Arc I : Ignorance Is Bliss (But Can't Last Forever)
Le monde dans lequel nous vivons est un univers à trois dimensions, c'est un fait qui se vérifie empiriquement aussi bien que mathématiquement. Nous en faisons l'expérience chaque jour, lorsque nous évoluons dans un environnement physique constitué en tout et pour tout de trois plans.
Certains diront pourtant qu'il existe une quatrième dimension, et ces gens-là n'ont pas forcément tort. Si ce concept mathématique a la capacité de représenter plus de choses qu'on ne le penserait au premier abord, pour la plupart des gens, une chose s'impose à l'esprit plus qu'aucune autre lorsqu'on aborde le sujet : le temps.
Capable de faire évoluer tout objet dans un référentiel autre que physique, ce dernier est une notion mystérieuse qui soulève de nombreuses questions.
Si on imagine que le temps est un espace comparable aux dimensions spatiales, il devient alors concevable que les événements futurs y existent déjà avant que nous ne les ayons vécus, de la même façon que deux objets peuvent se trouver dans des lieux physiques différents. Mais dans ce cas la question se pose : sommes-nous réellement maîtres de notre destin ?
Il est communément admis que, dans la façon dont nous le subissons au quotidien, le temps est similaire à une ligne droite qu'on est condamné à suivre sans retour en arrière possible. Quiconque parviendrait à briser cette règle fondamentale deviendrait alors une anomalie. Mais plus que tout, un tel être deviendrait l'équivalent d'un Dieu, capable de soumettre la quatrième dimension à sa volonté.
Ladite personne serait peut-être la seule à être véritablement maîtresse de son destin.
Lundi 12 Novembre 2018 – 23h54
Tous ses sens étaient en surcharge. Les cris hystériques de la foule se mêlaient au son des instruments amplifié par le matériel utilisé par le groupe, et la lumière des projecteurs, dirigée en plein sur son visage, l'empêchait de distinguer quoi-que-ce soit d'autre que des tâches de lumière colorées. Malgré cela, il n'y avait aucun endroit au monde où il aurait préféré être en cet instant.
Castiel gratta les cordes en métal, et le riff de guitare résonna fort dans la salle, entrainant un redoublement de cris de la part des spectateurs. Ses lèvres s'étirèrent vers le haut. Mais son moment de gloire fut de courte durée, car la voix d'Evelyn se superposa bien vite au son sec et électrisant de son instrument, vibrant avec intensité dans toute la salle. Le regard du guitariste s'attarda sur la jeune femme noire aux cheveux blancs si légers qu'ils semblaient presque flotter autour d'elle. C'était une artiste dont les capacités vocales forçaient le respect, même si Castiel ne lui avait jamais dit l'admiration qu'il vouait à ses talents au micro. Il avait sa fierté personnelle.
Son cœur battait à toute allure dans sa poitrine, poussé par l'euphorie du moment présent. Lorsqu'il jouait sur scène, le jeune homme se remplissait d'un sentiment de toute puissance absolument inégalable. Il abandonnait derrière lui son état matériel, et pénétrait dans un univers dont il était le maître. Un univers où le temps avait stoppé son cours, et où chaque instant semblait se prolonger à l'infini.
C'était ça que représentait la musique à ses yeux. C'était son armure, un monde à part dans lequel plus rien n'avait d'importance, et où personne ne pouvait l'atteindre.
Contournant tant bien que mal le flash lumineux des projecteurs, ses yeux allèrent se perdre dans la foule. Il parvenait à distinguer les traits de quelques-uns des spectateurs, et c'est avec une pointe de déception qu'il constata qu'une grande majorité d'entre eux lui étaient totalement inconnus. Il était pourtant à Anteros, ville où son groupe était né et avait grandi. C'était ici qu'ils s'étaient construit leur premier public, des visages familiers qui avaient presque toujours étés au rendez-vous lors de leurs concerts. Depuis, Crowstorm avait gagné en popularité, et avait commencé à se produire dans plusieurs villes de France. Ils avaient fait quelques apparitions dans les médias pour assurer leur promotion et, lorsqu'ils avaient sorti leur premier album quelques temps auparavant, ce dernier avait rencontré un succès raisonnable. C'était à Evelyn qu'ils devaient tout ça. La chanteuse et leadeuse du groupe savait s'y prendre en affaires.
