Le soleil disparaissait lentement à l'ouest, se couchant derrière l'horizon marin de la baie toute proche du sanctuaire. Le léger vent d'été apportait des senteurs agréables jusqu'aux marches même de l'escalier menant sur le chemin des douze maisons du zodiaque, et les quelques bruits du soir ne troublaient pas la sérénité de l'instant. Quelques cliquetis d'armures, conversations lointaines, bruissements d'insectes, rires détendus de deux gardes rentrant de patrouilles ... non, rien ne ressortait de la paix du sanctuaire pour Kirhümalhia. Du haut de l'escalier menant à son temple, il laissait trainer son regard perçant sur tous les recoins du spectacle du sanctuaire d'Athéna se préparant à passer une nuit paisible. Après sa traditionnelle inspection, il se détourna, traversa le grand hall et entra dans les quartiers privés du temple du Bélier. Sa cape immaculée flottait encore légèrement lorsqu'il la dégrafa de ses épaules, avant de concentrer son cosmos un bref instant. Un simple flash lumineux, et son armure d'or retourna à son urne. Ses sandales émettaient un son feutré sur le lourd tapis rouge venu d'Inde, et il se surprit, comme tous les soirs depuis 10 ans, à apprécier le confort de sa demeure, à apprécier la chance d'avoir été choisi par le pope pour remplacer Mü, son maître disparu pendant la guerre contre Hadès.
Il portait parfois son statut de chevalier d'or comme un terrible fardeau : égaler son ancien mentor était une lourde tache, mais il devait reconnaitre qu'il avait mérité son titre. Sa puissance n'avait plus rien à envier à celle des anciens chevaliers, et n'avait jamais été remise en question par ses pairs actuels. Parfois, dans ses périodes de doutes, une voix venue d'ailleurs lui susurrait dans ses rêves :
- Dis-moi Kiki ... non Kirhümalhia, je ne peux plus t'appeler kiki désormais ... pourquoi penses-tu que tu n'es pas digne de ton titre ? N'étais-tu pas, de toutes façons, destiné à me succéder ?
- Oui maître ... mais jamais je n'aurais cru devoir le faire si vite, soupira l'atlante.
- Tu es fort Kirhümalhia, plus fort encore que je ne l'étais, reprit doucement la voix, sans doute même plus puissant que mon ancien maître Sion ...
- Je le sais ... je sens mon pouvoir, mais je n'en éprouve pas les limites ... je ne sais pas comment ...
- Tu n'as pas à le faire, répondit la voix de Mü. Contente-toi de concentrer ton attention sur ton cosmos et ton armure, la conscience de tes limites te viendra au fur et à mesure … si limites il y a bien sûr, termina la voix avec amusement
Et voilà ... cela finissait toujours comme cela ... L'admiration de l'esprit de son maître, si ce n'était pas une divagation personnelle, le mettait mal à l'aise, tout comme celle de ses pairs Chevaliers, d'or, d'argent ou de bronze. Un seul homme au sanctuaire semblait pouvoir rester impassible face à lui. Le grand Pope Kanon. Le chevalier du Bélier se souvenait comment, dix ans avant, il avait reparu aux limites de la mort dans la grande salle d'Athéna, entouré des armures d'or, certaines quasiment détruites, et des armures des chevaliers de bronze et d'argent ayant disparu, comme Seiya ou Orphé. La déesse était repartie, avait-il dit, sans pouvoir expliquer comment lui, Kanon, était revenu, ni où Athéna et ses autres chevaliers pouvaient être allés. Aucun autre n'était ressorti du monde d'Hadès, personne n'était revenu. Et après avoir pansé ses blessures, Kanon fut désigné à l'unanimité, bon gré malgré puisque de toutes façons aucun des chevaliers présents n'avait la prétention de pouvoir surpasser le Chevalier d'or. Et il fallait reconnaitre que l'ancien renégat ne ménageait pas sa peine pour reprendre la charge. Tous les sujets passaient par lui, et son énergie semblait sans limites. Dans le panel de ses responsabilités se trouvait la tâche d'entrainer les remplaçants des chevaliers d'or disparus, les futurs bronzes et argents étant sous la responsabilité de Shina. Une fois ceux ci devenus suffisamment puissants dans la maîtrise de leur cosmos, il les laissa expérimenter eux-mêmes les liens avec leur constellation protectrice, ce qui ne se passa pas sans mal au tout début.
