophe avait été évitée de peu. On murmurait que depuis, Catilina et ses complices avaient tenté d'assassiner le consul sans jamais y parvenir. Mais cette fois, pour qu'une réunion des sénateurs soit demandée, il fallait que ce fût vraiment grave…

Sans attendre, Licinus revêtit sa toge. Catilina n'en était pas à son coup d'essai, il était déjà bien connu pour ses vices et son esprit corrupteur. Il avait attiré à lui de jeunes romains et les avait ralliés à sa cause en leur offrant des banquets, des maîtresses et autres plaisirs qu'ils ne pouvaient s'octroyer. Licinus n'avait jamais eu l'ambition de devenir consul, il préférait demeurer dans la discrétion, comme tous les sorciers de Rome. La magie était omniprésente dans les cultes des romains, et lorsqu'un sorcier était pris en train d'exécuter un sortilège, il lui suffisait de dire qu'un dieu quelconque exprimait sa colère à travers lui.

— Où allez-vous père ?

Licinus se retourna et aperçut son fil aîné Caïus, la tunique couverte de boue et les genoux éraflés.

— Tu t'es encore battu ? soupira Licinus. Où est ton frère ?

— Poenus est en train de le soigner, il a reçu une pierre sur la tête. Ce sont les fils Cominius qui nous ont provoqués ! Ils ont eu le temps de me faire ça avant que je ne sorte ma baguette et donne des furoncles à l'un d'eux ! ajouta-t-il avec fierté.

— Tu as effacé sa mémoire, au moins ?

— Oui, Père, répondit Caïus. Flavianus a été moins rapide que moi, c'est pour ça qu'il a pris cette pierre. Mais il a lancé un maléfice cuisant au cadet des Cominius, vous auriez été fier de lui, Père !

Licinus ne répondit pas et sortit de la villa en vitesse pour cacher son sourire. Il avait été comme ses fils, à leur âge, il ne pouvait décemment pas leur reprocher leurs écarts de conduite. Posséder une baguette magique, un si petit bout de bois qui donnait tant de pouvoir, c'était bien tentant et à leur âge, ils avaient besoin de se défouler, d'autant qu'ils ne faisaient pas de mal.

Licinus s'enveloppa dans sa toge pour se protéger du vent froid, caractéristique des ides de novembre. Fort heureusement, le temple de Jupiter Stator n'était pas très loin, il lui fallait juste remonter la Voie Sacrée. Lorsqu'il arriva au bas de celle-ci, il aperçut une silhouette familière. Cnaeus Trebellius Noctua le salua jovialement et le rejoignit en accélérant le pas. Licinus ne s'étonnait même plus de la chouette qui trônait sur son épaule, et qui lui avait valu son cognomen. D'après Noctua, si on les dressait, elles faisaient des messagers formidables. Les premiers à avoir essayé étaient des sorciers de Condate*, en Gaule. Licinus croyait moyennement à cette méthode et préférait confier ses missives à des coursiers à dos d'hippogriffes.

— Tu sais ce qui se passe ? demanda Noctua.

— Une de mes esclaves m'a dit qu'on avait encore essayé de tuer le consul, répondit Licinus. Ça devient une habitude, en ce moment.

— On connaît les coupables ?

— J'ai mon idée…

Il n'en dit pas plus et les deux sénateurs accélérèrent le pas. Ils entrèrent dans le temple de Jupiter Stator où déjà une bonne partie du Sénat était réunie. Ils s'assirent au premier rang et écoutèrent ce qui se disait. Le nom de Catilina revenait fréquemment. Pas de doute, il était le présumé coupable de cet attentat.

— Jamais il n'osera se présenter, grommela Lucius Amatius Luscus, un vieux sénateur borgne. Il sait trop bien ce qui l'attend…

Licinus échangea un regard avec un autre sénateur sorcier, Aulus Sidonius Sedigitus. Celui-ci écoutait les conversations avec un air attentif, sans cacher un petit sourire amusé. Il pianotait sur son accoudoir de sa main à six doigts, comme s'il s'ennuyait. Licinus cacha son propre sourire, à la vue de tous ces sénateurs qui débattaient avec virulence et proféraient des accusations à tout va, allant même jusqu'à soupçonner la propre femme de Cicéron, Térentia.

