Origine : Gundam Wings

Disclaimer : Les personnages principaux ne sont pas à moi, mais à leurs auteurs respectifs. Quand on voit la vie que je leur fait mener, c'est pas plus mal...

Genre : shonen-ai

Couples : 3+4+3, 1x2 très sous-entendu

Remarque : Une petite idée qui m'a frappé en regardant un tour de magie intitulé "le portrait de Dorian Grey". Néanmoins, ça n'a pas grand chose à voir avec le roman du même titre.

Un très très grand merci à ma bêta lectrice, Acratophore, pour sa correction rapide et ses coups de pieds au derrière virtuels pour que je finisse rapidement cette histoire ^_^


Le portrait de Trowa Barton

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Le soleil de midi était légèrement voilé par de fins nuages d'altitude. À croire que même l'astre solaire avait eu besoin d'une petite laine pour supporter les frimas de ce début d'automne. La forêt ne s'était pas encore parée de ses flamboyantes couleurs, mais on sentait que l'été était bien fini. Seul indice témoignant du passage d'une petite pluie la veille, une forte odeur de champignon montait du sous-bois.

Un rouge-gorge curieux se posa sur une fine branche d'un buisson, si légèrement qu'aucune feuille ne bougea, et il observa son reflet dans la vitre teintée d'une imposante voiture noire qui venait de se garer à la limite de son territoire. Il ne bougea pas lorsque la portière conducteur s'ouvrit et regarda d'un œil suspicieux l'humain qui descendit du véhicule. C'était un petit homme corpulent, dont les cheveux noirs commençaient à se clairsemer sur le front. L'odeur de champignon lui fit froncer le nez, faisant frémir sa longue moustache noire. Il se retourna et se pencha pour regarder dans le véhicule.

- Tu peux sortir, nous n'avons pas été suivis.

La portière passager s'ouvrit à son tour, livrant le passage à un jeune homme blond aux traits tirés. Il s'étira, referma doucement la portière et regarda autour de lui. La voiture était garée sur un petit chemin de terre qui passait à travers bois avant de finir dans cette clairière. Un petit manoir semblant dater du début du 20ème siècle en occupait le centre. C'est là qu'ils se rendaient.

Le conducteur claqua sa portière, faisant fuir l'oiseau avec ce bruit si semblable à un coup de fusil, et il rejoignit son passager de l'autre côté du véhicule. Il posa sa main sur l'épaule frêle du jeune homme et la serra légèrement, en signe de réconfort.

- Allez viens Quatre. Je vais te faire visiter, et on déchargera les valises si ça te convient.

- Ai-je seulement le choix ?

Le ton caustique du blond n'échappa pas à son interlocuteur. Pour toute réponse, il fit une légère grimace et tapota l'épaule du jeune homme. Puis, il prit les devants et se dirigea vers la porte d'entrée. Résigné, l'autre le suivit en trainant les pieds, les mains dans les poches. Il avait conscience d'avoir l'air d'un gamin capricieux, mais Dieu que ça faisait du bien de se comporter ainsi parfois. Il n'en pouvait vraiment plus.

La porte s'ouvrit sans bruit, et les deux hommes entrèrent dans le vestibule. Quatre leva les yeux vers le tableau qui faisait face à la porte. Il représentait un jeune homme en pied, grandeur nature, sur un fond complètement noir. Il semblait avoir à peu près le même âge que Quatre, était habillé d'un costume sombre et se tenait très droit, dans une posture rigide, limite hautaine. Le tableau était accroché en hauteur et il avait le visage légèrement baissé, donnant ainsi l'impression de regarder ses visiteurs. Seul un œil émeraude était visible, l'autre était caché par une mèche de cheveux brun-roux.

Le moustachu posa de nouveau sa main sur l'épaule du blond et lui montra le tableau :

- Quatre, je te présente Trowa Barton, mon arrière-grand-oncle.

- Le compositeur ?

- Oui. Tu le connais ?

- Ma prof de solfège en était fan et nous a appris toutes ses partitions. Je n'avais jamais vu de représentation de lui.

- C'est la seule qui existe.

Il soupira et ferma les yeux quelques secondes avant de faire pivoter Quatre face à lui et de lui poser les deux mains sur les épaules. Surpris par son visage soudain grave, le jeune homme ne protesta pas à ce brusque changement de position.

- Quatre, si je t'ai amené ici, c'est parce que je n'avais pas le choix. Partout ailleurs, c'est dangereux pour toi.

- Et pourquoi ça serait différent ici ?

- Personne n'ose s'approcher de cette maison. Déjà elle est difficile à trouver et les riverains savent qu'elle est hantée.

- Vous rigolez ?

Quatre avait écarquillé les yeux à la dernière phrase. Son ton incrédule fit soupirer l'autre homme.