Si Huriis du Capricorne apprivoisa rapidement Excalibur, héritage mythologique du Chevalier d'or dont il était maintenant l'incarnation, les expérimentations de certains comme Najilla du Verseau, ou Tanyuë de la vierge comptèrent au nombre des catastrophes les plus retentissantes du sanctuaire en temps de paix. Lors de l'explosion de son cosmos, Tanyuë faillit anéantir son temple, ainsi que ceux, tout proches, du lion et du scorpion. Mis à part ces erreurs de parcours, le sanctuaire reprenait des forces, redevenait une puissance avec laquelle il fallait compter. Et Kanon incarnait cette puissance. Mais les anciens du sanctuaire se souvenait de son passé, de sa trahison envers leur déesse, et nombre d'entre eux évitaient sa compagnie. Seul Kirhümalhia lui rendait visite quotidiennement. Mais de tous les habitants d'alors du sanctuaire, il était le seul à avoir vu Kanon s'interposer entre le trident de Poséidon et Athéna.
Le Bélier s'installa devant son bureau, alluma son ordinateur ainsi que son installation audio, et une douce musique classique envahi la pièce. Il songea un moment à rendre visite à Nathalie, Chevalier d'or du cancer avec laquelle il avait noué une relation conflictuelle. "Ces françaises ... un jour oui un jour non, le lendemain peut être ..." pensa-t-il. Ces disputes étaient pourtant d'agréables perspectives, elles présageaient souvent de bons moments de réconciliations. La française, Nathalie Dengil était la dernière arrivée au sanctuaire parmi les 9 chevaliers d'or actuels. Elle s'était présentée d'elle même devant les gardes, entourée d'une nuée de serviteurs de toutes sortes, exigeant « SUR LE CHAMPS !! » d'être conduite devant le maître des lieux, arguant du fait qu'elle avait été « appelée » par une certaine Athéna dont elle n'avait jamais entendu parlé (« qui pourrait vouloir porter le prénom d'une divinité grecque … c'était d'un kitch … »). Amusée par la forte personnalité, et avec une légère intuition malgré l'absence de précédent quand à ce genre d'appel, Marine avait conduit la jeune fille auprès du Pope. Aucun des deux n'avait beaucoup parlé, mais quelques années plus tard, le jour de ses vingt ans, Nathalie avait ceint l'armure d'or du cancer. Elle reprit même le surnom de son prédécesseur, sans pour autant y ajouter ses habitudes macabres et déplacées. Néanmoins Kanon et Kirhümalhia devaient convenir qu'elle était l'une des plus redoutables femme chevalier que le sanctuaire eut connu, et certainement la plus inflexible. Et aussi redoutable qu'elle soit, sa pluie de longs cheveux blonds platines était aussi hypnotique que son pouvoir. Non pas qu'elle fut sculpturale ou d'une beauté explosive, mais son pouvoir, son agressivité, et son visage de marbre combinés avec son ardeur à plaire lorsqu'elle avait une cible en vue donnaient une femme en tous points irrésistible. En tout cas le Bélier n'avait pas résisté plus que ses autres conquêtes. Mais il tirait une certaine satisfaction de l'abandon par sa pair de ses autres amants la semaine suivant la nuit où ils se retrouvèrent dans le même lit. Non pas qu'il fut d'un naturel jaloux, il avait connu nombre de jeunes femmes avant elle, et il était certain qu'il n'y avait pas d'amour entre eux, enfin pas au sens conventionnel tout du moins. Mais tout de même, dompter pour lui seul cette furia de pouvoir et de féminité, au moins pour un temps, lui apportait un certain sentiment de satisfaction. Il se demanda distraitement si un jour il aurait l'occasion d'en parler avec elle, ou si, comme les autres auparavant, cette relation se terminerait d'elle même, sans bruits ni pleurs, sans fracas ni sensibleries à l'instar de ce qui arrivait souvent entre Chevaliers. Fredonnant tranquillement, il surfa un instant sur internet, prenant connaissance des nouvelles du monde des hommes normaux, avant de se restaurer de fruits secs et de viandes diverses. Un verre de vin rouge sang en main, il parcouru son temple comme il le faisait chaque soir, examinant sa structure, gommant les quelques imperfections issues des ravages du temps par une simple onde de son cosmos, et finalement las, décida de se coucher sans attendre. Mais sur le seuil de sa chambre, il vit que sa française avait une autre idée sur la question. Elle l'attendait, la moue boudeuse habituelle affichée sur son visage délicat, allongée sur son lit très légèrement vêtue, un verre de son propre vin blanc de bourgogne à la main. Avec un sourire, le puissant chevalier d'or du Bélier vida son verre, et se prépara mentalement à passer une nuit très intéressante.