Mais parfois, Castiel se surprenait à regretter l'époque où ils n'étaient qu'un petit groupe d'amateurs qui jouait seulement pour le plaisir.
Les cordes de sa guitare continuaient de vibrer au rythme de ses mouvements énergétiques du poignet. Alors qu'il se concentrait sur la mélodie, ses yeux furent attirés par une tache de couleur bleu électrique dans le fond de la salle. Il plissa les paupières. C'était des cheveux teints, mais il ne parvenait pas à distinguer le visage de la personne à qui ils appartenaient. Pourquoi cette couleur lui donnait-elle une impression de déjà-vu ?
Le passage musical qui suivait était trop complexe pour qu'il puisse s'autoriser à se laisser distraire. Ses yeux se rivèrent à nouveau sur sa guitare, et ses doigts dansèrent avec dextérité sur l'instrument. Ses mouvements étaient si fluides qu'un œil néophyte aurait été convaincu de la simplicité de cet enchaînement de notes. Castiel sourit en regardant ses doigts aux ongles courts et noirs qui pinçaient les cordes. Faire passer une performance complexe pour un jeu d'enfant, c'est la raison d'être de tout artiste qui se respecte. C'est bien sûr d'autant plus vrai lorsqu'on est dans le monde du spectacle.
Lorsque le niveau de la partition redevint plus aisé, le jeune homme s'autorisa à lever la tête à nouveau. Le mouvement brusque fit voler des mèches de cheveux rouges, qui allèrent se coller sur son front recouvert de sueur. Son attention se porta à nouveau en direction de la tâche de couleur bleue qu'il avait aperçue quelques instants plus tôt. Cette fois-ci, ses yeux croisèrent ceux de la propriétaire de la chevelure tape-à-l'œil, et son souffle resta bloqué dans sa gorge. Brusquement, le temps sembla s'arrêter.
Il cligna des yeux. Une fois. Deux fois. Il regarda lentement autour de lui. Un silence de plomb venait de tomber sur la salle toute entière. Le temps s'était arrêté. Littéralement. Evelyn et les autres musiciens, ainsi que l'intégralité du public, tous étaient désormais complétement immobiles, comme s'ils étaient les personnages d'une série télé et que la personne de l'autre côté de l'écran avait décidé d'appuyer sur le bouton pause. Castiel comprit que lui aussi était incapable d'esquisser le moindre mouvement. Seuls ses yeux étaient restés libres, et parcouraient frénétiquement la pièce à la recherche d'une explication. Son regard se posa là où il avait vu la fille un instant plus tôt, mais l'endroit était vide. Elle avait disparu, elle et sa chevelure bleue de mauvais augure.
Il y eut un grand flash de lumière blanche, et la salle disparut, remplacée uniquement par une clarté éblouissante.
Le jeune homme entendit des bruits de pas sur un sol carrelé, suivis par des éclats de voix et des pleurs. Il sentit sa gorge se serrer, mais les sons familiers disparurent aussitôt, remplacés par une mélodie fredonnée par une fillette.
« C'est la nouvelle chanson qu'a écrit Lysandre » expliqua-t-elle avant de disparaître elle aussi.
« Tu as encore séché les cours ? » dit un jeune homme sur un ton sec « Ton comportement ne sera pas toléré encore longtemps. Tu vas te faire virer si tu continues comme ça. »
« J'en ai rien à foutre connard » s'entendit-il rétorquer avec surprise.
Est-ce-que toutes ces bribes de paroles provenaient de ses souvenirs ? Une nouvelle voix se fit entendre, mais une autre s'y superposa aussitôt, puis une autre, et encore une autre, jusqu'à-ce-que Castiel n'entende plus qu'un brouhaha incompréhensible formé par des centaines de paroles, toutes prononcées avec un timbre qui lui semblait vaguement familier. Elles apparaissaient avant de disparaître juste après, aussitôt remplacées par d'autres.