— Sénateurs ! clama soudain Cicéron, debout au centre du temple. Citoyens de Rome, écoutez-moi ! Si je vous ai convoqués pour cette réunion extraordinaire, ici, dans le temple de Jupiter Stator, le plus grand des dieux, c'est pour une affaire de la plus haute importance ! Cette nuit, on a essayé de me tuer, dans ma propre maison ! On sous-estimait mes relations, à n'en pas douter, car j'ai été averti de ce complot. Et aujourd'hui, je suis devant vous pour que cette affaire, cette cabale*, soit éclaircie ! Pour que chacun de vous ici présent en ait la connaissance et ne puisse plus ignorer qu'au sein même de notre Sénat la mort nous guette !

Il se tut un instant, comme si quelqu'un lui en avait fait le signe. Licinius tourna la tête vers l'entrée du temple, comme tous les autres sénateurs. Un homme se tenait, droit comme une colonne, sous l'arcade. Il entra dans le temple et salua l'assemblée. Personne ne répondit, on se contenta de le fixer. Il avança vers les gradins et s'assit près du vieux Luscus. Aussitôt, ce dernier se leva et alla s'asseoir plus loin, suivi de tous ses voisins. L'homme se retrouva isolé de tous. Licinius regarda Cicéron. Ce dernier arborait un air triomphal qu'il ne cherchait pas à cacher. Le silence était total, et Cicéron le brisa de sa voix de stentor :

— Catilina, je m'adresse à toi ! Où étais-tu, hier ? Que faisais-tu ? As-tu assisté à la réunion qui se tenait chez Publius Porcius Laeca ?

L'assemblée dévisageait Catilina. Celui-ci semblait troublé, déstabilisé, désorienté. L'attaque de Cicéron, sans préambule, l'avait visiblement surpris, tout comme le comportement des autres sénateurs à son égard. Cicéron semblait déborder d'une énergie nouvelle face à ce triomphe. Le silence de cet homme d'ordinaire si déterminé, si assuré, était ce que Cicéron pouvait espérer de mieux. Licinius échangea un regard avec Noctua, qui ne cachait pas son admiration. Pour un homme dénué de pouvoirs magiques, Cicéron était impressionnant, Licinius ne pouvait le nier.

— Ton silence est des plus éloquents, Catilina, reprit Cicéron. Tu sais qu'il est inutile de te cacher ! Hier soir, tu étais chez Laeca, et tu fomentais un complot pour me tuer !

— Comment oses-tu… commença Catilina en se levant, la voix tremblante.

— Ne nie pas ! s'exclama Cicéron, dont les paroles résonnèrent dans tout le temple. Tu as envoyé deux de tes sbires à ma villa, avec pour mission de m'assassiner ! Les noms de Cornelius et Vargunteius te disent-ils quelque chose ?

Un murmure scandalisé parcourut l'assemblée. Vargunteius était un sénateur, bien connu de tous, et il ne fallut pas longtemps pour que tous les regards se tournent vers lui. L'homme semblait pétrifié face à cette accusation.

— Je n'ai rien à voir avec ces hommes, répondit Catilina.

— Tu continues de nier, malgré tout ce qui t'accuse ? Tu as fomenté un complot, tu préparais une guerre civile, Catilina ! Nies-tu encore qu'une troupe de soldats à Fésules* s'apprête à marcher sur Rome ?

Cicéron avait déclaré cela quelques jours auparavant, et cette annonce n'avait pas manqué de déclencher des murmures terrifiés dans l'assemblée des sénateurs.

— Catilina, tout ce que tu penses préparer minutieusement depuis plusieurs mois, j'en connais le moindre détail ! Tu avais l'intention de faire attaquer Rome, ta propre cité ! Tu avais prévu de commencer par l'Étrurie*, puis de procéder aux massacres dans Rome, tout cela dans le but de prendre ma place, d'accéder au pouvoir, dans ta soif d'ambition sanguinaire ! Tes vices et la corruption de ton âme sont connus de tous désormais. Catilina, ta place n'est plus à Rome.