- Non, je ne rigole pas. Viens, je vais te montrer quelque chose.

Une porte s'ouvrait de chaque côté du portrait. L'homme prit le bras de son protégé et passa la porte de droite. Ils entrèrent dans ce qui semblait être le salon. Il était grand et lumineux, à peu près carré. Deux fenêtres dans le mur de droite et deux autres sur celui de gauche permettaient au soleil qui se montrait enfin d'entrer à flots par les quatre ouvertures. Il était meublé avec goût, dans des tons pastels, mais quelque chose clochait, le blond n'aurait su dire quoi exactement. Il continua à examiner la pièce pour comprendre.

Deux télévisions se faisaient face à chaque extrémité de la pièce, placées entre les fenêtres, avec devant chacune d'elles un canapé trois places et un fauteuil crapaud. Deux bibliothèques bien garnies faisaient face à la porte, avec une porte de chaque côté des meubles. Plus près de lui, juste à sa droite, un guéridon avec un vase en porcelaine et un téléphone à cadran vert olive, puis une porte. Quatre regarda à gauche, et fut étonné de trouver un autre guéridon, avec le même téléphone et le même vase, avant une autre porte.

Soudain, Quatre comprit ce qui le gênait depuis son entrée dans la pièce. Il y avait deux portes côte à côte, placées au milieu de la pièce, alors qu'il aurait dû y avoir un mur à gauche de la porte qu'il venait de passer. Et chaque meuble était en double, placés de façon totalement symétrique.

- Monsieur H, pourriez-vous m'expliquer ?

- Ceci est un mur.

Et pour accompagner sa phrase, il fit un grand geste vers la gauche. Sa main fut arrêtée en plein air, avec un bruit sourd, alors qu'il n'aurait pas dû y avoir d'obstacle. Fasciné, Quatre se rendit alors compte que ce qu'il avait pris pour la seconde partie de la pièce était en fait un mur peint, représentant le salon en trompe-l'œil, dans ses moindres détails. Il passa la main sur la surface dure et plate qu'il ne voyait que difficilement, tant l'illusion était parfaite. La seule chose qui lui permettait de savoir qu'il ne se trouvait pas devant un miroir, c'est qu'il n'avait pas de reflet.

Devant le visage émerveillé de Quatre, monsieur H reprit :

- Toutes les pièces sont comme ça, avec un mur en trompe-l'œil représentant la pièce.

- Toutes ?

- Sans exception. Même la salle de bain et les toilettes.

- Euh, ce n'est pas gênant ? On ne risque pas de se tromper ?

- Non, c'est le mur qui est derrière la cuvette, heureusement. Mais dans les autres pièces, c'est assez dangereux si on ne fait pas attention. Maintenant, regarde bien.

Il se dirigea vers le vrai guéridon et prit le vase. Puis il revint vers un Quatre étonné.

- Et alors ?

- Alors, on sort.

Interloqué, Quatre suivit son protecteur dans le vestibule. Monsieur H referma la porte du salon, puis la rouvrit et rentra de nouveau dans la pièce. Il n'avait toujours pas lâché le vase. Quatre le suivit, totalement perdu par le comportement étrange de cet homme habituellement très pragmatique, comme on l'attend d'un impresario.

Il le vit retourner au guéridon et reposer le vase à sa place. Le blond commençait à s'énerver, il n'avait pas le cœur à faire des devinettes. Il croisa les bras et regarda méchamment monsieur H. Ce dernier lui montra le mur peint. Quatre se retourna et regarda la peinture, mais il ne vit rien qui sorte de l'ordinaire.

- Il n'y a rien. Vous pouvez m'expliquer ?

- Regarde mieux le guéridon, il ne manque rien ?

Soupirant à fendre l'âme, Quatre regarda le meuble peint. Il était toujours à la même place, avant la porte, avec toujours le même téléphone antique. Il ne voyait pas ce q... Il ouvrit lentement la bouche, les yeux exorbités et le visage exsangue et bredouilla :

- Le... le... le vase... Y'a plus de vase...

Le pauvre Quatre semblait en état de choc. Il passait la main sur le mur, sur le guéridon peint, essayant de comprendre le truc, sans succès. H eut pitié de lui et le prit gentiment par le bras. Il l'entraîna à sa suite par la porte du fond, pour l'amener dans la pièce suivante. Ils traversèrent la cuisine américaine et monsieur H assit Quatre sur une des chaises entourant la table de la salle à manger. Puis, il retourna de l'autre côté du plan de travail et prépara un café.