Une à une, les voix finirent par se taire. Lorsque le silence fut redevenu total, la lumière dans laquelle il était baigné disparut, et tout devint noir autour de lui.
Le jeune homme marchait dans un corridor mal éclairé, ignorant tous les appartements devant lesquels il passait. Il ne s'arrêta que lorsqu'il se trouva devant la dernière porte du couloir, et leva les yeux pour vérifier qu'il était bien arrivé à destination. Le numéro 277. C'était bien là. Il frappa trois coups contre le battant en bois, mais il n'y eut pas de réponse. Castiel n'était pas vraiment connu pour sa patience. Après avoir attendu pendant cinq secondes, il saisit la poignée et ouvrit la porte, avant de faire quelques pas dans l'appartement.
« Bon Susan, c'est pas que j'aie mieux à faire mais tu peux au moins venir m'ouvrir vu que je te fais la grâce te t'honorer de ma présence ic... »
Le choc le fit reculer d'un pas. Ses lèvres s'écartèrent légèrement, et son visage perdit toutes ses couleurs. Il cligna des yeux, mais rien n'avait changé lorsqu'il les rouvrit.
« Qu'est-ce-que... ? »
Il ne s'était pas attendu à ça.
« Castiel ? Castiel ? Castiel réveille-toi ! »
Il sentit deux mains lui agripper fermement les épaules pour le secouer, et grogna pour exprimer son mécontentement.
« Thank god ! J'ai bien cru que tu n'allais jamais revenir parmi les vivants. »
« Putain Evelyn » grommela le jeune homme en entrouvrant les yeux « Combien de fois faudra te dire que c'est ridicule d'insérer des mots d'anglais au pif dans tes phrases ? »
« C'est ce que disent tous les monolingues aigris. Mais si tu as suffisamment d'énergie pour te plaindre, j'en conclus que tu vas mieux. »
Désormais complétement réveillé, Castiel ouvrit les yeux. Ils se posèrent sur la chanteuse de Crowstorm, qui était assise juste en face de lui. Le jeune homme constata qu'il était allongé sur un vieux canapé dont le tissu commençait à partir en lambeaux. Il était dans une pièce qui avait l'air de se trouver dans les quartiers privés du bar dans lequel avait eu lieu leur concert. Il se redressa et écarta d'un geste l'étoffe en laine dont quelqu'un l'avait recouvert.
« Qu'est-ce-qui s'est passé ? » demanda-t-il avec un soupçon de panique dans la voix « Quelle heure il est ? Le concert... »
« Ne t'en fais pas Castiel. »
Evelyn faisait des gestes avec ses mains comme pour l'apaiser, mais la grimace présente sur son visage laissait percevoir sa gêne.
« Le concert est terminé. Comment dire... »
La jeune femme détourna les yeux, semblant chercher ses mots. Au bout de quelques secondes, elle poussa un soupir résigné et se tourna à nouveau vers lui.
« Tu t'es évanoui pendant la dernière chanson. Honnêtement c'était assez flippant. Tout le monde s'est inquiété pour toi. Tu es resté dans les vapes pendant un bon moment. »
Castiel comprit que c'était de l'inquiétude qu'il lisait sur son visage depuis qu'il avait retrouvé ses esprits. Evelyn n'était pourtant pas du genre facilement impressionnable.
« Tu es sûr que tu vas bien Castiel ? » demanda-t-elle en fronçant légèrement les sourcils.
« Bien sûr. Je... »
Mais le jeune homme s'interrompit. Il venait seulement de réaliser le sens des mots que venait de prononcer la chanteuse.
« Attends, t'es pas sérieuse ?! J'ai vraiment fait ça ? »
Lorsqu'il lut la sincérité dans les yeux d'Evelyn, il lâcha un juron et enfouit son visage dans ses mains.
« Putain je... Je peux même pas y croire... Comment un truc pareil peut m'arriver à moi ? Fait chier, merde ! »
Il avait complétement gâché leur performance. Tomber dans les pommes en pleine chanson... Comment il avait pu faire un truc pareil ?! Il avait ruiné leur concert, et c'était la seule chose à laquelle il pouvait penser là tout de suite. C'était même pas comme s'il avait une santé fragile ou une connerie dans le genre. Un truc pareil c'était tout simplement hallucinant venant de lui, et il était mortifié rien que d'y penser.