Tanyuë, Tibétain et accessoirement chevalier d'or de la vierge de son état, était perplexe. Ce qui, pour quelqu'un portant cette armure, n'était pas un fait coutumier. Il venait de passer le mois entier assis en tailleur dans la grande salle de son temple de la vierge, à projeter des ondes de son cosmos partout sur la planète, des ondes légères et délicatement inquisitrices, et à part la traditionnelle résistance du sanctuaire d'Asgard, ainsi que le bouclier érigé du général Sorenthe de Poséidon, il ne percevait rien. Rien du tout. Enfin rien d'anormal qui eut pu attirer l'intuition d'un chevalier de son pouvoir. Non pas que sa manière de parcourir le monde fut infaillible, après tout, il était le premier à avoir réalisé cela. Mais généralement, les problèmes avec une répercussion sur son cosmos. Les soucis traditionnels, comme un chevalier renégat, un humain ouvert au cosmos semant la panique … ce genre de pépins affichait une nuance colorée de rouge dans son esprit. Sorenthe, se prêtant au jeu après avoir obtenu la promesse de Tanyuë de lui apprendre cette technique, était perçu comme une ombre grise, menaçante et terriblement puissante. Le Chevalier d'or ne doutait pas des paroles de son pope, qui le décrivait comme un ennemi redoutable, contre lequel perdre était une issue possible pour la plupart des Chevaliers du sanctuaire. Enfin ces expériences lui avait permis d'affiner sa perception du monde, mais rien … rien de notable. Quoique … là ? il fronça les sourcils. Une sorte … de tache dans sa perception spirituelle. Et juste à coté, un cosmos puissant, très puissant. Celui de Sean Ribbson, Chevalier d'argent du cerbère.
New York, la grande pomme. Dans les bas fonds de Manhattan la vie citadine a repris ses droits depuis longtemps, comme partout sur la côte Atlantique des Etats Unis, même après les inondations terribles subies quelques années auparavant. Des milliers de morts, des dizaines de milliers de blessés et de sans abris, une économie au bord du Crash, mais peu à peu, un semblant d'ordre qui revient. Enfin d'un point de vue issu du cerveau détaché d'un président dans son bureau ovale. Parce que sur le terrain, c'est la guerre. La guerre des nouveaux patrons du crime et de la rue, la guerre pour exploiter ce qui reste du désarroi des hommes après l'attaque de Poséidon. Cela bien sûr, personne ne la perçoit comme telle, un cataclysme naturel rien de plus. Dévastateur, mais naturel. Et c'est la force de ce monde de pouvoir s'aveugler lui même. Dans cette petite rue, un dealer refourgue sa merde coupée au cirage à des gosses avides de sensations, une vieille dame vends ses charmes anéantis par l'âge et le désespoir à ceux qui soit n'ont plus les moyens de voir autre chose, soit ont trouvé une nouvelle forme de plaisirs contestables. La vieille dame y passera dans l'indifférence générale, la tête éclatée contre un mur. Certes, il aurait pu l'empêcher, il pourrait réduire ces idiots cupides ou dérangés en pulpes sanglantes sans que personne n'y puisse quoique ce soit. Mais le désavantage de son énorme pouvoir, est de devoir suivre les ordres de son Pope. Alors Sean passe, comme les autres, à coté du massacre répugnant. Son grand gabarit lui assure une relative tranquillité, sa longue chevelure brune en bataille et son regard bleu acier inflexible complètent sa panoplie « anti cons » comme il l'appelle. Vêtu d'un ample imperméable, il marche tranquillement les mains dans les poches, un mégot puant aux lèvres. Il soupire lorsqu'une idiote au caractère bien trempé, venu prêcher les vertus de l'honnêteté, du travail et de la civilisation dans ce quartier se fait agresser par trois jeunes de 13 ans, juste parce qu'elle est venue en jupe relativement sexy. Avec un léger sourire désabusé, il lance un flux d'air puissamment contrôlé par son cosmos, et les jeunes se retrouvent au sol sans comprendre pourquoi. Juste le temps pour l'écervelée de déguerpir. Sean a passé de longues années au sanctuaire, entre les griffes de Shina. Elle ne lui a rien épargné, et son corps aurait pu rompre bien des fois. Mais il teint bon. Et sa récompense fut totale lorsqu'il endossa son armure d'argent. Il était fort, très fort. Puissant aussi dans sa maîtrise du cosmos. Il sentait le 7ème sens comme un élément lointain, comme une sensation diffuse, frustrante parce que se refusant à lui pour le moment, mais il n'était pas pressé, et un jour, il serait assez fort pour défier un chevalier d'or lors d'un entrainement …enfin, en son for intérieur, il en était persuadé … bon dans longtemps certes, mais un jour qui sait. Il venait de retrouver la principale avenue, lorsqu'une force le prit par surprise et l'attira en arrière. D'un mouvement ample, il se libère de ces « bras » invisibles qui le retiennent d'un coup du tranchant de la main, et la fraction de seconde suivante, il s'est retourné pour faire face … et recevoir un coup en plein visage. Son nez éclate, et il sent la fracture sur sa mâchoire, une explosion de douleur lancinante. Une multitude de coup à la poitrine et à l'abdomen font éclater plusieurs de ses cotes, et un dernier coup l'envoi se fracasser contre un mur. Décidément, il déteste cette ville. Il ouvre un œil tuméfié, et voit une silhouette souriante, une femme visiblement. « Quelle force elle a, pense-t-il, et quelle paire de …. » il ne peut poursuivre sa réflexion d'un degré philosophique proche de Platon, la femme vient de lui lancer une sorte d'attaque d'énergie pourpre. Mais le chevalier du cerbère l'évite, et vient se placer à une vitesse foudroyante derrière son assaillante. Celle ci passe de la satisfaction narquoise à la stupeur, et elle se retourne pour assener son poing à celui qu'elle considérait comme une victime facile la micro seconde précédente. Mais celui ci bloque son bras, et lui fait une simple clef.