Une fois ce dernier prêt, il revint à table et posa une tasse fumante devant le petit blond qui n'avait toujours pas réagi. Par automatisme, ce dernier porta le café à ses lèvres et but une gorgée. Il faillit recracher le liquide bouillant, tellement celui-ci était amer, grimaça et jeta un regard de reproches à H, qui lui tendit le sucre en souriant. Quatre mis trois sucres dans sa tasse, touilla et goûta précautionneusement le liquide brûlant. Le trouvant à son goût cette fois, il prit la parole :

- C'est le pire café que vous ne m'ayez jamais fait.

- C'était fait exprès, ça t'a fait réagir. Tu veux des explications sur cette histoire de peinture ?

- Oui, je veux bien, surtout si je dois rester ici.

- Cette maison appartenait à Trowa Barton. Il a disparu un jour, sans laisser de traces. C'est sa sœur, Catherine, mon arrière grand-mère, qui a récupéré la maison après plusieurs années de vaines recherches. Les peintures sont apparues au moment de sa disparition, de même que son portrait dans le vestibule. Je ne sais pas grand chose de plus sur leur origine.

- Donc vous ne savez pas pourquoi ni même comment ça marche ?

- Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai fait des essais, et je peux te dire comment ça marche.

H but un peu de son café, grimaça aussi sous le regard goguenard de son vis-à-vis, rajouta un sucre et reprit une gorgée. Puis, il se lança dans ses explications :

- Toutes les peintures agissent comme de véritables miroirs. Où que tu sois dans la pièce, la perspective est respectée, comme s'il y avait vraiment une autre pièce en face. Quand je suis venu la première fois, je me suis assommé en me prenant un de ces satanés murs peints. J'ai donc fait venir un architecte d'intérieur qui a tout redécoré en moins d'une journée. Rien n'avait changé sur les murs peints, et j'étais bien content, je n'allais plus m'assommer.

- Mais...

H leva la main pour couper Quatre :

- Laisse-moi finir.

Le blond hocha la tête et sirota son café. H reprit :

- Le lendemain, quand ma femme et moi nous sommes levés, les murs reflétaient la nouvelle déco. Étonné, j'ai fait le tour des pièces, et en passant dans le vestibule, j'ai cru avoir une attaque : Trowa n'était plus dans son cadre.

La révélation avait stoppé la tasse de Quatre à une dizaine de centimètres de sa bouche. Sans tenir compte des yeux exorbités du blond, l'homme continua :

- Je l'ai retrouvé dans la salle de bain. Il était peint sur le mur, et il tenait la pomme de douche à la main. Il la regardait d'un air étonné, je suppose qu'il n'en avait jamais vu. La précédente salle de bain était équipée d'un vieux tub qu'il fallait remplir avec des seaux. J'ai essayé de le toucher, comme toi tout à l'heure, mais je n'ai rencontré qu'une couche de peinture sur un mur. Ma femme et moi avons fait quelques essais pour savoir comment ça marchait.

- Vous n'avez pas eu peur ?

- Ma femme, oui. Elle ne me quittait plus d'une semelle. Moi, pas trop, j'étais surtout intrigué.

H éclata de rire devant le visage incrédule de son protégé.

- Bin, quoi ? C'est pas tous les jours qu'on peut assister à un truc pareil.

- Vous êtes vraiment bizarre, je vous l'ai déjà dit ?

- Quelques fois. Enfin bref, après quelques essais, je me suis rendu compte que les peintures ne changeaient que quand il n'y avait personne dans la pièce, c'est d'ailleurs pour ça que rien n'avait changé après le passage du décorateur. Il y avait eu du monde dans toutes les pièces toute la journée. Ça change aussi quand on s'endort. Trowa semble être assez indépendant de la déco, il peut se déplacer dans toutes les pièces, mais comme le reste, il ne bouge que quand y'a personne. Je l'ai entendu jouer de la flûte quelques fois, mais toujours quand il n'y avait personne dans le salon de musique. Je l'ai interrompu une fois en entrant dans la pièce, il était debout avec sa flûte traversière sur les lèvres. La musique n'a pas repris quand je suis ressorti et il n'a plus jamais joué quand j'étais dans la maison. Je suppose qu'il me punit de l'avoir interrompu.

- Vous avez jamais essayé de repeindre ces murs ?

- Oh si, sur l'insistance de ma femme. La peinture commençait tout juste à sécher qu'elle s'écaillait toute seule et tombait au sol. En moins d'une journée, c'est comme si on avait rien fait. Pareil avec le papier peint, il se décolle tout seul. Si on l'agrafe, les agrafes sautent du mur comme des bouchons de champagne, pareil avec des clous ou des vis. Et si on a le malheur de poser un meuble devant, il est renversé dès qu'il n'y a plus personne dans la pièce.

- C'est Trowa qui fait ça ?

- Non. Un jour, j'ai demandé à ma femme de rester dans la pièce où il se trouvait, pour l'empêcher de bouger, et j'ai mis une bibliothèque vide contre le mur de la pièce d'à côté. Quand je suis revenu voir ma femme, Trowa n'avait toujours pas bougé, mais on a entendu un énorme fracas. La bibliothèque venait de se renverser.