Quelqu'un se racla la gorge un peu plus loin, et Castiel se rendit compte que cette personne s'était trouvée dans la pièce depuis qu'il s'était réveillé. Il y avait également un autre type adossé contre le mur du fond, mais il ne lui prêta pas attention, trop occupé à dévisager la jeune femme qui venait de signaler sa présence.
Il avait tout de suite reconnu ces cheveux bleu coupés très courts. C'était la fille qui avait attiré son attention pendant le concert. Qu'est-ce qu'elle fichait ici ?
Elle s'avança vers lui, et il remarqua qu'elle était en train de jouer machinalement avec ses doigts. Son regard se posa successivement sur Evelyn, puis sur le mec qui se trouvait au fond de la salle, comme si elle espérait que quelqu'un lui soufflerait ce qu'elle devait dire. Mais bien sûr personne ne dit rien, alors elle serra les poings, et les plaqua de chaque côté de son corps, comme pour se forcer à arrêter ce qu'elle était en train de faire avec ses mains. Son regard plongea alors dans celui de Castiel, ferme mais incertain. Elle avait visiblement du mal avec les contacts visuels, car elle détourna les yeux au bout d'une seconde seulement.
« Hmm... Salut ! » se contenta-t-elle de dire avec un air gêné en levant une main en l'air, et en se décidant à regarder le jeune homme à nouveau.
Se dernier se contenta de froncer les sourcils.
La jeune femme se mordit la lèvre inférieure, comprenant qu'elle avait fait un faux-pas social. Elle regarda autour d'elle en quête d'inspiration.
« Je... »
C'était probablement la conversation la plus gênante que Castiel ait jamais eue avec quelqu'un.
« Comment ça va ? » lui demanda-t-elle alors, en parlant un peu trop rapidement pour avoir l'air naturelle « Je... Je me suis vraiment inquiétée quand je t'ai vu t'évanouir ! C'est pas quelque-chose de normal. Je pense que tu devrais aller voir un médecin. Plus que ça même, peut-être que tu devrais aller aux urgences ! C'est peut-être très grave. Est-ce-que tu as mal quelque-part ? Si ça se trouve tu vas mourir ! Enfin, le prends pas mal. Peut-être que c'est rien... Ou peut-être que c'est quelque-chose... Quoi qu'il en soit... »
La jeune fille s'interrompit, ayant visiblement perdu le fil de ce qu'elle était en train de dire. Elle posa son index contre son menton, et fronça les sourcils en regardant par terre.
« Okay, toi t'es un sacré phénomène » dit Castiel en se grattant l'arrière du crâne, essayant toujours de trouver une cohérence à la cascade de mots qui s'était déversée de la bouche de cette fille.
Cette dernière fit la grimace en l'entendant.
« Pour info, c'est pas la peine de te fatiguer avec ça. Il est hors de question que j'aille aux urgences. Même pas en rêve. Ah oui et accessoirement, t'es qui au juste ? »
Elle releva brusquement la tête, et ses yeux écarquillés rencontrèrent les siens. Ses sourcils étaient recourbés, et sa bouche était légèrement entrouverte, lui donnant l'air d'un chien battu.
Castiel plissa les yeux. Est-ce qu'il était en train d'halluciner, ou bien est-ce-que... ?
La jeune femme avait à nouveau détourné le regard. Elle avait toujours l'air perturbée par ce qu'il lui avait dit, et s'était remise à jouer avec ses mains.
« Je sais que ça fait quatre ans, mais je ne pensais pas que tu m'aurais complétement oubliée... C'est moi- »
« Susan ?... »
Elle leva la tête vers lui, et il put lire le soulagement dans ses yeux. Pas étonnant qu'il ne l'ait pas reconnue tout de suite avec ses cheveux bleu électrique, mais il était difficile de passer à côté du fait qu'il n'y en avait pas deux d'aussi socialement inaptes qu'elle.
