Note d'auteure : Comme vous pouvez le constater si vous êtes déjà passé par ici, le prologue n'était pas là avant. Il s'est imposé à moi après que j'aie posté le premier chapitre, mais je me permets de l'ajouter quand même. Et tant qu'à faire des modifications, j'ai aussi apporté des changements substantiels au chapitre 1. Je n'ai pas vraiment changé l'histoire en tant que tel, mais j'ai ajouté des trucs, j'en ai modifié d'autres. J'aime voir ça comme une bonification :p

Évidemment, tout HP est à Rowling et les paroles de chansons ou les citations que je pourrais emprunter à certains auteurs seront toujours accompagnées de leurs noms.

J'espère que mon histoire vous plaira et saura vous toucher (au moins un peu !)

N'hésitez pas à me faire part de vos impressions, bonnes ou moins bonnes.

Sur ce, bonne lecture !

Prologue

Juin 1992

Du plat de la main, Remus retira la poussière recouvrant le couvercle de la boîte. Suspendu quelque part entre appréhension et impatience, il laissa ses doigts glisser sur le carton abîmé par les années, tentant de cerner le flou qui l'envahissait doucement.

Longtemps, il avait redouté, anticipé. Il avait craint de n'être pas prêt, pensé qu'il ne le serait jamais. Certaines blessures ne guérissent pas, croyait-il et, dans un sens, il avait eu raison. Mais le temps passe et use les souvenirs. Il en arrondit les coins, les jaunit, et ils pâlissent. Alors, ça fait moins mal. Les années prennent ce qui déborde du chagrin et, un jour, on comprend pourquoi on vit encore. On réalise qu'on n'est jamais mort parce qu'on s'en serait rendu compte : la souffrance aurait cessé.

Comment allait-il réagir ? En pleurant ? Souriant ? Les deux à la fois ? Serait-ce douloureux… indolore… agréable ? Y trouverait-il quelque réconfort ? Un éclat de bonheur ayant traversé intact toutes ces années pour lui rappeler que la vie avait été belle, malgré tout, qu'elle avait su se montrer clémente et douce. Ou allait-il tout simplement retomber, sans plus rien sur quoi prendre appui, sans personne pour le remettre sur ses pieds…

Ses mains étaient moites, sa respiration superficielle. Son cœur s'emportait, peu à peu. Sa tête était pleine, mais sous ses côtes, il y avait ce vide, cet espace creux dont il ne finirait jamais de faire le tour.

Sans tout à fait s'en rendre compte, il agrippa faiblement les rebords de la boîte qui craqua lorsqu'il en retira le couvercle. Il y eut alors cette odeur de parchemin vieilli, de livre oublié dont émane une senteur de poussière et d'humidité. Un parfum d'oubli, l'odeur du temps.

Ça sentait Poudlard. Les tentures pourpres de la salle commune et les fauteuils usés.

Ça sentait la Cabane hurlante aussi.

Ça sentait le vieux et pourtant, sa jeunesse.

Il pencha la tête au-dessus de la boîte, effleurant les objets et les photos qui passaient sous ses doigts.

Quel fouillis, quel désordre…

Il en sortit quelques photos aux coins retroussés. Une de l'équipe de Quidditch en sixième année. Remus regarda longuement la petite silhouette de James dans son uniforme rouge et or, le « C » brodé juste au-dessus de son cœur. Si ça ce n'était pas un beau symbole…

Et dire qu'à l'époque, tout tournait autour du Quidditch. Quoiqu'il y avait les filles aussi. Dont ils ne parlaient pas autant, certes, mais qui n'en étaient pas moins dans toutes leurs têtes.

Les filles…

Lily et sa résistance. Lily qui lisait du Victor Hugo ad nauseam et dont les yeux cessaient de traverser la page si James tournait le regard dans sa direction. Lily dont les rougissements étaient tellement parlants, tellement dignes.

Marlene, audacieuse et provocante. Marlene dont il avait toujours cru qu'elle souffrait. En silence. En cachette. Un peu comme lui.

Emily. Tous ces beaux espoirs qu'elle amenait avec elle. Emily avec qui tout était tantôt possible, tantôt impossible. Emily qui faisait sauter tant de grenouilles dans son ventre.

Et Jane.

Jane qui était tout ça et tellement plus.

Jane dont le souvenir était crucifixion.

Jane, à laquelle il valait mieux s'efforcer de ne pas trop penser…

Une autre photo, de James et Lily cette fois, enlacés sur un fauteuil de la salle commune. Celle-là, Remus la mit à l'écart.

Puis, un autre cliché. Lily dans sa robe de mariée. Mise de côté. Lily et James sur la piste de danse. Mise de côté. Un baiser échangé entre les nouveaux mariés. De côté. Lily, James et Sirius, très charismatique dans son toxedo…

La main qui tenait la photo se mit imperceptiblement à trembler.