Les deux hommes restèrent un petit moment sans parler, Quatre parce qu'il réfléchissait et H parce qu'il n'avait rien d'autre à ajouter. Puis, le blond regarda son impresario dans les yeux. Il ne semblait plus du tout déstabilisé par cette découverte. Il demanda :

- Et à part les peintures changeantes, il n'y a aucune autre manifestation bizarre ?

- Non, c'est tout. Je te l'ai dit, on peut entendre Trowa de temps à autre, quand il joue par exemple, mais c'est tout. Je ne pense pas que ça te gène d'entendre un célèbre compositeur jouer ses morceaux ?

Quatre sourit à son impresario, qui lui rendit son sourire. Il se leva, prit les tasses vides et alla les mettre dans le lave-vaisselle. Puis, il revint vers Quatre.

- Allez, je te fais visiter, puis, on ira chercher tes affaires. Et puis tu ne resteras pas longtemps, ça sera bientôt fini.

- Monsieur H, ça fait plus de deux mois qu'on me dit que ça sera bientôt fini. Je ne m'avancerai pas si j'étais vous.

H soupira, conscient que son protégé avait raison, puis il lui fit signe de le suivre. Il lui montra la terrasse, à laquelle on pouvait accéder depuis la salle à manger par une porte fenêtre, mais il lui ferait visiter plus tard. Ensuite, il l'amena dans la partie cuisine, pour lui montrer où se situaient les ustensiles et comment fonctionnaient les plaques et le lave-vaisselle. Puis, ils retournèrent au salon. Monsieur H lui montra les toilettes, accessibles depuis la porte à côté du guéridon et éclairés par un œil de bœuf, puis ils passèrent dans le vestibule. Quatre leva les yeux sur le portrait, mais ne vit qu'une toile noire et vide. Il sursauta. H l'avait prévenu, mais le voir en vrai était assez impressionnant.

- Effectivement, il n'est pas là.

- Non, il y est rarement d'ailleurs. Il ne s'y retrouve presque que quand quelqu'un rentre. Si une personne se trouve sur le palier dehors, et même s'il y a quelqu'un dans le vestibule ou dans la pièce où Trowa se trouvait avant, il disparaît d'un coup pour réapparaitre dans son cadre, dans la position dans laquelle on l'a vu toute à l'heure. Je ne sais pas pourquoi.

Puis ils passèrent par la porte à gauche du portrait, qui menait à un long couloir éclairé par un double puits de lumière. Trois portes s'ouvraient à gauche, trois autres en symétrie en face et deux portes côte à côte au bout. Quatre se retourna. La porte qu'il venait de passer avait une jumelle sur sa droite.

H sourit et posa sa main sur le vide à droite.

- Le couloir est deux fois moins large que ce que tu vois. Le mur peint est à droite et sur toute la longueur. Ne te trompe pas de porte en sortant !

La première porte à gauche donnait sur la salle de bains. Elle contenait une grande baignoire à pieds avec un pommeau de douche et un rideau contre le mur face à la porte, flanqué d'une machine à laver. Il y avait aussi un lavabo surmonté d'un miroir, un petit meuble de rangement et un radiateur sèche-serviettes sur le mur de la porte et des toilettes contre le mur de gauche. Le mur de droite était peint.

La seconde porte du couloir menait à une chambre avec une fenêtre. Elle était meublée d'un lit double tendu de blanc cassé, d'une armoire en cerisier et de tables de nuit assorties. H précisa que sa femme et lui dormaient là quand ils venaient en week-end. Apparemment, sa femme avait fini par se faire une raison et n'avait plus peur de Trowa, même si elle essayait de rester le moins longtemps possible dans la même pièce que lui.

La porte suivante donnait sur une chambre un peu plus grande, avec deux fenêtres, meublée de la même façon que la première, mais en sapin cette fois, et la literie était bleue. H précisa que c'était la chambre d'amis, mais que le seul à y avoir jamais dormi était son fils. Dans les deux pièces, l'armoire trônait sur le mur de gauche, le lit était tourné de façon à avoir la tête contre le mur avec les fenêtres et le mur de droite était peint. Soudain, alors qu'ils allaient sortir, Quatre demanda :

- Trowa dort dans quelle chambre ?

- Je ne sais pas, je ne l'ai jamais vu dormir. Ne t'en fais pas, tu ne risques rien, il est seulement peint sur le mur.

-Hum...