A cette annonce, les sénateurs détachèrent leur regard de Catilina pour le tourner vers Cicéron. Catilina se leva d'un bond, les poings serrés, une veine palpitant sur sa tempe.

— Tu ne me forceras pas à partir, Cicéron ! s'exclama-t-il. Vous tous ici, personne ne m'y contraindra ! Tu n'as aucune preuve de ce que tu avances, Cicéron, tu parles sans savoir…

— Tous les citoyens de Rome connaîtront bientôt l'étendue de tes crimes ! le coupa Cicéron en le pointant d'un doigt accusateur. Lorsque tu marcheras dans la rue, les gens s'écarteront pour ne pas te toucher, on te dévisagera, on te montrera comme l'ennemi de Rome, celui qui voulait sa perte ! Tu n'es plus un citoyen de Rome, Catilina, tu es son ennemi mortel ! Pourquoi hésiter à partir ? N'as-tu pas d'ores et déjà envoyé des armes, des provisions, des trompettes et des drapeaux à Fésules ? Qu'attends-tu pour aller retrouver tes soldats et le centurion Mallius ? Qu'attends-tu pour déclarer la guerre au peuple romain ?

Le ton montait dans l'assemblée. Certains sénateurs s'étaient levés et appuyaient le propos de Cicéron. Licinius n'était pas en reste. Il savait depuis longtemps que Catilina était un homme de mauvaise vie et avait fait en sorte que ses fils le sachent aussi pour ne pas se faire embrigader. Mais ce qu'il venait d'apprendre l'outrageait. Si cet homme ne quittait pas Rome de son plein gré, il s'arrangerait pour l'en faire sortir lui-même, à coups d'Impedimenta et d'Expulso bien sentis !

— Jusqu'à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ? reprit Cicéron en couvrant de sa voix puissante le bruit de l'assemblée. Le seul fait que tu sois encore en vie n'est dû qu'à mon indulgence ! Nous connaissons désormais les moindres de tes méfaits, qui es-tu pour encore nier ?

Licinius regardait Catilina tandis que Cicéron lui démontrait qu'il avait connaissance d'absolument tout et en donnait pour preuve les discours qui s'étaient tenus chez Laeca la veille au soir. Catilina ne démentit rien, se contentant de défier le consul du regard et de jeter des œillades assassines à Vargunteius qui tentait de se faire oublier en ne prononçant plus le moindre mot.

— Catilina, pars en exil ! continua Cicéron. Tu ne peux pas rester plus longtemps à Rome, je ne le tolérerai pas ! Tes soldats t'attendent, rejoins-les, mais ne nous incommode plus de ta présence ici. Emmène tes complices, ces fléaux de Rome. Te souviens-tu de ta tentative d'assassinat sur moi au champ de Mars, lors des derniers comices consulaires ? J'ai su déjouer tes plans sans troubler la paix, sans troubler la tranquillité publique. Cependant aujourd'hui il ne s'agit plus simplement de moi mais de Rome toute entière, de tous les citoyens, et de la République !

Sans hésiter un seul instant, sans chercher ses mots, Cicéron continua de lui démontrer que personne ne voulait plus de lui à Rome, que sa présence n'était plus souhaitée, que non seulement le Sénat lui enjoignait de partir mais aussi la patrie. Les sénateurs étaient redevenus silencieux, écoutant le discours de cet homme au centre du temple, dont l'énergie semblait lui être insufflée par tous les dieux.

— Écoute le silence de tes juges, Catilina. Aucun d'eux ne réclame ton départ, tous se taisent, et cependant ils n'en pensent pas moins. A quoi bon attendre que tous t'ordonnent de quitter la ville alors que par leurs regards ils te font connaître leur sentence ?

Catilina se tourna vers les sénateurs, comme pour s'assurer des paroles de Cicéron. Il ne pouvait ignorer les regards de haine que tous lui lançaient.

