MEA CULPA
Réveil
La pièce est sombre. Je ne vois rien autour de moi. C'est à peine si je peux distinguer les contours des objets qui m'entourent.
Pourtant j'ai l'impression de reconnaître les lieux. En moi, je sens que cette atmosphère m'est familière. Pourquoi ?
Je ne me souviens de rien. Où suis-je ? Que fais-je ici ?
Puis je m'habitue peu à peu à cet endroit qui m'est si familier mais que je ne parviens pas à situer. J'ai comme l'impression d'avoir un nid de bourdons dans ma tête. Mes pensées résonnent en écho contre mon crâne, j'ai l'impression d'être vidée. Quel est ce malaise intérieur ?
Je suis debout. Je suis seule.
Non. Je ne suis pas seule. Au delà des échos cérébraux, je perçois comme un murmure. Malgré moi, je frissonne en me rendant compte qu'il correspond à des gémissements étouffés. Je tente alors de m'approcher de leur source. Par chance, je ne butte contre aucun obstacle, alors que mes yeux distinguent à peine le sol. Etrange.
Tout me parait étrange. Je me trouve moi-même bizarre. Pourquoi ?
Tandis que je m'approche, je me rends compte que les gémissements correspondent à des pleurs. Une image me vient à l'esprit : celle de quelqu'un étouffant ses larmes contre un oreiller. Et c'est exactement ce que je découvre dans cette pénombre affolante.
Quelqu'un pleure dans un lit, la tête enfouie dans un oreiller.
Je ne peux voir ses traits, mais à l'oreille, je devine qu'il s'agit d'un homme. Que fais-je dans la chambre de cet homme ? Pourquoi pleure-t-il ? Sait-il que je suis là ?
- S'il vous plait ?
Le son de ma voix m'emplit d'effroi. Il est glacial ! Pourtant, j'essayais simplement de l'appeler aussi doucement que possible, je ne voulais pas le choquer en révélant ma présence trop brutalement. Ma main couvrant ma bouche, j'observe l'homme. Il ne m'a pas entendue. Il continue ses pleurs ; j'ai même l'impression qu'ils redoublent.
Encore sous le choc, je recommence pourtant à l'appeler.
- Excusez-moi... ?
Cette fois-ci, aucun doute. Malgré toute la douceur que j'y ai mis, ma voix continue à être aussi froide, aussi métallique que si je parlais dans un tube en acier fin.
Et l'homme m'ignore toujours.
Tant pis, je ne peux pas rester ici sans savoir ce que j'y fais. Je me décide donc à l'aborder plus franchement. Ma main glisse doucement vers lui...
Et je me fige soudain, avant de la retirer aussi vivement que si je l'avais plongée dans de la roche en fusion.
Je venais de lui passer à travers le corps !
Que s'est-il passé ! Que s'est-il passé !
J'observai ma main. Rien n'a changé. Enfin, d'après ce que je peux voir. Pourtant, j'arrive à sentir mon visage, mon corps... Que se passe-t-il, bon sang ! Qui est cet homme ! Je ne parviens pas à distinguer ses traits. Mais il me semble familier... Cela me donne l'impression d'avoir déjà vécu ce moment... Il y a bien longtemps... Seulement, c'était un petit garçon qui pleurait à mes côtés, et nous avions le même âge...
Pourquoi resongeai-je à ce souvenir ? Je ne vois pas le rapport avec ce qui m'arrive.
Je ne sais pas comment j'ai atterri dans cette pièce éteinte, ni la raison qui pousse cet homme à pleurer comme s'il avait perdu quelque chose d'important, ou comme s'il avait vécu quelque chose d'horrible...
Je tente d'analyser ma situation, et la sienne au fur et à mesure de mes extrapolations. Mais aucune réponse limpide ne vient m'éclairer.
De dépit, je m'approche de cet inconnu. Ses pleurs se calment, les larmes ont l'air de tarir. Vais-je enfin découvrir qui il est ? Mais cette obscurité m'en empêche, même s'il voulait bien consentir à se tourner vers moi, les traits défaits. Je n'ose pas l'approcher plus. L'expérience précédente est encore gravée dans mon coeur. Pourtant, je n'ai pas cette impression de peur intense telle que je la ressentais auparavant, quand un évènement me surprenait autant. Alors pourquoi est-ce différent aujourd'hui ?
La forme recroquevillée sur le lit bouge peu à peu. Ses bras étouffent le coussin, mais je le sens au bord de ses limites. Il va quitter cet état de faiblesse.
Je l'entends marmonner dans son oreiller. Je n'entends pas. J'ai l'impression qu'il appelle. Les sons sont étrangement sourds. J'ai du mal à les assimiler.
Que dit-il ?
- ...ha...
Je ne vous entends pas.
- ... ha...
Lâchez cet oreiller !
- Kazuha !
... Je... Je me souviens... Mon âme entière semble se briser... Les souvenirs me submergent. Je vais me noyer.
Cet homme recroquevillé sur ce lit, qui exprime sa douleur ainsi...
Heiji... ! Pourquoi !