« Désolé ma belle, mais on m'a déjà fait bien pire » sont ses seuls mots, et il lui propulse son attaque la plus meurtrière dans l'abdomen. A cette distance, les dégâts ne pardonnent pas, et la cage abdominale de la femme explose sous l'impact. Celle ci crache un filet de sang, et prend une seconde attaque qui lui fait exploser la plupart des os du crane. « Ha oui au fait, chez nous les femmes sont parfois pires que les hommes … donc forcément, nous autres chevaliers n'avons pas vraiment de retenue … c'est le progrès sociétal j'imagine.» termine-t-il avec un grand sourire, quelque peu gâché par une petite gerbe de sang. Elle l'a tout de même bien amoché cette tigresse, et quelle résistance elle a ; la plupart des femmes de ce monde, même parmi celles dotées d'un cosmos, serait passée ad patres après un coup pareil. Il la tient par le col, mais celle ci est totalement vaincue. Morte s'il la laisse comme cela. Et bien entendu, cette idiote ne pouvait pas l'attaquer en Grèce. Ici, les gens vont poser des questions, il va devoir montrer son armure, faire intervenir l'agent du sanctuaire à l'ONU, grosso modo, emmerder tout le monde. Et s'il emmerde tout le monde, il va prendre une soufflante par son supérieur direct. Et son supérieur direct est Huriis Hakanthis, Chevalier d'or du Capricorne en titre, en d'autres mots, un cador du sanctuaire, un gros bonnet aussi puissant que Dieu en personne pour la plupart des gens, Sean compris. Autant dire qu'il préfère éviter la soufflante … Mais elle est vraiment bien roulée la petite. Et plutôt costaud, pense-t-il en tachant de remettre un peu d'ordre dans ses côtes fracturées. « Bordel tu pouvais pas être un connard de mec gros et moche non ? ». Avec un soupir, il prend son portable, et transpire un peu à l'idée de ce qu'il va prendre.
- Elle s'est fait massacrer, fit la première femme un peu inquiète, regardant la scène du toi de l'immeuble voisin
- tu t'attendais à quoi, demanda sarcastiquement la seconde ? à une balade de santé ? ce sont des chevaliers d'Athéna sombre idiote, tu sais, ceux qui ont battu Poséidon, Hadès …
- Arrêtes, tu sais pertinemment qu'ils ne s'en sont sortis que grâce à Athéna, et uniquement grâce à elle. Maintenant qu'elle n'est plus là …
- Ne les rends qu'un peu moins redoutables. Tu te trompes Aeisis, ces chevaliers sont puissants, et je dirais même qu'ils compensent l'absence de présence au combat de leur déesse par une puissance intrinsèque supérieure à celle de leurs ainés.
- Shanys ne va pas être satisfaite, reprit la première avec une moue mi contrariée mi effrayée.
- Peu importe, nous avons notre première réponse, et ce Sean du Cerbère est bien le chevalier qu'il nous fallait dans un premier temps. On ne doit pas les sous-estimer, et cette imbécile nous aura au moins servi à confirmer ça.
- Qu'est-ce qu'on fait pour Meiya ?
- On la surveille un peu, on la tire de là si possible, ou on l'achève. Mais elle ne doit pas parler.
- Bien ! je me charge de ça.
Les deux fines silhouettes descendirent tranquillement par l'escalier de service, passant derrière le chevalier du Cerbère, chevalier qui ne remarqua rien sinon d'un regard distrait, deux passantes pas désagréables à regarder. Au téléphone de Sean, un Chevalier de Bronze, Axel du loup, successeur de Nachi mort d'une rupture d'anévrisme, lui raconte les dernières joyeusetés après le tremblement de terre au Mexique. Décidément, tout part en sucette sur cette planète ….