Ces grands yeux pétillants, ce sourire canin…

Dans un mouvement un peu brusque, Remus retourna la photo face contre le sol avant de passer une main nerveuse dans sa barbe longue. Pourtant, ce n'était pas une surprise. Cette boîte, c'était entièrement la faute de Sirius. Sans lui, il n'y aurait pas eu de raison pour enfermer les souvenirs…

Mais sans lui, ça n'aurait pas été pareil.

Pas d'animagus.

Pas d'excursions.

Peut-être même pas d'amis.

Mais ça n'avait été qu'un mensonge.

Pas tout. Pas Poudlard. Seulement la vie d'après, la vraie vie.

Ça aurait été mieux sans lui.

Ça n'aurait pas sauvé Jane.

Ça aurait au moins sauvé tout le reste.

Il reporta son regard sur le visage du garçon d'honneur. Et là, à ce moment-là, est-ce que ça avait déjà changé ?

Non.

Non. Sûrement pas. Remus hésita encore une seconde, puis mit la photo de côté. De toute façon, ce n'était pas Sirius qui importait, pas lui qu'Harry regarderait.

Il retourna à son archéologie et découvrit des photos d'anniversaires, de Noël et d'Halloween. Le ventre rebondi de Lily à tous les stades de sa grossesse. C'était la « chronologie du bedon » comme s'amusait à le dire James.

À plusieurs occasions, Remus se surprit à sourire, enveloppé d'une nostalgie qui le soulageait. Son cœur paraissait moins vide, moins las, plein de quelque chose qui n'avait peut-être pas de nom mais qui faisait du bien, qui redonnait du sens.

Les choses se remettaient progressivement en place, en perspective. Remus faisait le ménage et c'était comme s'il laissait tomber une à une les roches qui s'étaient accumulées dans ses poches, qui avaient alourdi sa démarche, qui lui avaient fait courber l'échine.

De temps à autre, un nouveau visage. Frank ou Alice. Peter, qui n'avait décidément eu aucune chance. Edgar. Scott. Benjy. Mary.

Il y avait des lettres aussi. Beaucoup de lettres. Les lettres d'Emily, de Lily. Les lettres des autres maraudeurs. Et des lettres qui ne lui avaient pas été adressées. La correspondance de Lily et James à l'été de la sixième année. D'autres lettres envoyées et reçues par Sirius…

Les doigts de Remus se raidirent sur l'une d'elles.

James Potter, 23 Charity Road, Godric's Hollow

C'était l'écriture de Sirius.

Jamais Remus ne l'avait lue. Jamais il n'avait rien lu qui ait été adressé à ou écrit par Black, du moins, pas depuis la mort de ses amis. Pas même dans sa quête de sens, dans son désir de comprendre.

Pourquoi ?

Qu'est-ce qui s'est passé ?

Comment est-ce arrivé ?

Quand est-ce que tout a chaviré ?

Qu'aurais-je pu faire différemment ?

Rien d'autre que des questions menant qu'à d'autres, encore plus difficiles à tolérer. Des interrogations qui faisaient tourner en rond, qui empêchaient de regarder ailleurs que derrière.

Mais ce soir, tout semblait différent. C'était comme n'avoir plus rien à perdre. Alors Remus entreprit de toutes les sortir. Celles écrites par Sirius comme celles qui lui étaient envoyées. De les sortir pour les lire, une à une, et peut-être en percer le secret.

Parce qu'il était temps d'arrêter de faire des excuses, temps d'en revenir et, pour ça, il fallait savoir, mettre à prix le confort que lui apportait l'ignorance.

Mais cette petite enveloppe se glissa subrepticement sous ses doigts, cette enveloppe dont le rabat n'avait pas été scellé…

Le temps ralentit alors sa course, parce qu'il avait compris toute l'importance de ce moment. Il sembla qu'un siècle s'était écoulé entre l'instant où Remus s'était trouvé hypnotisé par le fragment de photo qu'il avait entrevu et celui où, glissant ses doigts dans l'enveloppe, il en avait sorti les quatre clichés…

Tandis qu'il caressait la surface glacée de la première photo du bout de son index, une boule douloureuse se forma derrière sa pomme d'Adam.

Jane.

Jane et Lily, posant comme deux stars d'Hollywood sur un tapis rouge à l'anniversaire de James.

Il effleura les traits fins, les cheveux virevoltant autour de sa tête. Il la regarda éclater d'un rire silencieux, qui résonna néanmoins dans sa tête, clair comme le jour.

Merlin. Il l'avait presque oublié.

La deuxième photo présentait les deux mêmes femmes, seule la pose avait changé. Idem pour les troisièmes et quatrièmes.

Sa façon de froncer le nez et le petit air espiègle que ça lui donnait.

Le grain de beauté sur sa clavicule.

La façon qu'avait la lumière de briller dans ses yeux quand elle souriait.

La perfection imparfaite de son corps gracile.

Qu'elle se plaisait à jouer la vedette dès qu'on dirigeait l'objectif de l'appareil vers elle.

