Prologue

Comme tout les matins, j'attendais dans le froid l'arrivée du bus. Je ne portais pas de bonnet ou de gants, malgré la température dans les négatifs. J'avais horreur de porter ce genre de vêtements. Je préférais ressentir toute cette fraicheur sur ma peau. Sentir mes oreilles brûler de froid à en rougir, souffler au creux de mes paumes pour ressentir un semblant de chaleur, passer ma langue sur mes lèvres gercées, tout ceci m'était agréable. Cela me donnait l'impression d'être en symbiose avec mon corps, je me sentais fragile et vulnérable. Je me sentais vivant. J'adorais vraiment ce petit moment, seul, dans la froideur du matin.

J'avais pour habitude d'arriver très en avance à mon arrêt, je n'avais jamais su vraiment pourquoi. Je faisais ça machinalement, par automatisme. Je savais très bien que j'arrivais trop en avance, mais je continuais tout de même. Peut-être étais-ce inconsciemment pour profiter de ce moment de solitude dans le froid.

Après plusieurs minutes à être seul, un garçon arriva à son tour. Il avait des écouteurs dans les oreilles. Il balançait sa tête au rythme de la musique, tout en marchant les mains dans les poches. Il trainait les pieds. Son sac à dos tombait dans le bas de son dos et semblait contenir peu de chose. Il semblait déjà si démotivé.

Il alla s'installer loin de moi, sans un mot, sans un geste, sans un regard. Je le salua : Il ne donna aucune réponse. Je ne lui en voulais pas, j'avais l'habitude. Ce n'était pas le premier matin où il ne me répondait pas, et il était loin d'être le seul. A vrai dire, tout le monde était comme ça avec moi. Ils savaient que j'étais là, que j'étais seul, mais personne ne se donnait la peine ne serais-ce que de me saluer. L'ignorance gagnait face à la politesse. D'autres étudiants arrivèrent les uns après les autres, aucun ne prêta attention à mon égard. Certains petits groupes se formaient au fur et à mesure des arrivées. Ils échangeait quelques mots.

J'avais fini par totalement m'habituer, eux aussi visiblement. A leurs yeux je n'étais qu'un élément de plus dans le décor. Je n'étais pas conforme à la norme, j'étais différent. Je ne rentrais pas dans le moule de la société, dans le modèle-type. Je sortais de l'ordinaire. Les gens se méfiaient de moi. Ils se disaient peut-être qu'en rentrant en contact avec moi, ils deviendraient à leur tour une sorte d'intrus à ce monde. Ils redoutaient de se retrouver dans ma situation. Comment leur en vouloir ? Je ne souhaitais cela à personne.

Le bus arriva, bien qu'en retard par rapport à son horaire habituel. Le verglas sur la route avait certainement du le ralentir. Les autres personnes de mon arrêt se bousculèrent pour rentrer rapidement à l'intérieur du bus. Je regardais faire d'un air déconnecté. Je ne me précipita pas, et laissa faire. J'entra le dernier.

Je chercha une place du regard. Et c'était là, pour la première fois de la journée, que l'on prêtait attention à moi. Tout le monde me fixait. Je ne me faisais pas d'illusion, je savais très bien ce qu'ils redoutaient. Chacun d'entre eux se demandaient où j'allais bien pouvoir décider de m'asseoir. Ils me redoutaient une fois encore. Tous espéraient que je ne viendrais pas m'asseoir à leur côté. Je m'avançais dans l'allée centrale, tournant la tête de droite à gauche pour trouver un siège libre. J'alla finalement m'asseoir là où il n'y avait personne.

J'avais pour habitude d'être côté fenêtre. Cela me permettait de regarder défiler le paysage. Je n'avais pas grand chose d'autre à faire. Avec le temps, j'avais appris à écouter les gens qui m'entouraient. J'écoutais attentivement les conversations des sièges adjacents. Chaque matin était un peu comme un épisode de leur vie. J'avais commencé à suivre ça comme une sitcom de mauvaise qualité. Je savais donc que la rouquine de la cinquième rangée était éperdument amoureuse du jeune métisse de la septième mais qu'elle n'osait pas lui avouer. Je savais également que ce même garçon était déjà en couple avec une fille de sa classe mais que cela devait rester secret car celle-ci n'avait pas le droit de fréquenter des garçons à cause de ses parents qui lui interdisaient toute relation amoureuse. Il n'y avait rien de passionnant, mais cela se laissait écouter, le temps me paraissait passer plus vite.

Parfois, je m'imaginais révéler tout ce que je savais. Je savais tellement de choses. Tout bougerait si je parlais. Mais non, je ne pouvais pas. Je n'avais pas à intervenir, cela m'était interdit. Je ne savais même pas pourquoi, mais mon rôle était d'être là, et seulement d'être là. Je n'étais rien d'autre qu'un spectateur de la vie.