Quatre semblait dubitatif, mais son expression s'illumina lorsqu'ils entrèrent dans la pièce au bout du couloir, le salon de musique. Le long du mur de la porte, il y avait deux vitrines remplies d'instruments à vent de toute sorte, depuis des ocarinas délicatement décorés jusqu'à un hautbois en ébène, en passant par toutes les tailles de flûtes. Une sublime flûte traversière Boehm (1) en argent massif reposait sur un coussin, à la meilleure place dans la première vitrine. H la présenta comme celle de son illustre aïeul. Sous la fenêtre, un fauteuil et un guéridon. Sur le mur en face de la porte, une bibliothèque remplie de partitions et autres livres sur la musique cohabitait avec une porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse.

La pièce était reflétée sur le mur à droite de la porte donnant dans le couloir. Trowa s'y tenait, tranquillement affalé dans le fauteuil, ses longues jambes croisées sur l'accoudoir, pieds nus et lisant un livre. Il s'était changé, délaissant le costume guindé pour un simple jean bleu délavé et un pull à col roulé vert bouteille. Quatre s'approcha de la peinture pour lire le titre, suivi de H.

- Wang (2). Ce n'est pas un livre de musique. Il vient de cette pièce ?

H secoua la tête.

- Non, il vient du salon. Je ne savais pas qu'il pouvait sortir les objets des pièces, je n'ai jamais trop fait attention à ce qu'il lit.

- Bah, c'est logique, on peut bien le faire, nous, pourquoi pas lui ?

- Parce que les livres sont peints.

- Vous m'avez dit qu'il pouvait jouer de la flûte, c'est donc que ce n'est pas peint pour lui.

H pencha la tête sur le côté, comme toujours quand il réfléchissait sur un sujet ardu. Il finit par hausser les épaules.

- Peu importe après tout.

Quatre n'était pas de son avis, il avait envie de mieux connaître l'univers du compositeur disparu. Mais ne voulant pas entrer dans une conversation stérile avec son impresario, il se détourna de la peinture et le suivit sur la terrasse. Elle était en robinier traité de façon à ressembler à du teck clair. Elle était très grande, deux fois l'étendue du salon de musique au moins. Une table en teck et les chaises assorties étaient protégées des intempéries par un auvent en toile huilée bleu et blanc, presque en face de la porte menant à la salle à manger. Des jardinières en bois contenant des géraniums délimitaient la terrasse dans le prolongement des murs de la maison.

Aucune trace de peinture sur le mur ici, hormis le crépi crème qui recouvrait toute la maison. Quatre eut un léger pincement au cœur en pensant que Trowa ne pouvait pas sortir, avant de se morigéner silencieusement. Pourquoi le sort de cet homme mort depuis longtemps et dont le fantôme se baladait dans des peintures pouvait le préoccuper à ce point ?

L'impresario se retourna et invita Quatre à le suivre pour retourner à la voiture. Là, ils sortirent les cinq valises du musicien ainsi que son étui à violon et deux cartons de nourriture. Même si H soutenait qu'il ne resterait pas longtemps, Quatre avait amené la quasi-totalité de sa garde-robe, car il ne pourrait pas retourner chez lui avant que cette affaire soit réglée.

En rentrant chargé de deux grosses valises, Quatre put constater le retour de Trowa dans son cadre. Il était de nouveau vêtu de son costume sombre et était en tout point semblable à la première fois qu'il l'avait vu. H arrivait derrière avec un carton, aussi Quatre sortit de sa contemplation pour prendre le chemin de la seconde chambre.

Il ne voulait pas dormir dans celle de son hôte, il trouvait cela déplacé. Et tant pis si Trowa y dormait aussi. Après tout, c'était une peinture, il ne risquait pas de ronfler...

Il posa ses valises sans prendre le temps de les défaire et partit chercher les suivantes. À chaque aller-retour, Trowa était toujours dans son cadre. Quatre se rendit compte qu'il y restait tout le temps, il en avait peut être marre de réapparaître à chaque fois que l'un des deux passait la porte.

H s'était occupé de ranger la nourriture dans la cuisine, laissant à Quatre le soin de ses affaires. Finalement, il ne resta bientôt plus que le violon. Le jeune homme le porta dans le salon de musique puis décida d'aller aider H à ranger la cuisine. Il n'avait pas le courage de défaire tout de suite ses valises.

En passant par le vestibule, il leva machinalement les yeux vers le cadre. Trowa était toujours là, mais il avait changé de posture. Il avait les bras croisés sur la poitrine et regardait Quatre avec un air mauvais. Le blond frémit un peu et se hâta de rejoindre H dans la cuisine.

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À la fin de l'après-midi, H prit congé. Il fit une accolade au jeune homme qui était venu l'accompagner à sa voiture, en lui disant que tout allait bientôt s'arranger et qu'il pourrait rentrer chez lui et reprendre une vie normale. Les deux hommes savaient l'un comme l'autre que c'était plus un vœu pieux qu'une certitude, mais ils firent comme si de rien n'était. H s'assit au volant, alluma le moteur, puis, semblant se souvenir de quelque chose, il ouvrit sa fenêtre.