Son cœur fut soudainement frappé d'arythmie. Seigneur. Avait-il vraiment oublié tant de ces petits détails qui l'avaient rendue si belle, si pétillante ? Tant de sourires, tellement de ses éclats de rire, beaucoup trop de ses baisers. Il essaya de rappeler à lui l'odeur de savon sur sa peau fraîche, mais le souvenir était si pâle… si désespérément pâle…

Alors il fondit en larmes, sans avertissement, sans crier gare, car c'est comme ça que frappent les pleurs d'hommes. Dans ses sanglots, il y avait cette panique accablante qui noyait ses sens. Avec affolement, il se força à recréer Jane derrière ses paupières closes, mémorisant son visage, les différentes parties de son corps, la douceur de ses mains, les petites particularités de son anatomie. Il fit défiler devant ses yeux les vêtements qu'elle aimait porter, énuméra ses qualités, les choses qu'elle aimait faire, les cadeaux qu'ils s'étaient donnés. Leur premier baiser, leur dernier aussi. À quel point c'était bon de lui faire l'amour. Là où elle aimait qu'il l'embrasse, ce qu'elle disait aimer le plus de lui. Seulement lorsqu'il fut certain de n'oublier rien de l'essentiel se calma-t-il un peu.

Mais ça n'atténua pas la peine, bien au contraire. Assailli de culpabilité, il laissa son dos glisser contre le fauteuil le plus proche. Il avait voulu oublier. Ses sanglots redoublèrent, son cœur sembla imploser. Il avait voulu effacer son rire, son odeur, sa peau, tout ce qui était si bon et si beau en Jane, il avait voulu le rayer de sa mémoire.

Pour engourdir la douleur, pour continuer à vivre. Pour supporter les nuits, aussi, qui étaient porteuses de tant de désirs inassouvis. Le vide dans sa poitrine qui se faisait plus envahissant, qui lui torturait le corps et l'esprit. Le désir tellement fort encore de voler un petit bout d'elle. La voir étendue, nue, juste une fois encore, une toute petite seconde. Effleurer sa joue, sentir le bout de sa langue se faufiler entre ses lèvres, ou juste l'entendre éclater de rire.

Comment pouvait-il espérer la garder vivante s'il avait peur de son souvenir ? Il ne restait plus que lui pour témoigner d'elle… seulement lui…

Il pleura sur le vide, sur l'absence, sur le manque. Sur la vie qui n'en finissait plus de le torturer. Sur l'amour sans issue.

Remus pleura, mais il finit par se redresser. C'était ce qu'il faisait de mieux. Un poignard dans le dos, Remus se relevait. Un coup au cœur, puis debout encore. Peu importait que les jambes soient flageolantes, l'important c'était de pouvoir tenir debout en faisant semblant de n'être jamais tombé.

Il fouilla dans un tiroir où il empilait les traîneries pour un vieux cadre dans lequel il n'avait jamais su quoi mettre. De sa manche, il retira délicatement la poussière sur la vitre, puis y glissa avec d'infinies précautions l'une des photos de Jane et Lily, celle où elles faisaient des grimaces en sortant la langue et en tirant sur leurs oreilles. Il posa le cadre sur le manteau de la cheminée, puis essuya ses joues humides dans le col de son chandail.

Il retourna s'agenouiller près de la boîte de carton, ne sachant plus comment il se sentait à l'intérieur. Cet exercice était-il trop pénible ? Était-ce salvateur ?

Peu importe. Il fallait le faire. Pour Harry, surtout. Mais aussi pour Lily et James, pour Jane, Peter et les autres. Pour se souvenir.

Alors il continua à fouiller. Il posa les yeux sur chaque photo, classa toutes les lettres, prit le temps d'observer chaque objet.

Avec les photos de Lily et James, il fit une pile qu'il plaça dans une enveloppe au nom d'Hagrid.

Les lettres de Sirius, il les laissa sur la table du salon.

Le reste, il le rangea proprement dans la boîte. Puis, avec un certain soulagement, il y reposa le couvercle.

Il regarda s'éloigner le hibou jusqu'à ce qu'il soit hors de vue, songeant à Harry qui avait bien grandi, Harry qui lui aussi vivait dans le manque.

Lorsqu'il se retourna, son regard tomba sur les lettres de Sirius, mais il s'en détourna bien vite. Ce serait pour un autre jour.

Il monta les marches vers l'étage d'un pas lourd, puis sortit une autre boîte du grenier, une boîte bien plus remplie. Dans celle-là se trouvait tout ce qu'il lui restait de Jane Bennett. Et s'il y avait là un détail qui l'avait quitté depuis les années, il le referait sien. Il s'imprégnerait d'elle à nouveau.

Peu importait que ça fasse mal, que tout se torde puis se déchire à l'intérieur. Aimer, ce n'était finalement que souffrir d'amour. Il l'avait bien compris.