— Il doit mourir !

La voix s'était élevée de la droite des gradins et Licinius reconnut Salluste. Il était de notoriété publique que lui et Cicéron avaient des opinions politiques divergentes et même en cet instant, cela ne semblait pas changer. L'assemblée reprit ses paroles, les répétant comme un mantra.

— A mort ! hurla Luscus. Si tu laisses partir cet homme, Cicéron, tu es faible ! Il faut le tuer, et exposer sa carcasse aux corbeaux !

Tous attendaient le verdict de Cicéron. Licinius et les deux autres sorciers s'étaient tus, se contentant de regarder la haine contre Catilina se déchaîner.

— Croyez-moi, pères conscrits, reprit Cicéron. Si j'avais jugé que la mort était le meilleur châtiment pour Catilina, j'aurais proclamé sa mise à mort sans attendre. Cependant, je ne suis pas homme à tirer ma gloire des assassinats, même s'il s'agit de la mise à mort d'un homme aussi détestable que Catilina. Parmi vous, pères conscrits, il en est qui par la mollesse de leurs conseils ont nourri les espérances de Catilina, car vous refusiez de croire à la conjuration qui couvait. Si Catilina se rend à son camp, rejoint ses soldats et Mallius, alors il n'existera plus un homme ici qui ignorera la conjuration. Si Catilina avait été mis à mort, le danger aurait été écarté pour quelques temps mais aurait ressurgi un jour ou l'autre. S'il part, s'il emmène tous ses complices, alors nous aurons éliminé jusqu'à la racine de ce mal.

Quelques murmures parcoururent l'assemblée, comme des assentiments.

— Il nous faut donc écarter les mauvais, les éloigner de la ville, poursuivit Cicéron. Qu'ils cessent de nuire aux honnêtes citoyens, de tendre des pièges à leur consul dans sa propre demeure, d'aspirer à l'incendie de leur ville. Lorsque Catilina aura quitté Rome, je vous promets pères conscrits que toutes ses machinations seront révélées au grand jour, au vu et su de tous. Catilina, pour le salut de la République, quitte la ville. Pour ton malheur et ta ruine, commence ta guerre impie et sacrilège.

Puis il leva les yeux vers le plafond du temple et s'adressa au plus grand des dieux :

— Toi, Jupiter, toi pour qui fut construit ce temple, toi qui protège cette ville de tes auspices, fais en sorte d'épargner tes autels, tes autres temples, et de livrer ces hommes à la fois pendant leur vie et après leur mort à d'éternels supplices.

Sur ces mots il se tut. Alors Catilina, qui semblait s'être ressaisi se leva et dit d'une voix presque suppliante :

— Cicéron, enfin comment peux-tu croire un instant que j'aie pu souhaiter la perte de la République… La gens* Sergia sert Rome depuis des siècles, mes aïeux n'ont pas à rougir de leur courage à la guerre, clama-t-il à l'attention des sénateurs. Moi, un membre de cette gens si prestigieuse, j'aurais voulu nuire à la ville, à la République, à vous sénateurs ? Je suis un membre de l'aristocratie, j'aime ma ville et j'aime la paix, jamais je n'aurais pu fomenter un tel complot ! Et vous ! Vous pensez que j'aurais pu vouloir perdre la République, moi un homme d'une telle race, alors qu'elle était sauvée par ce fils de chevalier, pas même issu d'une famille de patricien ? Vous…

Mais l'assemblée ne le laissa pas finir. Les paroles de Cicéron étaient bien trop présentes à toutes les oreilles, aussi les sénateurs se déchainèrent-ils contre lui, le traitant d'ennemi public. Licinius mit la main sur sa baguette, craignant que cela ne tourne mal et prêt à jeter quelques sortilèges pour neutraliser les plus violents. Mais Catilina se leva alors et sortit du temple sans mot dire, visiblement furieux. A peine eut-il franchi l'arcade que les sénateurs se déchaînèrent et l'invectivèrent sans retenue. S'ils avaient pu lui jeter des pierres ils l'auraient fait, mais le calme de Cicéron les adoucit aussitôt. Licinius s'approcha du consul et murmura :

— C'est bien ce que tu as fait là, Cicéron. La mise à mort n'était pas la solution.