Castiel fronça les sourcils.
« Qu'est-ce-que tu fais là ? »
Il avait dit ça sur un ton sec, mais c'était la surprise qui dominait dans le timbre de sa voix.
« C'est moi qui l'ai faite venir en coulisses » intervint Evelyn « Elle était inquiète après que tu aies perdu connaissance, et elle m'a dit qu'elle te connaissait. Je me suis souvenue que tu m'avais déjà parlé d'elle quand elle m'a dit son nom. Vous étiez amis au lycée c'est ça ? »
Castiel ignora Evelyn, et son regard, qui n'avait toujours pas quitté Susan, se fit soudain plus dur.
« Je croyais que tu étais partie loin pour ne jamais revenir. Qu'est-ce-qui nous vaut le plaisir de ton retour en ville ? » lui dit-il sur un ton cassant.
Ok. Il ne s'était pas attendu à ce que ce qui s'était passé au lycée lui soit rappelé là tout de suite, et son réflexe premier avait été d'adopter une attitude froide et antagoniste. Mais bon c'était normal après tout. Le temps avait peut-être passé, mais il n'avait pas oublié.
Susan tressaillit, mais elle ne se démonta pas. Elle avait un air plus assuré maintenant que Castiel lui avait montré qu'il la reconnaissait, et ressemblait plus à la jeune fille de ses souvenirs. En entendant le ton accusateur sur lequel il lui avait parlé, elle fronça les sourcils. Apparemment, il l'avait mise en colère.
« Je suis partie avec mes parents lorsqu'ils ont déménagé oui, mais je ne vois pas en quoi c'est important dans l'histoire. Et je n'ai jamais dit que je ne retournerais jamais à Anteros. Mes études m'ont conduite à revenir ici, c'est tout. »
Castiel détourna le regard et serra la mâchoire.
« C'est bien beau mais ça n'explique pas pourquoi tu te trouves devant moi là maintenant. Je pensais pourtant t'avoir dit que je ne voulais plus jamais recroiser ton chemin. »
La jeune femme tressaillit, et il vit dans ses yeux que ses paroles l'avaient blessée. Elle resta muette.
« Arrête de te comporter comme un connard Castiel » dit alors une voix grave « Susan a rien fait de mal, elle était simplement inquiète pour toi. »
Le guitariste se tourna vers l'homme dont il avait choisi d'ignorer la présence jusqu'à maintenant. Le type en question, âgé environ d'une vingtaine d'années, s'approcha de lui sans se presser. Ses cheveux blonds étaient coiffés de façon à paraître désordonnés, et il avait une cicatrice qui lui fendait la lèvre supérieure, ainsi que des oreilles couvertes de piercings. Sa démarche, ainsi que l'expression collée sur son visage lui donnaient une allure de voyou. Il avait l'air d'être le genre de type à tremper dans des trafics louches, et les éraflures sur les articulations de ses doigts laissaient penser que la baston n'était pas un concept qui lui était étranger. Lorsqu'il l'avait vu tout à l'heure, Castiel avait juste supposé que c'était la personne qui avait accompagné Susan au concert, mais, maintenant qu'il l'examinait de plus près, il trouvait l'idée beaucoup plus perturbante. Il fronça les sourcils.
« Tu ne me reconnais pas ? » demanda le jeune homme à la cicatrice alors qu'un sourire sarcastique s'étalait sur son visage « Décidemment, je vais finir par croire que faire de la musique favorise Alzheimer précoce. Allez, je te laisse trois essais pour deviner. »
Castiel était sur le point de s'énerver, mais leurs regards se croisèrent, et il étouffa un juron lorsqu'il comprit qui il avait devant lui.
« Put... Nathaniel ? Non, c'est pas... »
« Bingo ! » dit-il en écartant les bras d'un air dramatique « Bon, c'est pas comme si on était potes donc je t'en veux pas de pas t'être souvenu de ma gueule. Après tout, tu me détestais et je te le rendais bien à l'époque. »
Le jeune homme ne s'était toujours pas remis du choc. Il dévisageait l'autre de haut en bas, tentant de rationaliser ce qu'il avait sous les yeux. Est-ce-que le type qu'il avait devant lui était vraiment le délégué coincé qui l'avait fait chier pendant tout le lycée parce qu'il séchait trop souvent les cours ? Il lui semblait plus plausible de penser qu'il avait été enlevé par des aliens, et que cette version était en réalité un faux.