- De toute façon, je reviendrai jeudi avec le ravitaillement. Si tu as des envies particulières, ou même si tu veux juste parler, n'hésite pas à me téléphoner, mon numéro personnel est noté dans le carnet à côté du téléphone.

- Entendu monsieur H. Merci encore.

- De rien mon garçon. Je me sens un peu responsable de ce qui t'arrive. À jeudi alors.

Et il referma sa vitre. Il fit quelques manœuvres pour faire faire demi-tour à sa grosse voiture sans l'embourber dans le fossé et reprit le chemin en sens inverse. En passant devant Quatre, il lui fit signe de la main. Le blond lui rendit son salut et resta sur le bord à regarder la voiture s'éloigner jusqu'à ce qu'elle disparaisse au détour du chemin. Puis, lorsque même le bruit du moteur ne fut plus qu'un lointain souvenir, Quatre soupira et reprit à pas lents le chemin de sa nouvelle demeure.

En passant le seuil, il leva de nouveau les yeux sur Trowa. Il avait repris sa position habituelle, mais il semblait en colère, son seul sourcil visible était froncé. Se doutant qu'il devait vraiment être en rogne pour avoir réussi à changer sa posture d'origine, même si c'était sur un détail aussi insignifiant que la position d'un sourcil, Quatre eut une réaction bête. Il regarda à son tour le portrait d'un air méchant et dit d'un ton rogue :

- Quoi ? Qu'est-ce que je t'ai fait ?

Il ne fit même pas attention au fait qu'il l'avait tutoyé, ni qu'il avait l'air passablement idiot à râler sur un tableau. Il attendit quelques instants. Puis, comme il ne se passait rien, il soupira, se voûta un peu et passa au salon d'un air las. Il ne savait pas ce qui lui avait pris. Et pourquoi était-il si déçu ? Il savait pourtant qu'il n'aurait pas de réponse. H l'avait prévenu qu'il ne bougeait jamais quand quelqu'un était dans la pièce. Il traversa lentement le salon pour aller se faire un thé à la cuisine. Il avait besoin de quelque chose de chaud.

En entrant dans la pièce suivante, il se dirigea directement vers la bouilloire. Il mit l'eau à chauffer et prépara de quoi se faire un thé à la menthe. Ça le calmait toujours d'habitude, et il avait besoin de faire le point. Lorsque l'eau fut chaude, il la versa dans la tasse, sur le sachet et la cuillère de miel qu'il y avait mis au préalable et il se retourna avec sa tasse avec l'intention de se réfugier dans le fauteuil du salon.

Il n'alla jamais jusque là. Il ne l'avait pas vu en rentrant, mais Trowa l'avait précédé dans la pièce. Il se tenait tout contre la paroi, toujours en costume et avec cet air renfrogné. Il tenait un bloc de sténographie à bout de bras, à hauteur des yeux du petit blond. Quatre pouvait y lire, d'une belle écriture calligraphiée et en grosses lettres : "Tu m'as fait perdre ma page !"

Quatre cligna des yeux plusieurs fois, posa sa tasse sur le plan de travail et se rapprocha du mur. Il tendit une main tremblante et la posa sur la feuille. Encore une fois, c'était une simple peinture. Il prit une grande inspiration en se pinçant l'aile du nez, reprit sa tasse et en bu une gorgée pour se calmer. Puis une deuxième. Et une autre. Enfin, il se tourna vers Trowa, qui n'avait pas bougé d'un poil.

- Est-ce que ça veut dire que tu entends tout ce qu'on dit ?

Il attendit une réponse, avant de se souvenir qu'il ne bougerait pas s'il restait dans la pièce. Il sortit donc rapidement dans le salon. Une fois la porte refermée, il colla son oreille contre, mais n'entendit rien, peut être un infime grattement, mais il n'était pas sûr que ce n'était pas lui qui l'avait produit en posant sa main sur le bois. Il attendit quelques secondes, puis rentra dans la cuisine. Trowa n'avait semble-t-il pas bougé, mais sur le bloc, sous la première phrase, Quatre pouvait lire : "Oui".

Quatre encaissa l'information. Puis il essaya de comprendre la première phrase. Comment avait-il pu faire perdre sa page à une peinture ? Soudain, il comprit. H avait dit que dès que quelqu'un était sur le perron, Trowa apparaissait dans son cadre en costume. Hors, juste avant, il lisait tranquillement dans le salon de musique. Quand il était apparu dans son cadre, le livre avait disparu, retournant sûrement à sa place, c'est-à-dire dans la bibliothèque du salon.