— En le faisant partir je montre à tous qu'il reconnaît ses faits, et il ne sera pas un homme, une femme, un enfant dans Rome pour ignorer ses crimes.

Les sénateurs quittèrent le temple et se retrouvèrent confrontés à la foule, avide de savoir. Cicéron n'attendit pas pour leur raconter ce qu'il venait de se produire.

~o~O~o~

Licinius rentra chez lui, quittant Noctua et Sedigitus au bas de la Voie Sacrée. La chouette de Licinius voletait derrière lui, le plumage ébouriffé comme si elle avait participé à la colère générale. Une fois dans sa villa, Licinius ne manqua pas de se faire assaillir de questions par sa femme et ses enfants à propos de ce qui s'était passé au temple. Il leur raconta tout, et Flavia ne retint pas plusieurs remarques désapprobatrices à l'égard des hommes dénués de pouvoirs magiques.

— Tu es une des rares sorcières de ta gens, Flavia, lui fit remarquer Licinius. Tes frères, tes cousins, ils ne sont pas tous à blâmer. Seuls certains citoyens de cette ville le sont, et ils ne seront plus là très longtemps.

~o~O~o~

En effet, au milieu de la nuit, l'agitation dans la rue réveilla Licinius. Il se drapa rapidement dans une cape et sortit de la villa, suivi de ses fils. Il suivit le mouvement de foule qui se dirigeait vers la porte de la ville. Catilina s'y trouvait, entouré de quelques complices – sans doute pas tous, songea Licinius. Cicéron était présent, et il n'épargna pas à Catilina plusieurs invectives. Lorsque ce dernier franchit la porte, ce fut poussé par plusieurs personnes, à l'instar des bêtes que l'on pousse dans l'arène. Il partit la tête courbé et non le menton haut comme il l'avait sans doute espéré.

Lorsque tous eurent disparu dans l'obscurité, Licinius enjoignit ses fils à rentrer à la villa, tandis qu'il rejoignait le consul et quelques autres sénateurs qui avaient assisté à la scène.

— Ce n'était qu'un prélude, murmura Cicéron. C'est maintenant que les hostilités vont commencer.


Notes : *Triclinium : salle à manger d'une villa romaine

*Péristyle : galerie de colonnes entourant le bassin de l'atrium (pièce centrale de la villa romaine)

*Calendes, ides, nones : périodes du calendrier romain, les Calendes commencent le 1er jour de chaque mois, les nones le 5 ou le 7 et les ides le 13 ou le 15

*Bretagne : correspond ici à l'actuelle Grande-Bretagne

*Condate : Rennes

*Cabale : conjuration, conspiration

*Etrurie : territoire des Etrusques, actuelle Toscane

*Fésules : ville de Toscane, aujourd'hui appelée Fiesole, près de Florence

*Gens : clan, famille à laquelle appartient un Romain, et qui lui donne son nomen, le 2e nom de son patronyme complet en comportant 3 dont le cognomen qui est le surnom donné à un romain, il suit son praenomen (prénom) et son nomen, il est propre à chaque Romain et lui est attribué en fonction de son physique, de son origine, d'un exploit qu'il aurait accompli, d'une vertu ou d'un défaut moral etc.


Note de fin : J'espère vraiment que vous avez aimé ce premier chapitre, et vos impressions sont les bienvenues ! Si d'autres termes sont un peu trop spécifiques ou si mes définitions ne sont pas claires, n'hésitez pas à me demander des précisions ! Il y a je pense pas mal de termes que je n'ai pas jugé utile d'expliquer parce que je connaissais leur définition, mais j'ai tendance à oublier que tout le monde ne fait pas des études d'histoire et de latin et que non, le mot "cognomen" n'est pas familier à tout le monde ! Merci d'avoir lu et à jeudi pour le chapitre 2 !