« Ouais c'est sûr » finit-il par répondre lorsqu'il se fut remis de sa surprise « Et visiblement c'est pas prêt de changer. Même si j'avoue que je m'attendais pas à... 'ça'. »
« Est-ce-que c'est ma personne toute entière que tu désignes en disant 'ça' d'un air méprisant ? » demanda Nathaniel en plissant les yeux, l'air soudain plus agressif qu'un peu plus tôt.
Castiel ne put retenir un ricanement. Ce mec était tellement susceptible... Aucun doute, c'était bien le même que celui du lycée tout compte fait. Après tout ce qui s'était passé en une soirée seulement, le jeune homme commençait sérieusement à arriver à saturation. Aussi, il ne fit aucun effort pour modérer ses propos.
« Bah ouais mec » dit-il sur un ton provocateur « Ta putain de personne toute entière et l'attitude insupportable qui va avec. Comme quoi même en quatre ans y'a quand même des trucs qui changent pas. »
Nathaniel sembla être sur le point de s'énerver l'espace d'une seconde, mais il se contenta d'enfoncer ses mains dans ses poches et de froncer les sourcils.
« C'est bien la première fois qu'on me dit que j'ai pas changé » dit-il en jetant un regard en biais à Susan.
« Tu m'étonnes. Perso, tout ce qui m'importe c'est le fait que t'es un abruti et que tu en as toujours été un » dit Castiel avec une voix froide « Le reste c'est le dernier de mes soucis. »
Le jeune homme se rendit compte qu'il avait peut-être été un peu plus agressif que nécessaire lorsqu'il vit toute trace de patience soudain disparaître chez Nathaniel. Il serra la mâchoire en le regardant avec un air menaçant, et s'avança vers lui en serrant les poings.
« J'apprécie pas ton attitude Castiel. Je suis un quoi ? Vas-y répète ça si t'en as les couilles. »
« Arrêtez ! » s'écria Susan en s'interposant entre eux. Le jeune homme venait de se lever lui aussi, et les deux étaient en train de se fusiller mutuellement du regard.
« Wow, bah dites-donc l'ambiance est chaude ici ! » dit alors Evelyn avec un air faussement enjoué qui dissimulait mal sa gêne « Juste pour info, c'est toujours aussi 'intense' entre vous trois ? »
Castiel se souvint qu'elle avait été là depuis le début, et qu'elle avait donc assisté malgré elle à ces retrouvailles tendues.
Il soupira, puis s'éloigna de Nathaniel. Se prendre la tête maintenant n'avait pas d'intérêt. Il valait mieux pour lui qu'il parte tout de suite avant de péter un câble.
« Okay, bon bah perso je vais me casser et je m'en porterai bien mieux » dit-il en commençant à rassembler ses affaires.
Il se dirigea vers la sortie, mais s'immobilisa avant de saisir la poignée. Il se tourna alors vers Susan.
« J'imagine que c'est pas mes affaires, mais ça m'étonne quand même de ta part que t'aies trouvé le moyen de re-sortir avec ce connard alors qu'il est maintenant devenu une sorte de racaille des bacs-à-sable. M'enfin, c'est vrai que t'as toujours eu des goûts de chiotte en matière de romance. Bref. Allez adieu. »
Le visage de la jeune fille prit une teinte écarlate, et elle ne put retenir une exclamation choquée.
« Comment tu peux... Je... Je ne sors pas avec Nathaniel, connard ! »
L'insulte lui avait visiblement échappé sous le coup de la colère, car elle plaqua aussitôt une main contre sa bouche.
Mais la porte s'était déjà refermée derrière Castiel.
Sans un regard en arrière, il s'éloigna du bâtiment en marchant seul dans la nuit silencieuse.