Voulant vérifier son hypothèse, Quatre retourna une fois de plus dans le salon. Il chercha le livre en question dans la bibliothèque. Il le trouva facilement, c'était un format 15x20, avec un dos large de 5cm bleu foncé et le titre écrit en gros et en rouge. Une fois qu'il l'eut repéré dans le vrai meuble, il s'approcha du mur peint et tendit le cou pour le retrouver sur la peinture. Effectivement, le livre était là. Avec le titre écrit dans le bon sens, ce qui n'aurait pas été le cas s'il s'était agi d'un miroir.

Quatre retourna dans la cuisine, un peu rasséréné. Trowa était toujours là. Il devait en avoir eu assez de tenir son bloc à bout de bras et il s'était juché sur le plan de travail. Il avait posé le bloc à côté de sa cuisse, et conservait une main posée dessus. Quatre se fit la réflexion qu'il devait l'avoir posé à l'instant. Le blond se mit dans ce qu'il imaginait être le champ de vision du brun et il le regarda dans les yeux avant de s'incliner légèrement.

- Pardon de t'avoir fait perdre ta page, je ne savais pas. Et puis, je devais vraiment passer la porte pour décharger mes affaires.

Quatre fit une pause et se mordilla la lèvre inférieure le temps de trouver comment continuer. Finalement, il se lança.

- Je ne sais pas combien de temps je resterai ici, mais j'aimerais qu'on soit au moins en bons termes, à défaut d'être amis. Alors, si tu pouvais me faire une liste de ce que je ne dois surtout pas faire pour ne pas te gêner, ça m'arrangerait.

Puis, il se détourna de la peinture et commença à sortir. Arrivé devant la porte, il s'arrêta quelques secondes.

- Je vais dans ma chambre pour défaire mes bagages. J'en aurai pour une grosse demi-heure je pense.

Sur ces mots, il sortit et traversa toute la maison pour aller dans la chambre qu'il s'était attribué. Il posa la première valise sur le lit et entreprit de ranger les vêtements dans l'armoire. Cette dernière était très grande, avec une partie penderie et de nombreux cintres. Quelques vêtements étaient pendus là, et Quatre n'y toucha pas. Ce n'était pas sa maison après tout, et monsieur H lui en voudrait peut-être s'il déplaçait trop de choses. En plus, ça ne le gênait pas pour ses propres habits, il y avait assez de place.

Quand il eut tout rangé, il empila ses valises comme des poupées russes et les mit sous le lit. Il s'étira et regarda sa montre. Cela faisait presque trois quarts d'heure qu'il avait commencé, et il décida de chercher Trowa, pour savoir si ce dernier lui avait répondu. Il commença par chercher dans le salon de musique, puis fit toutes les pièces donnant dans le couloir, sans succès.

Finalement, il le trouva au salon. De nouveau, il s'était changé, retrouvant son jean et son col roulé. Il était assis dans le fauteuil et lisait son livre. Une feuille dépassait de la couverture, suffisamment pour que Quatre puisse lire : "Une seule chose : Ne reste pas dans une pièce où je lis, ça m'empêche de tourner les pages". Quatre sourit, heureux que le compositeur lui ait répondu.

- D'accord, alors je vais faire à manger. Au fait, est-ce que tu manges ? Et si oui, veux-tu que je te cuisine quelque chose, pendant que tu lis ?

Puis, il alla dans la cuisine et prépara à manger pour deux personnes. Si Trowa ne pouvait pas manger la même chose que lui, tant pis, il aurait déjà son repas pour le lendemain. Lorsqu'il revint dans le salon, Trowa lisait toujours, mais le papier qui dépassait du livre disait maintenant : "Oui, je mange. Mais seul." Un peu triste sans trop savoir pourquoi, Quatre répondit avant de retourner dans la cuisine :

- Bien. Mais sache que j'ai fait à manger pour deux. Je laisserai l'autre part au frigo, tu pourras la manger si tu le souhaites.

Puis, il mit la table et mangea tristement. Il ne comprenait pas pourquoi le fait de manger seul le déprimait à ce point, il en avait l'habitude pourtant. Il fut interrompu dans ses réflexions par la sonnerie du téléphone. Il sursauta violemment, lâchant sa fourchette qui tomba dans l'assiette avec un bruit qui sembla retentissant. Tremblant, il se rendit dans le salon. Trowa était toujours au même endroit, il avait levé la tête de son livre et regardait le vrai téléphone. Le sien ne devait pas faire de bruit.

Quatre se plaça devant le téléphone qui sonnait toujours et hésita à prendre le combiné, comme si ce dernier pouvait le mordre. Il prit une grande inspiration, décrocha et mit le téléphone à son oreille, mais sans rien dire.

- Quatre ? C'est H à l'appareil.

Quatre soupira de soulagement en fermant les yeux. Il arrêta de trembler et répondit :

- Vous m'avez fait peur. Ce téléphone ne montre pas le numéro du correspondant.

- Oh, pardon. J'avais oublié que c'était un vieux machin qu'on avait mis là-bas. En fait, j'appelais juste pour vérifier que la ligne fonctionnait toujours. On ne va pas souvent dans cette maison et je ne savais plus si j'avais demandé à l'opérateur de suspendre la ligne.

- Apparemment, ça fonctionne.

- Tant mieux alors. Tu n'as besoin de rien ?

- Non, monsieur H. Tout va bien, mon colocataire n'est pas exigeant.

- Bien. Une dernière chose. Je sais que ce n'est pas marrant de rester enfermé tout le temps, mais j'aimerai autant que tu évites de sortir, et surtout que tu n'ailles pas dans la forêt, on ne sait jamais. Oh, et si jamais quelqu'un sonne ou toque à la porte, n'ouvre surtout pas. Ça ne peut pas être moi, j'ai les clés.

- D'accord.

- J'ai ta promesse que tu ne feras rien d'inconsidéré ?

- Vous l'avez.

- Alors bonne soirée. Je t'appelle si j'ai du nouveau.

- Au revoir.

Et il raccrocha. Il reprit le chemin de la cuisine quand il se souvint de la présence du fantôme.

- Oh, pardon Trowa. Je suis resté un peu trop longtemps, mais je ne pouvais pas prendre la communication ailleurs. Désolé. Je vais juste faire la vaisselle, puis je prendrai un livre et j'irai lire dans le salon de musique, comme ça je ne te gênerai plus.

Aussitôt dit, aussitôt fait. N'ayant plus faim, il rangea les reliefs de son repas, mis la vaisselle à laver et revint dans le salon. Il ne s'attarda pas devant la bibliothèque et prit le premier livre dont le nom l'accrocha, avant de sortir précipitamment pour se rendre dans le salon de musique.

Là, il s'installa dans le fauteuil, rassembla ses jambes sous lui et commença sa lecture. Il ne voulait surtout pas s'appesantir sur le sentiment de honte qu'il avait ressenti à se montrer aussi peureux devant Trowa. Il craignait maintenant que le compositeur ne le trouve pitoyable.

Finalement, et bien que l'ayant prit complètement au hasard, son livre réussit à lui changer les idées. Il était même tellement captivant qu'il ne vit pas le temps passer et qu'il ne s'arrêta que lorsqu'il eut le plus grand mal à garder les yeux ouverts. Il regarda sa montre et fut surpris de constater qu'il était largement plus de minuit. Il plaça la ficelle marque-page, referma le livre et le posa sur le guéridon à côté du fauteuil. Puis, baillant à s'en décrocher la mâchoire, il alla se coucher au radar. Il entra dans la chambre, se changea et s'effondra sur le lit. Il eut juste la présence d'esprit de se mettre sous la couette avant de sombrer dans un profond sommeil.

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To Be Continued


(1) Theobald Boehm (9 avril 1794 - 25 novembre 1881) est un musicien — flûtiste à la Cour de Bavière —, compositeur, facteur d'instruments de musique, acousticien et inventeur bavarois.

Fils d'un orfèvre, il est notamment connu pour avoir mis au point la flûte traversière telle que nous la connaissons aujourd'hui.

[…]

La flûte Boehm possède un mécanisme plus complexe que les précédentes, car les trous ne sont plus placés à des endroits faciles à atteindre par les doigts du musicien, mais à leur emplacement optimal en termes d'acoustique. Ils sont alors ouverts au repos et bouchés par des plateaux, soit directement, soit via des clefs. Les trous d'altération sont bouchés au repos et manœuvrés par des clefs. Les doigtés sont plus rationnels (les Si bémol, Fa bécarre ou Do bécarre en particulier sont considérablement facilités) et permettent de jouer plus facilement dans toutes les tonalités. Les troisième et quatrième octaves sont plus faciles et plus justes que précédemment.

(source : Wikipédia)

(2) de Pierre Bordage. Je vous le conseille, c'est un très bon roman post-apocalyptique. Un sympathique mélange d'action, de thriller et de métaphysique qui tient le lecteur en haleine tout au long des quelques 700 pages. L'édition que je décrirais plus tard dans le texte est celle que je possède, une compilation des deux tomes en un seul volume, aux éditions l'Atalante.

J'adore la critique de ce livre faite ici (http : / / librairie . critic . over-blog . fr / article-27777359 . html), elle est très juste et reflète exactement ce que je pense de ce livre.

Notes de l'auteur :

Une petite histoire courte qui ne devait faire qu'un seul chapitre, mais qui s'est révélée si longue que je l'ai coupée en deux. Je posterai la suite la semaine prochaine, d'ici-là, n'hésitez pas à me donner votre avis ^_^